Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 12 avril 2022, 21-81.893, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° Y 21-81.893 F-D

N° 00445


ECF
12 AVRIL 2022


CASSATION PARTIELLE


M. SOULARD président,




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 AVRIL 2022


M. [M] [J], partie civile, la [3] en cas d'accident et l'[2], parties intervenantes, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry, chambre correctionnelle, en date du 17 mars 2021, qui, dans la procédure suivie contre Mme [D] [C], veuve [P], du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de la [3] en cas d'accident et de l'[2], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de M. [M] [J], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 2 décembre 2009, M. [M] [J], piéton, a été renversé par le véhicule conduit par Mme [D] [P].

3. L'accident a laissé à M. [J] d'importantes séquelles neurologiques, qui ont durablement affecté sa capacité à exercer l'emploi qu'il occupait jusqu'alors au sein d'une entreprise suisse.

4. Par jugement en date du 1er mars 2012, devenu définitif sur l'action publique, le tribunal correctionnel a déclaré Mme [P] coupable du délit de blessures involontaires, reçu la constitution de partie civile de M. [J], déclaré la prévenue entièrement responsable de son préjudice, constaté l'intervention volontaire de la [3] en cas d'accident ([3]), de l'[2] ([2]) et du [1] ([1]) et renvoyé sur les intérêts civils.

5. Par jugement en date du 9 janvier 2019, le tribunal a prononcé sur les intérêts civils.

6. M. [J], la [3], l'[2] et le [1] ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens

Sur le premier moyen proposé pour M. [J]

7. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le second moyen proposé pour M. [J]

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. [J] tendant à la capitalisation des intérêts au double du taux légal produits, en application de l'article L. 211-13 du code des assurances, par la somme de 21 060,50 euros sur la période du 2 août 2010 au 4 septembre 2015, alors « que les articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances ne dérogent pas aux dispositions de l'article 1154, devenu 1343-2, du code civil qui s'appliquent de manière générale aux intérêts moratoires ; qu'en jugeant que les intérêts au double du taux légal alloués à M. [J] en application de l'article L. 211-13 du code des assurances n'étaient pas susceptibles de capitalisation annuelle, la cour d'appel a violé ce dernier texte, ensemble les articles 1154, devenu 1343-2, du code civil et L. 211-9 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2 du code de procédure pénale, 1154, devenu 1343-2, du code civil, L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances :

9. Il résulte de ces textes que l'article L. 211-13 du code des assurances ne déroge pas aux dispositions d'ordre public de l'article 1154, devenu 1343-2, du code civil, qui s'appliquent de manière générale aux intérêts moratoires.

10. Pour rejeter la demande de capitalisation des intérêts, l'arrêt énonce que malgré son mode de calcul, la pénalité sanctionnant l'absence d'offre d'indemnisation dans les délais prévus par la loi est de nature indemnitaire et ne constitue pas des intérêts moratoires susceptibles de capitalisation annuelle.

11. En se déterminant ainsi, alors que la capitalisation des intérêts est applicable à cette somme, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

12. La cassation est par conséquent encourue.

Et sur le moyen proposé pour l'[2] et la [3]

Enoncé du moyen

13. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné Mme [P], à verser à M. [J] la somme de 253 018,60 francs suisses, avec intérêts aux taux légal à compter du 8 février 2017 et capitalisation des intérêts, après l'avoir débouté de sa demande au titre de l'incidence professionnelle, alors :

« 1°/ que la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit ; que le poste de préjudice né de l'incidence professionnelle a notamment pour objet d'indemniser les frais de reconversion professionnelle pris en charge par les tiers payeurs, peu important qu'à l'issue de la formation, la victime soit déclarée inapte à retrouver une activité professionnelle en raison des séquelles de l'accident dont elle a été victime ; qu'en refusant d'indemniser l'incidence professionnelle au motif qu'à l'issue du stage d'orientation professionnelle, il avait été conclu que les séquelles présentées par M. [J] l'empêchaient d'exercer toute activité professionnelle, après avoir constaté que le stage d'orientation professionnelle avait pour objet de permettre à M. [J] de trouver une activité compatible avec ses séquelles et qu'il avait été pris en charge par l'[2], la cour d'appel a violé les articles 93 du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la communauté, applicable selon l'accord du 21 juin 1999, entre les Etats membres de l'Union et la Confédération suisse, au recours subrogatoire des tiers payeurs suisses, 72 et 74 de la loi fédérale suisse sur la partie générale des assurances sociales du 6 octobre 2000, 1240 du code civil, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe de la réparation intégrale ;

2°/ que la carence totale ou partielle de la victime d'un accident de la circulation, constituée partie civile, ne peut priver le tiers payeur de son droit d'obtenir le remboursement de ses dépenses à concurrence du préjudice réel dont la réparation incombe au tiers responsable ; qu'en considérant, pour refuser de faire droit à la demande de l'[2] au titre de l'incidence professionnelle, que M. [J] n'avait formulé aucune demande à ce titre, la cour d'appel a violé les articles 93 du règlement (CEE) n°1408/71 du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la communauté, applicable selon l'accord du 21 juin 1999, entre les Etats membres de l'Union et la Confédération suisse, au recours subrogatoire des tiers payeurs suisses, 72 et 74 de la loi fédérale suisse sur la partie générale des assurances sociales du 6 octobre 2000, 29, 30, 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale et le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 93 du règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, applicable selon l'accord du 21 juin 1999, entre les Etats membres de l'Union européenne et la Confédération helvétique, devenu 85 du règlement (CE) n° 883/2004, applicable selon l'accord du 31 mars 2012, entre les Etats membres de l'Union européenne et la Confédération helvétique, au recours subrogatoire des tiers payeurs suisses, 72 et 74 de la loi fédérale suisse du 6 octobre 2000, 1382, devenu 1240, du code civil et 2 du code de procédure pénale :

14. Il résulte de ces textes que la carence totale ou partielle de la victime d'une infraction, constituée partie civile, ne saurait priver le tiers payeur de son droit d'obtenir de la juridiction pénale le remboursement de ses dépenses à concurrence du préjudice réel dont la réparation incombe au tiers responsable.

15. Pour rejeter la demande formée au titre de l'incidence professionnelle, l'arrêt énonce que l'[2] doit être débouté, faute d'assiette lui permettant d'exercer son recours, en l'absence de demande de M. [J] sur ce chef de préjudice.

16. En se déterminant ainsi, alors que l'absence de demande de la partie civile sur un poste de préjudice ne faisait pas obstacle au recours du tiers payeur, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

18. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la capitalisation des intérêts prévus par l'article L. 211-13 du code des assurances et les dispositions relatives au préjudice d'incidence professionnelle. Les autres dispositions seront donc maintenues.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Chambéry, en date du 17 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la capitalisation des intérêts prévus par l'article L. 211-13 du code des assurances et au préjudice d'incidence professionnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Chambéry, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille vingt-deux.ECLI:FR:CCASS:2022:CR00445
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