Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 21 avril 2022, 21-10.375, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 avril 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 365 F-D

Pourvoi n° M 21-10.375







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 AVRIL 2022

La société Txomin, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-10.375 contre l'arrêt rendu le 19 novembre 2020 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à Mme [Z] [I], veuve [K], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Mme [K] a formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident éventuel contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident éventuel invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Txomin, de la SCP Alain Bénabent, avocat de Mme [K], après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 19 novembre 2020), après avoir conclu un bail dérogatoire de deux années à compter du 2 mai 2006 portant sur des locaux commerciaux, la société Txomin (la locataire), restée dans les lieux, et [Y] [K] et Mme [I], son épouse, (les bailleurs) ont conclu, le 7 avril 2010, un bail commercial prenant effet le 2 mai 2006 pour s'achever le 1er mai 2015.

2. Ce bail contient une clause de renonciation par le preneur à « la propriété commerciale » acquise en 2008, à l'issue de ce bail de neuf années.

3. La locataire, s'étant maintenue dans les lieux au-delà du 1er mai 2015, a opposé à la demande en expulsion, formée par la bailleresse, le caractère réputé non écrit de la clause de renonciation.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident , ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La locataire fait grief à l'arrêt de juger qu'elle ne bénéficie pas, pour le local litigieux, de la propriété commerciale et qu'elle est occupante sans droit ni titre depuis le 2 mai 2015, d'ordonner son expulsion et celle de tout occupant de son chef et de la condamner à payer une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges, jusqu'à son départ effectif des lieux loués, alors « qu'en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 et L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, la loi du 18 juin 2014 est d'application immédiate aux baux en cours et s'oppose désormais à ce que le preneur renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux, en toute circonstance ; qu'en se déterminant en considération des dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce, dans leur rédaction en vigueur au jour de la conclusion du bail du 7 avril 2010 prenant effet le 2 mai 2006, pour en déduire qu'il était au pouvoir de la société Txomin de renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux qu'elle avait acquis en conséquence de son maintien dans les lieux à l'expiration du premier bail dérogatoire conclu le 4 avril 2006, quand l'article L. 145-15 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 était d'application immédiate aux baux en cours en tant qu'il répute non écrite toute clause ayant pour objet de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 du code civil et L. 145-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 :

6. Il résulte du premier de ces textes que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.

7. Le second de ces textes, dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014, qui a substitué à la nullité des clauses, stipulations et arrangements ayant pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le chapitre IV du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, est applicable aux baux en cours lors de l'entrée en vigueur de cette loi.

8. Pour rejeter la demande de la locataire tendant à ce que la clause de renonciation au renouvellement du bail à échéance du 1er mai 2015 soit déclarée non écrite, l'arrêt retient que, antérieurement au bail du 7 avril 2010, avait été signé un bail dérogatoire à l'expiration duquel la locataire avait acquis la propriété commerciale le 2 mai 2008, que la renonciation est intervenue postérieurement à la naissance du droit acquis et en parfaite connaissance du preneur, et que le fait que le bail du 7 avril 2010 ait été conclu pour une durée de neuf années, qui ont commencé à courir rétroactivement à compter du 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015, n'a pas eu pour effet d'anéantir rétroactivement le bail dérogatoire, étant rappelé qu'il y est expressément mentionné que le preneur, en parfaite connaissance du bail dérogatoire antérieur, a renoncé à la propriété commerciale.

9. En statuant ainsi, alors que la clause de renonciation avait pour effet de faire échec, au terme de neuf années, au droit de renouvellement du bail commercial conclu à effet du 2 mai 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne Mme [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et la condamne à payer à la société Txomin la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Txomin

La société TXOMIN fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR dit et jugé qu'elle ne bénéficiait pas, pour le local litigieux, de la propriété commerciale, et qu'elle était occupante sans droit ni titre des locaux litigieux depuis le 2 mai 2015, D'AVOIR ordonné son expulsion et celle de tout occupant de son chef des locaux situés [Adresse 3]), occupés sans droit, D'AVOIR condamné la société TXOMIN à payer à Mme [I] veuve [K] chaque mois à compter du 2 mai 2015, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du loyer et charges, soit la somme de 5.853,36 € charges comprises, jusqu'à son départ effectif des lieux loués, et D'AVOIR écarté ses demandes reconventionnelles ;

