Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 5 janvier 2023, 21-85.796, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 21-85.796 F-D

N° 00015


ECF
5 JANVIER 2023


REJET


M. BONNAL président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 JANVIER 2023



Le cabinet Lysandre a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 23 septembre 2021, qui, dans l'information suivie, notamment, contre M. [E] [V] des chefs de travail dissimulé en bande organisée, blanchiment en bande organisée, tentative de ce délit, faux et usage, recel et complicité, a confirmé l'ordonnance de maintien de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat du cabinet Lysandre, et les conclusions de M. Valat, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. A la suite du signalement effectué par le service des maniements de fonds de la CARPA, des investigations conduites, d'abord dans le cadre d'une enquête préliminaire, puis d'une information judiciaire, ont révélé l'existence d'un système occulte de rémunération d'employés non déclarés et de transfert des fonds issus du travail dissimulé vers l'étranger et mis en cause le cabinet d'avocat Lysandre et, notamment, M. [E] [V].

3. Le 19 octobre 2020, le juge d'instruction a ordonné la saisie pénale en valeur du compte bancaire ouvert au nom du cabinet Lysandre par une ordonnance à l'encontre de laquelle M. [V] et le cabinet Lysandre ont interjeté appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

4. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses autres branches

Enoncé du moyen

5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé le maintien de la saisie, pratiquée le 13 octobre 2020, du solde créditeur du compte du cabinet Lysandre ouvert dans les livres de la CRCAM Paris Ile-de-France, s'élevant à 56 897,50 euros, alors :

« 1°/ que les dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale méconnaissent tant le droit au respect de la vie privée, découlant de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, que les droits de la défense, dont le respect est garanti par l'article 16 de ladite Déclaration, en ce qu'elles permettent la saisie de sommes d'argent déposées sur le compte bancaire d'un avocat, et le maintien de cette saisie, sans garanties procédurales spécifiques concernant la protection du secret professionnel de l'avocat ; que la déclaration d'inconstitutionnalité qui adviendra de ce chef, sur la question prioritaire de constitutionnalité posée par le cabinet Lysandre par écrit distinct du présent mémoire, conduira à l'annulation de l'arrêt attaqué ;


2°/ que les dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale, en ce qu'elles permettent la saisie de sommes d'argent déposées sur le compte bancaire d'un avocat, ainsi que le maintien de cette saisie, sans garanties procédurales spécifiques concernant la protection du secret professionnel, et notamment sans que le bâtonnier ou son délégué soient informés et puissent, le cas échéant, s'opposer à la mesure ou à son maintien, méconnaissent les exigences liées à la protection du secret professionnel de l'avocat, dès lors que, pour obtenir la mainlevée de la saisie, l'avocat peut être contraint de justifier de l'origine des sommes figurant sur son compte et d'établir que ces sommes ne constituent pas le produit d'une infraction, mais correspondent à des honoraires perçus en contrepartie de prestations licites ; que la saisie peut ainsi conduire, sans être accompagnée de garanties procédurales adéquates, à la révélation d'éléments couverts par le secret professionnel, tels que l'identité des clients de l'avocat, la nature des prestations que ce dernier fournit à ses clients, les conventions d'honoraires qu'il a passées avec ceux-ci et les facturations y afférentes ; qu'il suit de là que la saisie du solde créditeur du compte détenu par le cabinet Lysandre dans les livres du [1], réalisée en application de l'article 706-154 du code de procédure pénale, a été pratiquée et maintenue irrégulièrement ; qu'en ne prononçant pas la mainlevée de cette saisie, la chambre de l'instruction a méconnu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

6. Le grief est devenu sans objet, dès lors que, par décision n° 2022-1002 QPC du 8 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a déclaré l'article 706-154 du code de procédure pénale conforme à la Constitution.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

7. Selon l'article 706-154 du code de procédure pénale, l'ordonnance par laquelle le juge des libertés et de la détention, ou le juge d'instruction, se prononce sur le maintien ou la mainlevée de la saisie d'une somme d'argent versée sur un compte ouvert auprès d'un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, effectuée par un officier de police judiciaire, est notifiée au ministère public, au titulaire du compte et, s'ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce compte, qui peuvent la déférer à la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours à compter de la notification de l'ordonnance.

8. Ces dispositions ont pour seul objet de prévoir un recours contre la saisie d'une somme d'argent dont l'exécution n'implique en elle-même ni recherche de preuves, ni investigations, ni divulgation d'informations se rapportant à cette somme.

9. Cette saisie doit être justifiée par l'existence d'indices laissant présumer la commission de l'infraction sur la base de laquelle elle est ordonnée et s'applique indifféremment à l'ensemble des sommes inscrites sur un compte bancaire au moment de sa réalisation et à concurrence, le cas échéant, du montant indiqué dans la décision de saisie. Sa contestation n'implique pas de justifier de l'origine de la somme qui en fait l'objet. Par conséquent, dans le cas où la saisie porte sur les sommes versées sur le compte professionnel d'un avocat, ce dernier peut la contester sans être tenu de révéler des informations portant sur ses clients ou les prestations à l'origine des sommes saisies.

10. Enfin, à supposer même que l'avocat soit amené, pour exercer ses droits de la défense, à révéler des informations couvertes par le secret professionnel pour contester la saisie d'une somme versée sur son compte, il peut le faire sous la condition que ces révélations lui soient imposées par les strictes exigences de sa propre défense devant une juridiction.

11. Il résulte de ce qui précède que les dispositions de l'article 706-154 du code de procédure pénale assurent une conciliation équilibrée entre, d'une part, les droits de la défense et, d'autre part, le droit de toute personne au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, qui inclut la confidentialité de la correspondance entre un avocat et son client, garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

12. Dès lors, le grief doit être écarté.

13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le cinq janvier deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:CR00015
Retourner en haut de la page