Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 novembre 2022, 20-20.830, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 novembre 2022




Rejet


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 638 F-B

Pourvoi n° E 20-20.830




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 NOVEMBRE 2022

M. [K] [Y], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° E 20-20.830 contre l'arrêt rendu le 18 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige l'opposant à la Société civile des Mousquetaires, société civile, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Y], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Société civile des Mousquetaires, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 septembre 2020) et les productions, M. [Y] est devenu associé de la Société civile des Mousquetaires (la SCM) en 1996, en acquérant vingt-sept parts au prix unitaire de 10 740 francs (1 637,30 euros). Le 7 décembre 1997, il a notifié son retrait de la SCM. Par assemblée générale du 16 juin 1998, la SCM a fixé la valeur de la part à 14 990 francs (2 285 euros) et ratifié la démission de M. [Y]. Une somme représentative de la valeur totale de ses parts ainsi calculée lui a été versée en quatre échéances, la dernière intervenant le 28 janvier 2002.

2. M. [Y] a contesté la valorisation de ses parts. En dernier lieu, par une ordonnance du 17 mars 2009, le président d'un tribunal de grande instance, saisi en application de l'article 1843-4 du code civil, a désigné M. [N], lequel a déposé son rapport le 20 février 2012, fixant la valeur unitaire de la part à 48 546 euros, en se fondant notamment sur les derniers résultats comptables obtenus en 2009 et 2010.

3. Sur le fondement de ce rapport, M. [Y] a, le 20 mars 2012, assigné la SCM devant le tribunal de grande instance en paiement du complément de la somme lui restant due sur ses parts, telles qu'évaluées par l'expert.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. M. [Y] reproche à l'arrêt d'annuler le rapport d'expertise déposé par M. [N] le 20 février 2012, de le débouter de l'intégralité de ses demandes et de dire que les frais de l'expertise seront supportés par moitié par chacune des parties, alors :

« 1°/ que l'article 17-7 des statuts de la SCM prévoyait que "la société étant une société à capital variable, chaque associé dispose également de la possibilité de "démissionner", c'est-à-dire que souhaitant se retirer, il peut demander à la société de lui acheter ses parts. Dans ce cas, il doit adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la gérance, qui dispose d'un délai de deux mois pour lui répondre. La gérance peut accepter elle-même la décision mais sous réserve de ratification par la plus proche réunion des associés statuant dans les conditions de quorum et de majorité requises pour les décisions ordinaires, laquelle fixe également les conditions et les délais du paiement de la valeur des parts, à moins que ces modalités aient été fixées par le Règlement Intérieur. En cas de démission, les parts sont achetées par la société par diminution du capital effectif et des réserves. La valeur retenue est celle déterminée par le Règlement Intérieur. A défaut, elle est fixée par l'assemblée des associés qui statue sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance. En cas de contestation, la valeur est déterminée à dire d'Expert, comme indiqué ci-dessus en matière de cession" ; qu'il résulte uniquement de cette clause que l'assemblée générale saisie pour ratifier la décision qui peut être prise par la gérance d'accepter la "démission" d'un associé, fixe les conditions et délais du paiement de la valeur des parts, et que la valeur des parts de l'associé désirant se retirer de la SCM est celle déterminée par le règlement intérieur, ou à défaut celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance, sans que ne soit déterminée la date devant être prise en considération pour évaluer les parts de l'associé retrayant ; qu'en jugeant que, "en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations", de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la société SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, la cour d'appel a dénaturé l'article 17-7 des statuts de la SCM, en violation de l'article 1134, devenu 1192, du code civil, ensemble le principe selon lequel les juges du fond ne doivent pas dénaturer les documents qui sont soumis à leur examen ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en jugeant qu'en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations, de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, quand cette clause se bornait à prévoir que la valeur des parts de l'associé retrayant était celle fixée par le règlement intérieur ou à défaut, celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une clause statutaire qui dérogerait au principe selon lequel la valeur des droits de l'associé retrayant doit être fixée à la date la plus proche possible du remboursement, a méconnu les articles 1134, devenu 1103, et 1843-4 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 ;

4°/ qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges, que la valeur des parts de M. [Y] devait être déterminée à la date à laquelle la démission de M. [Y] avait été acceptée par l'assemblée générale de la SCM, soit le 16 juin 1998, date à laquelle cette assemblée générale avait également fixé la valeur des parts sociales de M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte des articles 1843-4 et 1869 du code civil qu'en l'absence de dispositions contraires des statuts, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, auquel il est procédé selon les modalités prévues, le cas échéant, par les statuts, sans préjudice du droit pour l'associé qui conteste cette valeur, de la faire déterminer, à la date du remboursement ainsi effectué, par un expert désigné dans les conditions prévues par le premier de ces textes.

7. Si c'est à tort que la cour d'appel a retenu que la date à laquelle est statutairement fixée l'évaluation des parts est nécessairement celle, s'imposant à l'expert, du jour où est officiellement acté le retrait de l'associé, soit en l'espèce en 1998, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure dès lors qu'en se plaçant à la date d'établissement de son rapport, en 2012, et non à la date à laquelle la SCM a, le 28 janvier 2002, remboursé ses parts sociales à M. [Y] à la valeur fixée par l'assemblée des associés, l'expert a commis une erreur grossière.

8. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par l'article 620, alinéa 1, du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

9. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [Y] et le condamne à payer à la Société civile des Mousquetaires la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf novembre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [Y].

M. [K] [Y] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir annulé le rapport d'expertise rendu par M. [N] le 20 février 2012, de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes et d'avoir dit que les frais de l'expertise seraient supportés par moitié par chacune des parties ;

Alors 1°) que l'article 17-7 des statuts de la Société Civile des Mousquetaires (pièce n° 1 produite devant la cour d'appel par M. [Y]) prévoyait que « la société étant une société à capital variable, chaque associé dispose également de la possibilité de « démissionner », c'est-à-dire que souhaitant se retirer, il peut demander à la société de lui acheter ses parts. Dans ce cas, il doit adresser une lettre recommandée avec demande d'avis de réception à la gérance, qui dispose d'un délai de deux mois pour lui répondre. La gérance peut accepter elle-même la décision mais sous réserve de ratification par la plus proche réunion des associés statuant dans les conditions de quorum et de majorité requises pour les décisions ordinaires, laquelle fixe également les conditions et les délais du paiement de la valeur des parts, à moins que ces modalités aient été fixées par le Règlement Intérieur. En cas de démission, les parts sont achetées par la société par diminution du capital effectif et des réserves. La valeur retenue est celle déterminée par le Règlement Intérieur. A défaut, elle est fixée par l'Assemblée des Associés qui statue sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance. En cas de contestation, la valeur est déterminée à dire d'Expert, comme indiqué ci-dessus en matière de cession » ; qu'il résulte uniquement de cette clause que l'assemblée générale saisie pour ratifier la décision qui peut être prise par la gérance d'accepter la « démission » d'un associé fixe les conditions et délais du paiement de la valeur des parts, et que la valeur des parts de l'associé désirant se retirer de la SCM est celle déterminée par le règlement intérieur, ou à défaut celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou qui ratifie l'acceptation donnée par la gérance, sans que ne soit déterminée la date devant être prise en considération pour évaluer les parts de l'associé retrayant ; qu'en jugeant qu' « en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations », de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la société SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, la cour d'appel a dénaturé l'article 17-7 des statuts de la SCM, en violation de l'article 1134 (devenu 1192) du code civil, ensemble le principe selon lequel les juges du fond ne doivent pas dénaturer les documents qui sont soumis à leur examen ;

Alors 2°) et en toute hypothèse, qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en jugeant qu'en prévoyant que l'assemblée générale statuant sur l'acceptation de la démission fixera également les conditions et les délais de paiement de la valeur des parts, l'article 17-7 des statuts a entendu lier les deux opérations, de sorte que c'était à la date de la décision acceptant la démission de M. [Y] de la SCM que l'expert devait se placer pour évaluer les parts de l'associé retrayant, quand cette clause se bornait à prévoir que la valeur des parts de l'associé retrayant était celle fixée par le règlement intérieur ou à défaut, celle fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une clause statutaire qui dérogerait au principe selon lequel la valeur des droits de l'associé retrayant doit être fixée à la date la plus proche possible du remboursement, la cour d'appel a méconnu les articles 1134 (désormais 1103) et 1843-4 du code civil (ce dernier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014) ;

Alors 3°) et en outre que sous l'empire de l'article 1843-4 du code civil, dans sa version applicable antérieurement à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014, l'expert désigné sur le fondement de ce texte est libre du choix de la méthode d'évaluation des titres sociaux et n'est en particulier pas tenu par celle choisie par les parties, ou par les critères d'évaluation qui pourraient résulter des statuts ; qu'en faisant application de l'article 17-7 des statuts de la SCM prévoyant que l'assemblée générale de la société statuant sur l'acceptation de la démission fixerait également les conditions et délais de paiement de la valeur des parts, et qui disposait qu'en cas de démission, les parts seraient rachetées par la société à une valeur déterminée par le règlement intérieur ou à défaut, fixée par l'assemblée générale statuant sur la démission ou l'acceptation de celle-ci par la gérance, la cour d'appel, sous couvert de déterminer la date à laquelle l'expert devait se placer pour évaluer les droits sociaux de M. [Y], a imposé à l'expert une modalité d'évaluation de ces droits, en violation de l'article 1843-4 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014) ;

Alors 4°) et enfin qu'en l'absence de dispositions statutaires, la valeur des droits sociaux de l'associé qui se retire doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits ; qu'en retenant, par motifs éventuellement adoptés des premiers juges (jugement de première instance, p. 14-15), que la valeur des parts de M. [Y] devait être déterminée à la date à laquelle la démission de M. [Y] avait été acceptée par l'assemblée générale de la SCM, soit le 16 juin 1998, date à laquelle cette assemblée générale avait également fixé la valeur des parts sociales de M. [Y], la cour d'appel a violé l'article 1843-4 du code civil (dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014). ECLI:FR:CCASS:2022:CO00638
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