Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 28 septembre 2022, 21-21.738, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 septembre 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 680 FS-D

Pourvoi n° N 21-21.738








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 28 SEPTEMBRE 2022

1°/ M. [M] [B], domicilié [Adresse 1],

2°/ la société CPP Le Mans distribution, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° N 21-21.738 contre l'arrêt rendu le 30 juin 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Selima, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société CSF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à la société Carrefour proximité France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Guihal, conseiller, les observations de Me Soltner, avocat de M. [B] et de la société CPP Le Mans distribution, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat des sociétés Selima, CSF et Carrefour proximité France, et l'avis de M. Sassoust, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 juillet 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Guihal, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, MM. Hascher, Avel, Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Kloda, Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 juin 2021), la société CPP Le Mans Distribution (CPP), constituée entre M. [B], gérant, et la société Selima, filiale du groupe Carrefour, a conclu un contrat de franchise avec la société Prodim, devenue la société Carrefour Proximité France (CPF), et un contrat d'approvisionnement avec la société CSF France (CSF).

2. Ces deux contrats, ainsi que le pacte d'associés, la convention de « pack informatique », la convention « SVP social » et le contrat de fidélisation, contenaient une clause compromissoire.

3. Soutenant être victimes de pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence de la part des sociétés CPF, CSF et Selima, la société CPP et son gérant les ont assignées devant un tribunal de commerce.

4. Les sociétés CPF, CSF et Selima ont soulevé l'incompétence des juridictions étatiques en invoquant les clauses compromissoires des contrats de franchises et d'approvisionnement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société CPP et M. [B] font grief à l'arrêt de déclarer le tribunal de commerce de Rennes incompétent, de les renvoyer à mieux se pourvoir en application des clauses compromissoires stipulées aux contrats de franchise et d'approvisionnement et de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en application de cet article, l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel retenait l'impécuniosité de la société CPP et de M. [B] en jugeant que "engager plus de 100 000 euros de frais d'arbitrage est impossible et conduirait la société CPP à une situation de cessation des paiements" ; qu'en jugeant pourtant que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec à l'application du principe compétence-compétence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ce faisant, violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe du droit à l'accès au juge ;

2°/ que l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en refusant de tenir compte de l'état d'impécuniosité du franchisé aux motifs que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec au principe compétence-compétence en jugeant "qu'il revient aux acteurs de l'arbitrage d'écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités", la cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques et a violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, le principe du droit à l'accès au juge, ensemble l'article 455 du Code de procédure civile ;

3°/ que l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'état de conventions connexes et indivisibles, qui contiennent chacune une clause compromissoire propre, prive du droit d'accès au juge le schéma contractuel, qui, dans les faits, empêche les parties de saisir l'arbitre de l'ensemble des contrats imbriqués en interdisant à ce dernier de se prononcer sur un contrat ne contenant pas la clause compromissoire fondant leur saisine ; qu'en l'espèce, les franchisés, sans être utilement contestés faisaient « valoir à cet égard que la relation contractuelle s'inscrit dans un ensemble indivisible et commun constitué d'abord par des statuts à objet social exclusif imposés aux franchisés, puis par des contrats de franchise et d'approvisionnement ainsi que par les contrats dit "accessoires" qui en découlent, le groupe Carrefour empêchant les juridictions saisies d'appréhender les litiges dans leur intégralité » ; que l'arrêt ne contredit pas utilement que sept contrats lient les parties en l'espèce et que tous contiennent une clause d'arbitrage à l'exception des statuts en jugeant que "ils ajoutent que les statuts à objet social exclusif et les contrats de franchise et d'approvisionnement CPF et CSF sont des contrats d'adhésion imposés uniformément à tous les franchisés sans possibilité de négociation." ; qu'en l'espèce le système mis en place par le groupe Carrefour, contenait autant de clauses compromissoires que de contrats tous imbriqués (franchise, contrat d'approvisionnement etc.), de sorte que ces contrats ne pouvaient être examinés ensemble, abstraction faite de l'indivisibilité qui les caractérisait, ce qui conduit le franchisé à engager autant de procédures d'arbitrage qu'il existe de contrats contenant une clause compromissoire ; que ce schéma contractuel est pensé pour priver le franchisé de l'accès à un juge en raison des coûts importants qu'il engendre ; qu'en jugeant que, nonobstant ces éléments, le coût généré par de telles procédures hors frais d'avocats et au titre de l'article 700 du code de procédure civile n'était pas de nature à conférer un caractère manifestement inapplicable à une clause qui devait pourtant être considérée comme abusive et conduisant à un déni de justice, la cour d'appel a violé l'article 1448 du code civil ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droit de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble le principe du droit à l'accès au juge. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 1448 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

