Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 juin 2022, 20-19.957, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 1 juin 2022, 20-19.957, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 20-19.957
- ECLI:FR:CCASS:2022:SO00667
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du mercredi 01 juin 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Poitiers, du 25 juin 2020- Président
- M. Cathala
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juin 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 667 FS-B
Pourvoi n° F 20-19.957
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2022
La société Children Worldwide Fashion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-19.957 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2020 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [D] [V], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Mme [D] [V] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Children Worldwide Fashion, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [V], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 juin 2020) et les productions, Mme [V] a été engagée le 6 décembre 1982 en qualité d'ouvrière en confection par la société Albert, aux droits de laquelle vient la société Children Worldwide Fashion (la société CWF), entreprise qui emploie plus de trois cents salariés. Elle occupait en dernier lieu le poste d'assistante au développement produit.
2. Le 16 juin 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique. Le contrat de travail a été rompu, le 14 juillet 2017, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 2 juillet 2017, au contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 5 juillet 2017.
3. Contestant le bien-fondé de cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en sa première branche, qui est préalable
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux et de la débouter de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts, alors « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cents salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il développe une thèse contraire à celle exposée devant les juges du fond puisque, d'une part, la salariée prétendait se fonder sur une comparaison entre le chiffre d'affaires de l'exercice 2017 en entier et celui de l'exercice 2016 et, d'autre part, elle n'a jamais soutenu que devaient être consécutivement en baisse les quatre trimestres précédant immédiatement le licenciement.
6. Cependant le moyen tiré de la prise en considération des quatre trimestres consécutifs précédant le licenciement se trouvait inclus dans le débat, dès lors que la salariée mentionnait dans ses écritures les dispositions de pur droit de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, et que ce moyen se réfère à des considérations de fait résultant des énonciations des juges du fond.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
8. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
9. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).
10. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
11. Pour dire le licenciement fondé sur un motif économique réel et sérieux, l'arrêt retient qu'il convient d'apprécier les difficultés économiques justifiant les mesures de réorganisations en fonction du nombre de salariés et à la date du déclenchement de la procédure, et rappelant que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre 2017, l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du code du travail connus à ce moment là.
12. Il ajoute que, reprenant les données comptables relatives au chiffre d'affaires de la société, il convient de se référer à l'exercice clos 2016, seul le premier trimestre 2017 étant alors connu. Il retient encore qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société CWF que le chiffre d'affaires 2016 était, à la clôture de l'exercice, en recul de 22 835 millions d'euros par rapport à 2015 en raison notamment de l'arrêt de la commercialisation de la marque Burberry lié à la perte de la licence d'exploitation, et que le premier trimestre 2017 n'affichait qu'une légère hausse de 0,50 % par rapport au premier trimestre 2016 mais restait très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015.
13. Il conclut qu'il est ainsi justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés, la cour d'appel, qui ce faisant n'a pas caractérisé les difficultés économiques, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation prononcée sur le moyen du pourvoi incident relatif au motif économique du licenciement entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen du pourvoi principal portant sur la condamnation de l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi au titre des critères d'ordre, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal et sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Children Worldwide Fashion
La société Children Worldwide Fashion (CWF) fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [V] la somme de 19 000 € à titre de dommages-etintérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi,
