Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 juin 2022, 21-16.481, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 1 juin 2022, 21-16.481, Inédit
Cour de cassation - Chambre commerciale
- N° de pourvoi : 21-16.481
- ECLI:FR:CCASS:2022:CO00350
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 01 juin 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 20 janvier 2021- Président
- Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juin 2022
Cassation
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 350 F-D
Pourvoi n° Y 21-16.481
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUIN 2022
La société Brival auto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-16.481 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société ADA, société anonyme,
2°/ à la société EDA, société anonyme,
3°/ à la société ADA services, société à responsabilité limitée à associé unique,
ayant toutes les trois leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Brival auto, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés ADA, EDA et ADA services, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 janvier 2021), la société ADA, qui exerce l'activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme, avec un réseau de commerçants indépendants bénéficiaires d'un contrat de franchise, et la société Brival auto (la société Brival), qui exploite un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, ont signé, le 17 juin 2014, un contrat de franchise. Simultanément, la société Brival a conclu un contrat cadre avec la société EDA, filiale de la société ADA, pour la location de véhicules utilitaires, ainsi qu'un contrat de mise à disposition de logiciel informatique, dit « contrat pack services », avec la société ADA services, pour la gestion des locations et du parc de véhicules, en vue de l'ouverture d'une agence de location.
2. Par lettre du 29 mai 2017, la société ADA a notifié à la société Brival la résiliation de son contrat de franchise, en raison du défaut de paiement de prestations contractuelles réalisées par les sociétés ADA, EDA et ADA services.
3. Par acte du 5 septembre 2017, les sociétés ADA, EDA et ADA services ont assigné la société Brival en paiement des sommes dues au titre du contrat de franchise. Reconventionnellement, la société Brival a notamment demandé l'annulation du contrat de franchise pour dol et erreur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Brival fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de la condamner à payer à la société ADA la somme de 15 825,98 euros TTC au titre des redevances de franchise, à la société EDA la somme de 32 940,17 euros TTC au titre des loyers impayés, et à la société ADA services la somme de 9 382,80 euros TTC au titre des loyers impayés, les trois sommes étant arrêtées au 31 mai 2017, et portant intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 22 avril 2017, alors « que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il en va ainsi lorsque le franchiseur viole l'obligation précontractuelle d'information que l'article L. 330-3 du code de commerce fait peser sur lui, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations ont été déterminantes de la volonté du franchisé d'adhérer à ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que s'agissant de la présentation du réseau ADA dans le DIP [document d'information précontratuelle] , il est établi que ce document remis en 2014 à la société Brival Auto ne fait pas état des données postérieures au 31 décembre 2012. Contrairement aux prévisions légales (?), il n'y a aucune information donnée sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant la délivrance du document. Les informations sur le nombre des départs du réseau données pour 2012 ne permettent pas de savoir, contrairement à la prescription légale, s'il s'est agi de contrats annulés ou résiliés, (?) de sorte que l'attention du candidat à la franchise n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, ce qui lui aurait permis de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution. Contrairement à la volonté du législateur, le DIP ne fournit pas non plus le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont il donne la liste, ce qui, joint au manquement retenu ci-dessus, n'a pas permis au candidat à la franchise de s'interroger sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité, dès lors qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013" ; qu'elle a encore constaté que l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée en l'espèce par la totale absence d'indication sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur" et que le manquement du franchiseur à fournir dans le DIP les rapports au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du code monétaire et financier, participe bien d'une intention du franchiseur, établie par ailleurs, de dissimuler à la société Brival Auto la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]" ; qu'en décidant néanmoins que s'agissant du dol, la société Brival Auto ne prouve pas non plus qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi" et qu'il n'est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information, caractérise le dol", cependant qu'elle avait expressément constaté à la fois l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau" et le fait que cette dissimulation dolosive avait empêché la société Brival Auto de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution", comme sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité", tout en occultant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]", tous éléments indiquant le caractère nécessairement déterminant de l'erreur commise en conséquence de ces dissimulations par la société exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de l'ensemble de ses constatations, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, ensemble l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et les articles L. 330-3 et R. 330-3 du code de commerce :
5. Selon le premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Selon les seconds, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause, les comptes prévisionnels éventuellement fournis devant revêtir un caractère sérieux.
