Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 6 avril 2022, 20-20.128, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 avril 2022




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 436 F-D

Pourvoi n° S 20-20.128




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 AVRIL 2022

La société CCGE du Sud, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], et ayant un établissement [Adresse 3], a formé le pourvoi n° S 20-20.128 contre l'arrêt rendu le 7 juillet 2020 par la cour d'appel de Nîmes (chambre civile, 5e chambre sociale PH), dans le litige l'opposant à M. [I] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société CCGE du Sud, de la SCP Spinosi, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Le Lay, conseiller rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 7 juillet 2020), M. [M] a été engagé par la société Conseil comptabilité gestion des entreprises (CCGE) à compter du 19 janvier 1994, en qualité de comptable puis d'assistant comptable. Son contrat de travail a été transféré à la société CCGE du Sud en juillet 2005.

2. Le 15 novembre 2007, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes de résiliation judiciaire de son contrat de travail, de paiement de certaines sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail. L'employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute lourde le 6 décembre 2007.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement repose sur une faute grave et non sur une faute lourde et de le débouter de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages-intérêts, alors « que la faute lourde se caractérise par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que le salarié, alors qu'il exerçait les fonctions de comptable pour le compte de la société CCGE du Sud, avait, à compter de l'année 2006, en cessant de traiter informatiquement certains dossiers de clients sur un poste relié au réseau de l'entreprise, conservé par devers lui ces dossiers et ainsi privé son employeur de tout accès aux écritures comptables de ses propres clients, et qu'il avait dans le même temps cessé de facturer pour le compte de son employeur les prestations effectuées en matière sociale ; que la cour d'appel a encore relevé qu'il avait au cours de l'année 2007 adressé sa candidature à une société concurrente, le cabinet [W], en lui remettant une liste de seize clients de son employeur tout en prétendant qu'il s'agissait de sa propre clientèle, qu'il était en cours de préavis de démission et que la société CCGE du Sud était informée, ce qui avait conduit cette société concurrente à contacter la société CCGE du Sud en vue de la reprise du suivi de la comptabilité de ces clients ; que la cour d'appel en a déduit ‘'son intention claire et non équivoque de s'approprier la clientèle de la société CCGE du Sud'‘ ; qu'en jugeant néanmoins que M. [M] n'avait pas commis une faute lourde, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 233-14 du code du travail dans sa rédaction antérieure au 1er mai 2008 :

4. La faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif et ne résulte pas de la seule commission d'un acte préjudiciable à l'entreprise.

5. Pour dire que le licenciement du salarié repose sur une faute grave et non sur une faute lourde, l'arrêt retient, d'une part, que le salarié, qui a remis au soutien de sa candidature à un emploi de collaborateur comptable une liste de seize clients de son employeur en prétendant qu'il s'agissait de sa propre clientèle, a eu l'intention claire et non équivoque de s'approprier la clientèle de la société CCGE du Sud, que d'autre part, il a cessé d'utiliser un poste informatique relié au réseau de l'entreprise pour traiter les prestations des clients du bureau de [Localité 4] en sorte que l'employeur ne possédait plus aucune écriture comptable depuis près d'un an et se trouvait dans l'impossibilité d'établir les bilans et comptes de résultats et qu'enfin, le salarié ne justifie pas avoir transmis la liste des dossiers concernés par l'absence de facturation des prestations en matière sociale qui lui était impérativement réclamée. Il ajoute que ces faits sont constitutifs d'une faute grave mais non d'une faute lourde, la preuve de l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise n'étant pas rapportée.

6. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le salarié avait détourné la clientèle de son employeur, en sorte que l'intention de nuire était caractérisée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement repose sur une faute grave et non sur une faute lourde et en ce qu'il déboute la société Conseil comptabilité gestion des entreprises de sa demande en paiement de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 7 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la société CCGE du Sud


La société CCGE du Sud FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [M] repose sur une faute grave mais non sur une faute lourde et de l'AVOIR en conséquence déboutée de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts,

1/ ALORS QUE la faute lourde se caractérise par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [M], alors qu'il exerçait les fonctions de comptable pour le compte de la société CCGE du Sud, avait, à compter de l'année 2006, en cessant de traiter informatiquement certains dossiers de clients sur un poste relié au réseau de l'entreprise, conservé par devers lui ces dossiers et ainsi privé son employeur de tout accès aux écritures comptables de ses propres clients, et qu'il avait dans le même temps cessé de facturer pour le compte de son employeur les prestations effectuées en matière sociale ; que la cour d'appel a encore relevé qu'il avait au cours de l'année 2007 adressé sa candidature à une société concurrente, le cabinet [W], en lui remettant une liste de seize clients de son employeur tout en prétendant qu'il s'agissait de sa propre clientèle, qu'il était en cours de préavis de démission et que la société CCGE du Sud était informée, ce qui avait conduit cette société concurrente à contacter la société CCGE du Sud en vue de la reprise du suivi de la comptabilité de ces clients ; que la cour d'appel en a déduit « son intention claire et non équivoque de s'approprier la clientèle de la société CCGE du Sud » ; qu'en jugeant néanmoins que M. [M] n'avait pas commis une faute lourde, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, en violation des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

2/ ALORS QUE le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs ; que la société CCGE du Sud faisait valoir que si Madame [W], lorsqu'elle avait compris que M. [M] avait détourné à son profit la clientèle de son employeur, s'était immédiatement retirée de tous ces dossiers et n'avait donc finalement pas repris les clients que M. [M] avait entendu lui apporter, ces derniers qui avaient résilié leur contrat avec la société CCGE du Sud n'étaient pas revenus sur leur résiliation, si bien que la perte de clientèle avait été effective et avait conduit à la fermeture du cabinet de [Localité 4] (conclusions d'appel de l'exposante p 25) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3/ ALORS QUE la faute lourde se caractérise par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; que la société CCGE du Sud faisait valoir qu'il résultait des pièces de la procédure pénale que M. [M] avait pris l'initiative en 2002 de créer une société concurrente, la société SIIT Action Plus, détenue par son épouse, dont 34 des 48 clients étaient des clients de la société CCGE du Sud ; qu'elle exposait qu'à l'insu de son employeur, M. [M] confiait à la société SIIT Action Plus le soin d'effectuer pour ces clients des prestations de saisie informatique et des prestations en matière sociale en mettant à sa disposition les moyens matériels de son employeur, et que ces prestations étaient facturées pour le compte de la société SIIT Action plus ; qu'elle ajoutait que la société SIIT Action Plus avait cessé son activité en septembre 2007 au moment même où la société CCGE du Sud avait commencé à suspecter les agissements déloyaux de son salarié (conclusions d'appel de l'exposante p. 16-22) ; qu'en s'abstenant de rechercher comme elle y était invitée si ces faits ne caractérisaient pas plus encore le détournement de clientèle opéré au préjudice de son employeur et l'intention du salarié de lui nuire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

4/ ALORS QUE la faute lourde se caractérise par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; que la société CCGE du Sud faisait valoir que M. [M] avait détourné des documents confidentiels appartenant à la société ainsi que cela ressortait des constats d'huissier ayant révélé la présence de documents comptables appartenant aux clients de la société CCGE du Sud au domicile de M. [M], qu'il n'avait pas restitués à son employeur (conclusions d'appel de l'exposante p. 16) ; qu'en s'abstenant de rechercher comme elle y était invitée si ces faits ne caractérisaient pas l'intention du salarié de nuire à son ancien employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 3141-26 du code du travail, dans leur rédaction applicable en la cause ;

5/ ALORS QUE les dommages-intérêts sont dus à hauteur du préjudice subi ; qu'en se fondant, par motifs éventuellement adoptés, sur la « situation économique » des parties et sur « l'équité » pour débouter l'employeur de sa demande de dommages-intérêts, la cour d'appel a violé le principe de la réparation intégrale.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00436
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