Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 6 avril 2022, 20-18.513, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 avril 2022




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 311 F-B

Pourvoi n° M 20-18.513




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 6 AVRIL 2022

1°/ [Z] [I], décédée, ayant été domiciliée [Adresse 7],

2°/ M. [Y] [I], domicilié [Adresse 1],

3°/ M. [N] [I], domicilié [Adresse 2],

agissant tous deux en qualité d'héritiers de [Z] [I],

ont formé le pourvoi n° M 20-18.513 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2020 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [X] [D], domicilié [Adresse 6],

2°/ à la société Clinique [9], société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],

3°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), dont le siège est [Adresse 11],

4°/ à la société Solimut mutuelle de France, dont le siège est [Adresse 8],

5°/ à la société mutuelles de France réseau Santé, dont le siège est [Adresse 5],

6°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de [Localité 10], dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Mornet, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de MM. [Y] et [N] [I], de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société Clinique [9], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Mornet, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à MM. [Y] et [N] [I] de leur reprise d'instance en qualité d'héritiers de [Z] [I], décédée le 20 septembre 2020.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à MM. [Y] et [N] [I] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [D].

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 9 juin 2020), le 26 décembre 2009, [Z] [I], présentant une fracture d'une cheville, a subi une ostéosynthèse pratiquée par M. [D] (le praticien) au sein de la clinique [9] (la clinique). Les suites opératoires ont été compliquées par un gonflement de la cheville et une inflammation nécessitant une nouvelle intervention, à l'occasion de laquelle les prélèvements réalisés ont mis en évidence la présence d'un staphyloccus aureus multisensible.

4. Les 16 et 25 mars 2015, après avoir sollicité une expertise judiciaire, [Z] [I] a assigné en indemnisation la clinique, le praticien et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM). Elle a mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 10], la société Solimut mutuelle de France Plus et la société Mutuelles de France réseau santé.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. MM. [Y] et [N] [I] font grief à l'arrêt de dire que l'infection contractée par [Z] [I] n'est pas nosocomiale, de mettre l'ONIAM hors de cause et de rejeter les demandes de [Z] [I], alors « que les établissements de santé sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ; que présente un tel caractère l'infection, d'origine exogène ou endogène, survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci ; qu'en jugeant, pour écarter le caractère nosocomial de l'infection post-opératoire à staphylocoque contractée par [Z] [I], survenue sur le site opératoire dans les jours suivant l'intervention chirurgicale, que [Z] [I] présentait un « état cutané anormal antérieur » caractérisé par la présence de plusieurs lésions et que le germe retrouvé sur le site opératoire infecté correspondait à celui trouvé sur sa peau, cependant que ni les prédispositions pathologiques de [Z] [I], ni le caractère endogène du germe à l'origine de l'infection n'étaient de nature à ôter à celle-ci son caractère nosocomial, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 I al. 2 du code de la santé publique. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique :

6. Selon le premier de ces textes, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère .


7. Selon le second, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale, les dommages résultant d'infections nosocomiales dans ces établissements, services ou organismes correspondant à un taux d'atteinte à l'intégrité physique ou psychique supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales.

8. Doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

9. Pour écarter le caractère nosocomial de l'infection contractée par [Z] [I], l'arrêt retient que celle-ci présentait un état cutané anormal antérieur à l'intervention caractérisé par la présence de plusieurs lésions, que le germe retrouvé au niveau du site opératoire correspondait à celui trouvé sur sa peau et que, selon l'expert judiciaire, son état de santé préexistant et son tabagisme chronique avaient contribué en totalité aux complications survenues.

10. En se déterminant ainsi, par des motifs tirés de l'existence de prédispositions pathologiques et du caractère endogène du germe à l'origine de l'infection ne permettant pas d'écarter tout lien entre l'intervention réalisée et la survenue de l'infection, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables la demande au titre de la responsabilité de M. [D] et la demande de nullité de l'expertise judiciaire, l'arrêt rendu le 9 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société Clinique [9] et l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour MM. [Y] et [N] [I]

Les consorts [I] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'infection contractée par Mme [I] n'était pas une infection nosocomiale, d'AVOIR mis l'Oniam hors de cause et d'AVOIR débouté Mme [I] de l'intégralité de ses prétentions ;

1°) ALORS QUE les établissements de santé sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère ; que présente un tel caractère l'infection, d'origine exogène ou endogène, survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celleci ; qu'en jugeant, pour écarter le caractère nosocomial de l'infection post-opératoire à staphylocoque contractée par Mme [I], survenue sur le site opératoire dans les jours suivant l'intervention chirurgicale, que Mme [I] présentait un « état cutané anormal antérieur » caractérisé par la présence de plusieurs lésions et que le germe retrouvé sur le site opératoire infecté correspondait à celui trouvé sur sa peau, cependant que ni les prédispositions pathologiques de Mme [I], ni le caractère endogène du germe à l'origine de l'infection n'étaient de nature à ôter à celle-ci son caractère nosocomial, la cour d'appel a violé l'article L. 1142-1 I al. 2 du code de la santé publique ;

2°) ALORS QUE seul un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur est susceptible de caractériser une cause étrangère exonérant un établissement de santé de la responsabilité de plein droit qu'il encourt à raison de la survenance d'une infection nosocomiale ; qu'en jugeant que « la preuve est rapportée d'une cause étrangère à l'infection litigieuse, laquelle exonère la clinique [9] de toute responsabilité pour les dommages résultant de ladite infection » (jugement confirmé, p. 5, § 6), sans constater que l'infection du site opératoire résultant de la présence de lésions cutanées visibles ou celle d'un germe aussi commun que le staphylococcus aureus revêtirait, pour la clinique, un caractère extérieur, imprévisible et irrésistible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1142-1 I al. 2 du code de la santé publique. ECLI:FR:CCASS:2022:C100311
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