6. Pour rejeter la demande de nullité du contrat de franchise formée par la société Brival, au titre du dol, l'arrêt retient, s'agissant des informations légalement requises, qu'aucune information n'a été donnée par la société ADA, d'abord, sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du DIP, de sorte que l'attention de la société Brival n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, qui lui aurait permis de s'interroger utilement sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, sur les causes de sa diminution, ensuite, sur le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont la liste était donnée, ce qui n'a pas permis à la société Brival de s'interroger sur l'expérience de la société ADA propre aux agences exploitées, de fait, de manière non indépendante et dont certaines ont été fermées en 2013, puis sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur, et, enfin, sur les deux derniers exercices. Il ajoute que la société ADA a, en revanche, communiqué un prévisionnel exagérément optimiste. Il en déduit que la société Brival ne prouve pas qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi, ni que la remise du prévisionnel litigieux caractérise le dol.
7. En statuant ainsi, après avoir retenu que l'omission des informations relevées participait d'une intention de la société ADA de dissimuler à la société Brival des éléments manifestant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence, ce dont il se déduisait que ces informations, si la société Brival les avait connues, étaient de nature à l'empêcher de contracter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés ADA, EDA et ADA services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés ADA, EDA et ADA services et les condamne in solidum à payer à la société Brival auto la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour la société Brival auto.
La société Brival Auto fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la société Ada la somme de 15.825,98 euros TTC, au titre des redevances de franchise, à la société Eda la somme de 32.940,17 euros TTC au titre des loyers impayés, et à la société Ada Services la somme de 9.382,80 euros TTC, au titre des loyers impayés, les trois sommes étant arrêtées à la date du 31 mai 2017, et portant intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 22 avril 2017 ;
1°/ ALORS QUE le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il en va ainsi lorsque le franchiseur viole l'obligation précontractuelle d'information que l'article L. 330-3 du Code de commerce fait peser sur lui, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations ont été déterminantes de la volonté du franchisé d'adhérer à ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que « s'agissant de la présentation du réseau Ada dans le DIP, il est établi que ce document remis en 2014 à la société Brival Auto ne fait pas état des données postérieures au 31 décembre 2012. Contrairement aux prévisions légales (?), il n'y a aucune information donnée sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant la délivrance du document. Les informations sur le nombre des départs du réseau données pour 2012 ne permettent pas de savoir, contrairement à la prescription légale, s'il s'est agi de contrats annulés ou résiliés, (?) de sorte que l'attention du candidat à la franchise n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, ce qui lui aurait permis de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution. Contrairement à la volonté du législateur, le DIP ne fournit pas non plus le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont il donne la liste, ce qui, joint au manquement retenu ci-dessus, n'a pas permis au candidat à la franchise de s'interroger sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité, dès lors qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013 » ; qu'elle a encore constaté que « l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée en l'espèce par la totale absence d'indication sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur » et que « le manquement du franchiseur à fournir dans le DIP les rapports au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du Code monétaire et financier, participe bien d'une intention du franchiseur, établie par ailleurs, de dissimuler à la société Brival Auto la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] » ; qu'en décidant néanmoins que « s'agissant du dol, la société Brival Auto ne prouve pas non plus qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi » et qu'il « n'est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information, caractérise le dol », cependant qu'elle avait expressément constaté à la fois « l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau » et le fait que cette dissimulation dolosive avait empêché la société Brival Auto de « s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution », comme sur « l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité », tout en occultant « la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] », tous éléments indiquant le caractère nécessairement déterminant de l'erreur commise en conséquence de ces dissimulations par la société exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de l'ensemble de ses constatations, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, ensemble l'article 1116 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ ALORS QUE l'erreur commise par le franchisé sur la rentabilité de l'activité entreprise ne suppose pas de démontrer le caractère structurellement déficitaire du réseau de franchise auquel le franchisé a adhéré ; qu'une telle erreur est caractérisée par le seul fait que les chiffres prévisionnels transmis par le franchiseur se soient révélés exagérément optimistes au regard des écarts très importants présentés avec les chiffres d'affaires réalisés par le franchisé, ces chiffres prévisionnels étant déterminants pour le consentement éclairé du franchisé et portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant cependant que « faute de preuve du caractère structurellement déficitaire de la franchise Ada, la nullité du contrat de franchise pour erreur du franchisé sur les qualités