Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 21 septembre 2022, 19-15.438, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 septembre 2022




Cassation sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 668 FS-B

Pourvoi n° Y 19-15.438








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 SEPTEMBRE 2022

1°/ Mme [U] [H], domiciliée [Adresse 3],

2°/ M. [R] [H], domicilié [Adresse 1]),

ont formé le pourvoi n° Y 19-15.438 contre l'arrêt rendu le 21 février 2019 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige les opposant à Mme [T] [F], veuve [H], domiciliée [Adresse 2] (Royaume-Uni), défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Fulchiron, conseiller, les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de Mme [U] [H] et de M. [R] [H], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [F], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 juin 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Fulchiron, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, Dard, Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), [Y] [H], de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [F], et ses trois enfants issus d'une première union, [S], [R] et [U] (les consorts [H]).

2. Les consorts [H] ont assigné Mme [F] devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, au motif que la résidence habituelle de [Y] [H] au jour de son décès était située en France.

3. [S] [H] étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

4. Par un arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité.

5. Par un arrêt du 7 avril 2022 (C-645/20), la CJUE a répondu à la question posée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité :

8. Selon ce texte, titré « Compétences subsidiaires », lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.

9. Par son arrêt précité du 7 avril 2022, la CJUE a dit pour droit que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition. »

10. Pour déclarer la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession de [Y] [H] et désigner un mandataire successoral, l'arrêt retient que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, la cour d'appel, qui n'a pas, en conséquence, relevé d'office sa compétence subsidiaire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Comme suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La cour d'appel ayant constaté que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, les juridictions françaises sont donc compétentes pour statuer sur l'ensemble de sa succession en application de l'article 10, § 1, sous a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] ;

Confirme l'ordonnance rendue 12 décembre 2017 en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Nanterre ;

Condamne Mme [F] aux dépens, y compris ceux exposés devant la cour d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [F] et la condamne à payer à Mme [U] [H] et M. [R] [H] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Tinchon, greffier présent lors du prononcé.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour Mme [U] [H] et M. [R] [H].

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral ;

AUX MOTIFS QUE « Le règlement UE n°650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen est directement applicable dans tous les Etats membres de l'Union européenne à l'exception du Danemark, du Royaume-Uni et de l'Irlande, aux successions à cause de mort et des personnes décédées à partir du 17 août 2015.

L'article 4 du règlement édicte une règle de compétence générale en l'absence de désignation de la loi applicable par le défunt : "Sont compétentes pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès".

Des compétences subsidiaires sont prévues à l'article 10 permettant, sous certaines conditions cumulatives, de porter devant les juridictions d'un État membre une succession susceptible d'être traitée hors de l'Union européenne. Une juridiction de l'Union pourra administrer la succession d'une personne décédée ayant sa résidence habituelle au moment de son décès dans un État tiers. Cette compétence suppose au minimum que des biens soient situés dans cet État membre.

Selon l'article 10 :

" 1. Lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où :

a) le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès ; ou, à défaut,

b) le défunt avait sa résidence habituelle antérieure dans cet État membre, pour autant que, au moment de la saisine de la juridiction, il ne s'est pas écoulé plus de cinq ans depuis le changement de cette résidence habituelle.

2. Lorsqu'aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu du paragraphe 1, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur ces biens."

La juridiction de l'État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès est compétente pour statuer sur l'ensemble de sa succession, qu'il s'agisse de meubles ou d'immeubles, et pour se prononcer sur le sort de biens situés à l'étranger dans un autre État membre ou dans un État tiers.

Le règlement ne donne pas de définition de la résidence habituelle du défunt et il convient de se référer aux précisions apportées par les considérants 23 et 24 du règlement :

"Afin de déterminer la résidence habituelle, l'autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l'État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement" (considérant 23)."

"Dans certains cas, il peut s'avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d'origine.

Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l'espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d'origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D'autres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d'un État à un autre sans s'être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l'un de ces États ou y avait l'ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l'appréciation globale de toutes les circonstances de fait" (considérant 24)."

En l'espèce, il est constant que [Y] [H], né le 4 décembre 1922, a quitté la France en 1981, à l'âge de 59 ans, après le décès de sa première épouse, pour s'installer au Royaume-Uni, à Londres ; que ses trois enfants sont restés en France ; qu'il a alors exercé une activité professionnelle dans le secteur immobilier, est resté dans ce pays pour sa retraite, a épousé en 1996 Mme [T] [F], de nationalité anglaise, rencontrée en 1984, avec laquelle il a vécu de manière ininterrompue jusqu'à son retour en France au mois d'août 2012, alors qu'il était presque âgé de 90 ans.

