Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 23 novembre 2022, 22-14.719, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 novembre 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 822 F-D

Pourvoi n° D 22-14.719




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 NOVEMBRE 2022

1°/ M. [G] [R],

2°/ Mme [J] [M], épouse [R],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° D 22-14.719 contre l'arrêt rendu le 11 février 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [L] [D], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à Mme [A] [W], domiciliée [Adresse 3],

3°/ à Mme [X] [C], domiciliée [Adresse 4],

4°/ à Mme [S] [H], domiciliée [Adresse 5],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations et les plaidoiries de la SAS Hannotin Avocats, avocat de M. et Mme [R], de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mmes [D], [W], [C] et [H], après débats en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Guilguet-Pauthe, avocat général, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 février 2022, n° RG 21/12784), M. et Mme [R], propriétaires d'une maison située dans une zone pavillonnaire construite entre 1911 et 1928 par la société La campagne à Paris, ont entamé des travaux d'élévation d'un second étage.

2. Se prévalant de l'existence d'une servitude non altius tollendi grevant l'ensemble des lots du lotissement, Mmes [D], [C], [W] et [H], colotis, les ont assignés en suspension des travaux engagés et démolition de ceux déjà réalisés.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième à sixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première à troisième, septième et huitième branches

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [R] font grief à l'arrêt de dire qu'une servitude grève leur fonds et, qu'en surélevant leur maison, ils ont violé ladite servitude, et de les condamner à démolir la surélévation dépassant la hauteur de la panne faîtière d'origine, alors :

« 1°/ qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ; qu'elle constitue, pour le fonds servant, une restriction au droit du propriétaire, dont l'objet doit en conséquence être déterminé strictement et précisément ; qu'ils soutenaient, dans leurs conclusions d'appel, que l'imprécision de la servitude était un obstacle à sa validité ; que la cour d'appel a néanmoins retenu que « l'imprécision alléguée de la servitude n'est pas de nature à remettre en cause sa validité mais seulement à en nécessiter l'interprétation ; qu'en statuant ainsi, cependant que la servitude, qui constitue une restriction au droit du propriétaire du fonds servant, suppose un contenu déterminé avec précision, la cour d'appel a violé les article 544 et 637 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que les servitudes continues non apparentes ne peuvent s'établir que par titre ; que le titre consiste en un acte juridique, identifiant le fonds dominant et le fonds servant, et établissant ainsi l'assiette de la servitude ; que, pour déterminer l'objet de la servitude litigieuse, la cour d'appel a puisé alternativement dans deux « titres » différents, à savoir, d'un côté, le cahier des charges du 17 mai 1908 et, d'un autre côté, la délibération du 21 décembre 1924 ; que la cour d'appel a ainsi relevé que le cahier des charges précisait que « les plans des maisons ne devront pas comporter de deuxième étage et que, néanmoins, les greniers pourront être rendus habitables jusqu'à concurrence de la moitié de leur superficie », puis que « la délibération de l'assemblée générale du 21 décembre 1924 est une interdiction de surélever les maisons, ce qui proscrit toute surélévation qui emporte un exhaussement de la panne faîtière » ; qu'en recomposant ainsi le contenu d'une servitude interdisant de surélever les immeubles mais laissant la possibilité d'aménager les combles dans certaines proportions, la cour d'appel, qui a mélangé deux titres distincts, dont il est constant que l'un, à tout le moins (cahier des charges), n'a pas fait l'objet d'une transcription même indirecte, a violé l'article 691 du code civil ;

3°/ que la servitude non altius tollendi est celle qui interdit d'élever l'immeuble au-delà d'un certain niveau ; qu'elle suppose, par construction, la définition d'un référentiel ou plafond, permettant de délimiter l'élévation interdite de celle autorisée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que « le fait que les maisons n'aient pas toutes eu la même hauteur initiale et qu'il n'existe pas de référentiel de même que le fait que certaines maisons aient été initialement construites avec deux étages, ne prive pas pour autant d'effet la servitude qui s'applique quelle qu'ait été la hauteur initiale de la maison » ; que, dans le même temps, la cour d'appel retenait que la charge en discussion « proscrit toute surélévation qui emporte un exhaussement de la panne faîtière » (id. loc.), ce qui nécessitait la définition d'une élévation initiale ou de référence par rapport à laquelle serait définie la notion de surélévation ; qu'en acceptant ainsi de donner force de droit à une servitude en réalité inapplicable, faute de précision d'un état initial au regard duquel apprécier une méconnaissance, la cour d'appel, qui est allée jusqu'à ordonner la « démolition [?] de la surélévation de la panne faîtière d'origine », une élévation d'origine pourtant jugée sans importance et de toutes les façons ici indéterminée, a violé les articles 544, 637 et 691 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