7. Dès lors qu'il n'était pas soutenu qu'une tentative préalable d'engagement d'une procédure arbitrale avait échoué, faute de remède apporté aux difficultés financières alléguées par M. [B] et la société CPP, la cour d'appel a retenu à bon droit, sans méconnaître le droit d'accès au juge, que l'invocation par les demandeurs de leur impécuniosité n'était pas, en soi, de nature à caractériser l'inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires.

8. Le moyen, qui critique un motif surabondant invoqué par la deuxième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société CPP Le Mans distribution et M. [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par Me Soltner, avocat aux Conseils, pour M. [B] et la société CPP Le Mans distribution

II. IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR infirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 26 janvier 2021 et, statuant à nouveau, D'AVOIR déclaré le tribunal de commerce de Rennes incompétent, renvoyé la société CPP Le Mans Distribution ainsi que M. [B] à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise et de celle stipulée au contrat d'approvisionnement, débouté la société CPP Le Mans distribution et M. [B] de leurs demandes, notamment celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et enfin condamné in solidum la société CPP Le Mans Distribution et M. [B] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société CPF et à la société CSF, chacune, la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

AUX MOTIFS QUE « Le tribunal, par le jugement entrepris, a estimé que les conventions d'arbitrage opposées par CPF et CSF étaient manifestement inapplicables au litige sur le fondement de l'article 1448 du code de procédure civile, en ce que le litige nécessitait d'appréhender un ensemble contractuel indivisible dont l'acte fondateur, les statuts, ne contient pas de clause compromissoire. Aux termes de l'article 1448 du code de procédure civile, "lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'Etat, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable". En l'espèce, tant le contrat de franchise, en son article 12, que le contrat d'approvisionnement en son article 8 liant les parties, contiennent une clause compromissoire aux termes de laquelle :

- article 12 du contrat de franchise : "Toutes contestations auxquelles pourront donner lieu la conclusion, l'interprétation et l'exécution du présent accord, seront soumises à trois arbitres.(...)" ,
- article 8 du contrat d'approvisionnement :"Toutes contestations auxquelles pourront donner lieu l'exécution ou l'interprétation du présent accord, seront soumises à trois arbitres".

-Sur la nullité manifeste des deux clauses compromissoires

CPP et M [B] soutiennent que les rédacteurs des contrats d'adhésion Carrefour ont restreint l'objet la clause compromissoire par rapport à sa définition légale que ce soit dans le contrat d'approvisionnement CSF ou dans le contrat de franchise de sorte que le contentieux de la validité des contrats ou de la validité des clauses des contrats n'est nullement visé par ces clauses qui sont limitées aux litiges nés de l'exécution ou de l'interprétation du contrat (clauses CSF et CPF) voire de la conclusion du contrat (clause CPF) et que ces clauses qui obligent à découper la connaissance d'un contentieux entre les juridictions arbitrales et les juridictions étatiques sont considérées comme pathologiques. Mais, ainsi que le font justement valoir les sociétés CPF et CSF, dans la mesure où les parties sont libres de définir contractuellement le champ d'application matériel de la clause compromissoire, il ne saurait leur être fait grief d'avoir « restreint » l'objet de la clause compromissoire et aucune nullité manifeste au sens de l'article 1448 du code de procédure civile ne saurait en résulter de nature à faire exception à l'application du principe compétence-compétence qui veut que l'arbitre se prononce par priorité sur sa compétence. En outre, il importe peu que le fond du litige concerne des dispositions relatives à des pratiques anticoncurrentielles ou restrictives de concurrence qui seraient d'ordre public, au regard de la compétence prioritaire dont bénéficie l'arbitre pour statuer sur sa propre compétence.