substantielles ne peut être retenue », la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, en violation de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ ALORS QUE si l'erreur sur la rentabilité commise par le franchisé doit procéder de chiffres prévisionnels erronés établis par le franchiseur, et non par le franchisé, il importe peu en revanche que le caractère structurellement déficitaire de son réseau soit ou non établi, l'incidence des données prévisionnelles fournies par le franchiseur sur le consentement du franchisé étant à elle seule de nature à caractériser une erreur de ce dernier sur la rentabilité de l'activité entreprise ; qu'en retenant en l'espèce, pour écarter la nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité commise par la société Brival Auto, que « l'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur. Tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant du prévisionnel exagérément optimiste, en l'absence de défaut structurel prouvé de la rentabilité de l'activité entreprise », la cour d'appel a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cour d'appel a en tout état de cause expressément constaté « qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013 », que « le réseau a été affecté, s'agissant de sociétés ayant (le) même dirigeant que la société Ada, par des fermetures en 2013 (cf. les sociétés Neuilly Location et Keyvane, cette dernière ayant ferme un établissement à Bordeaux en 2013) » et encore que « il est démontré que les entreprises du réseau Ada ne pouvaient être sincèrement présentées en l'espèce en occultant la réorganisation du groupe Ada, en présence des très mauvais résultats de la société SAPN, qui partageait son dirigeant avec la société Ada et a possédé jusqu'à 98 établissements et a été radiée en 2013 après avoir été absorbée, ainsi que la société Keyvane, par la société Neuilly Location, après avoir fermé de nombreux établissements, notamment en 2013, dont un à Libourne dans le département de la Gironde » ; que la cour d'appel en a conclu que la dissimulation volontaire par le franchiseur de ces informations sur l'état du réseau Ada avait eu pour effet d'occulter « la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] » ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter la société Brival Auto de son action en nullité pour erreur du contrat de franchise, que la preuve « du caractère structurellement déficitaire de la franchise Ada » n'était pas rapportée, cependant qu'elle avait expressément relevé que l'état du réseau engendrait de graves risques d'échec de l'ouverture d'une nouvelle agence, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ ALORS QUE si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux sur lequel le franchisé doit pouvoir se fonder, sans que puisse lui être opposé leur absence de valeur contractuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que la nullité pour erreur du contrat de franchise ne pouvait être retenue, que le franchisé « savait bien que le document prévisionnel fourni par le franchiseur n'avait pas valeur contractuelle et n'engageait pas celui-ci sur les résultats annoncés », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision en violation de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°/ ALORS QUE si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux sur lequel le franchisé doit pouvoir se fonder, indépendamment de ses propres recherches et informations ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que la nullité pour erreur du contrat de franchise ne pouvait être retenue, que « la connaissance du marché local par le franchisé était de nature à lui permettre de relativiser au moins en partie les exagérations du franchiseur » et qu'« il appartenait en réalité au franchisé de faire sa propre étude de marché », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision en violation derechef de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7°/ ALORS QUE le document d'information précontractuelle remis par le franchiseur au franchisé doit comporter une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que, s'agissant du « marché local et (de) l'état de la concurrence », il existait une « lacune constatée à ce titre dans le DIP » mais a retenu dans le même temps qu'il « appartenait (?) au franchisé de faire sa propre étude de marché » ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'en l'absence de communication par la société Ada des informations spécifiques à son concept et à son adaptation au marché local, la société Brival Auto ne pouvait être en mesure de procéder à sa propre étude de marché, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; 8°/ ALORS QUE le document d'information précontractuelle remis par le franchiseur au franchisé doit comporter toutes les indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou les dirigeants du réseau ; que la société Brival Auto faisait valoir dans ses conclusions d'appel que « c'est la seconde façon dont Ada dissimule ces informations essentielles : aucune information n'est donnée lorsqu'il s'agit de présenter l'expérience des dirigeants. (?) La jurisprudence considère qu'une telle dissimulation est fautive. (?) C'est encore plus vrai lorsque, comme dans le cas présent, le dirigeant a géré et gère encore des fonds de commerce de l'enseigne : son incapacité à en assurer la rentabilité ne doit pas être dissimulée aux candidats ! (?) M. [W] [N], dirigeant d'Ada et d'Eda, a été et est encore à la tête de plusieurs sociétés exploitant des dizaines de fonds de commerce Ada, en qualité de propriétaires ou locataires-gérants, pour des résultats désastreux : mais cela a été dissimulé au candidat, puisque rien de tel ne figure dans le DIP » (conclusions, p. 19-20) ; qu'elle soutenait que si ces informations lui avaient été communiquées, elle aurait « reconsidéré son entrée dans un réseau dont même le dirigeant s'avérait incapable de rentabiliser les fonds, et les conduisait même à leur perte » (conclusions, p. 21) ; qu'en écartant la nullité pour erreur du contrat de franchise, sans répondre à ce moyen déterminant des écritures d'appel de la société exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2022:CO00350
COMM.