Il est tout aussi constant que l'essentiel des biens successoraux du défunt se trouve en Angleterre : un appartement à Londres, une maison de campagne dans les environs, un patrimoine mobilier (262 500 livres), des tableaux de valeur, un compte bancaire, le défunt détenant également un compte bancaire en Suisse, tandis qu'en France, le patrimoine de [Y] [H] se limite à 10% des parts sociales d'une SCI Gretima qui a acquis le 26 juin 2012, au prix de 1 330 000 euros, l'appartement situé à Suresnes (92) dans lequel il s'est installé avec sa fille, et qui a été financé par la vente aux enchères d'un tableau lui appartenant, le reste des parts sociales étant détenu par ses trois enfants.

Par ailleurs, l'Angleterre est le pays où [Y] [H] a pris ses dispositions testamentaires. Il a ainsi rédigé un testament en anglais daté du 29 mars 2010, soumis à la loi anglaise, préparé par un "solicitor", désignant son épouse comme exécuteur testamentaire et "trustee" de tous ses biens successoraux et comme bénéficiaire de toute la succession à l'exception des tableaux du peintre Domenico Gnoli qu'il possédait, légués à ses trois enfants.

Il a également signé le 24 avril 2010 un "Lasting Power of Attorney", enregistré le 16 août 2010, acte qui correspond à un mandat de protection future, désignant en qualité de mandataires son avocat, M. [B] [A], et son épouse pour veiller sur sa personne et ses biens lorsqu'il ne serait plus en capacité de le faire.

Ce mandat anglais de tuteur a été mis en oeuvre au mois de décembre 2012 après que le médecin traitant de [Y] [H] en Angleterre, le docteur [K] [P], a établi une attestation le 25 octobre 2012 confirmant son diagnostic de 2011 et la détérioration de la santé mentale de son patient, M. [O] exécutant ce mandat jusqu'à sa démission le 20 mars 2014, repris par Mme [F].

Enfin, si la désignation par testament se suffit à elle-même, l'exécuteur testamentaire doit obtenir un certificat d'homologation pour confirmer ses pouvoirs d'administrateur des biens de la succession à l'égard des tiers en produisant l'original du testament, ce qui a été fait en l'espèce, une ordonnance de la juridiction anglaise ayant été délivrée le 12 octobre 2017 à Mme [T] [F].

Concernant les circonstances du retour en France de [Y] [H] en 2012, les éléments partiellement contradictoires versés aux débats par les parties ne permettent nullement d'affirmer que l'épouse s'est désintéressée de son mari à compter de l'année 2011 et qu'elle n'entendait plus s'en occuper et que l'intention de [Y] [H], compte tenu notamment de l'altération de ses facultés mentales en 2012, a été de revenir fixer en France le centre de ses intérêts.

En effet, selon les pièces produites par les parties :

- Mme [F] a entrepris au mois d'octobre 2011 de chercher un établissement spécialisé à Londres, à proximité du domicile conjugal, pour que [Y] [H] soit pris en charge, compte tenu de l'évolution de sa maladie et de son comportement devenu agressif et parfois violent à son égard, cette solution d'accueil ayant été refusée par l'intéressé,

- le changement de comportement devenu difficile et opposant de [Y] [H] dès l'année 2011 est notamment attesté par son refus d'accepter que son permis de conduire lui soit retiré, après qu'un médecin psychiatre l'ait examiné en septembre 2011 (courriel 20 septembre 2011, pièce 16 intimés),

- les difficultés à poursuivre une vie commune ont été reconnues par les enfants de [Y] [H] qui dans des courriels du mois de mai 2012 écrivaient à Mme [F] combien ils avaient conscience de ce que la vie avec leur père pouvait être difficile et épuisante, son comportement "insultant et humiliant" à l'égard de son épouse, proposant une prise en charge alternée entre [Localité 4] et Londres, admettant encore que la situation allait devenir de "pire en pire", [U] [H] invitant l'épouse à se "protéger" (pièce 19 intimés),

- le consentement de [Y] [H] pour un retour définitif en France en août 2012, avec la volonté d'y fixer de nouveau le centre de ses intérêts et sa résidence habituelle, ne peut qu'être relativisé compte tenu de l'évolution avancée de sa maladie dégénérative telle que constatée par le docteur [D] le 27 septembre 2012, qui décrit l'intéressé comme un "sujet opposant, dépressif, autoritaire et agressif, présentant des troubles mnésiques importants", le début de sa maladie remontant à près de six années, bien que des courriels échangés entre les enfants en 2011 et 2012 font état du souhait de leur père de revenir en France, d'une demande de sa part de lui louer, et non d'acheter, un studio à [Localité 4] et d'un certain abandon de Mme [F],

