Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 21 septembre 2022, 21-13.045, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 945 FS-B

Pourvoi n° P 21-13.045




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_______________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

M. [N] [K], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-13.045 contre l'arrêt rendu le 10 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant à la société Installux management gestion, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [K], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Installux management gestion, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juin 2020), M. [K] a été engagé, à compter du 19 septembre 2011, par la société Installux management gestion, en qualité d'employé au service d'approvisionnement.

2. Le 31 janvier 2015, l'employeur a notifié au salarié son licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail sur leur lieu de travail et que les opinions émises dans ce cadre ne peuvent faire l'objet de sanction ; que le salarié s'est exprimé sur l'organisation de son travail au cours d'une réunion "expression des salariés loi Auroux" alors qu'il faisait l'objet d'une surcharge de travail ; qu'en retenant que l'expression du salarié dépassait le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise et constituait une faute de nature à justifier son licenciement, sa surcharge de travail ne l'exonérant pas de cette faute, la cour d'appel a violé les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 :

4. Il résulte de ces textes que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail. Sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l'exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

5. Pour dire le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir écarté les autres griefs imputés au salarié, retient que lors de la réunion d'expression collective des salariés du 14 janvier 2015, il a, en présence de la direction et de plusieurs salariés de l'entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique, tentant d'imposer au directeur général un désaveu public de cette dernière. Il ajoute que le médecin du travail a constaté, deux jours plus tard, l'altération de l'état de santé de la supérieure hiérarchique. Il en déduit que ce comportement s'analyse en un acte d'insubordination, une attitude de dénigrement et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'abus par le salarié dans l'exercice de son droit d'expression directe et collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [K] repose sur une cause réelle et sérieuse, rejette ses demandes de dommages-intérêts consécutive et d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et dit que chaque partie conserve ses dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 10 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société Installux management gestion aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Installux management gestion et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par Mme Mariette, conseiller doyen en ayant délibéré, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du président empêché, en l'audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet,Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [K]

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqueì d'avoir dit que le licenciement de M. [N] [K] repose sur une cause réelle et sérieuse et rejeté la demande consécutive de dommages et intérêts formée par M. [N] [K] ;

1°) ALORS QUE l'exercice de la liberté d'expression des salariés ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus, qui se caractérise par la tenue de propos diffamatoires, injurieux ou excessifs ; qu'en l'espèce, le salarié M. [K], au cours d'une réunion, « expression des salariés loi AUROUX » du 14 janvier 2015 a alerté sur « la façon dont Mme [B] lui demandait d'effectuer son travail (qui )allait à l'encontre du bon sens et surtout lui faisait perdre beaucoup de temps et d'énergie, ce qui entraînait un retard dans ses autres tâches, et celles du service comptabilité fournisseurs pour le règlement des factures » ; que ces propos étaient mesurés et appropriés ; qu'en affirmant que cette expression « ne [pouvait] être analysée comme la manifestation normale d'une opinion du salarié ne dépassant pas le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise » et motivait son licenciement sans justifier du caractère diffamatoire, injurieux ou excessif de ces propos, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ensemble l'article L 1121-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE l'exercice de la liberté d'expression des salariés ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus, qui se caractérise par la tenue de propos diffamatoires, injurieux ou excessifs ; qu'en l'espèce M. [K] avait fait part de son opinion sur l'organisation du travail par sa supérieure dans des termes modérés, qu'il n'était pas démontré que ces propos étaient à l'origine de l'état de santé de sa supérieure et qu'en tout état de cause son état de santé n'était pas un motif justifiant un abus de sa liberté d'expression; qu'en tenant compte de l'état de santé de Mme [B], qui n'était même pas présente lors de la réunion, pour établir que le salarié avait abusé de sa liberté d'expression et que ce seul fait constituait une « attitude de dénigrement » fautive justifiant son licenciement quand la responsabilité de M. [K] n'était pas établie et que l'abus ne s'évalue qu'au regard de la teneur des propos, la cour d'appel a encore violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme ensemble du citoyen de 1789 et l'article L 1121-1 du code du travail ;

3°) ALORS QUE l'exercice de la liberté d'expression des salariés ne peut justifier un licenciement que s'il dégénère en abus, que de simples critiques émises sur l'organisation du travail exemptes d'abus ne constituent pas un acte d'insubordination fautif a fortiori lorsque le salarié continue de se conformer aux directives de son employeur ; qu'en l'espèce M. [K] avait fait part de son désaccord sur la façon dont sa supérieure lui demandait d'effectuer son travail dans des termes modérés et en continuant à se conformer ses directives; qu'en affirmant que l'insubordination de M. [K] était caractérisée et constituait une faute de nature à justifier son licenciement alors qu'il exerçait régulièrement sa liberté d'expression, la cour d'appel a violé à nouveau l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ensemble L1121-1 du code du travail ;

4°) ALORS QUE les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail sur leur lieu de travail et que les opinions émises dans ce cadre ne peuvent faire l'objet de sanction ; que M. [K] s'est exprimé sur l'organisation de son travail au cours d'une réunion « expression des salariés loi AUROUX » alors qu'il faisait l'objet d'une surcharge de travail ; qu'en retenant que l'expression de M. [K] dépassait le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise et constituait une faute de nature à justifier son licenciement, sa surcharge de travail ne l'exonérant pas de cette faute, la cour d'appel a violé les articles L 2281-1 et L 2281-3 du code du travail. ECLI:FR:CCASS:2022:SO00945
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