7°/ qu'encore plus subsidiairement, une servitude est éteinte par non-usage trentenaire ; que la prescription extinctive des servitudes permet de débarrasser le fonds servant des charges qui ne sont plus utiles, afin de reconstituer, au profit du propriétaire, un droit de propriété plein et entier ; que le délai de prescription commence à courir du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu'il s'agit de servitudes continues ; que, pour écarter la prescription de la prétendue servitude non altius tollendi litigeuse, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, qu'« en matière de lotissement, la servitude est collective en ce qu'elle pèse réciproquement sur tous les fonds. La prescription extinctive suppose dès lors que tous les colotis sans exception n'aient pas usé pendant trente ans de la servitude créée par le cahier des charges en cause. En l'espèce, en premier lieu, il n'est ni démontré ni prétendu que la totalité des colotis n'a pas fait usage de la servitude non altius tollendi pendant trente ans » ; que, néanmoins, pour écarter cette fois une éventuelle renonciation à la servitude, la cour d'appel a relevé par motifs propres que « s'il résulte des photographies produites que plusieurs maisons ont fait l'objet de surélévations de la partie haute de la maison (notamment pièces 47 et 53 des appelants), la non-opposition à ces travaux ne saurait suffire à établir la renonciation de l'ensemble des propriétaires à l'existence de la servitude et les époux [R] ne sauraient revendiquer, sur ce fondement, le droit de ne pas la respecter » ; que si l'absence d'opposition à la violation de la servitude n'est pas suffisante pour caractériser une renonciation, elle est en revanche de nature à faire courir le délai de prescription extinctive de la servitude, ainsi que le soutenaient les époux [R] dans leurs conclusions d'appel ; qu'en conséquence, la cour d'appel devait rechercher si les violations constatées n'étaient pas restées sans opposition de la part de l'ensemble des bénéficiaires de la servitude pendant plus de trente ans ; qu'en écartant ainsi la prescription extinctive, sans rechercher comme il le lui était demandé, si les violations constatées n'étaient pas restées sans réaction de la part des bénéficiaires de la servitude pendant plus de trente ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 706 et 707 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8°/ qu'en tout état de cause, le juge qui constate la méconnaissance d'une servitude non altius tollendi doit s'abstenir de procéder à son exécution en nature, par démolition, dès lors que la réparation par équivalent est possible et qu'une réparation en nature, par destruction, apparaîtrait disproportionnée ; que la disproportion de la sanction de la démolition, par rapport au droit au respect de la vie privée et du domicile, ensemble le droit de propriété, ressort d'une comparaison, d'une part, du trouble inhérent à cette destruction, d'autre part, de l'ampleur de la méconnaissance du gabarit-limite imposé par la servitude, constatée in specie ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que la disproportion ne serait pas caractérisée dès lors que la démolition ne rend pas « le logement inadapté à la taille de leur famille » ; qu'en se déterminant ainsi, sans se référer à l'ampleur (marginale et limitée) de la méconnaissance de la servitude, pas plus qu'à l'ampleur (considérable) du trouble apporté par la démolition prise en soi à la vie privée et familiale des intéressés, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à choisir entre exécution en nature et exécution par équivalent, a violé les articles 544 et 691 du code civil, l'article 1221 nouveau du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le principe de proportionnalité. »

Réponse de la Cour

5. En premier lieu, la cour d'appel a retenu, d'abord, que par sa délibération du 21 décembre 1924, l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société La campagne à Paris, dont elle a relevé qu'elle était l'organe collégial qui représentait et obligeait l'universalité des actionnaires, avait décidé d'établir plusieurs servitudes dont la première était d'interdire aux futurs attributaires de lots de surélever leur maison, dans un but d'intérêt général visant à conserver les maisons, à assurer leur solidité, leurs conditions d'air et de lumière, leur bon ordre et leur aspect agréable.

6. Après avoir exactement énoncé, ensuite, que l'imprécision des termes du procès-verbal de cette assemblée générale, seul titre constitutif retenu de la servitude, relativement à la surélévation proscrite, lui imposait de rechercher quelle avait été l'intention commune des actionnaires, elle a souverainement retenu, par une interprétation des stipulations du cahier des charges et du procès-verbal de l'assemblée générale du 17 mai 1908 l'ayant adopté, que l'interdiction de surélever les maisons, qui se référait à un niveau d'étage d'origine des constructions, devait s'entendre comme proscrivant tout exhaussement de la panne faîtière des maisons.

