Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 7 décembre 2022, 21-17.492, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 7 décembre 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 887 F-B

Pourvoi n° X 21-17.492






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 7 DÉCEMBRE 2022

M. [T] [K], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° X 21-17.492 contre l'arrêt rendu le 23 mars 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [U] [O], domiciliée [Adresse 1] (Luxembourg), prise en qualité de liquidateur de la société Landsbanki, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le siège est [Adresse 4] Luxembourg,

2°/ au procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, domicilié en son parquet général, [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Champ, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [K], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de Mme [O], ès qualités, après débats en l'audience publique du 25 octobre 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Champ, conseiller référendaire rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 23 mars 2021), M. [K] (l'emprunteur) a formé un recours contre la décision d'un directeur des services de greffe judiciaires constatant la force exécutoire en France d'un arrêt de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg qui a rejeté sa demande d'admission au passif de la société luxembourgeoise Landsbanski Luxembourg, représentée par Mme [O], liquidatrice (la banque), et l'a condamné à payer à celle-ci diverses sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

2. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de confirmer la décision déférée en toutes ses dispositions et de constater la force exécutoire, en France, de l'arrêt de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg, alors :

« 1°/ que l'action intentée contre un consommateur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel est domicilié ledit consommateur, sauf à ce que cette demande soit formée à titre reconventionnel devant le tribunal saisi par le consommateur d'une demande originaire ; qu'en l'espèce, en retenant, pour en déduire que les juridictions luxembourgeoises étaient compétentes, que la banque avait formé une demande reconventionnelle contre l'emprunteur, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la demande en remboursement du prêt formée par la banque était connexe à la demande originaire d'admission d'une créance au passif d'une procédure collective, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 15, 16, 35 et 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) ;

2°/ que si le juge d'un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent, c'est à la condition que le défendeur ait été informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution ; qu'en l'espèce, en retenant que l'emprunteur n'a pas contesté la compétence de la juridiction de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la banque, sans rechercher si celui-ci avait été informé de son droit de contester la compétence de cette juridiction, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 24 du règlement n° 44/2001, ensemble l'article 26 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 (dit Bruxelles I bis) et l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. »

Réponse de la Cour

3. En premier lieu, il résulte de l'article 66 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (dit Bruxelles I bis) que le règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I) continue à s'appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées avant le 10 janvier 2015.

4. Ayant relevé que l'action devant les juridictions luxembourgeoises avait été engagée le 31 mars 2010, la cour d'appel en a exactement déduit que la reconnaissance de la décision rendue par elles était régie par le règlement Bruxelles I, lequel ne prévoyait pas qu'avant de se déclarer compétente, la juridiction devait s'assurer que le consommateur défendeur était informé de son droit de contester cette compétence et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution.

5. En second lieu, il résulte de l'arrêt de la CJUE, du 20 mai 2010, (CJUE, arrêt du 20 mai 2010, CPP Vienna Insurance Group, C-111/09) que l'article 24 du règlement Bruxelles I doit être interprété en ce sens que le juge saisi, sans que les règles relatives au contrat de consommation aient été respectées, doit se déclarer compétent lorsque le défendeur comparaît et ne soulève pas d'exception d'incompétence, une telle comparution constituant une prorogation tacite de compétence.

6. Ayant constaté que l'emprunteur n'avait pas contesté la compétence de la cour d'appel de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la banque, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. L'emprunteur fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une décision n'est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; que la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public ; qu'en l'espèce, est potestative la clause autorisant la banque à exiger le remboursement du prêt dans l'hypothèse, selon une procédure de calcul laissée par le contrat à l' « entière discrétion » de la banque, le ratio de gagerie se monte à 90 % du montant du prêt ; qu'en jugeant néanmoins que le moyen relatif à l'existence d'une éventuelle clause potestative relève de l'appréciation du juge du fond et qu'une clause potestative n'est en tout état de cause pas contraire à l'ordre public français, lorsque la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public, de sorte qu'une décision de condamnation fondée sur une telle clause ne peut être reconnue, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I), ensemble l'article 1304-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon les articles 34 et 36 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (dit Bruxelles I), la reconnaissance n'est refusée que si elle est manifestement contraire à l'ordre public de l'Etat requis et, en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l'objet d'une révision au fond.

9. La contrariété à l'ordre public international s'entend d'une violation manifeste d'une règle de droit considérée comme essentielle dans l'ordre juridique de l'Union et donc dans celui de l'État membre requis ou d'un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (CJUE, arrêt du 16 juillet 2015, Diageo Brands, C-681/13).

10. En retenant que ne satisfaisait pas à ces conditions la violation alléguée de l'article 1174 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui prohibait les clauses potestatives, la cour d'appel a justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

12. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation de l'article 16, 3° de la section 4 du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [K] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à la société Landsbanski Luxembourg, représentée par Mme [O], liquidateur la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Spinosi, avocat aux Conseils, pour M. [K]

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé la décision déférée en toutes ses dispositions et, partant, d'avoir constaté la force exécutoire, en France, de l'arrêt en date du 27 avril 2016 de la cour d'appel du Grand-Duché du Luxembourg dans l'instance opposant la société anonyme Landsbanki Luxembourg à Monsieur [T] [K] ;

1°) Alors que, d'une part, l'action intentée contre un consommateur ne peut être portée que devant les tribunaux de l'État membre sur le territoire duquel est domicilié ledit consommateur, sauf à ce que cette demande soit formée à titre reconventionnel devant le tribunal saisi par le consommateur d'une demande originaire ; qu'en l'espèce, en retenant, pour en déduire que les juridictions luxembourgeoises étaient compétentes, que la société Landsbanki avait formé une demande reconventionnelle contre Monsieur [K], sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée (conclusions d'appel, p. 10), si la demande en remboursement du prêt formée par la banque était connexe à la demande originaire d'admission d'une créance au passif d'une procédure collective, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 15, 16, 35 et 45 du Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

2°) Alors que, d'autre part, si le juge d'un État membre devant lequel le défendeur comparaît est compétent, c'est à la condition que le défendeur ait été informé de son droit de contester la compétence de la juridiction et des conséquences d'une comparution ou d'une absence de comparution ; qu'en l'espèce, en retenant que Monsieur [K] n'a pas contesté la compétence de la cour d'appel de Luxembourg pour statuer sur la demande reconventionnelle de la société Landsbanki, sans rechercher si celui-ci avait été informé de son droit de contester la compétence de cette juridiction, ce qui n'était pas le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 24 du Règlement n° 44/2001, ensemble l'article 26 du Règlement (UE) n° 1215/2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l'article 38 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

3°) Alors que, de troisième part, une décision n'est pas reconnue si la reconnaissance est manifestement contraire à l'ordre public de l'État membre requis ; que la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public ; qu'en l'espèce, est potestative la clause autorisant la banque à exiger le remboursement du prêt dans l'hypothèse, selon une procédure de calcul laissée par le contrat à l' « entière discrétion » de la banque, le ratio de gagerie se monte à 90 % du montant du prêt ; qu'en jugeant néanmoins que le moyen relatif à l'existence d'une éventuelle clause potestative relève de l'appréciation du juge du fond et qu'une clause potestative n'est en tout état de cause pas contraire à l'ordre public français, lorsque la nullité d'une clause potestative a un caractère d'ordre public, de sorte qu'une décision de condamnation fondée sur une telle clause ne peut être reconnue, la cour d'appel a violé l'article 34 du Règlement 44/2001, ensemble l'article 1304-2 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2022:C100887
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