CH.B
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juin 2022
Cassation
Mme DARBOIS, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 350 F-D
Pourvoi n° Y 21-16.481
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 1ER JUIN 2022
La société Brival auto, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 21-16.481 contre l'arrêt rendu le 20 janvier 2021 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société ADA, société anonyme,
2°/ à la société EDA, société anonyme,
3°/ à la société ADA services, société à responsabilité limitée à associé unique,
ayant toutes les trois leur siège [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Brival auto, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés ADA, EDA et ADA services, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 janvier 2021), la société ADA, qui exerce l'activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme, avec un réseau de commerçants indépendants bénéficiaires d'un contrat de franchise, et la société Brival auto (la société Brival), qui exploite un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, ont signé, le 17 juin 2014, un contrat de franchise. Simultanément, la société Brival a conclu un contrat cadre avec la société EDA, filiale de la société ADA, pour la location de véhicules utilitaires, ainsi qu'un contrat de mise à disposition de logiciel informatique, dit « contrat pack services », avec la société ADA services, pour la gestion des locations et du parc de véhicules, en vue de l'ouverture d'une agence de location.
2. Par lettre du 29 mai 2017, la société ADA a notifié à la société Brival la résiliation de son contrat de franchise, en raison du défaut de paiement de prestations contractuelles réalisées par les sociétés ADA, EDA et ADA services.
3. Par acte du 5 septembre 2017, les sociétés ADA, EDA et ADA services ont assigné la société Brival en paiement des sommes dues au titre du contrat de franchise. Reconventionnellement, la société Brival a notamment demandé l'annulation du contrat de franchise pour dol et erreur.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La société Brival fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes et de la condamner à payer à la société ADA la somme de 15 825,98 euros TTC au titre des redevances de franchise, à la société EDA la somme de 32 940,17 euros TTC au titre des loyers impayés, et à la société ADA services la somme de 9 382,80 euros TTC au titre des loyers impayés, les trois sommes étant arrêtées au 31 mai 2017, et portant intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 22 avril 2017, alors « que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il en va ainsi lorsque le franchiseur viole l'obligation précontractuelle d'information que l'article L. 330-3 du code de commerce fait peser sur lui, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations ont été déterminantes de la volonté du franchisé d'adhérer à ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que s'agissant de la présentation du réseau ADA dans le DIP [document d'information précontratuelle] , il est établi que ce document remis en 2014 à la société Brival Auto ne fait pas état des données postérieures au 31 décembre 2012. Contrairement aux prévisions légales (?), il n'y a aucune information donnée sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant la délivrance du document. Les informations sur le nombre des départs du réseau données pour 2012 ne permettent pas de savoir, contrairement à la prescription légale, s'il s'est agi de contrats annulés ou résiliés, (?) de sorte que l'attention du candidat à la franchise n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, ce qui lui aurait permis de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution. Contrairement à la volonté du législateur, le DIP ne fournit pas non plus le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont il donne la liste, ce qui, joint au manquement retenu ci-dessus, n'a pas permis au candidat à la franchise de s'interroger sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité, dès lors qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013" ; qu'elle a encore constaté que l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée en l'espèce par la totale absence d'indication sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur" et que le manquement du franchiseur à fournir dans le DIP les rapports au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du code monétaire et financier, participe bien d'une intention du franchiseur, établie par ailleurs, de dissimuler à la société Brival Auto la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]" ; qu'en décidant néanmoins que s'agissant du dol, la société Brival Auto ne prouve pas non plus qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi" et qu'il n'est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information, caractérise le dol", cependant qu'elle avait expressément constaté à la fois l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau" et le fait que cette dissimulation dolosive avait empêché la société Brival Auto de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution", comme sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité", tout en occultant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3]", tous éléments indiquant le caractère nécessairement déterminant de l'erreur commise en conséquence de ces dissimulations par la société exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de l'ensemble de ses constatations, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, ensemble l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et les articles L. 330-3 et R. 330-3 du code de commerce :
5. Selon le premier de ces textes, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Selon les seconds, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause, les comptes prévisionnels éventuellement fournis devant revêtir un caractère sérieux.
