Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 7 avril 2022, 20-19.746, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 7 avril 2022, 20-19.746, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 2
- N° de pourvoi : 20-19.746
- ECLI:FR:CCASS:2022:C200359
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation
Audience publique du jeudi 07 avril 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, du 23 juin 2020- Président
- M. Pireyre
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 359 F-B
Pourvoi n° B 20-19.746
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 AVRIL 2022
1°/ M. [M] [I],
2°/ Mme [C] [B], épouse [I],
3°/ Mme [L] [I],
tous trois domiciliés [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° B 20-19.746 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Citya Montchalin, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
3°/ à la société MMA IARD,
toutes deux ayant leur [Adresse 1] et venant aux droits de la société Covea Risks,
4°/ à M. [D] [J], domicilié [Adresse 6],
5°/ à la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [I] et Mme [L] [I], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Citya Montchalin, MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [J], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 23 juin 2020), le [Date décès 4] 2014, [V] [I], alors qu'il était assis et fumait une cigarette sur le rebord de la fenêtre de l'appartement de Mme [F], a basculé dans le vide et trouvé la mort.
2. Les parents de [V] [I], sa soeur, Mme [L] [I] et la société MACIF ont assigné devant un tribunal de grande instance M. [J], propriétaire de l'appartement où est survenu l'accident, en réparation des préjudices subis du fait de la mort de [V] [I].
3. Le bailleur a appelé en garantie la société Citya Montchalin, chargée de la gestion du logement et l'assureur de cette dernière, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes à l'encontre de M. [J], alors « que seule la faute d'imprudence de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « s'est montré particulièrement imprudent et est seul à l'origine de la réalisation de son propre dommage » pour s'être assis, alcoolisé et ayant consommé du cannabis, sur un rebord de fenêtre au 5e étage ce dont toute personne normalement avisée concevrait le danger, après avoir cependant constaté que cette fenêtre se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l'étage élevé de l'appartement, ce dont il résultait que le comportement de [V] [I] n'était pas à l'origine exclusive de sa chute, puisque la présence d'un garde-corps l'aurait nécessairement empêchée, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384, alinéa 1, du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1242, alinéa 1er, du code civil :
5. Seul le fait de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à l'examen de la responsabilité du gardien de la chose, prévue au texte susvisé.
6. Pour écarter la responsabilité de M.[J], l'arrêt retient qu'il y a eu une faute d'imprudence de la victime, alcoolisée et ayant consommé du cannabis, à s'asseoir en pleine nuit au 5ème étage d'un immeuble, sur un rebord de fenêtre, qui habituellement n'est pas fait pour s'asseoir, alors qu'elle ne connaissait pas les lieux, sans s'assurer qu'il n'y avait pas de risque de chute.
7. L'arrêt en déduit que la faute de la victime apparaît déterminante dans la survenance du dommage et que, par conséquent, la fenêtre, même basse et dépourvue de garde-corps, ne peut être considérée comme étant anormale, et dès lors comme instrument du dommage.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la fenêtre située au 5ème étage et à 42 cm du sol de l'appartement, était dépourvue de garde-corps susceptible d'empêcher une chute, ce dont il se déduisait que l'imprudence de la victime n'était pas la cause exclusive du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 23 juin 2020, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Citya Montchalin, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD et M. [J] et condamne ce dernier à payer à M. et Mme [I] et Mme [L] [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I] et Mme [L] [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre de M. [J] ;
1°/ ALORS QUE la faute de la victime qui fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte doit revêtir les caractères de la force majeure, à savoir l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité ; qu'en énonçant, pour refuser de mettre en jeu la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « alcoolisé et ayant consommé du cannabis s'est assis en plein nuit au 5e étage sur un rebord de fenêtre, qui, habituellement, n'est pas fait pour s'asseoir, alors qu'il ne connaissait pas les lieux », sa faute étant seule « à l'origine de la réalisation de son propre dommage » (arrêt, p. 7, §5), la cour d'appel qui n'a pas caractérisé une faute présentant les caractères de la force majeure, a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
