Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 12 mai 2022, 20-22.367, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mai 2022




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 471 F-B

Pourvoi n° A 20-22.367





R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2022

La société [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° A 20-22.367 contre l'arrêt rendu le 21 octobre 2020 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Haute-Normandie, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rovinski, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Haute-Normandie, et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Rovinski, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 21 octobre 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2014 et 2015, l'URSSAF de Haute-Normandie (l'URSSAF) a notifié à la société [4] (la société), le 20 mai 2016, une lettre d'observations visant plusieurs chefs de redressement, suivie d'une mise en demeure. La société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 3314-4 du code du travail « pour ouvrir droit aux exonérations (?), l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet » ; qu'en vertu de ce texte, l'accord d'intéressement conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet ouvre droit aux exonérations de cotisations sociales ; que le dépôt tardif auprès de la [2] d'un accord d'intéressement régulièrement conclu n'est pas de nature à emporter la perte des droits à exonération, ce de plus fort lorsque l'exercice en cours n'est pas clos au jour de ce dépôt ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que l'accord d'intéressement conclu le 23 septembre 2014 par la société, dont la prise d'effet a été fixée au 1er avril 2014, a bien été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet, c'est-à-dire avant le 1er octobre 2014 ; que la société remplissait en conséquence les conditions pour se voir appliquer les exonérations de cotisations sociales sur intéressement ; que le simple retard de dépôt de cet accord auprès de la [2] ne pouvait à lui seul entraîner la perte de ces droits à exonération ; que pour décider néanmoins que le dépôt de cet accord auprès de la [2] le 15 octobre 2014 privait la société des droits à exonération au titre des exercices en cours, la cour d'appel a considéré que la déclaration tardive de l'accord d'intéressement auprès de la [2] retardait le droit à l'exonération par l'effet de la loi, que l'accord du 23 septembre 2014 était distinct du précédent accord d'intéressement et devait faire l'objet d'un nouveau dépôt, que la jurisprudence citée par la société ne correspondait pas à la situation d'espèce, que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti constituait une condition de fond au bénéfice immédiat de l'exonération, que cette privation du droit à exonération ne constituait pas une mesure de sanction ou de punition, qu'il était indifférent que le retard résulte d'une erreur ou d'une négligence, que la perte du droit à exonération n'était pas définitive et enfin que la position distincte d'autres URSSAF était sans incidence ; qu'en statuant par de tels motifs insusceptibles de justifier la suppression des droits à exonération au titre de l'accord d'intéressement du 23 septembre 2014 dès lors que ce dernier a été conclu par la société dans les délais légaux et a bien fait l'objet d'un dépôt auprès de la [2] au cours de l'exercice en cours, ce qui était de nature à régulariser la situation, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige ;

2°/ qu'en se fondant sur les motifs selon lesquels « il ressort clairement des articles D. 3313-1 et L. 3315-5 précités [du code du travail] que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti pour ce faire est une condition de fond du bénéfice immédiat de l'exonération », cependant que l'article D. 3313-1, qui précise les conditions de dépôt de l'accord d'intéressement, ne fait pas de cet acte une condition d'accès aux exonérations de cotisations et contributions sociales, pas plus que l'article L. 3315-5 du code du travail qui ne porte que sur les droits à exonération au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu et des bénéfices industriels et commerciaux, mais ne porte pas sur les droits à exonération des cotisations et contributions sociales prévus à l'article L. 3312-4 du même code, la cour d'appel a violé les articles D. 3313-1, L. 3315-5, L. 3312-4 et L. 3314-4 du code du travail et l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;

3°/ que selon l'article L. 3315-5 du code du travail « lorsqu'un accord, valide (...) a été conclu ou déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt » ; qu'en application de ce texte, à supposer même que l'absence de dépôt de l'accord d'intéressement dans les délais légaux puisse avoir une incidence sur les droits à exonération de l'intéressement versé, ce droit à exonération est en toute hypothèse ouvert postérieurement à ce dépôt ; qu'en conséquence pour l'exercice allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 le droit à exonération s'appliquait à tout le moins à compter du dépôt de l'accord le 12 novembre 2014 ; qu'en décidant néanmoins de valider le redressement infligé à la société emportant suppression de ses droits à exonération pour l'intégralité de l'exercice courant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et non au titre de la seule période antérieure au dépôt soit du 1er avril au 12 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3315-5, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

3. Il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale, L. 3312-4, L. 3313-3, L. 3314-4, L. 3315-5 et D. 3313-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige, que pour ouvrir droit aux exonérations de cotisations sur les sommes versées aux salariés à titre d'intéressement, l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet et déposé dans les quinze jours à compter de cette date limite à la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi. Lorsqu'il est déposé hors délai, l'accord n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt.

4. L'arrêt relève que la société a un exercice comptable qui court du 1er avril d'une année au 31 mars de l'année suivante, qu'un accord d'intéressement a été conclu le 14 septembre 2011 couvrant la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014, que le 23 septembre 2014, un nouvel accord d'intéressement a été conclu pour la période allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2017 et qu'en vertu de l'article 2 de cet accord, la période de calcul correspond à l'exercice comptable. Il ajoute que le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet fixée au 1er avril 2014, étant le 1er octobre 2014, l'accord aurait dû être déposé à la direction régionale des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi au plus tard le 15 octobre 2014 alors qu'il ne l'a été que le 12 novembre 2014.

5. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement déduit que l'accord n'ouvrait droit aux exonérations de cotisations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement à son dépôt, soit les exercices ouverts à compter du 1er avril 2015, et non pour la période du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et que le redressement devait être validé.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Condamne la société [4] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [4] et la condamne à payer à l'URSSAF de Haute-Normandie la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société [4]

La Société [4] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé la décision rendue par la commission de recours amiable le 29 novembre 2017, d'AVOIR confirmé les redressements opérés par l'URSSAF au titre de l'intéressement à hauteur de 367.861 € en cotisations, de l'AVOIR condamnée à payer à l'URSSAF de Haute Normandie les sommes de 367.861 € de cotisations et 39.162 € de majorations de retard au titre des chefs de redressement contestés, et de l'AVOIR déboutée de ses demandes ;

1. ALORS QUE selon l'article L 3314-4 du code du travail « pour ouvrir droit aux exonérations (?), l'accord d'intéressement doit avoir été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet » ; qu'en vertu de ce texte, l'accord d'intéressement conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet ouvre droit aux exonérations de cotisations sociales ; que le dépôt tardif auprès de la [2] d'un accord d'intéressement régulièrement conclu n'est pas de nature à emporter la perte des droits à exonération, ce de plus fort lorsque l'exercice en cours n'est pas clos au jour de ce dépôt ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt que l'accord d'intéressement conclu le 23 septembre 2014 par la Société [4], dont la prise d'effet a été fixée au 1er avril 2014, a bien été conclu avant le premier jour de la deuxième moitié de la période de calcul suivant la date de sa prise d'effet, c'est à dire avant le 1er octobre 2014 ; que la Société [4] remplissait en conséquence les conditions pour se voir appliquer les exonérations de cotisations sociales sur intéressement ; que le simple retard de dépôt de cet accord auprès de la [2] ne pouvait à lui seul entraîner la perte de ces droits à exonération ; que pour décider néanmoins que le dépôt de cet accord auprès de la [2] le 15 octobre 2014 privait la société des droits à exonération au titre des exercices en cours, la cour d'appel a considéré que la déclaration tardive de l'accord d'intéressement auprès de la [2] retardait le droit à l'exonération par l'effet de la loi, que l'accord du 23 septembre 2014 était distinct du précédent accord d'intéressement et devait faire l'objet d'un nouveau dépôt, que la jurisprudence citée par la société ne correspondait pas à la situation d'espèce, que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti constituait une condition de fond au bénéfice immédiat de l'exonération, que cette privation du droit à exonération ne constituait pas une mesure de sanction ou de punition, qu'il était indifférent que le retard résulte d'une erreur ou d'une négligence, que la perte du droit à exonération n'était pas définitive et enfin que la position distincte d'autres URSSAF était sans incidence (arrêt p. 4 et 5) ; qu'en statuant par de tels motifs insusceptibles de justifier la suppression des droits à exonération au titre de l'accord d'intéressement du 23 septembre 2014 dès lors que ce dernier a été conclu par la société [4] dans les délais légaux et a bien fait l'objet d'un dépôt auprès de la [2] au cours de l'exercice en cours, ce qui était de nature à régulariser la situation, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige ;

2. ALORS QU'en se fondant sur les motifs selon lesquels « il ressort clairement des articles D. 3313-1 et L. 3315-5 précités [du code du travail] que le dépôt de l'accord d'intéressement dans le délai imparti pour ce faire est une condition de fond du bénéfice immédiat de l'exonération » (arrêt p. 5 § 2), cependant que l'article D. 3313-1, qui précise les conditions de dépôt de l'accord d'intéressement, ne fait pas de cet acte une condition d'accès aux exonérations de cotisations et contributions sociales, pas plus que l'article L. 3315-5 du code du travail qui ne porte que sur les droits à exonération au titre de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur le revenu et des bénéfices industriels et commerciaux, mais ne porte pas sur les droits à exonération des cotisations et contributions sociales prévus à l'article L. 3312-4 du même code, la cour d'appel a violé les articles D. 3313-1, L. 3315-5, L. 3312-4 et L. 3314-4 du code du travail et l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;

3. ALORS ET A TITRE SUBSIDIAIRE QUE selon l'article L. 3315-5 du code du travail « Lorsqu'un accord, valide (...) a été conclu ou déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt » ; qu'en application de ce texte, à supposer même que l'absence de dépôt de l'accord d'intéressement dans les délais légaux puisse avoir une incidence sur les droits à exonération de l'intéressement versé, ce droit à exonération est en toute hypothèse ouvert postérieurement à ce dépôt ; qu'en conséquence pour l'exercice allant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015 le droit à exonération s'appliquait à tout le moins à compter du dépôt de l'accord le 12 novembre 2014 ; qu'en décidant néanmoins de valider le redressement infligé à la société emportant suppression de ses droits à exonération pour l'intégralité de l'exercice courant du 1er avril 2014 au 31 mars 2015, et non au titre de la seule période antérieure au dépôt soit du 1er avril au 12 novembre 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et les articles L. 3312-4, L. 3315-5, L. 3313-3 et L. 3314-4 du code du travail dans leur version applicable au litige. ECLI:FR:CCASS:2022:C200471
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