Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 mai 2022, 20-18.372, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 558 F-D

Pourvoi n° G 20-18.372




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022

M. [V] [H], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° G 20-18.372 contre l'arrêt rendu le 3 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale A), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société [F] [Z], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], intervenant volontairement aux lieu et place de M. [B], en qualité de mandataire ad hoc de la société Expert sécurity,

défenderesses à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [H], après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 juin 2020), à compter du 2 avril 2012, M. [H] a été engagé par la société Expert security (la société) en qualité d'agent d'accueil et physionomiste dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée. A compter du 1er janvier 2013, le salarié a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée en qualité d'agent de sécurité.

2. Le 16 décembre 2013, la commission interrégionale d'agrément et de contrôle a prononcé à l'égard de la société une interdiction d'exercer une activité privée de sécurité pendant une durée de cinq ans.

3. Par jugement du 24 avril 2014, la société a été placée en liquidation judiciaire.

4. Le 1er juin 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de rappels de salaire et de demandes relatives à la rupture de son contrat de travail.

5. Le 27 août 2015, le liquidateur judiciaire lui a notifié son licenciement pour motif économique.

6. La SELARL [F] [Z] est intervenue volontairement en qualité de mandataire ad hoc.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 1er mars au 16 décembre 2013, alors « que c'est à l'employeur, tenu de payer sa rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition, qu'il incombe de prouver que celui-ci a refusé d'exécuter son travail ou ne s'est pas tenu à sa disposition ; que pour le débouter de sa demande tendant à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société de sa créance au titre de ses salaires concernant la période du 1er mars au 16 décembre 2013, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas démontré qu'il avait effectué une prestation de travail à temps complet ou qu'il était resté à la disposition de son employeur ; qu'en statuant ainsi quand il incombait à l'employeur de démontrer que le salarié ne s'était pas tenu à sa disposition durant la période litigieuse, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les articles 1353 du code civil et L. 1221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1221-1 du code du travail et 1315 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Il appartient à l'employeur de fournir un travail au salarié qui se tient à sa disposition et de payer la rémunération.

9. Pour débouter le salarié de sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 1er mars au 16 décembre 2013, l'arrêt retient qu'il n'est pas démontré, soit que le salarié a effectué une prestation de travail à temps complet, soit qu'il est resté à la disposition de son employeur pour travailler à temps complet, alors qu'il a effectivement travaillé pour la société Demi-Lune sécurité privée pendant cette période, même s'il s'agissait d'un travail à temps partiel.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas constaté que l'employeur démontrait que le salarié avait refusé d'exécuter son travail ou ne s'était pas tenu à sa disposition, a inversé la charge de la preuve en violation des textes susvisés.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014, alors « que la force majeure ou le fait du prince permettant à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées du contrat de travail s'entendent de la survenance d'un événement extérieur et irrésistible ayant pour effet de rendre impossible l'exécution dédit contrat ; qu'en se bornant, pour le débouter de sa demande relative aux salaires afférents à la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014, [à indiquer] que ''postérieurement au 16 décembre 2013, la société n'avait plus le droit de [lui] fournir du travail'', sans rechercher si cette interdiction d'exercice répondait aux conditions d'extériorité et d'imprévisibilité, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1148 ancien du code civil, applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1148 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. La force majeure permettant à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées de l'exécution d'un contrat de travail s'entend de la survenance d'un événement extérieur, imprévisible lors de la conclusion du contrat, et irrésistible dans son exécution.

13. Pour débouter le salarié de sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire au titre de la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014, l'arrêt retient que, postérieurement au 16 décembre 2013, la société n'avait plus le droit de lui fournir du travail.

14. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser que l'interdiction d'exercer une activité privée de sécurité pendant cinq ans, prononcée à l'encontre de la société le 16 décembre 2013, constituait un événement extérieur et imprévisible rendant impossible la poursuite du contrat de travail et permettant à l'employeur de s'exonérer du paiement du salaire dû au salarié, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [H] de sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 1er mars au 16 décembre 2013 et pour celle du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014, l'arrêt rendu le 3 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société [F] [Z], prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Expert Security, et l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [F] [Z], ès qualités, et l'UNEDIC délégation AGS CGEA de Chalon-sur-Saône à payer à M. [H] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [H]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [V] [H] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement entrepris l'ayant débouté de sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 1er mars au 16 décembre 2013,

ALORS QUE c'est à l'employeur, tenu de payer sa rémunération et de fournir du travail au salarié qui se tient à sa disposition, qu'il incombe de prouver que celui-ci a refusé d'exécuter son travail ou ne s'est pas tenu à sa disposition ; que pour débouter M. [H] de sa demande tendant à la fixation au passif de la liquidation judiciaire de la société Expert security de sa créance au titre de ses salaires concernant la période du 1er mars au 16 décembre 2013, la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas démontré qu'il avait effectué une prestation de travail à temps complet ou qu'il était resté à la disposition de son employeur (arrêt attaqué, p. 6, alinéas 7 et 8) ;

qu'en statuant ainsi quand il incombait à l'employeur de démontrer que le salarié ne s'était pas tenu à sa disposition durant la période litigieuse, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les articles 1353 du code civil et L. 1221-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [V] [H] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté sa demande en fixation d'une créance de rappel de salaire pour la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014,

ALORS QUE la force majeure ou le fait du prince permettant à l'employeur de s'exonérer de tout ou partie des obligations nées du contrat de travail s'entendent de la survenance d'un événement extérieur et irrésistible ayant pour effet de rendre impossible l'exécution dudit contrat ; qu'en se bornant, pour débouter M. [H] de sa demande relative aux salaires afférents à la période du 16 décembre 2013 au 24 avril 2014, que « postérieurement au 16 décembre 2013, la société Expert Security n'avait plus le droit de [lui] fournir du travail » (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 9), sans rechercher si cette interdiction d'exercice répondait aux conditions d'extériorité et d'imprévisibilité, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1148 ancien du code civil, applicable en l'espèce.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00558
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