-Sur l'indivisibilité du litige

La société CPP et Monsieur [B] soutiennent que: - il existe une inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires en raison de l'indivisibilité des contrats puisqu'en effet, il existe dans les rapports entre CPP et les sociétés du Groupe Carrefour (CPF, CSF et Selima), un ensemble contractuel incontestablement indivisible, et que les contrats liant les parties contiennent une clause d'arbitrage, à l'exception des statuts, - la société CPP est condamnée sans limitation de durée autre que celle de la société (99 ans) à exploiter son fonds de commerce sous une enseigne du groupe Carrefour, et à continuer d'exécuter les contrats de franchise et d'approvisionnement qui en permettent le fonctionnement, à défaut de quoi elle ne peut remplir son objet social, de sorte que le Groupe Carrefour revendique clairement le caractère indivisible de l'ensemble contractuel constitué des statuts à objet social exclusif et des contrats qui en découlent, - dans ce contexte contractuel indivisible, il faut, pour connaître des réclamations du franchisé, pouvoir débattre de l'ensemble contractuel constitué des statuts, du contrat de franchise et du contrat d'approvisionnement, devant une seule et même instance, - au nom du principe « compétence-compétence » et de l'autonomie de chaque clause compromissoire, le franchisé se trouve exposé à un véritable déni de justice. - dès lors que la notion d'ensemble contractuel unique et indivisible est admise, la Cour doit, sur le fondement des dispositions de l'article 1448 du CPC, dire ainsi que l'a retenu le tribunal de commerce, que les conventions d'arbitrage opposées par CPF et CSF sont manifestement inapplicables au litige qui nécessitent d'appréhender un ensemble contractuel indivisible dont l'acte fondateur, en l'espèce les statuts, ne contient pas de clause compromissoire. Mais, l'indivisibilité d'une convention ne peut conduire à écarter la compétence de l'arbitre en application du principe compétence-compétence, alors que selon ce principe couplé aux dispositions de l'article 1448 du code de procédure civile, l'arbitre est seul compétent pour statuer sur sa propre compétence de sorte que le juge étatique doit décliner sa compétence. Ainsi, il n'appartient pas à la Cour de rechercher si les contrats du groupe Carrefour forment un ensemble contractuel indivisible, cette question n'étant pas de nature à caractériser l'inapplicabilité manifeste de la clause au sens de l'article 1448 du code de procédure civile. Il sera ajouté que la seule circonstance que les statuts ne contiennent pas de clause d'arbitrage ne suffit pas à rendre manifestement inapplicables au sens de l'article 1448 du code de procédure civile, les clauses d'arbitrage stipulées dans les autres contrats du groupe.