7. En deuxième lieu, procédant à la recherche prétendument omise, elle a retenu, par motifs adoptés, au terme d'une analyse des travaux de surélévation invoqués par les demandeurs pour revendiquer l'extinction de la servitude par non-usage, que ceux-ci avaient exclusivement consisté en des rehaussements de combles autorisés par le cahier des charges et donc non contraires à la servitude litigieuse, ce dont elle a souverainement déduit, soulignant l'absence de justificatifs complémentaires utiles produits devant elle, qu'il n'était pas démontré que la totalité des colotis n'avaient pas fait usage de la servitude non altius tollendi pendant trente ans.

8. En troisième lieu, après avoir relevé que les travaux de création d'un second étage avaient occasionné un exhaussement de la panne faîtière, faisant ainsi ressortir l'existence d'une méconnaissance de la servitude, puis constaté que la maison de M. et Mme [R] disposait avant ces travaux de trois chambres, ce dont elle a déduit que la sanction décidée ne rendait pas le logement incompatible avec la composition familiale des demandeurs, elle a pu, procédant comme il lui incombait à un contrôle concret de proportionnalité entre la démolition ordonnée et la gravité du droit réel transgressé, retenir que cette sanction ne présentait pas un caractère disproportionné, au sens de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. et Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [R] et les condamne à payer à Mmes [D], [C], [W] et [H] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé le vingt-trois novembre deux mille vingt deux par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Hannotin Avocats, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [R]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'une servitude « non altius tollendi » lie les propriétaires successifs et grève le fonds des époux [R] sis [Adresse 1] et dit qu'en surélevant leur maison pour construire un second étage, les époux [R] ont violé la servitude « non altius tollendi », de les avoir condamnés à démolir la surélévation dépassant la hauteur de la panne faitière d'origine incluant le grenier, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter d'un délai de six mois suivant la date de signification de l'arrêt, astreinte qui courra pendant trois mois ;

1° Alors qu'une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire ; qu'elle constitue, pour le fonds servant, une restriction au droit du propriétaire, dont l'objet doit en conséquence être déterminé strictement et précisément ; que les époux [R] soutenaient, dans leurs conclusions d'appel, que l'imprécision de la servitude était un obstacle à sa validité ; que la cour d'appel a néanmoins retenu que « l'imprécision alléguée de la servitude n'est pas de nature à remettre en cause sa validité mais seulement à en nécessiter l'interprétation » (arrêt p. 5, §7) ; qu'en statuant ainsi, cependant que la servitude, qui constitue une restriction au droit du propriétaire du fonds servant, suppose un contenu déterminé avec précision, la cour d'appel a violé les article 544 et 637 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2° Alors que les servitudes continues non apparentes ne peuvent s'établir que par titre ; que le titre consiste en un acte juridique, identifiant le fonds dominant et le fonds servant, et établissant ainsi l'assiette de la servitude ; que, pour déterminer l'objet de la servitude litigieuse, la cour d'appel a puisé alternativement dans deux « titres » différents, à savoir, d'un côté, le cahier des charges du 17 mai 1908 et, d'un autre côté, la délibération du 21 décembre 1924 ; que la cour d'appel a ainsi relevé que le cahier des charges précisait que « les plans des maisons ne devront pas comporter de deuxième étage et que, néanmoins, les greniers pourront être rendus habitables jusqu'à concurrence de la moitié de leur superficie », puis que « la délibération de l'assemblée générale du 21 décembre 1924 est une interdiction de surélever les maisons, ce qui proscrit toute surélévation qui emporte un exhaussement de la panne faîtière » ; qu'en recomposant ainsi le contenu d'une servitude interdisant de surélever les immeubles mais laissant la possibilité d'aménager les combles dans certaines proportions, la cour d'appel, qui a mélangé deux titres distincts, dont il est constant que l'un, à tout le moins (cahier des charges), n'a pas fait l'objet d'une transcription même indirecte, a violé l'article 691 du code civil ;