2°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE seule la faute d'imprudence de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « s'est montré particulièrement imprudent et est seul à l'origine de la réalisation de son propre dommage » (arrêt, p. 7, § 5) pour s'être assis, alcoolisé et ayant consommé du cannabis, sur un rebord de fenêtre au 5e étage ce dont toute personne normalement avisée concevrait le danger, après avoir cependant constaté que cette fenêtre se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l'étage élevé de l'appartement, ce dont il résultait que le comportement de [V] [I] n'était pas à l'origine exclusive de sa chute, puisque la présence d'un garde-corps l'aurait nécessairement empêchée, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère anormal d'une chose inerte s'apprécie au regard de son état, de son comportement ou de sa position ; que présente un tel caractère la fenêtre d'un appartement situé au 5ème étage d'un immeuble d'habitation, se trouvant à 42 cm du sol, mesurant 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportant aucun garde-corps ; qu'en écartant le caractère anormal de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], après avoir relevé qu'elle était basse pour se trouver à 42 cm du sol, qu'elle était dépourvue de garde-corps et qu'elle se situait dans un appartement au 5e étage d'un immeuble, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
4°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère anormal d'une chose inerte s'apprécie au regard de son état, de son comportement ou de son positionnement, indépendamment de l'appréciation du comportement de la victime et de celui du gardien dont elle répond ; qu'en écartant le caractère anormal de la fenêtre litigieuse en raison du comportement de la victime et de l'absence de méconnaissance par M. [J] des dispositions de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre de M. [J] ;
1°/ ALORS QUE les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que M. [J] avait méconnu son obligation contractuelle de sécurité en louant un appartement sans installer de garde-corps à une fenêtre se trouvant à 42 cm du sol au 5ème étage d'un immeuble et que ce manquement leur avait causé un dommage ; qu'en les déboutant de leur demande au motif qu' « ils agissent sur le fondement des articles 1719 et suivants du code civil mais que s'agissant de tiers au contrat de bail, ils ne sont pas fondés à agir sur ce fondement textuel qui concerne les obligations du bailleur vis à vis du preneur uniquement », la cour d'appel, qui a rejeté leurs demandes au prétexte qu'ils auraient agi sur un fondement contractuel, a dénaturé les conclusions dont elle était saisie et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS, SUBISIDAIREMENT, QUE le bailleur est tenu d'une obligation de sécurité au profit des locataires ; que les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que M. [J] avait méconnu son obligation contractuelle de sécurité en louant un appartement sans installer de garde-corps à une fenêtre se trouvant à 42 cm du sol au 5ème étage d'un immeuble et que ce manquement leur avait causé un dommage ; qu'en énonçant, pour les débouter de leurs demandes, qu'ils ne rapportaient pas la preuve que M. [J], qui avait respecté la réglementation en vigueur issue de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation et ne gérait pas son bien, ait commis une faute, sans rechercher, comme il le lui était demandé (conclusions, p. 11 et 12), si une telle faute ne découlait pas de la méconnaissance de son obligation de sécurité de moyen indépendamment du respect de la réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1719 et suivants ensemble l'article 1240 du code civil (1382 ancien).
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre des sociétés Citya Montchalin, Mma Iard et Mma Iard assurances mutuelles ;
ALORS QUE l'agent immobilier qui a la gestion d'un appartement doit s'assurer que celui-ci ne présente pas de danger pour ses occupants ; que les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que la société Citya Montchalin avait méconnu son obligation contractuelle d'évaluer le niveau de protection nécessaire du logement dont elle avait la gestion et de s'assurer que ce dernier ne présentait pas de danger de défenestration, ce manquement leur ayant causé un préjudice puisqu'il était à l'origine du décès de [V] [I] ; qu'en énonçant, pour les débouter de leurs demandes, qu'ils ne démontraient pas de faute de la société Citya Montchalin en l'absence de méconnaissance de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la faute de cette société ne résultait pas de la méconnaissance de son obligation de s'assurer de la sécurité de ce logement pour ses occupants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance précité du 10 février 2016 (1382 ancien).ECLI:FR:CCASS:2022:C200359
CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 7 avril 2022
Cassation
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 359 F-B
Pourvoi n° B 20-19.746
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 AVRIL 2022
1°/ M. [M] [I],
2°/ Mme [C] [B], épouse [I],
3°/ Mme [L] [I],
tous trois domiciliés [Adresse 5],
ont formé le pourvoi n° B 20-19.746 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2020 par la cour d'appel de Lyon (1re chambre civile B), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Citya Montchalin, société à responsabilité limitée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles,
3°/ à la société MMA IARD,
toutes deux ayant leur [Adresse 1] et venant aux droits de la société Covea Risks,
4°/ à M. [D] [J], domicilié [Adresse 6],
5°/ à la société Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de M. et Mme [I] et Mme [L] [I], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Citya Montchalin, MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de M. [J], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 23 juin 2020), le [Date décès 4] 2014, [V] [I], alors qu'il était assis et fumait une cigarette sur le rebord de la fenêtre de l'appartement de Mme [F], a basculé dans le vide et trouvé la mort.