6. Pour rejeter la demande de nullité du contrat de franchise formée par la société Brival, au titre du dol, l'arrêt retient, s'agissant des informations légalement requises, qu'aucune information n'a été donnée par la société ADA, d'abord, sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du DIP, de sorte que l'attention de la société Brival n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, qui lui aurait permis de s'interroger utilement sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, sur les causes de sa diminution, ensuite, sur le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont la liste était donnée, ce qui n'a pas permis à la société Brival de s'interroger sur l'expérience de la société ADA propre aux agences exploitées, de fait, de manière non indépendante et dont certaines ont été fermées en 2013, puis sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur, et, enfin, sur les deux derniers exercices. Il ajoute que la société ADA a, en revanche, communiqué un prévisionnel exagérément optimiste. Il en déduit que la société Brival ne prouve pas qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi, ni que la remise du prévisionnel litigieux caractérise le dol.
7. En statuant ainsi, après avoir retenu que l'omission des informations relevées participait d'une intention de la société ADA de dissimuler à la société Brival des éléments manifestant la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence, ce dont il se déduisait que ces informations, si la société Brival les avait connues, étaient de nature à l'empêcher de contracter, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés ADA, EDA et ADA services aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés ADA, EDA et ADA services et les condamne in solidum à payer à la société Brival auto la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat aux Conseils, pour la société Brival auto.
La société Brival Auto fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la société Ada la somme de 15.825,98 euros TTC, au titre des redevances de franchise, à la société Eda la somme de 32.940,17 euros TTC au titre des loyers impayés, et à la société Ada Services la somme de 9.382,80 euros TTC, au titre des loyers impayés, les trois sommes étant arrêtées à la date du 31 mai 2017, et portant intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 22 avril 2017 ;
1°/ ALORS QUE le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; qu'il en va ainsi lorsque le franchiseur viole l'obligation précontractuelle d'information que l'article L. 330-3 du Code de commerce fait peser sur lui, en ne fournissant pas au franchisé les informations essentielles permettant une présentation sincère et complète du réseau de franchise, dès lors que ces informations ont été déterminantes de la volonté du franchisé d'adhérer à ce dernier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même relevé que « s'agissant de la présentation du réseau Ada dans le DIP, il est établi que ce document remis en 2014 à la société Brival Auto ne fait pas état des données postérieures au 31 décembre 2012. Contrairement aux prévisions légales (?), il n'y a aucune information donnée sur le nombre d'entreprises qui ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant la délivrance du document. Les informations sur le nombre des départs du réseau données pour 2012 ne permettent pas de savoir, contrairement à la prescription légale, s'il s'est agi de contrats annulés ou résiliés, (?) de sorte que l'attention du candidat à la franchise n'a pas été attirée sur un élément essentiel de l'expérience du franchiseur sur l'année la plus récente, ce qui lui aurait permis de s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution. Contrairement à la volonté du législateur, le DIP ne fournit pas non plus le mode d'exploitation des entreprises du réseau dont il donne la liste, ce qui, joint au manquement retenu ci-dessus, n'a pas permis au candidat à la franchise de s'interroger sur l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité, dès lors qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013 » ; qu'elle a encore constaté que « l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau est caractérisée en l'espèce par la totale absence d'indication sur la réorganisation du groupe exploitant l'enseigne après 2009, date de fin de l'historique fourni, correspondant à une entrée en crise du secteur » et que « le manquement du franchiseur à fournir dans le DIP les rapports au titre des deux derniers exercices en application du III de l'article L. 451-1-2 du Code monétaire et financier, participe bien d'une intention du franchiseur, établie par ailleurs, de dissimuler à la société Brival Auto