Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 19 octobre 2022, 20-86.063, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° K 20-86.063 F-D

N° 01299


GM
19 OCTOBRE 2022


REJET


M. BONNAL président,






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 OCTOBRE 2022



Les sociétés [9], [1], [4], [5], [7], [8], [10], [12], et [11] venant aux droits de [2], parties civiles, ont formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 22 octobre 2020, qui, dans la procédure suivie, sur la plainte de la société [9], contre personne non dénommée, des chefs d'escroquerie, abus de confiance, recel, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.

Joingant les pourvois en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Turcey, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés [9], [1], [4], [5], [7], [8], [10], [12], et [11] venant aux droits de [2], et les conclusions de Mme Bellone, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 21 septembre 2022 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Turcey, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 8 mars 2013, la société [9] a porté plainte et s'est constituée partie civile des chefs d'escroquerie, abus de confiance, et recel, en exposant que la société [6] avait trompé plusieurs fonds d'investissement pour les convaincre de financer, par la création de la société en participation (SEP) [Adresse 3], une opération immobilière d'achat pour revente, vouée par avance à l'échec, et que les apports des associés de la SEP avaient été utilisés à d'autres fins que celles prévues par ses statuts.

3. Une information judiciaire a été ouverte le 26 novembre 2013, dans le cadre de laquelle la société [6] a été placée sous le statut de témoin assisté.

4. Par ordonnance du 20 février 2018, le juge d'instruction a dit n'y avoir lieu à suivre.

5. Les sociétés [9], [1], [2], [4], [5], [7], [8], [10], et [12], parties civiles, en ont relevé appel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, troisième, cinquième et sixième branches

6. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré n'y avoir lieu à suivre en l'état des chefs d'abus de confiance et de recel d'abus de confiance, alors :

« 2°/ qu'en retenant que la preuve d'un détournement de fonds n'était pas suffisamment rapportée sans répondre au moyen péremptoire des exposantes qui faisaient valoir que l'enquête pénale et l'expertise comptable diligentée à la demande du tribunal de commerce de Paris établissaient que la société [6] avait utilisé une partie des fonds apportés par les Croupiers investisseurs pour payer des dépenses qui lui étaient propres et qui n'avaient aucun lien avec l'opération de [Adresse 3] et que ce détournement avait d'ailleurs été expressément reconnu par M. [E], actuel gérant de la société [6], devant les enquêteurs, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 314-1 du code pénal, 177 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que commet un abus de confiance le gérant d'une société en participation qui perçoit une rémunération sans contrepartie réelle ; que, concernant la rémunération d'un montant de 150 600 € perçue par la société [6], la chambre de l'instruction s'est bornée à retenir qu'elle était prévue par les statuts de la SEP signés le 13 novembre 2019 et que son paiement n'avait donné lieu à aucune dissimulation ou tentative de dissimulation pour en déduire que ce paiement ne constituait pas un détournement au sens de l'article 314-1 du code pénal ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette rémunération, qui aux termes de l'article 8 des statuts de la SEP signés le 13 novembre 2019 était censée « consister en les frais de maîtrise d'ouvrage mentionnés en annexe 0 », n'était pas dépourvue de contrepartie dès lors que la société [6] n'avait réalisé aucune prestation réelle de maîtrise d'oeuvre sur le projet du [Adresse 3], la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 314-1 du code pénal, 177 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de confiance, s'agissant de dépenses distinctes de la rémunération de la société [6], l'arrêt attaqué retient que l'écart de 71 000 euros existant entre les dépenses réellement engagées et payées dans le cadre de l'opération prévue par la SEP et le budget prévisionnel s'explique par le surcoût des frais financiers et des taxes foncières résultant de l'impossibilité de revendre le bien dans le délai prévu de 12 à 18 mois, et que s'il est relevé des frais, pour un montant de 63 à 67 000 euros HT, dont l'imputabilité à la SEP ne ressort pas clairement des pièces justificatives, cette constatation ne caractérise pas un détournement mais apparaît être la conséquence d'un manque de rigueur dans l'enregistrement comptable, l'imputabilité de ces dépenses n'ayant pas été précisée ainsi qu'il ressort de l'annexe 4 du rapport d'expertise.

9. Les juges ajoutent que la comptabilisation des frais financiers n'est pas apparue incohérente mais que l'expert n'a pu la valider dans son intégralité en raison de l'absence de compte bancaire dédié et d'un solde de trésorerie positif, cette situation signifiant, selon lui, soit que des flux autres que ceux liés à l'opération de [Adresse 3] ont transité par le compte bancaire de la société [6] et généré des intérêts débiteurs supérieurs à ceux qui auraient résulté de cette opération, soit que l'ensemble des frais imputables à l'opération n'a pas été enregistré dans la comptabilité dédiée à cet effet.

10. Ils en déduisent que la preuve d'un détournement de fonds n'est pas suffisamment rapportée.

11. Pour dire n'y avoir lieu à suivre du chef d'abus de confiance, concernant la rémunération de la société [6], l'arrêt attaqué rappelle que cette rémunération était expressément prévue par l'article 8 des statuts de la SEP signés le 13 novembre 2009 par l'ensemble des parties et intégrée au prévisionnel en annexe 0, et que si les statuts datés du 17 mars 2010 ne mentionnent plus l'octroi de cette rémunération, l'annexe 0 est demeurée inchangée et contient toujours la référence au paiement de la somme de 150 600 euros au titre de la maîtrise d'ouvrage.

12. Les juges ajoutent, notamment, que les écritures relatives à cette opération ont été enregistrées dans les comptes appropriés et ont pu être retracées aisément par l'expert, qu'elles n'ont donné lieu à aucune dissimulation ou tentative de dissimulation, et que le défaut de tenue d'une comptabilité indépendante et d'ouverture d'un compte bancaire distinct au nom de la SEP, certes regrettable, ne caractérise donc pas une intention frauduleuse, l'expert ayant d'ailleurs relevé que les flux considérés par la société [6] comme imputables à la SEP ont été comptabilisés dans des comptes de stocks spécifiques ce qui a permis d'isoler ces opérations.

13. Ils en concluent qu'il n'apparaît pas que le paiement de la somme de 150 000 euros comptabilisée au 30 juin 2010 selon le rapport d'expertise, même s'il n'a pas donné lieu à l'établissement d'une facture ainsi que relevé par l'expert, constitue un détournement au sens de l'article 314-1 du code pénal, le litige présentant un caractère purement commercial.

14. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

15. En premier lieu, après avoir analysé les faits et circonstances de la cause ainsi que les éléments de preuve contradictoirement débattus, elle a répondu aux conclusions des parties civiles soutenant que la société [6] avait utilisé une partie des fonds apportés par les croupiers investisseurs pour payer des dépenses sans lien avec l'opération de [Adresse 3], en retenant, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, que la preuve d'un détournement n'était pas rapportée.

16. En second lieu, elle n'était pas tenue de rechercher si la rémunération de cette société n'était pas dépourvue de contrepartie, dès lors que les fonds remis à titre de rémunération, qui l'ont été en pleine propriété et non à titre précaire, ne peuvent faire l'objet d'un abus de confiance.

17. Dès lors, le moyen doit être écarté.

18. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR01299
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