2. Les parents de [V] [I], sa soeur, Mme [L] [I] et la société MACIF ont assigné devant un tribunal de grande instance M. [J], propriétaire de l'appartement où est survenu l'accident, en réparation des préjudices subis du fait de la mort de [V] [I].
3. Le bailleur a appelé en garantie la société Citya Montchalin, chargée de la gestion du logement et l'assureur de cette dernière, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
4. M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] font grief à l'arrêt de les débouter de leurs demandes à l'encontre de M. [J], alors « que seule la faute d'imprudence de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « s'est montré particulièrement imprudent et est seul à l'origine de la réalisation de son propre dommage » pour s'être assis, alcoolisé et ayant consommé du cannabis, sur un rebord de fenêtre au 5e étage ce dont toute personne normalement avisée concevrait le danger, après avoir cependant constaté que cette fenêtre se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l'étage élevé de l'appartement, ce dont il résultait que le comportement de [V] [I] n'était pas à l'origine exclusive de sa chute, puisque la présence d'un garde-corps l'aurait nécessairement empêchée, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384, alinéa 1, du même code. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1242, alinéa 1er, du code civil :
5. Seul le fait de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à l'examen de la responsabilité du gardien de la chose, prévue au texte susvisé.
6. Pour écarter la responsabilité de M.[J], l'arrêt retient qu'il y a eu une faute d'imprudence de la victime, alcoolisée et ayant consommé du cannabis, à s'asseoir en pleine nuit au 5ème étage d'un immeuble, sur un rebord de fenêtre, qui habituellement n'est pas fait pour s'asseoir, alors qu'elle ne connaissait pas les lieux, sans s'assurer qu'il n'y avait pas de risque de chute.
7. L'arrêt en déduit que la faute de la victime apparaît déterminante dans la survenance du dommage et que, par conséquent, la fenêtre, même basse et dépourvue de garde-corps, ne peut être considérée comme étant anormale, et dès lors comme instrument du dommage.
8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la fenêtre située au 5ème étage et à 42 cm du sol de l'appartement, était dépourvue de garde-corps susceptible d'empêcher une chute, ce dont il se déduisait que l'imprudence de la victime n'était pas la cause exclusive du dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 23 juin 2020, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.
Condamne M. [J] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Citya Montchalin, les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD et M. [J] et condamne ce dernier à payer à M. et Mme [I] et Mme [L] [I] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept avril deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Le Prado - Gilbert, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [I] et Mme [L] [I]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre de M. [J] ;
1°/ ALORS QUE la faute de la victime qui fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte doit revêtir les caractères de la force majeure, à savoir l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité ; qu'en énonçant, pour refuser de mettre en jeu la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « alcoolisé et ayant consommé du cannabis s'est assis en plein nuit au 5e étage sur un rebord de fenêtre, qui, habituellement, n'est pas fait pour s'asseoir, alors qu'il ne connaissait pas les lieux », sa faute étant seule « à l'origine de la réalisation de son propre dommage » (arrêt, p. 7, §5), la cour d'appel qui n'a pas caractérisé une faute présentant les caractères de la force majeure, a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
2°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE seule la faute d'imprudence de la victime à l'origine exclusive de son dommage fait obstacle à la mise en oeuvre de la responsabilité du gardien d'une chose inerte ; qu'en considérant, pour écarter la responsabilité de M. [J] en sa qualité de gardien de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], que ce dernier « s'est montré particulièrement imprudent et est seul à l'origine de la réalisation de son propre dommage » (arrêt, p. 7, § 5) pour s'être assis, alcoolisé et ayant consommé du cannabis, sur un rebord de fenêtre au 5e étage ce dont toute personne normalement avisée concevrait le danger, après avoir cependant constaté que cette fenêtre se trouvait à 42 cm du sol, mesurait 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportait aucun garde-corps malgré l'étage élevé de l'appartement, ce dont il résultait que le comportement de [V] [I] n'était pas à l'origine exclusive de sa chute, puisque la présence d'un garde-corps l'aurait nécessairement empêchée, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