-Sur l'impécuniosité de la société CPP

La société CPP et Monsieur [B] soutiennent qu'il existe une incompatibilité manifeste des clauses compromissoires avec l'impécuniosité de la société CPP. En premier lieu, ils considèrent que l'organisation mise en place par Carrefour de son système contractuel empêche le franchisé d'accéder au juge. Ils font valoir à cet égard que la relation contractuelle s'inscrit dans un ensemble indivisible et commun constitué d'abord par des statuts à objet social exclusif imposés aux franchisés, puis par des contrats de franchise et d'approvisionnement ainsi que par les contrats dit « accessoires » qui en découlent, le groupe Carrefour empêchant les juridictions saisies d'appréhender les litiges dans leur intégralité. Ils disent que sept contrats lient les parties en l'espèce et que tous contiennent une clause d'arbitrage, à l'exception des statuts. Ils ajoutent que les statuts à objet social exclusif et les contrats de franchise et d'approvisionnement CPF et CSF sont des contrats d'adhésion imposés uniformément à tous les franchisés sans possibilité de négociation. En second lieu, ils considèrent qu'il existe une atteinte à l'article 6§1 de la CEDH du fait du coût de la procédure et de la situation financière des parties. Cet article oblige à prendre en compte le coût que peut représenter pour une partie un procès civil et les dispositions de la CEDH sont applicables aux procédures d'arbitrage. De plus, ils relèvent qu'une tendance tout à fait récente ouvre la voie à l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire lorsqu'il est démontré un risque de déni de justice économique. Ainsi, ils relèvent que le coût moyen d'une procédure d'arbitrage avoisine à minima la somme totale de 120 000 euros par arbitrage, hors frais d'avocats et au titre de l'article 700 code de procédure civile. Pour un arbitrage avec trois arbitres, comme il est stipulé dans les clauses compromissoires Carrefour, le coût de la procédure est estimé pour des litiges de montants identiques à celui engagé au fond par CPP à 150 000 euros par arbitrage. Ils disent que la société CPP est manifestement dans l'incapacité la plus absolue de financer les frais d'arbitrage à hauteur de ceux qui sont pratiqués dans ce type de procédure.
Ils s'appuient à cet égard sur une attestation de M [P], ancien directeur juridique, qui estime pour chacune des parties, le coût d'une procédure d'arbitrage entre 50 000 euros et 65 000 euros hors honoraires d'avocats. En troisième lieu, les intimés disent que la situation de trésorerie de la société CPP sur les cinq derniers exercices, démontre l'impossibilité dans laquelle elle se trouve de financer une, voire plusieurs procédures d'arbitrage. Suite aux reproches effectués par les appelantes dans leurs conclusions sur la non-actualisation des chiffres de la CPP, celle-ci fait observer qu'elle verse aux débats son projet de comptes annuels au 31 janvier 2021 établi par le cabinet In Extenso, expert-comptable référencé par le Groupe Carrefour et que sa structure financière est trop faible pour que puisse être envisagé un emprunt. Ainsi, engager plus de 100 000 euros de frais d'arbitrage est impossible et conduirait la société CPP à une situation de cessation des paiements. Mais, l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec à l'application du principe compétence-compétence. L'impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l'inapplicabilité manifeste d'une clause compromissoire et il revient aux acteurs de l'arbitrage d'écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités. Dès lors, la demande de condamnation sous astreinte des sociétés CPF et CSF à produire toutes factures, pièces comptables ou attestation d'expert-comptable, permettant de connaître le coût moyen des procédures d'arbitrage opposant les sociétés du Groupe Carrefour à ses franchisés au cours des 10 dernières années, ne peut qu'être rejetée. Il en est de même de la demande des sociétés CPF et CSF tendant à voir écarter des débats les attestations de M.[P] (pièces CPP 24, 39 et 50), ancien salarié du groupe Carrefour pour son manque d'impartialité, dans la mesure où cette attestation qui tend à établir le coût de la procédure d'arbitrage, est indifférente à l'issue de l'exception d'incompétence soulevée, l'impécuniosité d'une partie étant impropre à faire échec au principe compétence-compétence, ainsi qu'il a été dit. Pour ce même motif, la demande tendant à voir écarter des débats les pièces 41 à 48 de CPP qui ont trait à une affaire ayant opposé CPF à un franchisé doit être rejetée. N'étant pas établi que les clauses compromissoires liant les parties seraient manifestement nulles ou inapplicables au sens de l'article 1448 du code de procédure civile, le jugement du tribunal de commerce de Rennes qui a débouté CSF et CPF de leur exception d'incompétence et s'est déclaré compétent pour connaître du litige en cause, est infirmé. Il convient de recevoir les sociétés CSF et CPF en leur exception d'incompétence, de déclarer le tribunal de Commerce de Rennes incompétent pour connaître du litige en cause, de renvoyer CPP Le Mans Distribution ainsi que Monsieur [B] à mieux se pourvoir en application de la clause compromissoire stipulée au contrat de franchise signé avec CPF et de celle stipulée au contrat d'approvisionnement signé avec CSF. »