1. ALORS QU'en ce qu'elle a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce, en substituant à la nullité des clauses ayant pour effet de faire échec aux dispositions des articles L. 145-37 et L. 145-41 du code de commerce, leur caractère réputé non écrit, la loi du 18 juin 2014 est d'application immédiate aux baux en cours et s'oppose désormais à ce que le preneur renonce au bénéfice du statut des baux commerciaux, en toute circonstance ; qu'en se déterminant en considération des dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce, dans leur rédaction en vigueur au jour de la conclusion du bail du 7 avril 2010 prenant effet le 2 mai 2006, pour en déduire qu'il était au pouvoir de la société TXOMIN de renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux qu'elle avait acquis en conséquence de son maintien dans les lieux à l'expiration du premier bail dérogatoire conclu le 4 avril 2006, quand l'article L. 145-15 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 était d'application immédiate aux baux en cours en tant qu'il répute non écrite toute clause ayant pour objet de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial, la cour d'appel a violé les dispositions précitées, ensemble l'article 2 du code civil ;

2. ALORS si tel n'est pas le cas QUE l'ordre public de protection, qui s'attache au statut des baux commerciaux, s'oppose à ce que le preneur y renonce avant d'avoir acquis le droit d'en bénéficier ; qu'il ressort des termes du bail commercial du 7 avril 2010 qu'il était réputé prendre effet au 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015 par l'effet d'une clause de rétroactivité qui efface purement et simplement l'occupation des lieux par la société TXOMIN en vertu d'un, voire de deux baux dérogatoires, pendant près de quatre ans, entre le 2 mai 2006, date de prise d'effet du premier contrat dérogatoire, et le 7 avril 2010, date de conclusion du bail commercial ; qu'en décidant qu'il était au pouvoir de la société TXOMIN de renoncer au bénéfice de la propriété commerciale concomitamment à la conclusion du bail commercial par acte notarié du 7 avril 2010, postérieurement au jour où elle l'avait acquis deux ans plus tôt par l'effet de son maintien dans les lieux, quand il était réputé avoir pris effet au 2 mai 2006, soit à une date antérieure à celle où la société TXOMIN était réputée avoir acquis son droit au renouvellement, ce qui s'opposait à toute renonciation de sa part au bénéfice des baux commerciaux, le 1er mai 2008, la cour d'appel a subsidiairement violé les articles 6 et 1134 du code civil par refus d'application ;

3. ALORS si tel n'est pas non plus le cas QU'hors l'hypothèse d'un bail dérogatoire, la durée du bail commercial ne peut être inférieure à neuf ans ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que les parties ont signé un bail dérogatoire en date du 4 avril 2006 prenant effet le 2 mai 2006, qu'à l'expiration de celui-ci, le 1er mai 2008, le preneur est resté en en possession, et qu'elles ont conclu le 7 avril 2010 un bail commercial qui était réputé prendre effet au 2 mai 2006 pour se terminer le 1er mai 2015 par l'effet d'une clause de rétroactivité ; qu'en donnant effet à un bail commercial conclu pour une durée réduite à cinq ans en conséquence de la stipulation d'une clause de rétroactivité, la cour d'appel a très subsidiairement violé l'article L. 145-4 du code de commerce. Moyen produit au pourvoi incident éventuel par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour Mme [K]

Mme [I], veuve [K] fait grief à l'arrêt attaqué, confirmatif sur ce point, d'avoir déclaré recevable la demande de la Sarl Txomin en requalification du bail du 7 avril 2010 ;

ALORS QUE la demande en revendication du statut des baux commerciaux constitue une demande reconventionnelle soumise en tant que telle à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce ; que le délai de prescription court à compter de la conclusion du contrat de location ; qu'en l'espèce, la société Toxmin, assignée en expulsion et fixation d'une indemnité d'occupation par Mme [I], veuve [K], le 15 mars 2016, a sollicité, à titre reconventionnel, de voir « reconnaître à son profit le bénéfice d'un bail commercial », et « déclarer que ce bail a été renouvelé pour une durée de neuf années à effet du 1er janvier 2016 » (cf. jugement, p. 3) ; que cette demande constituait une demande reconventionnelle en revendication du statut des baux commerciaux soumise, en tant que telle, à la prescription biennale, de sorte qu'elle était prescrite au jour de l'assignation du 15 mars 2016 ; qu'en retenant que « la demande tendant à faire constater l'existence d'un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l'issue d'un bail dérogatoire, et qui résulte du seul effet de l'article L. 145-5 du code de commerce, n'est pas soumise à la prescription biennale » (cf. arrêt, p. 4), la Cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce.ECLI:FR:CCASS:2022:C300365
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