la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] » ; qu'en décidant néanmoins que « s'agissant du dol, la société Brival Auto ne prouve pas non plus qu'elle n'aurait pas conclu le contrat de franchise si elle avait reçu l'ensemble des informations prévues par la loi » et qu'il « n'est pas démontré que la remise du prévisionnel litigieux établi par le franchiseur, même pris avec les manquements du franchiseur à son obligation légale d'information, caractérise le dol », cependant qu'elle avait expressément constaté à la fois « l'intention déloyale du franchiseur de dissimuler dans le DIP l'état réel du réseau » et le fait que cette dissimulation dolosive avait empêché la société Brival Auto de « s'interroger utilement, selon le voeu de la loi, sur la vitalité du réseau et, en l'espèce, les causes de sa diminution », comme sur « l'expérience du franchiseur propre aux agences exploitées de manière non indépendante en fait du franchiseur, en particulier sur son propre jugement de rentabilité », tout en occultant « la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] », tous éléments indiquant le caractère nécessairement déterminant de l'erreur commise en conséquence de ces dissimulations par la société exposante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de l'ensemble de ses constatations, en violation des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, ensemble l'article 1116 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°/ ALORS QUE l'erreur commise par le franchisé sur la rentabilité de l'activité entreprise ne suppose pas de démontrer le caractère structurellement déficitaire du réseau de franchise auquel le franchisé a adhéré ; qu'une telle erreur est caractérisée par le seul fait que les chiffres prévisionnels transmis par le franchiseur se soient révélés exagérément optimistes au regard des écarts très importants présentés avec les chiffres d'affaires réalisés par le franchisé, ces chiffres prévisionnels étant déterminants pour le consentement éclairé du franchisé et portant sur la substance même du contrat de franchise, pour lequel l'espérance de gain est déterminante ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant cependant que « faute de preuve du caractère structurellement déficitaire de la franchise Ada, la nullité du contrat de franchise pour erreur du franchisé sur les qualités substantielles ne peut être retenue », la cour d'appel a statué par un motif impropre à justifier sa décision, en violation de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ ALORS QUE si l'erreur sur la rentabilité commise par le franchisé doit procéder de chiffres prévisionnels erronés établis par le franchiseur, et non par le franchisé, il importe peu en revanche que le caractère structurellement déficitaire de son réseau soit ou non établi, l'incidence des données prévisionnelles fournies par le franchiseur sur le consentement du franchisé étant à elle seule de nature à caractériser une erreur de ce dernier sur la rentabilité de l'activité entreprise ; qu'en retenant en l'espèce, pour écarter la nullité du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité commise par la société Brival Auto, que « l'erreur sur la rentabilité du concept d'une franchise ne peut conduire à la nullité du contrat pour vice du consentement du franchisé si elle ne procède pas de données établies et communiquées par le franchiseur. Tel n'est pas le cas en l'espèce s'agissant du prévisionnel exagérément optimiste, en l'absence de défaut structurel prouvé de la rentabilité de l'activité entreprise », la cour d'appel a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE la cour d'appel a en tout état de cause expressément constaté « qu'il est établi que des agences de ce type ont été fermées en 2013 », que « le réseau a été affecté, s'agissant de sociétés ayant (le) même dirigeant que la société Ada, par des fermetures en 2013 (cf. les sociétés Neuilly Location et Keyvane, cette dernière ayant ferme un établissement à Bordeaux en 2013) » et encore que « il est démontré que les entreprises du réseau Ada ne pouvaient être sincèrement présentées en l'espèce en occultant la réorganisation du groupe Ada, en présence des très mauvais résultats de la société SAPN, qui partageait son dirigeant avec la société Ada et a possédé jusqu'à 98 établissements et a été radiée en 2013 après avoir été absorbée, ainsi que la société Keyvane, par la société Neuilly Location, après avoir fermé de nombreux établissements, notamment en 2013, dont un à Libourne dans le département de la Gironde » ; que la cour d'appel en a conclu que la dissimulation volontaire par le franchiseur de ces informations sur l'état du réseau Ada avait eu pour effet d'occulter « la gravité des risques d'échec de l'ouverture d'une agence à [Localité 3] » ; qu'en retenant néanmoins, pour débouter la société Brival Auto de son action en nullité pour erreur du contrat de franchise, que la preuve « du caractère structurellement déficitaire de la franchise Ada » n'était pas rapportée, cependant qu'elle avait expressément relevé que l'état du réseau engendrait de graves risques d'échec de l'ouverture d'une nouvelle agence, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ ALORS QUE si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux sur lequel le franchisé doit pouvoir se fonder, sans que puisse lui être opposé leur absence de valeur contractuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que la nullité pour erreur du contrat de franchise ne pouvait être retenue, que le franchisé « savait bien que le document prévisionnel fourni par le franchiseur n'avait pas valeur contractuelle et n'engageait pas celui-ci sur les résultats annoncés », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision en violation de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°/ ALORS QUE si les comptes prévisionnels ne figurent pas dans les éléments devant se trouver dans le document d'information précontractuelle, ils doivent, lorsqu'ils sont communiqués, présenter un caractère sérieux sur lequel le franchisé doit pouvoir se fonder, indépendamment de ses propres recherches et informations ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté qu'il était « constant que les prévisionnels fournis par le franchiseur étaient très optimistes, puisqu'ils indiquaient un triplement du chiffre d'affaires dans les trois ans, atteignant des niveaux que le franchisé avait été très loin d'expérimenter sous son ancienne enseigne » ; qu'en retenant néanmoins, pour décider que la nullité pour erreur du contrat de franchise ne pouvait être retenue, que « la connaissance du marché local par le franchisé était de nature à lui permettre de relativiser au moins en partie les exagérations du franchiseur » et qu'« il appartenait en réalité au franchisé de faire sa propre étude de marché », la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision en violation derechef de l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
7°/ ALORS QUE le document d'information précontractuelle remis par le franchiseur au franchisé doit comporter une présentation de l'état général et local du marché des produits ou services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a expressément constaté que, s'agissant du « marché local et (de) l'état de la concurrence », il existait une « lacune constatée à ce titre dans le DIP » mais a retenu dans le même temps qu'il « appartenait (?) au franchisé de faire sa propre étude de marché » ; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'en l'absence de communication par la société Ada des informations spécifiques à son concept et à son adaptation au marché local, la société Brival Auto ne pouvait être en mesure de procéder à sa propre étude de marché, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1110 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; 8°/ ALORS QUE le document d'information précontractuelle remis par le franchiseur au franchisé doit comporter toutes les indications permettant d'apprécier l'expérience professionnelle acquise par l'exploitant ou les dirigeants du réseau ; que la société Brival Auto faisait valoir dans ses conclusions d'appel que « c'est la seconde façon dont Ada dissimule ces informations essentielles : aucune information n'est donnée lorsqu'il s'agit de présenter l'expérience des dirigeants. (?) La jurisprudence considère qu'une telle dissimulation est fautive. (?) C'est encore plus vrai lorsque, comme dans le cas présent, le dirigeant a géré et gère encore des fonds de commerce de l'enseigne : son incapacité à en assurer la rentabilité ne doit pas être dissimulée aux candidats ! (?) M. [W] [N], dirigeant d'Ada et d'Eda, a été et est encore à la tête de plusieurs sociétés exploitant des dizaines de fonds de commerce Ada, en qualité de propriétaires ou locataires-gérants, pour des résultats désastreux : mais cela a été dissimulé au candidat, puisque rien de tel ne figure dans le DIP » (conclusions, p. 19-20) ; qu'elle soutenait que si ces informations lui avaient été communiquées, elle aurait « reconsidéré son entrée dans un réseau dont même le dirigeant s'avérait incapable de rentabiliser les fonds, et les conduisait même à leur perte » (conclusions, p. 21) ; qu'en écartant la nullité pour erreur du contrat de franchise, sans répondre à ce moyen déterminant des écritures d'appel de la société exposante, la cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.