1°) ALORS QUE l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en application de cet article, l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel retenait l'impécuniosité de la société CPP et de Monsieur [B] en jugeant que « engager plus de 100 000 euros de frais d'arbitrage est impossible et conduirait la société CPP à une situation de cessation des paiements » ; qu'en jugeant pourtant que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec à l'application du principe compétence-compétence, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a, ce faisant, violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , ensemble le principe du droit à l'accès au juge.

2°) ALORS QUE l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantit à tout justiciable un accès effectif au juge, sans condition de ressources ; qu'en refusant de tenir compte de l'état d'impécuniosité du franchisé aux motifs que l'impécuniosité d'une partie n'est pas de nature à faire échec au principe compétence-compétence en jugeant « qu'il revient aux acteurs de l'arbitrage d'écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités », la Cour d'appel a statué par des motifs hypothétiques et a violé l'article 1448 du code de procédure civile, l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , le principe du droit à l'accès au juge, ensemble l'article 455 du Code de procédure civile.

3°) ALORS QUE l'état d'impécuniosité avéré d'une partie à un contrat contenant une clause compromissoire suffit à caractériser l'inapplicabilité manifeste de cette clause ; qu'en l'état de conventions connexes et indivisibles, qui contiennent chacune une clause compromissoire propre, prive du droit d'accès au juge le schéma contractuel, qui, dans les faits, empêche les parties de saisir l'arbitre de l'ensemble des contrats imbriqués en interdisant ce dernier de se prononcer sur un contrat ne contenant pas la clause compromissoire fondant leur saisine ; qu'en l'espèce, les franchisés, sans être utilement contestés faisaient « valoir à cet égard que la relation contractuelle s'inscrit dans un ensemble indivisible et commun constitué d'abord par des statuts à objet social exclusif imposés aux franchisés, puis par des contrats de franchise et d'approvisionnement ainsi que par les contrats dit « accessoires » qui en découlent, le groupe Carrefour empêchant les juridictions saisies d'appréhender les litiges dans leur intégralité » ; que l'arrêt ne contredit pas utilement que sept contrats lient les parties en l'espèce et que tous contiennent une clause d'arbitrage à l'exception des statuts en jugeant que « ils ajoutent que les statuts à objet social exclusif et les contrats de franchise et d'approvisionnement CPF et CSF sont des contrats d'adhésion imposés uniformément à tous les franchisés sans possibilité de négociation. » ; qu'en l'espèce le système mis en place par le groupe Carrefour, contenait autant de clauses compromissoires que de contrats tous imbriqués (franchise, contrat d'approvisionnement etc.), de sorte que ces contrats ne pouvaient être examinés ensemble, abstraction faite de l'indivisibilité qui les caractérisait, ce qui conduit le franchisé à engager autant de procédures d'arbitrage qu'il existe de contrats contenant une clause compromissoire ; que ce schéma contractuel est pensé pour priver le franchisé de l'accès à un juge en raison des coûts importants qu'il engendre ; qu'en jugeant que, nonobstant ces éléments, le coût généré par de telles procédures hors frais d'avocats et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile n'était pas de nature à conférer un caractère manifestement inapplicable à une clause qui devait pourtant être considérée comme abusive et conduisant à un déni de justice, la Cour d'appel a violé l'article 1448 du Code civil ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales , ensemble le principe du droit à l'accès au juge ECLI:FR:CCASS:2022:C100680
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