3°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère anormal d'une chose inerte s'apprécie au regard de son état, de son comportement ou de sa position ; que présente un tel caractère la fenêtre d'un appartement situé au 5ème étage d'un immeuble d'habitation, se trouvant à 42 cm du sol, mesurant 80 cm de haut et 125 cm de large et ne comportant aucun garde-corps ; qu'en écartant le caractère anormal de la fenêtre par laquelle est tombé [V] [I], après avoir relevé qu'elle était basse pour se trouver à 42 cm du sol, qu'elle était dépourvue de garde-corps et qu'elle se situait dans un appartement au 5e étage d'un immeuble, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code ;
4°/ ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE le caractère anormal d'une chose inerte s'apprécie au regard de son état, de son comportement ou de son positionnement, indépendamment de l'appréciation du comportement de la victime et de celui du gardien dont elle répond ; qu'en écartant le caractère anormal de la fenêtre litigieuse en raison du comportement de la victime et de l'absence de méconnaissance par M. [J] des dispositions de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation, la cour d'appel a violé l'article 1242 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ancien 1384 alinéa 1er du même code.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre de M. [J] ;
1°/ ALORS QUE les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que M. [J] avait méconnu son obligation contractuelle de sécurité en louant un appartement sans installer de garde-corps à une fenêtre se trouvant à 42 cm du sol au 5ème étage d'un immeuble et que ce manquement leur avait causé un dommage ; qu'en les déboutant de leur demande au motif qu' « ils agissent sur le fondement des articles 1719 et suivants du code civil mais que s'agissant de tiers au contrat de bail, ils ne sont pas fondés à agir sur ce fondement textuel qui concerne les obligations du bailleur vis à vis du preneur uniquement », la cour d'appel, qui a rejeté leurs demandes au prétexte qu'ils auraient agi sur un fondement contractuel, a dénaturé les conclusions dont elle était saisie et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
2°/ ALORS, SUBISIDAIREMENT, QUE le bailleur est tenu d'une obligation de sécurité au profit des locataires ; que les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que M. [J] avait méconnu son obligation contractuelle de sécurité en louant un appartement sans installer de garde-corps à une fenêtre se trouvant à 42 cm du sol au 5ème étage d'un immeuble et que ce manquement leur avait causé un dommage ; qu'en énonçant, pour les débouter de leurs demandes, qu'ils ne rapportaient pas la preuve que M. [J], qui avait respecté la réglementation en vigueur issue de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation et ne gérait pas son bien, ait commis une faute, sans rechercher, comme il le lui était demandé (conclusions, p. 11 et 12), si une telle faute ne découlait pas de la méconnaissance de son obligation de sécurité de moyen indépendamment du respect de la réglementation en vigueur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1719 et suivants ensemble l'article 1240 du code civil (1382 ancien).
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
M. [M] [I], Mme [C] [I] et Mme [L] [I] reprochent à l'arrêt attaqué, DE LES AVOIR déboutés de leurs demandes formées à l'encontre des sociétés Citya Montchalin, Mma Iard et Mma Iard assurances mutuelles ;
ALORS QUE l'agent immobilier qui a la gestion d'un appartement doit s'assurer que celui-ci ne présente pas de danger pour ses occupants ; que les consorts [I] faisaient valoir, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, que la société Citya Montchalin avait méconnu son obligation contractuelle d'évaluer le niveau de protection nécessaire du logement dont elle avait la gestion et de s'assurer que ce dernier ne présentait pas de danger de défenestration, ce manquement leur ayant causé un préjudice puisqu'il était à l'origine du décès de [V] [I] ; qu'en énonçant, pour les débouter de leurs demandes, qu'ils ne démontraient pas de faute de la société Citya Montchalin en l'absence de méconnaissance de l'article R. 111-15 du code de la construction et de l'habitation, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la faute de cette société ne résultait pas de la méconnaissance de son obligation de s'assurer de la sécurité de ce logement pour ses occupants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil dans sa version applicable issue de l'ordonnance précité du 10 février 2016 (1382 ancien).