Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 25 mai 2022, 21-18.518, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 423 FS-B

Pourvoi n° N 21-18.518




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022

La société Mutuelle des architectes français (MAF), dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 21-18.518 contre l'arrêt rendu le 4 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 6), dans le litige l'opposant à Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société Mutuelle des architectes français, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [V], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Bech, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 décembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (3e Civ., 11 juillet 2019, pourvoi n° 18-17.433), Mme [V] a souscrit auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF) un contrat d'assurance dommages-ouvrage portant sur la construction d'une maison individuelle.

2. La réception de l'ouvrage est intervenue le 8 février 2004.

3. Mme [V] a déclaré un sinistre à la MAF le 10 janvier 2012.

4. Par lettre du 12 mars 2012, la MAF a notifié à l'assurée un refus de garantie.

5. Mme [V] a assigné la MAF en référé-expertise, par acte du 11 mars 2014, puis au fond, après le dépôt du rapport de l'expert.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. La MAF fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à Mme [V] diverses sommes au titre des travaux de reprise et des frais de maîtrise d'oeuvre, alors « que l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie et n'indemnise pas l'assuré ne peut être subrogé dans les droits du maître d'ouvrage et exercer un recours contre les constructeurs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour écarter l'exception de subrogation opposée par la Maf aux demandes de Mme [V], que cette dernière avait déclaré le sinistre le 10 janvier 2012 alors qu'il subsistait, avant l'expiration de la garantie décennale le 8 février 2014, un délai permettant à l'assureur de respecter à son égard les obligations résultant des dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances et ainsi de prendre une position de garantie ou de non garantie en toute connaissance de cause, puis d'exercer son recours subrogatoire contre les constructeurs, de sorte que c'était l'inaction de la Maf qui avait empêché la subrogation de s'opérer ; qu'en statuant ainsi, quand l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie et n'indemnise par l'assuré n'est pas subrogé dans ses droits et ne peut agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à la Maf de n'avoir exercé de recours contre les constructeurs avant l'expiration de la garantie décennale, la cour d'appel a violé l'article L. 121-12 du code des assurances, ensemble l'article 126 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 121-12, alinéas 1er et 2, du code des assurances et l'article 334 du code de procédure civile :

7. Il résulte du premier et du dernier de ces textes que l'assureur qui n'a pas indemnisé son assuré ne peut agir par subrogation mais est en droit d'appeler le responsable en garantie s'il est lui-même poursuivi.

8. Selon le deuxième, l'assureur peut être déchargé, en tout ou en partie, de sa responsabilité envers l'assuré, quand la subrogation ne peut plus, par le fait de l'assuré, s'opérer en faveur de l'assureur.

9. Pour rejeter l'exception de subrogation opposée par l'assureur, l'arrêt retient que l'assurée a déclaré le sinistre à l'assureur dans un délai lui permettant de prendre une position de garantie ou de non-garantie en toute connaissance de cause, puis d'exercer son recours subrogatoire contre les constructeurs et que c'est l'inaction de l'assureur, et non la délivrance de l'assignation en référé aux fins d'expertise postérieurement à l'expiration du délai décennal qui a empêché la subrogation de s'opérer.

10. Il ajoute que l'assureur avait des éléments lui permettant d'anticiper cette assignation puisque l'assurée avait maintenu ses réclamations et avait fait organiser une expertise amiable à laquelle la MAF avait été convoquée.

11. Il énonce, enfin, que l'assureur dommages-ouvrage, même non encore subrogé, est en droit d'assigner en responsabilité les constructeurs dans le délai de la garantie décennale s'il indemnise l'assuré avant que le juge ne statue.

12. En statuant ainsi, alors que l'assureur qui refuse sa garantie ne peut agir contre les responsables à titre subrogatoire ou les appeler en garantie avant d'avoir été lui-même poursuivi, de sorte que la MAF n'était pas privée de ses recours par son inaction mais par le fait de l'assurée, à laquelle il appartenait d'assigner l'assureur dans un délai lui permettant d'appeler les responsables en garantie ou, à défaut, d'assigner elle-même ces responsables pour préserver les recours de l'assureur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ses dispositions relatives aux demandes formées au titre du préjudice de jouissance et de la résistance abusive, l'arrêt rendu le 4 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne Mme [V] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle des architectes français