3° Alors que la servitude non altius tollendi est celle qui interdit d'élever l'immeuble au-delà d'un certain niveau ; qu'elle suppose, par construction, la définition d'un référentiel ou plafond, permettant de délimiter l'élévation interdite de celle autorisée ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que « le fait que les maisons n'aient pas toutes eu la même hauteur initiale et qu'il n'existe pas de référentiel de même que le fait que certaines maisons aient été initialement construites avec deux étages, ne prive pas pour autant d'effet la servitude qui s'applique quelle qu'ait été la hauteur initiale de la maison » (arrêt p. 5) ; que, dans le même temps, la cour d'appel retenait que la charge en discussion « proscrit toute surélévation qui emporte un exhaussement de la panne faîtière » (id. loc.), ce qui nécessitait la définition d'une élévation initiale ou de référence par rapport à laquelle serait définie la notion de surélévation ; qu'en acceptant ainsi de donner force de droit à une servitude en réalité inapplicable, faute de précision d'un état initial au regard duquel apprécier une méconnaissance, la cour d'appel, qui est allée jusqu'à ordonner la « démolition [?] de la surélévation de la panne faîtière d'origine » (arrêt p. 7), une élévation d'origine pourtant jugée sans importance et de toutes les façons ici indéterminée, a violé les articles 544, 637 et 691 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4° Alors, subsidiairement, que, sous l'empire de la loi du 23 mars 1855, tout acte constitutif de servitude devait être retranscrit, à peine d'inopposabilité ; que cette formalité de la transcription s'entendait, non pas d'une simple référence indirecte à l'existence d'une servitude à l'occasion de la publication d'un acte postérieur, mais de la transcription, c'est-à-dire de la reproduction, de l'acte constitutif de la servitude sur les registres spéciaux tenus dans l'arrondissement par le conservateur des hypothèques ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que « en l'espèce, l'acte d'attribution du pavillon sis [Adresse 1] à M. [I] [E] [Y] qui mentionne la servitude litigieuse a été publié au 4ème bureau de la conservation des hypothèques de la Seine le 1er décembre 2027, volume 870 n°19 et cet acte comporte la retranscription du procès-verbal de la délibération de l'assemblée générale du 21 décembre 1924 ainsi que la mention selon laquelle ce procès-verbal a été "enregistré à Paris (4è notaires) le 23 juin 1925 volume 738 folio 178 case 35" » (arrêt p. 5, §11) ; qu'en considérant ainsi que la servitude non altius tollendi était opposable aux époux [R], sans constater que la délibération de l'assemblée générale du 21 décembre 1924, acte prétendument constitutif de la servitude, avait lui-même fait l'objet d'une transcription per se, au sens de la loi du 23 mars 1855, et non pas seulement d'une simple mention dans un acte ultérieur, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 de la loi du 23 mars 1855, applicable en la cause, ensemble le principe de sécurité juridique ;

5° Alors, subsidiairement, que, sous l'empire de la loi du 23 mars 1855, tout acte constitutif de servitude doit être retranscrit, à peine d'inopposabilité ; que cette formalité de la transcription s'entend, non pas d'une simple référence indirecte à l'existence d'une servitude à l'occasion de la publication d'un acte translatif de propriété postérieur, mais de la transcription du titre constitutif, c'est-à-dire de la reproduction de l'acte constitutif de la servitude sur les registres spéciaux tenus dans l'arrondissement par le conservateur des hypothèques ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu, par motifs propres (arrêt p. 5, §13) et adoptés (jugement p. 10, in fine), que cette servitude était rappelée dans les actes de cession de l'immeuble litigieux de 1942 et 1950 ; qu'en tenant pour opposable la servitude non altius tollendi litigieuse, par un raisonnement impropre à établir la transcription de la délibération de l'assemblée générale du 21 décembre 1924 qui en est la source supposée, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé les articles 2 et 3 de la loi du 23 mars 1855, applicable en la cause, ensemble le principe de sécurité juridique ;

6° Alors, subsidiairement, que sous l'empire de la loi du 23 mars 1855, tout acte constitutif de servitude doit être retranscrit, à peine d'inopposabilité ; qu'en l'espèce, les époux [R] soutenaient que la servitude litigieuse, à la supposer valable pour les seuls besoins du raisonnement, s'était de toute manière éteinte du fait de la dissolution de la société anonyme coopérative le 18 mai 1953 (conclusions d'appel, p 25-26) ; que, pour écarter ce moyen, la cour d'appel a retenu que « Les premiers juges ont notamment exactement retenu le caractère contractuel des servitudes et, en conséquence, le fait que le cahier des charges du lotissement continue à s'appliquer dans les rapports entre colotis en application de l'article L. 442-9 du code de l'urbanisme étant rappelé qu'en l'espèce la servitude litigieuse a été retranscrite au registre foncier » (arrêt p. 6, §9) ; qu'en opposant ainsi aux époux [R] la servitude dont elle identifiait cette fois la source dans le cahier des charges, après avoir pourtant constaté par motifs adoptés que « la preuve n'est pas rapportée que le cahier des charges a été publié » (jugement p. 10, §7), la cour d'appel, qui s'est référée à un titre manifestement inopposable, à défaut de publication, a violé de plus fort les articles 2 et 3 de la loi du 23 mars 1855, ensemble le principe de sécurité juridique ;