1. alors que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'employeur indiquait, s'agissant de la salariée, qu'« il n'y avait pas de remplacement prévu, ni de critères d'ordre sur son poste, s'agissant d'un poste unique, contrairement à celui des collègues en concurrence » (p. 8, avant-dernier §), que le comité d'entreprise avait « parfaitement validé le projet soumis par l'entreprise, qui effectivement considérait qu'il n'y avait pas de critères d'ordre de licenciement pour sa catégorie professionnelle unique et isolée. Les débats ont porté uniquement sur des postes similaires, avec des fonctions de même nature et justifiant une formation professionnelle commune. À ce titre, le poste occupé par Mme [V] ne relevait pas de ces critères » (p. 24, § 8 à 10) et plus encore que « le poste de Mme [V] a été supprimé parce qu'il était unique et qu'il n'y avait pas de concurrence ou sélection à mettre en oeuvre entre les différents salariés du service et même de l'entreprise pour son poste » (p. 23, § 10) dès lors que « suite à son reclassement pour inaptitude physique en 2006, un poste avait été créé sur mesure pour elle » (p. 25, § 1) ; qu'en affirmant, pour allouer à la salariée des dommages et intérêts pour perte injustifiée de son emploi, que la société CWF exposait n'avoir pas appliqué les critères d'ordre concernant la suppression de poste de Mme [V] parce qu'elle était la seule de sa catégorie dans son service, que les critères d'ordres devaient être mis en oeuvre à l'égard de l'ensemble du personnel de l'entreprise et non pas à l'égard des seuls salariés du service concerné et que la société ne pouvait restreindre l'application des critères d'ordre au seul service de la salariée, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de la société CWF et violé le principe susvisé, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;
2. alors que les critères d'ordre des licenciements pour motif économique doivent être mis en oeuvre, en l'absence d'accord collectif, au niveau de l'entreprise, à l'égard de l'ensemble du personnel appartenant à la même catégorie professionnelle et n'ont donc pas à s'appliquer si le salarié est le seul de sa catégorie professionnelle dans l'entreprise ;
qu'appartiennent à une même catégorie professionnelle les salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait la spécificité du poste de Mme [V], créé sur mesure pour elle sur les recommandations du médecin du travail, produisait les documents médicaux retraçant l'évolution de la carrière de la salariée, et précisait qu'elle avait trois missions : le calcul des emplois matières, la gestion des essayages et l'achat des fournitures de bureau, qu'il n'existait pas de postes similaires, avec des fonctions de même nature et justifiant une formation professionnelle commune, ce qui expliquait que le comité d'entreprise ait validé l'existence d'une catégorie professionnelle composée exclusivement du poste occupé par Mme [V] (conclusions d'appel, p. 5-6, p. 23 à 25), cette dernière n'ayant au demeurant identifié aucun poste dans l'entreprise susceptible de relever de la même catégorie que le sien (cf. ses conclusions d'appel, p 10) ; qu'en allouant à la salariée
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils pour Mme [V], demanderesse au pourvoi incident éventuel.
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement était fondé sur un motif économique réel et sérieux et l'a déboutée de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, et de dommages et intérêts.
1° ALORS QUE constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50% du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cent salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail.
2° ALORS QU'il appartient à l'employeur, débiteur de l'obligation de reclassement, de faire la preuve qu'il a satisfait à son obligation ; qu'il était en l'espèce constant et acquis aux débats que l'employeur s'était abstenu de proposer à la salariée des postes disponibles, en sorte qu'il lui appartenait de démontrer que ces postes n'étaient pas susceptibles d'être proposés à la salariée ; qu'en se bornant à constater « qu'effectivement les postes disponibles n'apparaissent pas en lien avec l'expérience professionnelle de Mme [V] », la cour d'appel qui a statué par de simples affirmations sans préciser les pièces dont elle entendait déduire qu'il était justifié que les postes disponibles étaient sans lien avec l'expérience professionnelle de la salariée, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS QU'il appartient à l'employeur, débiteur de l'obligation de reclassement, de faire la preuve qu'il a satisfait à son obligation ; que pour dire que l'employeur justifie avoir satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'arrêt retient que la salariée n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle aurait un niveau de formation et des compétences en lien avec son expérience professionnelle lui permettant de prétendre aux postes disponibles qui ne lui ont pas été proposés ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait à l'employeur de démontrer que les postes disponibles qui n'avaient pas été proposés à la salariée n'étaient pas susceptibles de l'être, la cour d'appel a fait peser sur la salariée la charge de la preuve de la méconnaissance de son obligation de reclassement par l'employeur en violation de l'article 1315 devenu 1353 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00667
SOC.
