Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 juillet 2022, 21-13.200, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 juillet 2022




Cassation partielle


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 813 F-D

Pourvoi n° H 21-13.200




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 JUILLET 2022

La société Papeterie [Adresse 2] Rieder, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 21-13.200 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2020 par la cour d'appel de Besançon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à M. [J] [V], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Papeterie [Adresse 2] Rieder, de la SCP Alain Bénabent, avocat de M. [V], après débats en l'audience publique du 24 mai 2022 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, M. Ricour, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 15 décembre 2020), M. [V] a été engagé par la société [Adresse 2] Rieder le 19 mars 1990 en qualité de chargeur, et exerçait en dernier lieu les fonctions de conducteur de machine.

2. Il a été déclaré inapte à son poste de travail par le médecin du travail le 14 novembre 2017.

3. Le 11 décembre 2017, le salarié a refusé la proposition de reclassement présenté par l'employeur.

4. Il a été licencié le 19 janvier 2018 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié des sommes au titre de l'indemnité de préavis et du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, alors :

« 1°/ que lorsqu'un salarié déclaré inapte à son poste de travail consécutivement à un accident du travail oppose un refus abusif à un poste de reclassement, il perd le bénéfice de l'indemnité de préavis et de l'indemnité spéciale de licenciement ; qu'est abusif le refus du salarié, sans motif légitime, d'un poste approprié à ses capacités ; que c'est à la date où il est opposé à l'employeur que doit être apprécié le caractère abusif ou légitime du motif du refus ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que le salarié avait décliné la proposition de reclassement formulée par son employeur au motif que son handicap ne lui permettait pas d'occuper un tel poste, lors même que celui-ci était conforme aux préconisations du médecin du travail ; que néanmoins, pour considérer que le refus du salarié n'était pas abusif, la cour d'appel a relevé que le poste litigieux emportait une modification de son contrat de travail et qu'il importait peu à cet égard que, pour le refuser, le salarié ait eu recours à des motifs différents ; qu'en statuant de la sorte, lorsqu'au moment de son refus, le salarié n'invoquait aucun motif légitime, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-14 du code du travail ;

2°/ que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; qu'en l'espèce, la société [Adresse 2] Rieder faisait valoir que, dès après sa déclaration d'inaptitude, M. [V] avait confié à son employeur ne plus avoir l'envie de travailler et avait, à partir de cette date et tout au long de la procédure de licenciement et de la procédure disciplinaire, invoqué tour à tour différents motifs pour tenter de justifier son refus qui, motivé par son souhait de ne plus travailler, ne reposait par nature sur aucun motif légitime ; que pour considérer que le refus du salarié n'était pas abusif, la cour d'appel a relevé que le poste litigieux emportait une modification de son contrat de travail et qu'il importait peu à cet égard que, pour le refuser, le salarié ait eu recours à des motifs différents ; qu'en statuant de la sorte sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la multiplicité des motifs invoqués par le salarié au cours de la procédure de licenciement puis de la procédure prud'homale n'était pas révélatrice de sa mauvaise foi et de sa volonté de ne plus travailler, ainsi qu'il l'avait indiqué oralement à son employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-14 du code du travail, ensemble de l'article L. 1222-1 du code du travail et du principe selon lequel la fraude corrompt tout. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, qui a retenu que la proposition de reclassement présentée par l'employeur impliquait la modification de son contrat de travail, a, à bon droit et sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, décidé que le refus de cette proposition par le salarié n'était pas abusif.

7. Le moyen n'est pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser au salarié une somme au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, alors « que le licenciement pour inaptitude professionnelle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. [V] pouvait prétendre à la somme de 80 556 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement, soit un montant supérieur au double de l'indemnité légale, sans avoir préalablement constaté l'existence de dispositions conventionnelles plus favorables que les dispositions légales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-14, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au jour du licenciement. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-14, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail :

9. Selon le premier de ces textes, en cas de licenciement pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle et impossibilité de reclassement, le salarié peut prétendre à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 du code du travail.

10. Selon les articles L 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un quart de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années jusqu'à dix ans, et un tiers de mois de salaire par année d'ancienneté pour les années à partir de dix ans.

11. Pour fixer à un certain montant l'indemnité spéciale de licenciement due par l'employeur au salarié, l'arrêt retient qu'au vu du salaire perçu (2 548,71 euros) au cours des trois derniers mois et de son ancienneté (27 ans et 10 mois), le salarié est bien fondé à réclamer le paiement de la somme de 40 278 euros x 2 = 80 556 euros au titre de l'indemnité spéciale de licenciement.