- aucun élément du dossier ne permet de démontrer que le départ de [Y] [H] le 8 août 2012 avec sa fille [U] venue le chercher à Londres avait été programmé et de surcroît de manière définitive,

- les chutes que [Y] [H] a pu faire en Angleterre ne résultent pas nécessairement d'un défaut de soins mais sont inhérentes à sa maladie, dont l'aggravation a été constante à compter de 2011,

- la pathologie avancée de [Y] [H] telle que décrite par son médecin traitant anglais le 25 octobre 2012, qui certes ne l'a pas examiné et a permis la mise en place du mandat de protection future, est toutefois amplement confirmée par le certificat médical du docteur [D] établi antérieurement le 27 septembre 2012, qui a rencontré l'intéressé,

- aucune pièce du dossier ne permet de démontrer que le retour de [Y] [H] en France résulte d'une volonté de Mme [F] de se séparer de son mari, alors que son retour en Angleterre était envisagé en 2013 tant par le mandataire anglais, M. [O] (pièce 20 appelante), que par son fils [S], pour mettre en place des soins spécialisés, M. [O] écrivant le 19 août 2013 que "[Y]" avec qui il échangeait fréquemment souhaitait venir à Londres le voir.

S'il est en revanche établi que Mme [F] n'est que rarement venue voir son mari en France au cours des trois années de sa fin de vie, celle-ci explique son comportement par son impossibilité de le rencontre seule, ce qui est expressément énoncé dans ses conclusions déposées dans la procédure de placement sous tutelle de son mari, étant relevé que les rapports entre l'épouse et les enfants de [Y] [H] n'ont cessé de se dégrader pour des raisons d'argent, les mandataires anglais détenant la gestion des comptes de [Y] [H].

La cour souligne à cet égard que Mme [F], dans le questionnaire qu'elle a rempli pour la procédure de placement sous tutelle de [Y] [H] initiée par ses enfants, a coché la case indiquant qu'elle acceptait de s'occuper de son mari.

Il est en outre inopérant pour les intimés de soutenir qu'en ne contestant pas la procédure de placement sous tutelle de son mari en France, Mme [F] a accepté la compétence du juge français pour sa succession et que son changement de position dans la présente instance constitue un "estoppel", c'est à dire une position contradictoire prise au détriment de son adversaire, quand il s'agit de prendre une mesure de protection d'un majeur se trouvant alors domicilié sur le territoire français, le juge des tutelles ne s'étant nullement prononcé sur la "résidence habituelle" de [Y] [H] au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, distincte de la notion de domicile de l'article 1211 du code de procédure civile.

Au demeurant, Mme [G], désignée comme tutrice aux biens de [Y] [H] situés en France ou hors de France, n'a pas été en mesure de faire reconnaître cette décision au Royaume-Uni, dès lors que M. [O] et Mme [F] étaient déjà désignés en qualité de tuteurs de la personne et des biens de [Y] [H] en vertu du "Lasting Power of Attorney" que ce dernier avait signé en 2010.

Il résulte de ces constatations et énonciations que [Y] [H], qui a quitté la France en 1981 et a passé plus de 30 ans en Angleterre, a fixé le centre de ses intérêts économiques, familiaux, sociaux et patrimoniaux dans ce pays, ayant le statut de résident anglais, et n'est revenu vivre en France qu'en raison de ses problèmes de santé liés à l'aggravation de la maladie d'Alzheimer, à l'initiative notamment de sa fille [U] [H] qui avait suivi une formation d'aidante familiale organisée par France Alzheimer, à une époque où ses facultés mentales étaient déjà altérées.

La cour relève à cet égard qu'aucun élément du dossier ne démontre que [Y] [H] avait maintenu des liens étroits avec la France après son départ en 1981 ou qu'il y faisait de fréquents séjours pour rencontrer notamment ses enfants, dont deux d'entre eux vivaient à l'étranger en Côte d'ivoire ([S]) et au Bahrein ([R]), n'étant propriétaire d'aucun bien immobilier à [Localité 4].

