Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 18 mai 2022, 20-21.529, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC. / ELECT

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mai 2022




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 605 F-B

Pourvoi n° Q 20-21.529




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MAI 2022

La société Iss propreté, dont le siège est [Adresse 6], a formé le pourvoi n° Q 20-21.529 contre le jugement rendu le 27 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Bobigny (contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :

1°/ à la fédération des syndicats CFTC-CSFV, dont le siège est [Adresse 16],

2°/ au syndicat FO propreté, Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 21],

3°/ à la fédération CFDT services, dont le siège est [Adresse 27],

4°/ à la fédération nationale des ports et docks CGT, dont le siège est [Adresse 24],

5°/ à Mme [ZG] [TC], domiciliée [Adresse 2],

6°/ à Mme [SI] [Y], domiciliée [Adresse 18],

7°/ à M. [W] [A], domicilié [Adresse 8],

8°/ à Mme [NL] [P], domiciliée [Adresse 12],

9°/ à M. [LY] [OF], domicilié [Adresse 17],

10°/ à Mme [E] [K], domiciliée [Adresse 13],

11°/ à M. [M] [A], domicilié [Adresse 8],

12°/ à Mme [U] [MS], domiciliée [Adresse 10],

13°/ à M. [TW] [H] [D], domicilié [Adresse 20],

14°/ à Mme [FU] [O], domiciliée [Adresse 4],

15°/ à M. [B] [BN], domicilié [Adresse 14],

16°/ à Mme [G] [IB], domiciliée [Adresse 26],

17°/ à M. [FA] [KK], domicilié [Adresse 1],

18°/ à M. [L] [T], domicilié [Adresse 19],

19°/ à Mme [BY] [C], domiciliée [Adresse 23],

20°/ à M. [EF] [LE], domicilié [Adresse 7],

21°/ à Mme [HH] [R], domiciliée [Adresse 15],

22°/ à M. [I] [GN], domicilié [Adresse 25],

23°/ à Mme [F] [S], domiciliée [Adresse 11],

24°/ à M. [H] [X], domicilié [Adresse 5],

25°/ à M. [N] [EG], domicilié [Adresse 3],

26°/ à Mme [UP] [JR], domiciliée [Adresse 22],

27°/ à M. [Z] [MS], domicilié [Adresse 10],

28°/ à Mme [V] [J], domiciliée [Adresse 9],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Iss propreté, de la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat de la fédération des syndicats CFTC-CSFV, après débats en l'audience publique du 23 mars 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Bobigny, 27 octobre 2020), la société Iss propreté (la société), qui est dotée de huit comités sociaux et économiques d'établissement, dont celui de l'établissement PSS Méditerranée, et d'un comité social et économique central, a, en application d'un protocole d'accord préélectoral conclu le 9 octobre 2019, organisé les élections des membres des comités sociaux et économiques, lesquelles se sont déroulées les 3 et 19 décembre 2019.

2. Invoquant notamment la méconnaissance par l'employeur de son obligation de neutralité, par requête reçue le 18 décembre 2019, la fédération des syndicats CFTC-CSFV (le syndicat CFTC) a saisi le tribunal d'instance aux fins d'annulation des élections des membres du comité social et économique de l'établissement PSS Méditerranée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

3. La société fait grief au jugement d'annuler les premier et second tours des élections du premier collège au comité social et économique de l'établissement PSS Méditerranée de la société, alors :

« 1°/ qu'il incombe au syndicat qui, pour demander l'annulation d'élections professionnelles, allègue qu'une autre candidature tardive a été acceptée par l'employeur et invoque une violation de l'obligation de neutralité de ce dernier d'en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté que le syndicat CFTC avait adressé sa liste de candidats le 4 novembre à 12 heures 16 par courriel, après expiration du délai fixé par le protocole préélectoral à 12h00, que sa liste n'avait pas été retenue, et que la liste de candidats du syndicat FO avait été remise en mains propres ''le 4 novembre'' sans qu'un élément atteste l'heure de dépôt auprès de l'employeur, de sorte que la société ISS Propreté n'aurait pas rapporté la preuve qu'elle avait respecté son obligation de neutralité ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il incombait au syndicat CFTC, qui invoquait la tardiveté du dépôt de la liste du syndicat FO et qui reprochait à l'employeur un manquement à son obligation de neutralité, d'en rapporter la preuve, le tribunal a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

2°/ que le juge ne peut annuler une élection professionnelle pour violation de l'obligation de neutralité de l'employeur sans caractériser de manière certaine cette violation ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que le syndicat CFTC n'avait pas adressé sa liste de candidats dans le délai fixé par le protocole préélectoral, soit avant le 4 novembre 12 heures 00 et que l'heure de remise en mains propres de la liste du syndicat FO le dernier jour n'était pas précisée, le tribunal a énoncé ''qu'il n'était pas en mesure d'apprécier si l'heure limite de dépôt avait été respectée par ce syndicat et si la société ISS Propreté, en refusant la liste de candidature CFTC déposée à 12 heures 16, n'avait pas favorisé le syndicat FO au détriment du syndicat CFTC'' ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait qu'aucune violation par la société ISS Propreté de son obligation de neutralité n'était caractérisée, puisqu'il n'était pas établi que la candidature du syndicat FO était tardive et qu'en l'acceptant, l'employeur aurait violé son obligation de neutralité, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des principes généraux du droit électoral. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2314-28 et L. 2314-29 du code du travail et les principes généraux du droit électoral :

4. Les irrégularités directement contraires aux principes généraux du droit électoral constituent une cause d'annulation des élections indépendamment de leur influence sur le résultat des élections. L'obligation de neutralité de l'employeur est un principe général du droit électoral.

