Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 16 novembre 2022, 21-24.473, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

VB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 novembre 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 798 FS-B

Pourvoi n° K 21-24.473




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 NOVEMBRE 2022

1°/ M. [I] [Z],

2°/ Mme [V] [X], épouse [Z],

domiciliés tous deux [Adresse 2]

ont formé le pourvoi n° K 21-24.473 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [K] [C] [B],

2°/ à Mme [M] [O], épouse [C]

domiciliés tous deux [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de M. et Mme [Z], de la SCP Richard, avocat de M. et Mme [C], et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 4 octobre 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Grandjean conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 octobre 2021), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 23 mars 2017, pourvoi n° 16-11.081, Bull. 2017, III, n° 43), le 8 mars 2008, M. et Mme [C]-[B], propriétaires d'une maison et d'un terrain attenant, ont obtenu un permis de construire pour la réalisation d'une pergola avec abri voiture et toiture terrasse destinée à accueillir des panneaux solaires.

2. M. et Mme [Z], propriétaires du fonds voisin, ont formé un recours contre ce permis, qui a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative.

3. Ils ont demandé la démolition de la construction sur le fondement de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme et, subsidiairement, l'allocation de dommages-intérêts sur le fondement des troubles anormaux du voisinage.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. et Mme [Z] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C]-[B], alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficient de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par ce texte, dont les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine.

7. La condamnation à démolir la construction édifiée en méconnaissance d'une règle d'urbanisme ou d'une servitude d'utilité publique et dont le permis de construire a été annulé est donc subordonnée à la seule localisation géographique de la construction à l'intérieur d'une zone soumise à un régime particulier de protection.

8. En vertu de l'article L. 621-30, II, du code du patrimoine, en l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords des monuments historiques s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci.

9. La zone dans laquelle la protection au titre des abords est susceptible de s'appliquer aux immeubles visibles du monument historique ou visibles en même temps que lui étant celle qui est située à moins de cinq cents mètres du monument, toute construction édifiée dans cette zone peut être démolie dans les conditions prévues à l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme.

10. Ayant relevé qu'aucun périmètre de protection n'était délimité et que M. et Mme [Z] ne rapportaient pas la preuve que la construction était située à moins de cinq cents mètres d'un monument historique, la cour d'appel, abstraction faite de motifs erronés mais surabondants subordonnant la démolition à ce que la construction fût visible du monument historique ou visible en même temps que lui, en a déduit, à bon droit, qu'elle ne se situait pas aux abords d'un monument historique.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

12. M. et Mme [Z] font le même grief à l'arrêt, alors « que, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 480-13, 1°, i), du code de l'urbanisme et L. 562-1, II, 1° et 2°, du code de l'environnement :

13. Selon le premier de ces textes, lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et, sauf si le tribunal est saisi par le représentant de l'Etat dans le département sur le fondement du second alinéa de l'article L. 600-6, si la construction est située dans l'une des zones limitativement énumérées par cet article, dont celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé.

14. Aux termes du second, les plans de prévention des risques naturels prévisibles ont pour objet, en tant que de besoin :

1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ;

2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1°.

15. S'il en résulte que la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé pour excès de pouvoir ne peut être ordonnée, lorsque la construction est située dans une zone figurant dans un plan de prévention des risques naturels prévisibles, que lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé en application des 1° ou 2° du II de l'article L. 562-1 du code de l'urbanisme, il suffit que la construction soit située dans une zone comportant de telles limitations ou interdictions, sans qu'il soit nécessaire qu'elle contrevienne elle-même à ces prescriptions.

16. Pour rejeter la demande de démolition présentée par M. et Mme [Z], la cour d'appel, qui constate que la commune de Vence est soumise à un plan de prévention des risques incendie de forêt, retient que ce plan autorise sans condition les annexes dans la section B2 et que, la construction de M. et Mme [C]-[B], située dans cette section, ayant été qualifiée d'annexe par la juridiction administrative, elle ne fait pas l'objet d'une limitation ou d'une suppression du droit d'implantation au titre du plan de prévention.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts présentée par M. et Mme [Z], l'arrêt rendu le 28 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Condamne M. et Mme [C]-[B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. et Mme [C]-[B] et les condamne à payer à M. et Mme [Z] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize novembre deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Z]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;

EN CE QU' il a, infirmant le jugement, débouté M. et Mme [Z] de leur demande de démolition de la construction édifiée par M. et Mme [C] [B] ;

ALORS QUE, premièrement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, figurent « m) les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du [code du patrimoine] » ; que selon ces textes, ces abords s'entendent, en l'absence de périmètre délimité par l'autorité administrative, de la zone située à moins de cinq cent mètres du monument historique ; que la condition, qu'ils posent, tenant à ce que la construction soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui ne vise qu'à déterminer les constructions qui, au sein de cette zone, bénéficie de la protection ; qu'en subordonnant la démolition, pour la refuser, à ce que la construction litigieuse soit visible du monument historique ou visible en même temps que lui, quand cette condition est étrangère à la définition du périmètre protégé, les juges du fond ont violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble les articles L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine ;

ALORS QUE, deuxièmement, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, la démolition d'une construction édifiée conformément à un permis de construire annulé, dès lors qu'elle est exclusivement fondée sur la violation des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, postule que la construction soit située dans l'un des périmètres spécialement protégés, mentionnés au 1° dudit article ; que parmi ces périmètres, se trouvent « i) les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l'article L. 515-16 [du code de l'environnement], celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé » ; qu'en refusant la démolition, quand ils constataient pourtant que la construction litigieuse se situe dans une zone mentionnée comme à risque, fût-il faible, dans le Plan de Prévention des Risques Incendie de Forêt (PPRIF), où le droit de réaliser des constructions nouvelles est limité, au motif inopérant que la construction litigieuse pouvait être édifiée sans condition selon le PPRIF, les juges du fond ont violé L. 480-13 du code de l'urbanisme, ensemble l'article L. 562-1 du code de l'environnement.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué, critiqué par M. et Mme [Z], encourt la censure ;

EN CE QU' il a débouté M. et Mme [Z] de leur demande subsidiaire de dommages et intérêts ;

ALORS QUE, premièrement, nul ne peut causer à autrui un trouble dépassant les inconvénients ordinaires du voisinage ; qu'en retenant, pour écarter tout trouble anormal de voisinage, qu'il n'y avait pas eu aggravation des vues dès lors qu'il existait déjà une vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis l'emplacement de la construction litigieuse, sans s'expliquer, comme il y était invités, sur le fait qu'il existait une haie de près de trois mètres de hauteur qui obérait toute vue sur la propriété de M. et Mme [Z] depuis ledit emplacement avant qu'elle n'ait été arrachée pour les besoins des travaux, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;

ALORS QUE, deuxièmement, le trouble anormal de voisinage peut être d'ordre purement esthétique ; qu'en décidant que le caractère inesthétique de la construction ne pouvait à lui seul justifier de l'existence d'un trouble anormal, les juges du fond ont violé le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble les articles 544 et 651 du code civil ;

ALORS QUE, troisièmement, le juge ne peut refuser de statuer sur une contestation qui lui est soumise, sous peine de commettre un déni de justice ; qu'en objectant, pour refuser de se prononcer, que le caractère inesthétique de la construction relève de la pure subjectivité, les juges du fond ont violé l'article 4 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2022:C300798
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