C'est vainement que les consorts [H] soutiennent que leur père a entendu fixer ses intérêts en France et liquider une partie de son patrimoine anglais (vente d'un tableau, versement de sa retraite anglaise en France...) en faisant l'acquisition d'un appartement à Suresnes, alors que ces démarches ont été réalisées par leurs soins compte tenu de son état de santé, qu'ils ne s'expliquent pas sur le montage de cette acquisition à travers la constitution d'une SCI dont leur père ne détenait que 10% des parts sociales, bien qu'ayant financé l'achat en totalité, la tutrice, Mme [G], écrivant d'ailleurs à Mme [F] le 7 avril 2015 qu'elle avait l'intention de restituer toute la propriété de ce bien à son majeur protégé avec l'aide d'un avocat, "comme cela aurait dû être fait au tout début".

Ne sont pas plus déterminants les éléments factuels tirés de la nationalité française de [Y] [H], de sa prétendue résidence fiscale en France, alors qu'il n'a jamais fait de déclaration fiscale en France après son départ au Royaume-Uni et que ce sont ses enfants qui ont procédé en 2017 à une demande de régularisation d'avoirs détenus à l'étranger, ou de l'ouverture d'un compte BNP en France nécessité par l'achat de l'appartement de [Localité 5].

Ainsi en prenant en considération la durée de vie de [Y] [H] au Royaume-Uni, où s'est situé incontestablement le centre des intérêts de sa vie familiale, sociale et patrimoniale pendant près de trente ans, le lien étroit et stable entretenu depuis 1981 avec cet Etat dans lequel se trouve l'essentiel de ses biens mobiliers et immobiliers et les circonstances particulières de son retour en France en août 2012 durant les trois années qui ont précédé son décès, alors qu'il était atteint de la maladie d'Alzheimer à un stade déjà avancé et que sa fille [U] avait proposé de le prendre en charge, provisoirement ou définitivement, il ne peut être considéré que [Y] [H] avait décidé de déplacer sa résidence habituelle en France, contrairement à ce qui a été retenu par le premier juge.

Dès lors, ne sont pas compétentes, au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, les juridictions françaises pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation en France d'un mandataire successoral sur le fondement de l'article 813-1 du code civil.

En conséquence, l'ordonnance déférée doit être infirmée des chefs de décision critiqués et notamment en ce que le premier juge s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de désignation d'un mandataire successoral.

ALORS, DE PREMIERE PART, QUE sont compétents pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; que la résidence habituelle peut s'apprécier de manière objective, en ce qu'elle résulte d'indices factuels tirés des conditions de vie d'une personne âgée ou dépendante ; qu'en l'espèce, les consorts [H] faisaient valoir que leur père, [Y] [H], était venu en France vivre auprès de sa fille [U] [H], afin qu'elle puisse lui apporter au quotidien les soins nécessaires compte tenu de sa maladie, ce qu'elle fit durant plus de trois années ; qu'il s'ensuivait, objectivement, un changement de résidence habituelle, la France étant le lieu avéré et non remis en cause des dernières années de sa vie ; qu'en jugeant néanmoins que « le consentement de [Y] [H] pour un retour définitif en France en août 2012, avec la volonté d'y fixer de nouveau le centre de ses intérêts et sa résidence habituelle, ne peut qu'être relativisé compte tenu de l'évolution avancée de sa maladie dégénérative (...) », la cour d'appel, qui a implicitement mais nécessairement jugé qu'une personne subissant une maladie dégénérative ne pourrait plus changer de résidence habituelle faute de volonté sainement exprimée, a violé l'article 4 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen ;

ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE sont compétents pour statuer sur l'ensemble d'une succession les juridictions de l'Etat membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès ; qu'en matière de protection juridique des majeurs, le juge des tutelles territorialement compétent est celui de la résidence habituelle de la personne à protéger ; qu'en jugeant que le juge des tutelles, dans son ordonnance du 11 juillet 2014 ayant placé [Y] [H] sous tutelle, ne s'était pas « prononcé sur la résidence habituelle de [Y] [H] au sens du règlement (UE) du 4 juillet 2012, distincte de la notion de domicile de l'article 1211 du code de procédure civile », la cour d'appel, qui a lu de manière erronée que l'article 1211 du code de procédure civile faisait appel à la notion de domicile du majeur, a violé l'article 4 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, ensemble l'article 1211 du code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motif ; qu'en l'espèce, les consorts [H] faisaient régulièrement valoir dans leurs écritures d'appel que le placement sous tutelle de [Y] [H] le domiciliait légalement chez son tuteur, de sorte que cet élément était de nature à démontrer que sa résidence habituelle ne pouvait être qu'en France, chez son tuteur (conclusions, p. 30 et 32) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

ALORS, DE QUATRIEME PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du Règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. ECLI:FR:CCASS:2022:C100668
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