7° Alors, encore plus subsidiairement, qu'une servitude est éteinte par non-usage trentenaire ; que la prescription extinctive des servitudes permet de débarrasser le fonds servant des charges qui ne sont plus utiles, afin de reconstituer, au profit du propriétaire, un droit de propriété plein et entier ; que le délai de prescription commence à courir du jour où il a été fait un acte contraire à la servitude, lorsqu'il s'agit de servitudes continues ; que, pour écarter la prescription de la prétendue servitude non altius tollendi litigeuse, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, qu'« en matière de lotissement, la servitude est collective en ce qu'elle pèse réciproquement sur tous les fonds. La prescription extinctive suppose dès lors que tous les colotis sans exception n'aient pas usé pendant trente ans de la servitude créée par le cahier des charges en cause (voir cour d'appel Aix-en-Provence du 13 novembre 2014 produit en pièce 27 par les demanderesses - pourvoi rejeté par Cass. Civ. 3e du 21/01/2016 n°15-10.566). En l'espèce, en premier lieu, il n'est ni démontré ni prétendu que la totalité des colotis n'a pas fait usage de la servitude non altius tollendi pendant trente ans » (jugement, p. 17, §4) ; que, néanmoins, pour écarter cette fois une éventuelle renonciation à la servitude, la cour d'appel a relevé par motifs propres que « s'il résulte des photographies produites que plusieurs maisons ont fait l'objet de surélévations de la partie haute de la maison (notamment pièces 47 et 53 des appelants), la non-opposition à ces travaux ne saurait suffire à établir la renonciation de l'ensemble des propriétaires à l'existence de la servitude et les époux [R] ne sauraient revendiquer, sur ce fondement, le droit de ne pas la respecter » (arrêt attaqué, p. 6, §11) ; que si l'absence d'opposition à la violation de la servitude n'est pas suffisante pour caractériser une renonciation, elle est en revanche de nature à faire courir le délai de prescription extinctive de la servitude, ainsi que le soutenaient les époux [R] dans leurs conclusions d'appel (p. 27-31) ; qu'en conséquence, la cour d'appel devait rechercher si les violations constatées n'étaient pas restées sans opposition de la part de l'ensemble des bénéficiaires de la servitude pendant plus de trente ans ; qu'en écartant ainsi la prescription extinctive, sans rechercher comme il le lui était demandé (conclusions d'appel des époux [R], p. 27-31) , si les violations constatées n'étaient pas restées sans réaction de la part des bénéficiaires de la servitude pendant plus de trente ans, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 706 et 707 du code civil, ensemble l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8° Alors en tout état de cause que le juge qui constate la méconnaissance d'une servitude non altius tollendi doit s'abstenir de procéder à son exécution en nature, par démolition, dès lors que la réparation par équivalent est possible et qu'une réparation en nature, par destruction, apparaîtrait disproportionnée ; que la disproportion de la sanction de la démolition, par rapport au droit au respect de la vie privée et du domicile, ensemble le droit de propriété, ressort d'une comparaison, d'une part, du trouble inhérent à cette destruction, d'autre part, de l'ampleur de la méconnaissance du gabarit-limite imposé par la servitude, constatée in specie ; qu'au cas présent, la cour d'appel a retenu que la disproportion ne serait pas caractérisée dès lors que la démolition ne rend pas « le logement inadapté à la taille de leur famille » (arrêt p. 7) ; qu'en se déterminant ainsi, sans se référer à l'ampleur (marginale et limitée) de la méconnaissance de la servitude, pas plus qu'à l'ampleur (considérable) du trouble apporté par la démolition prise en soi à la vie privée et familiale des intéressés, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à choisir entre exécution en nature et exécution par équivalent, a violé les articles 544 et 691 du code civil, l'article 1221 nouveau du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le principe de proportionnalité.ECLI:FR:CCASS:2022:C300822
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