Le moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Mutuelle des Architectes Français à payer à Mme [V] les sommes de 72 788,10 euros TTC, 5 823,04 euros TTC, 2 000 euros TTC, 8 745 euros TTC et 699,30 euros TTC au titre des travaux de reprise et des frais de maîtrise d'oeuvre ;

1/ Alors que l'assureur dommages-ouvrage est fondé à opposer l'exception de subrogation à l'assuré qui l'a assigné en référé expertise après l'expiration du délai de garantie décennale sans avoir au préalable préservé ses recours contre les constructeurs, privant ainsi cet assureur de tout recours contre les constructeurs responsables et leurs assureurs, ce alors que le refus de garantie avait été notifié près de deux ans avant cette assignation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a rejeté l'exception de subrogation opposée par la Maf, alors que Mme [V] avait déclaré le sinistre le 10 janvier 2012, que le refus de garantie lui avait été opposé par la Maf le 12 mars 2012, que le délai de garantie décennale expirait le 8 février 2014 et que Mme [V] a attendu le 11 mars 2014 pour assigner la Maf en référé-expertise, sans avoir préalablement préservé ses recours contre les constructeurs ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 121-12 du code des assurances ;

2/ Alors que l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie et n'indemnise pas l'assuré ne peut être subrogé dans les droits du maître d'ouvrage et exercer un recours contre les constructeurs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu, pour écarter l'exception de subrogation opposée par la Maf aux demandes de Mme [V], que cette dernière avait déclaré le sinistre le 10 janvier 2012 alors qu'il subsistait, avant l'expiration de la garantie décennale le 8 février 2014, un délai permettant à l'assureur de respecter à son égard les obligations résultant des dispositions de l'article L. 242-1 du code des assurances et ainsi de prendre une position de garantie ou de non garantie en toute connaissance de cause, puis d'exercer son recours subrogatoire contre les constructeurs, de sorte que c'était l'inaction de la Maf qui avait empêché la subrogation de s'opérer ; qu'en statuant ainsi, quand l'assureur dommages-ouvrage qui dénie sa garantie et n'indemnise par l'assuré n'est pas subrogé dans ses droits et ne peut agir contre les constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à la Maf de n'avoir exercé de recours contre les constructeurs avant l'expiration de la garantie décennale, la cour d'appel a violé l'article L. 121-12 du code des assurances, ensemble l'article 126 du code de procédure civile ;

3/ Alors que le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion des parties ; qu'en l'espèce, pour contester l'évaluation des désordres retenue par l'expert judiciaire, la Maf a produit un devis établi par la société B2M chiffrant les travaux de reprise à la somme de 56 930 euros (concl. d'appel, p. 19) ; que la cour a estimé, pour condamner la Maf à payement, que « c'est à juste titre que le premier juge a écarté le devis B2M établi à la demande de la MAF, qui ne l'a pas soumis à l'examen de l'expert judiciaire » (arrêt, p. 7) ; qu'en statuant ainsi, quand ce devis ayant été régulièrement versé aux débats, elle ne pouvait refuser de l'examiner au prétexte qu'il n'avait pas été soumis à l'expert judiciaire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

4/ Alors que lorsqu'une omission ou une déclaration inexacte du risque de la part de l'assuré, qui n'est pas de mauvaise foi, est constatée après sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ; que lorsque les parties ne se sont pas mises d'accord pour déterminer le montant de la prime qui aurait été dû si le risque avait été exactement et complètement déclaré, les juges du fond doivent déterminer ce montant et fixer la réduction qui doit être apportée à l'indemnité du fait des déclarations inexactes de l'assuré ; qu'en l'espèce, la Maf, assureur dommages-ouvrage, a opposé la réduction proportionnelle car son assurée ne lui a pas transmis les documents demandés relatifs aux constructeurs intervenus sur le chantier et à leurs assureurs, et a produit un tableau comportant le détail du calcul de la prime payée, de la prime qui aurait dû être payée et du montant de la surprime ; que la cour d'appel, après avoir retenu que les documents demandés et non transmis auraient contribué à l'appréciation des risques par l'assureur et admis ainsi le principe de la réduction proportionnelle, a néanmoins écarté la demande de la Maf en considérant qu'elle ne démontrait pas qu'une cotisation supplémentaire était due ; que néanmoins, ayant admis le principe de la réduction proportionnelle, elle devait déterminer le montant de la prime due, la cour d'appel a violé les articles L. 113-9 du code des assurances et 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. ECLI:FR:CCASS:2022:C300423
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