12. En se déterminant ainsi, en allouant une indemnité spéciale de licenciement d'un montant supérieur au double de l'indemnité légale, sans constater l'existence de dispositions conventionnelles plus favorables que les dispositions légales applicables en matière d'inaptitude d'origine professionnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Papeterie [Adresse 2] Rieder à payer à M. [V] la somme de 52 994,96 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt rendu le 15 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon ;

Condamne M. [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Papeterie [Adresse 2] Rieder


PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société [Adresse 2] Rieder fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à verser à M. [V] les sommes de 2 369,36 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis et de 52 994,96 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

1°) ALORS QUE lorsqu'un salarié déclaré inapte à son poste de travail consécutivement à un accident du travail oppose un refus abusif à un poste de reclassement, il perd le bénéfice de l'indemnité de préavis et de l'indemnité spéciale de licenciement ; qu'est abusif le refus du salarié, sans motif légitime, d'un poste approprié à ses capacités ; que c'est à la date où il est opposé à l'employeur que doit être apprécié le caractère abusif ou légitime du motif du refus ; qu'en l'espèce, il résulte des constatations de l'arrêt que le salarié avait décliné la proposition de reclassement formulée par son employeur au motif que son handicap ne lui permettait pas d'occuper un tel poste, lors même que celui-ci était conforme aux préconisations du médecin du travail ; que néanmoins, pour considérer que le refus du salarié n'était pas abusif, la cour d'appel a relevé que le poste litigieux emportait une modification de son contrat de travail et qu'il importait peu à cet égard que, pour le refuser, le salarié ait eu recours à des motifs différents ; qu'en statuant de la sorte, lorsqu'au moment de son refus, le salarié n'invoquait aucun motif légitime, la cour d'appel a violé l'article L. 1226-14 du code du travail ;

2°) ALORS QUE le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi ; qu'en l'espèce, la société [Adresse 2] Rieder faisait valoir que, dès après sa déclaration d'inaptitude, M. [V] avait confié à son employeur ne plus avoir l'envie de travailler et avait, à partir de cette date et tout au long de la procédure de licenciement et de la procédure disciplinaire, invoqué tour à tour différents motifs pour tenter de justifier son refus qui, motivé par son souhait de ne plus travailler, ne reposait par nature sur aucun motif légitime ; que pour considérer que le refus du salarié n'était pas abusif, la cour d'appel a relevé que le poste litigieux emportait une modification de son contrat de travail et qu'il importait peu à cet égard que, pour le refuser, le salarié ait eu recours à des motifs différents ; qu'en statuant de la sorte sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si la multiplicité des motifs invoqués par le salarié au cours de la procédure de licenciement puis de la procédure prud'homale n'était pas révélatrice de sa mauvaise foi et de sa volonté de ne plus travailler, ainsi qu'il l'avait indiqué oralement à son employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1226-14 du code du travail, ensemble de l'article L. 1222-1 du code du travail et du principe selon lequel la fraude corrompt tout.


SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

La société [Adresse 2] Rieder fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir condamnée à verser à M. [V] la somme de 52 994,96 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement,

1°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simple affirmation ; qu'en affirmant que M. [V] pouvait prétendre à une indemnité spéciale d'un montant de 80 556 euros, avant déduction des sommes déjà versées, sans préciser le détail de ses calculs et sur quels éléments elle se fondait pour aboutir à une telle somme, laquelle était contestée par l'employeur qui produisait aux débats un détail précis des sommes dues au salarié (production n° 7), la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le licenciement pour inaptitude professionnelle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le salarié bénéficiait de 27 ans et 10 mois d'ancienneté et que la moyenne de ses trois derniers mois de salaires s'élevait à 2 548,71 euros ; que dès lors, l'indemnité légale doublée à laquelle il pouvait prétendre ne pouvait excéder la somme proposée par l'employeur de 43 342,23 euros (production n° 7), laquelle avait été calculée sur une ancienneté de 28 ans et trois jours ; qu'en estimant que la salarié avait droit à une indemnité spéciale d'un montant de 80 556 euros, avant déduction des sommes déjà versées, la cour d'appel a violé les articles L. 1226-14, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au jour du licenciement ;

3°) ALORS QUE le licenciement pour inaptitude professionnelle ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité légale ; qu'en l'espèce, en jugeant que M. [V] pouvait prétendre à la somme de 80 556 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement, soit un montant supérieur au double de l'indemnité légale, sans avoir préalablement constaté l'existence de dispositions conventionnelles plus favorables que les dispositions légales, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-14, L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, dans leur rédaction applicable au jour du licenciement.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00813
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