5. Il appartient à celui qui invoque la violation par l'employeur de son obligation de neutralité d'en rapporter la preuve.

6. Pour annuler les premier et second tours des élections du premier collège au comité social et économique de l'établissement PSS Méditerranée de la société, le jugement, après avoir relevé que le protocole d'accord préélectoral prévoyait que les listes de candidats pour le premier tour devaient être déposées au plus tard le 4 novembre 2019 à 12 heures, retient que la liste de candidats du syndicat CFTC, adressée par courriel le 4 novembre 2019 à 12 heures 16, n'a pas été retenue par l'employeur faute d'avoir été déposée dans le délai fixé par le protocole d'accord préélectoral, tandis que, s'agissant de la liste de candidats du syndicat FO, déposée en main propre auprès de l'employeur également le 4 novembre 2019, il n'est pas justifié de l'heure de son dépôt, en sorte qu'il n'est pas possible d'apprécier, d'une part si l'heure limite de dépôt des listes a été respectée par le syndicat FO, d'autre part si la société, qui a rejeté la liste du syndicat CFTC, n'a pas favorisé le syndicat FO au détriment du syndicat CFTC, que dès lors la société ne justifie pas avoir respecté son obligation de neutralité.

7. En statuant ainsi, le tribunal, qui, d'une part, a inversé la charge de la preuve, d'autre part, n'a pas caractérisé le manquement de l'employeur à son obligation de neutralité, a violé les textes et les principes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 27 octobre 2020, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Bobigny ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Paris ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Iss propreté

La société ISS Propreté fait grief au jugement attaqué d'avoir annulé les premier et second tours des élections du premier collège au comité social et économique PSS méditerranée et la société ISS Propreté ;

Alors 1°) qu'il incombe au syndicat qui, pour demander l'annulation d'élections professionnelles, allègue qu'une autre candidature tardive a été acceptée par l'employeur et invoque une violation de l'obligation de neutralité de ce dernier d'en rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, le tribunal a constaté que le syndicat CFTC avait adressé sa liste de candidats le 4 novembre à 12h16 par courriel, après expiration du délai fixé par le protocole préélectoral à 12h00, que sa liste n'avait pas été retenue, et que la liste de candidats du syndicat FO avait été remise en mains propres « le 4 novembre » sans qu'un élément atteste l'heure de dépôt auprès de l'employeur, de sorte que la société ISS Propreté n'aurait pas rapporté la preuve qu'elle avait respecté son obligation de neutralité ; qu'en statuant ainsi, cependant qu'il incombait au syndicat CFTC, qui invoquait la tardiveté du dépôt de la liste du syndicat FO et qui reprochait à l'employeur un manquement à son obligation de neutralité, d'en rapporter la preuve, le tribunal a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 devenu 1353 du code civil ;

Alors 2°) que le juge ne peut annuler une élection professionnelle pour violation de l'obligation de neutralité de l'employeur sans caractériser de manière certaine cette violation ; qu'en l'espèce, après avoir constaté que le syndicat CFTC n'avait pas adressé sa liste de candidats dans le délai fixé par le protocole préélectoral, soit avant le 4 novembre 12h00 et que l'heure de remise en mains propres de la liste du syndicat FO le dernier jour n'était pas précisée, le tribunal a énoncé « qu'il n'était pas en mesure d'apprécier si l'heure limite de dépôt avait été respectée par ce syndicat et si la société ISS Propreté, en refusant la liste de candidature CFTC déposée à 12h16, n'avait pas favorisé le syndicat FO au détriment du syndicat CFTC » ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses constatations, dont il résultait qu'aucune violation par la société ISS Propreté de son obligation de neutralité n'était caractérisée, puisqu'il n'était pas établi que la candidature du syndicat FO était tardive et qu'en l'acceptant, l'employeur aurait violé son obligation de neutralité, le tribunal a privé sa décision de base légale au regard des principes généraux du droit électoral ;

Alors 3°) que les modalités d'organisation du scrutin fixées par un protocole préélectoral s'imposent à l'employeur et aux organisations syndicales et que ne méconnaît pas son obligation de neutralité l'employeur qui l'applique strictement ; qu'en ne tirant pas les conséquences légales de ses propres constatations, dont il résultait que la société ISS Propreté, en rejetant la liste de candidats du syndicat CFTC déposée à 12h16, après expiration du délai fixé par le protocole préélectoral, n'avait fait qu'appliquer celui-ci, de sorte qu'aucun manquement à son obligation de neutralité ne pouvait lui être reproché, le tribunal a méconnu l'article 1134 devenu 1103 du code civil, ensemble les principes généraux du droit électoral.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00605
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