Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 19 octobre 2022, 21-19.828, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 octobre 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 1101 F-D

Pourvoi n° M 21-19.828

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [F].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 20 mai 2021.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022

Mme [V] [F], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° M 21-19.828 contre l'arrêt rendu le 8 juillet 2020 par la cour d'appel de Versailles (17e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société MMJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [S] [U] en qualité de mandataire ad hoc de la société DS coiffure esthétique onglerie,

2°/ à M. [Y] [R], exerçant son activité sous l'enseigne Shanny l'atelier de la beauté dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à l' Unedic délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [F], après débats en l'audience publique du 6 septembre 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 juillet 2020) et les productions, Mme [F], a été engagée le 17 janvier 2014 par M. [R], exploitant en nom personnel le salon de coiffure et d'esthétique « Shanny l'atelier de la beauté », en qualité de responsable coiffeuse technicienne.

2. Cet établissement ayant été radié après une cessation d'activité le 30 novembre 2014, la salariée a travaillé au sein de la société DS coiffure esthétique onglerie (la société DS), dont M. [R] était le gérant.

3. Elle a saisi la juridiction prud'homale, le 9 juillet 2015, d'une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur et en paiement de sommes liées à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

4. Par jugement du 6 novembre 2017, la société DS a été mise en liquidation judiciaire et la société MMJ, prise en la personne de M. [U], désignée en qualité de liquidateur. La clôture pour insuffisance d'actif a été prononcée le 4 juin 2021 et la société MMJ a été désignée en qualité de mandataire ad hoc.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son contrat de travail n'a pas été transféré à la société DS, de la débouter de ses demandes de rappel de salaire, d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement, et de limiter sa créance de dommages-intérêts pour rupture abusive au passif de la liquidation judiciaire de la société DS, alors :

« 1°/ que l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que l'existence d'un tel transfert peut se déduire de la seule reprise d'une partie du personnel lorsque celle-ci entraîne la transmission d'un savoir faire particulier, indispensable à l'exercice de l'activité constituant un élément d'actif incorporel significatif ; que la salariée soutenait être la seule au sein du salon à détenir le diplôme indispensable à l'ouverture d'un salon de coiffure et à pouvoir être maître d'apprentissage ; que pour écarter l'existence d'un transfert, la cour d'appel s'est bornée à relever que les seules circonstances que la salariée ait continué d'exercer son métier de coiffeuse au sein de la société DS coiffure, établissement d'ailleurs situé à une adresse distincte de l'institut Shanny l'atelier de la beauté, et que dans un premier temps du moins M. [R] ait été gérant de la société DS coiffure, ne suffisent pas à établir l'existence d' un transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité s'est poursuivie ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la reprise du contrat de travail de la salarié, seule titulaire du diplôme indispensable à l'exploitation du salon de coiffure et à l'encadrement des apprentis, n'entraînait pas la transmission d'un savoir faire particulier, indispensable à l'exercice de l'activité constituant un élément d'actif incorporel significatif, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

2°/ que l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que la cession ou la reprise de clientèle sont de nature à caractériser un tel transfert ; qu'au soutien de ses demandes, la salariée produisait diverses attestations dont il ressortait que la clientèle de M. [R], exploitant en nom propre, avait été reprise par la société DS Coiffure Esthétique Onglerie nouvellement créée par lui et dont il était le gérant ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société DS coiffure esthétique onglerie, créée par M. [R] et gérée par lui, n'avait pas repris la clientèle du salon qu'il exploitait auparavant en nom propre, ce qui aurait été de nature à caractériser un transfert de l'entité économique exploitée par lui, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1224-1 du code du travail :

6. Les dispositions de ce texte, interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, sont applicables en cas de transfert d'une entité économique autonome, constituée par un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre, qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie.

7. Pour dire que le contrat de travail de la salariée n'avait pas été transféré à la société DS et la débouter de ses demandes consécutives, l'arrêt retient que les seules circonstances que l'intéressée ait continué d'exercer son métier de coiffeuse au sein de la société DS, établissement d'ailleurs situé à une adresse distincte de l'Institut Shanny l'atelier de la beauté, et que dans un premier temps du moins M. [R] ait été gérant de la société DS, ne suffisent pas à établir l'existence d'un transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité s'est poursuivie.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée si la société DS n'avait pas repris la clientèle attachée au salon exploité par M. [R] et le savoir-faire particulier de la salariée indispensable à l'exercice de l'activité, ce qui aurait été de nature à caractériser un transfert de l'entité économique exploitée par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquence de la cassation

9. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée entraîne la cassation du chef de dispositif déboutant la salariée de sa demande de rappel de salaire critiqué par le second moyen, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, dans la limite de la période du 1er décembre 2014 au 13 janvier 2015. Le premier moyen ne formulant en effet aucune critique contre les motifs de l'arrêt constatant que le contrat de travail a été rompu à l'initiative de la société DS, le 13 janvier 2015, la cassation ne peut s'étendre à cette disposition de l'arrêt qui n'est pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par ce moyen.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le contrat de travail de Mme [F] n'a pas été transféré à la société DS coiffure esthétique onglerie, la déboute de ses demandes de rappel de salaire, dans la limite de la période du 1er décembre 2014 au 13 janvier 2015, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et d'indemnité légale de licenciement, et fixe à la somme de 2 554,60 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail la créance de Mme [F] au passif de la liquidation judiciaire de la société DS coiffure esthétique onglerie, l'arrêt rendu le 8 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société MMJ en qualité de mandataire ad hoc de la société DS coiffure esthétique onglerie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société MMJ, ès qualités, à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour Mme [F],

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué, partiellement infirmatif de ces chefs, d'AVOIR dit que son contrat de travail n'a pas été transféré à la société DS Coiffure Esthétique Onglerie, de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire, de l'AVOIR déboutée de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, et d'indemnité légale de licenciement et d'AVOIR fixé à la seule somme de 2 554,60 euros sa créance de dommages et intérêts pour rupture abusive au passif de la liquidation judiciaire de la société DS Coiffure Esthétique Onglerie.

1° ALORS QUE l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que l'existence d'un tel transfert peut se déduire de la seule reprise d'une partie du personnel lorsque celle-ci entraine la transmission d'un savoir faire particulier, indispensable à l'exercice de l'activité constituant un élément d'actif incorporel significatif ; que la salariée soutenait être la seule au sein du salon à détenir le diplôme indispensable à l'ouverture d'un salon de coiffure et à pouvoir être maître d'apprentissage ; que pour écarter l'existence d'un transfert, la cour d'appel s'est bornée à relever que les seules circonstances que la salariée ait continué d'exercer son métier de coiffeuse au sein de la société DS Coiffure, établissement d'ailleurs situé à une adresse distincte de l'institut Shanny l'atelier de la beauté, et que dans un premier temps du moins M. [R] ait été gérant de la société DS Coiffure, ne suffisent pas à établir l'existence d' un transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité s'est poursuivie ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la reprise du contrat de travail de la salarié, seule titulaire du diplôme indispensable à l'exploitation du salon de coiffure et à l'encadrement des apprentis, n'entrainait pas la transmission d'un savoir faire particulier, indispensable à l'exercice de l'activité constituant un élément d'actif incorporel significatif, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article L.1224-1 du code du travail

2° ALORS QUE l'article L. 1224-1 du code du travail interprété à la lumière de la directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001 s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; que la cession ou la reprise de clientèle sont de nature à caractériser un tel transfert ; qu'au soutien de ses demandes, la salariée produisait diverses attestations dont il ressortait que la clientèle de M. [R], exploitant en nom propre, avait été reprise par la société DS Coiffure Esthétique Onglerie nouvellement créée par lui et dont il était le gérant ; qu'en s'abstenant de rechercher si la société DS Coiffure Esthétique Onglerie, créée par M. [R] et gérée par lui, n'avait pas repris la clientèle du salon qu'il exploitait auparavant en nom propre, ce qui aurait été de nature à caractériser un transfert de l'entité économique exploitée par lui, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1224-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [F] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire.

1° ALORS QUE l'exposante soutenait avoir été salariée de la société DS Coiffure Esthétique Onglerie depuis le 1er décembre 2014, ce que confirmait les attestations produites par elle aux débats ; qu'en fixant la date d'embauche au 2 janvier 2015 « comme indiqué sur le bulletin de paie du mois de janvier 2015 délivré par la société DS Coiffure Esthétique Onglerie » sans rechercher si, indépendamment de cette mention du bulletin de salaire, Mme [F] ne travaillait pas pour la société DS Coiffure Esthétique Onglerie depuis le 1er décembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail ensemble les articles 1103 et 1104 du code civil.

2° ALORS QU'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la société DS Coiffure Esthétique Onglerie a été l'employeur de Mme [F] du 2 au 13 janvier 2015 ; qu'en déboutant celle-ci de sa demande de salaire au titre de cette période, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 1221-1 du code du travail et 1103 et 1104 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2022:SO01101
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