CA3
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 1er juin 2022
Cassation
M. CATHALA, président
Arrêt n° 667 FS-B
Pourvoi n° F 20-19.957
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2022
La société Children Worldwide Fashion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° F 20-19.957 contre l'arrêt rendu le 25 juin 2020 par la cour d'appel de Poitiers (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [D] [V], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Mme [D] [V] a formé un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Prieur, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Children Worldwide Fashion, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [V], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Prieur, conseiller référendaire rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 juin 2020) et les productions, Mme [V] a été engagée le 6 décembre 1982 en qualité d'ouvrière en confection par la société Albert, aux droits de laquelle vient la société Children Worldwide Fashion (la société CWF), entreprise qui emploie plus de trois cents salariés. Elle occupait en dernier lieu le poste d'assistante au développement produit.
2. Le 16 juin 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique. Le contrat de travail a été rompu, le 14 juillet 2017, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 2 juillet 2017, au contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 5 juillet 2017.
3. Contestant le bien-fondé de cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi incident de la salariée, pris en sa première branche, qui est préalable
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux et de la débouter de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts, alors « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cents salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il développe une thèse contraire à celle exposée devant les juges du fond puisque, d'une part, la salariée prétendait se fonder sur une comparaison entre le chiffre d'affaires de l'exercice 2017 en entier et celui de l'exercice 2016 et, d'autre part, elle n'a jamais soutenu que devaient être consécutivement en baisse les quatre trimestres précédant immédiatement le licenciement.
6. Cependant le moyen tiré de la prise en considération des quatre trimestres consécutifs précédant le licenciement se trouvait inclus dans le débat, dès lors que la salariée mentionnait dans ses écritures les dispositions de pur droit de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, et que ce moyen se réfère à des considérations de fait résultant des énonciations des juges du fond.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
8. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
9. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).
10. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
11. Pour dire le licenciement fondé sur un motif économique réel et sérieux, l'arrêt retient qu'il convient d'apprécier les difficultés économiques justifiant les mesures de réorganisations en fonction du nombre de salariés et à la date du déclenchement de la procédure, et rappelant que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre 2017, l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du code du travail connus à ce moment là.
12. Il ajoute que, reprenant les données comptables relatives au chiffre d'affaires de la société, il convient de se référer à l'exercice clos 2016, seul le premier trimestre 2017 étant alors connu. Il retient encore qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société CWF que le chiffre d'affaires 2016 était, à la clôture de l'exercice, en recul de 22 835 millions d'euros par rapport à 2015 en raison notamment de l'arrêt de la commercialisation de la marque Burberry lié à la perte de la licence d'exploitation, et que le premier trimestre 2017 n'affichait qu'une légère hausse de 0,50 % par rapport au premier trimestre 2016 mais restait très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015.
13. Il conclut qu'il est ainsi justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés, la cour d'appel, qui ce faisant n'a pas caractérisé les difficultés économiques, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation prononcée sur le moyen du pourvoi incident relatif au motif économique du licenciement entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen du pourvoi principal portant sur la condamnation de l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi au titre des critères d'ordre, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal et sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société Children Worldwide Fashion
La société Children Worldwide Fashion (CWF) fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir condamnée à payer à Mme [V] la somme de 19 000 € à titre de dommages-etintérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi,
