Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 mars 2022, 21-10.210, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mars 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 331 F-D

Pourvoi n° H 21-10.210

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. [V].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 octobre 2020.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 MARS 2022

M. [C] [V], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° H 21-10.210 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [B] [K], société d'exercice libéral à responsabilité limitée [K], dont le siège est [Adresse 2], pris en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la société Robert Béranger,

2°/ à M. [Y] [Z], société d'exercice libéral à responsabilité limitée AJ Partenaires, dont le siège est [Adresse 5], pris en qualité d'administrateur judiciaire de la société Robert Béranger,

3°/ à l'association UNEDIC, délégation AGS-CGEA d'[Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [V], de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [K], ès qualités, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Monge, conseiller rapporteur, M. Rouchayrole, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Déchéance partielle du pourvoi, examinée d'office

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. Conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, avis a été donné aux parties qu'il serait fait application du texte susvisé.

2. En vertu de ce texte, à peine de déchéance, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.

3. M. [V] s'est pourvu en cassation, le 7 janvier 2021, contre un arrêt rendu le 2 juillet 2019 par la cour d'appel de Grenoble dans une instance qui l'opposait à la société Robert Béranger, la société [K], en sa qualité de mandataire judiciaire et la société AJ Partenaires, en celle d'administratrice judiciaire. Il n'a pas signifié le mémoire en demande à la société AJ Partenaires, qui n'a pas constitué avocat.

4. Il y a lieu, dès lors, de constater la déchéance du pourvoi en tant qu'il est dirigé contre la société AJ Partenaires ès qualités.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 2 juillet 2019), M. [V] a été engagé, le 1er octobre 2012, en qualité d'ouvrier de conditionnement par la société Robert Béranger (la société), spécialisée dans l'élevage, l'abattage, la transformation de cailles et oeufs de cailles, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel. Par avenants du 6 décembre 2012 puis du 30 avril 2013, il a été convenu d'un temps complet.

6. Licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement, il a, le 17 novembre 2015, saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre de l'exécution et de la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement au titre des heures complémentaires et supplémentaires accomplies, outre congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies et non d'étayer sa demande au préalable ; que le juge ne peut se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter une demande d'heures supplémentaires ; qu'en retenant, pour rejeter la demande du salarié, que celui-ci n'apportait aucun élément utile préalable étayant ses demandes d'heures complémentaires et supplémentaires, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à l'employeur son défaut de production spontané des feuilles de temps du salarié, la cour d'appel a fait peser sur le seul salarié la preuve des heures effectuées, en violation des articles L. 713-21 du code rural et L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

9. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

10. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

11. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

12. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures complémentaires et supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt retient que le salarié a effectivement produit des tableaux relatifs aux heures complémentaires et supplémentaires revendiquées mais que ceux-ci sont inexploitables dans la mesure où ils sont établis par mois et non par semaine alors qu'il s'agit du cadre du calcul des heures complémentaires et supplémentaires dans l'entreprise. Il en déduit que l'intéressé n'apporte pas au préalable d'éléments utiles à l'appui de sa demande.

13. Il relève que, s'agissant de la demande de production par l'employeur des feuilles de temps au visa de l'article R. 713-36 du code rural, elle ne figure pas dans le dispositif des conclusions qui seul lie la cour au visa de l'article 954 du code de procédure civile.

14. Il retient encore que leur défaut de production spontanée par l'employeur dans le cadre de la présente procédure n'est pas un moyen opérant au soutien des prétentions du salarié au titre des heures complémentaires et supplémentaires, nonobstant les obligations imposées par l'employeur au visa de l'article R. 713-36 du code rural s'agissant du décompte du temps de travail dans l'entreprise, les parties s'accordant sur le fait que le salarié remplissait lui-même les feuilles de temps, dès lors que ce dernier n'apportait aucun élément utile préalable étayant ses demandes d'heures complémentaires et supplémentaires.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en tant que dirigé contre la société AJ Partenaires ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [V] de sa demande en paiement au titre d'heures complémentaires et supplémentaires, outre congés payés afférents, ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il le condamne aux dépens, l'arrêt rendu le 2 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;

Condamne la société [K], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Robert Béranger, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société [K], ès qualités, à payer à la société [P] [Y] et [H] [X] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-deux.





MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [V]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [V] reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande de paiement de 13.361,31 euros au titre des heures supplémentaires et complémentaires accomplies, outre 1.336,13 euros au titre des congés payés afférents.

1°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que des décomptes mensuels d'heures de travail constituent des éléments suffisamment précis ; que pour débouter M. [V] de sa demande de paiement d'heures supplémentaires et complémentaires, la cour d'appel a retenu que le salarié n'apportait pas d'élément utile à l'appui de sa demande, faute pour lui de fournir des relevés d'heures mensuels et non hebdomadaires ; qu'en statuant ainsi, quand les éléments produits apparaissaient suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre sur les heures de travail accomplies, la cour d'appel a violé les articles L. 713-21 du code rural et L. 3171-4 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies et non d'étayer sa demande au préalable ; que le juge ne peut se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié pour rejeter une demande d'heures supplémentaires ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de M. [V], que le salarié n'apportait aucun élément utile préalable étayant ses demandes d'heures complémentaires et supplémentaires, de sorte qu'il ne pouvait être reproché à l'employeur son défaut de production spontané des feuilles de temps du salarié, la cour d'appel a fait peser sur le seul salarié la preuve des heures effectuées, en violation des articles L. 713-21 du code rural et L. 3171-4 du code du travail ;

3°) ALORS QU'aux termes de l'article R. 713-36 du code rural, l'employeur enregistre, chaque jour, le nombre d'heures de travail effectuées par le salarié ; qu'une copie du document est remise à chaque salarié, en même temps que sa paye ; que l'employeur peut sous sa responsabilité, confier au salarié le soin de procéder à l'enregistrement ; qu'une copie du document est remise au salarié qui en fait la demande ; qu'en exemptant l'employeur de produire les feuilles de temps du salarié au motif que celui-ci n'apportait aucun élément utile préalable étayant ses demandes, quand le code rural ne subordonne pas la remise des documents retraçant le temps de travail du salarié à une telle condition, la cour d'appel a violé l'article R. 713-36 du code rural.

SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [V] reproche à l'arrêt attaqué de l'AVOIR débouté de sa demande en paiement d'une somme de 10.202,85 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'une somme de 2.915,10 euros au titre d'une indemnité compensatrice de préavis, outre 291,51 euros au titre des congés payés afférents.

1°) ALORS QU'en retenant que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement, motifs pris d'une part, que le salarié ne démontrait pas exercer des fonctions de maintenance, et d'autre part, qu'il avait été embauché en qualité d'ouvrier de conditionnement - emploi mentionné sur ses bulletins de paie, quand le libellé de poste figurant sur les fiches de paie ne pouvait faire la preuve des fonctions réellement exercées et que la cour d'appel constatait que la fiche de temps du mois de mai 2013 faisait état de l'activité de maintenance du salarié, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants, privant sa décision de base légale au regard des articles L. 1226-2 et L. 1232-1 du code du travail ;

2°) ALORS QU'en retenant qu'aucun poste de maintenance n'était disponible dans l'entreprise, sans répondre aux conclusions de M. [V] selon lesquelles M. [W], salarié prétendument en charge de la maintenance, n'exerçait en réalité pas de telles fonctions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00331
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