1. alors que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'employeur indiquait, s'agissant de la salariée, qu'« il n'y avait pas de remplacement prévu, ni de critères d'ordre sur son poste, s'agissant d'un poste unique, contrairement à celui des collègues en concurrence » (p. 8, avant-dernier §), que le comité d'entreprise avait « parfaitement validé le projet soumis par l'entreprise, qui effectivement considérait qu'il n'y avait pas de critères d'ordre de licenciement pour sa catégorie professionnelle unique et isolée. Les débats ont porté uniquement sur des postes similaires, avec des fonctions de même nature et justifiant une formation professionnelle commune. À ce titre, le poste occupé par Mme [V] ne relevait pas de ces critères » (p. 24, § 8 à 10) et plus encore que « le poste de Mme [V] a été supprimé parce qu'il était unique et qu'il n'y avait pas de concurrence ou sélection à mettre en oeuvre entre les différents salariés du service et même de l'entreprise pour son poste » (p. 23, § 10) dès lors que « suite à son reclassement pour inaptitude physique en 2006, un poste avait été créé sur mesure pour elle » (p. 25, § 1) ; qu'en affirmant, pour allouer à la salariée des dommages et intérêts pour perte injustifiée de son emploi, que la société CWF exposait n'avoir pas appliqué les critères d'ordre concernant la suppression de poste de Mme [V] parce qu'elle était la seule de sa catégorie dans son service, que les critères d'ordres devaient être mis en oeuvre à l'égard de l'ensemble du personnel de l'entreprise et non pas à l'égard des seuls salariés du service concerné et que la société ne pouvait restreindre l'application des critères d'ordre au seul service de la salariée, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de la société CWF et violé le principe susvisé, ensemble l'article 4 du code de procédure civile ;
2. alors que les critères d'ordre des licenciements pour motif économique doivent être mis en oeuvre, en l'absence d'accord collectif, au niveau de l'entreprise, à l'égard de l'ensemble du personnel appartenant à la même catégorie professionnelle et n'ont donc pas à s'appliquer si le salarié est le seul de sa catégorie professionnelle dans l'entreprise ;
qu'appartiennent à une même catégorie professionnelle les salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune ; qu'en l'espèce, l'employeur soulignait la spécificité du poste de Mme [V], créé sur mesure pour elle sur les recommandations du médecin du travail, produisait les documents médicaux retraçant l'évolution de la carrière de la salariée, et précisait qu'elle avait trois missions : le calcul des emplois matières, la gestion des essayages et l'achat des fournitures de bureau, qu'il n'existait pas de postes similaires, avec des fonctions de même nature et justifiant une formation professionnelle commune, ce qui expliquait que le comité d'entreprise ait validé l'existence d'une catégorie professionnelle composée exclusivement du poste occupé par Mme [V] (conclusions d'appel, p. 5-6, p. 23 à 25), cette dernière n'ayant au demeurant identifié aucun poste dans l'entreprise susceptible de relever de la même catégorie que le sien (cf. ses conclusions d'appel, p 10) ; qu'en allouant à la salariée
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils pour Mme [V], demanderesse au pourvoi incident éventuel.
Mme [V] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement était fondé sur un motif économique réel et sérieux et l'a déboutée de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, et de dommages et intérêts.
1° ALORS QUE constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50% du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cent salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail.
2° ALORS QU'il appartient à l'employeur, débiteur de l'obligation de reclassement, de faire la preuve qu'il a satisfait à son obligation ; qu'il était en l'espèce constant et acquis aux débats que l'employeur s'était abstenu de proposer à la salariée des postes disponibles, en sorte qu'il lui appartenait de démontrer que ces postes n'étaient pas susceptibles d'être proposés à la salariée ; qu'en se bornant à constater « qu'effectivement les postes disponibles n'apparaissent pas en lien avec l'expérience professionnelle de Mme [V] », la cour d'appel qui a statué par de simples affirmations sans préciser les pièces dont elle entendait déduire qu'il était justifié que les postes disponibles étaient sans lien avec l'expérience professionnelle de la salariée, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.
3° ALORS QU'il appartient à l'employeur, débiteur de l'obligation de reclassement, de faire la preuve qu'il a satisfait à son obligation ; que pour dire que l'employeur justifie avoir satisfait à son obligation de recherche de reclassement, l'arrêt retient que la salariée n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle aurait un niveau de formation et des compétences en lien avec son expérience professionnelle lui permettant de prétendre aux postes disponibles qui ne lui ont pas été proposés ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il appartenait à l'employeur de démontrer que les postes disponibles qui n'avaient pas été proposés à la salariée n'étaient pas susceptibles de l'être, la cour d'appel a fait peser sur la salariée la charge de la preuve de la méconnaissance de son obligation de reclassement par l'employeur en violation de l'article 1315 devenu 1353 du code civil.