Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 mars 2022, 19-20.658, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 mars 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. CATHALA, président



Arrêt n° 349 FP-B

Pourvoi n° X 19-20.658




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 MARS 2022

M. [F] [E], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° X 19-20.658 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2019 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [S] [I], domiciliée [Adresse 1], prise en qualité de mandataire ad hoc de M. [N] [V], exerçant sous l'enseigne Atelier auto Glass,

2°/ à l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge et de M. Pietton, conseillers, les observations de Me Balat, avocat de M. [E], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 27 janvier 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Monge et M. Pietton, conseillers corapporteurs, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, M. Rinuy, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Cavrois, Ott, Le Lay, conseillers, Mmes Ala, Prache, Chamley-Coulet, Pecqueur, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R.421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 17 janvier 2019), M. [E] a été engagé en qualité d'apprenti en carrosserie par M. [V], exploitant d'un garage, suivant contrat d'apprentissage à effet du 1er septembre 2014 au 31 août 2016. Le contrat a été rompu par l'employeur le 31 octobre 2014.

2. Par jugement du 25 août 2015, a été ouverte une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de l'employeur.

3. Contestant la régularité de la rupture, l'apprenti, le 10 décembre 2015, a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement de salaires.

4. La procédure de liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif le 6 décembre 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que son indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, alors « que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas légalement prévus est sans effet, de sorte que celui-ci est tenu de payer les salaires jusqu'au terme du contrat ; que dans ces conditions, les congés payés sont dus à l'apprenti ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 6222-18 et L. 1242-16 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 6222-18 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 :

6. Selon ce texte, le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties durant les deux premiers mois de l'apprentissage. Passé ce délai, la rupture du contrat, pendant le cycle de formation, ne peut intervenir que sur accord écrit signé des deux parties. A défaut, la rupture du contrat conclu pour une durée limitée ou, pendant la période d'apprentissage, du contrat conclu pour une durée indéterminée, ne peut être prononcée que par le conseil de prud'hommes, statuant en la forme des référés, en cas de faute grave ou de manquements répétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier auquel il voulait se préparer.

7. Il en résulte que la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas prévus par l'article susvisé est sans effet. Dès lors, l'employeur est tenu, sauf en cas de mise à pied, de payer les salaires jusqu'au jour où le juge, saisi par l'une des parties, statue sur la résiliation ou, s'il est parvenu à expiration, jusqu'au terme du contrat.

8. Pour fixer la créance de l'apprenti au passif de l'employeur à la somme de 12 201,14 euros à titre d'indemnité pour rupture irrégulière et dire que cette indemnité ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents, l'arrêt retient que l'apprenti est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu'au terme du contrat, que compte tenu du caractère indemnitaire de cette somme, le salarié ne peut prétendre aux congés payés afférents.

9. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la rupture unilatérale par l'employeur du contrat d'apprentissage était intervenue hors des cas prévus par la loi, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire que, la rupture étant sans effet, l'apprenti était fondé à prétendre au paiement des salaires dus jusqu'au terme du contrat, de sorte que ceux-ci ouvraient droit au paiement des congés payés afférents, a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. L'apprenti fait grief à l'arrêt de dire que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'était pas tenue à garantir les sommes qui lui sont dues, alors « que dans ses conclusions d'appel, l'Unedic faisait valoir "qu'aucune fixation de créance ne peut intervenir du fait de la clôture de la procédure, seule pouvant être obtenue une condamnation du débiteur, et le CGEA de Rouen devra donc être purement et simplement mis hors de cause" ; qu'en jugeant que la garantie de l'Unedic n'était pas due, en raison de la clôture de la procédure collective de M. [V], tout en fixant néanmoins la créance de M. [E] au passif de la procédure collective de M. [V], ce dont elle aurait dû déduire que la garantie de l'Unedic était due, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 643-11 du code de commerce et L. 3252-6 et L. 3252-8 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 625-1, alinéa 2, et L. 625-6 du code de commerce et les articles L. 3253-8 1° et L. 3253-15 du code du travail :

11. En application du premier de ces textes, le salarié dont la créance, née antérieurement à l'ouverture de la procédure collective, ne figure pas en tout ou partie sur un relevé, peut saisir à peine de forclusion le conseil de prud'hommes qui doit se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de la procédure collective.

12. Selon le deuxième texte, les relevés des créances résultant d'un contrat de travail visés par le juge-commissaire ainsi que les décisions rendues par les juridictions prud'homales sont portés sur l'état des créances déposé au greffe.

13. Selon le troisième texte, l'AGS couvre les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

14. Aux termes du quatrième texte, l'AGS avance les sommes correspondant à des créances établies par décision de justice exécutoire, même si les délais de garantie sont expirés et, lorsque le mandataire judiciaire a cessé ses fonctions, le greffier du tribunal adresse un relevé complémentaire à l'AGS à charge pour lui de reverser les sommes aux salariés et organismes concernés.

15. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'AGS doit garantir les sommes dues au salarié portées sur le relevé complémentaire établi à la suite d'une décision de la juridiction prud'homale rendue après la clôture de la liquidation judiciaire.

16. Pour dire que l'AGS n'est pas tenue à garantir les sommes dues à l'apprenti, l'arrêt retient qu'en application des dispositions de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui lui sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ce qui exclut que la garantie puisse intervenir lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée.

17. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

19. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Il sera dit que la créance de l'apprenti au titre des congés payés afférents aux salaires qui lui sont dus sera fixée au passif de l'employeur à la somme de 1 220,11 euros.

21. Il y a également lieu de dire que l'AGS doit garantir la créance de salaires de l'apprenti d'un montant de 13 421,25 euros.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que l'indemnité pour rupture irrégulière ne donne pas lieu à paiement de congés payés afférents et que l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen n'est pas tenue à garantir les sommes dues à M. [E], l'arrêt rendu le 17 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

FIXE au passif de M. [V] la créance de M. [E] au titre des congés payés afférents à l'indemnité pour rupture irrégulière à la somme de 1 220,11 euros ;

Dit que l'AGS doit garantir la créance de salaires de M. [E] d'un montant de 13 421,25 euros ;

Condamne l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'Unedic, délégation AGS-CGEA de Rouen à payer à M. [E] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [F] [E]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'indemnité due à M. [E] ne donnait pas lieu au paiement de congés payés afférents ;

AUX MOTIFS QUE l'article L. 6222-18 du code du travail, dans sa version applicable au litige, prévoit que le contrat d'apprentissage peut être rompu par l'une ou l'autre des parties pendant les deux premiers mois de l'apprentissage ; que passé ce délai, la rupture ne peut intervenir que sur accord écrit des deux parties ; qu'à défaut, la rupture du contrat ne peut être prononcée que par le conseil de prud'hommes en cas de faute grave ou de manquements répétés de l'une des parties à ses obligations ou en raison de l'inaptitude de l'apprenti à exercer le métier qu'il voulait préparer ; qu'en l'espèce, les parties ont régularisé le contrat d'apprentissage à effet au 1er septembre 2014 le 16 décembre 2014, lequel a été enregistré à la chambre de métiers de Seine-Maritime le 3 février 2015 ; qu'à la même date du 16 décembre 2014, M. [E] a signé un document intitulé « Constatation de la rupture du contrat d'apprentissage », précision faite que la rupture a eu lieu au cours de la période d'essai à la date du 31 octobre 2014 ; que la rupture pendant le délai de deux mois telle que prévue par les dispositions ci-dessus rappelées est applicable peu important que le contrat ait prévu ou non une période d'essai ; que la résiliation unilatérale ne peut intervenir que dans les deux premiers mois de l'apprentissage, peu important qu'à cette date le contrat soit enregistré ou non ; que la rupture unilatérale se situe à la date à laquelle l'employeur a manifesté sa volonté d'y mettre fin par la lettre notifiant la rupture ; qu'à défaut, elle n'est pas valable ; qu'en l'espèce, il n'est pas justifié par l'employeur de la notification de la rupture dans le délai de deux mois légalement prescrit, à savoir jusqu'au 31 octobre 2014, puisqu'il n'est pas discuté que le contrat a pris effet le 1er septembre 2014 et la signature par M. [E] le 16 décembre 2014 d'un document mentionnant que la rupture a eu lieu au cours de la période d'essai à effet au 31 octobre 2014 ne saurait se substituer à la charge de la preuve incombant à l'employeur consistant en la justification de la notification de la manifestation de sa volonté d'y mettre dans ce délai de deux mois, et ne peut valoir rupture d'un commun accord, lequel est démenti par le salarié et ne résulte pas des circonstances analysées, puisque le document régularisé le 16 décembre 2014 vise expressément la rupture pendant la période d'essai et non la rupture d'un commun accord ; que faute de justifier d'une rupture d'un commun accord ou d'un des motifs permettant la rupture du contrat au cours de son exécution, la rupture unilatérale le 31 octobre 2014 du contrat d'apprentissage est irrégulière et M. [E] est fondé à obtenir une indemnité équivalente au rappel de salaire jusqu'au terme prévu du contrat, soit le 31 août 2016, d'un montant de 12 201,14 €, la cour statuant dans les limites de la demande ; que compte tenu du caractère indemnitaire de cette somme, le salarié ne peut prétendre aux congés payés afférents ;

ALORS QUE la rupture par l'employeur d'un contrat d'apprentissage hors des cas légalement prévus est sans effet, de sorte que celui-ci est tenu de payer les salaires jusqu'au terme du contrat ; que dans ces conditions, les congés payés sont dus à l'apprenti ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles L. 6222-18 et L. 1242-16 du code du travail.


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'Unedic délégation AGS CGEA de Rouen n'était pas tenue à garantir les sommes dues à M. [E] ;

AUX MOTIFS QU'en application des dispositions de l'article L. 3253-6 du code du travail, tout employeur de droit privé assure ses salariés, y compris ceux détachés à l'étranger ou expatriés mentionnés à l'article L. 5422-13, contre le risque de non-paiement des sommes qui lui sont dues en exécution du contrat de travail, en cas de procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ce qui exclut que la garantie puisse intervenir lorsque la procédure de liquidation judiciaire a été clôturée ; qu'en conséquence, la garantie de l'Unedic délégation AGS CGEA de Rouen n'est pas due ;

ALORS QUE dans ses conclusions d'appel (p. 3 in fine), l'Unedic faisait valoir « qu'aucune fixation de créance ne peut intervenir du fait de la clôture de la procédure, seule pouvant être obtenue une condamnation du débiteur, et le CGEA de Rouen devra donc être purement et simplement mis hors de cause » ; qu'en jugeant que la garantie de l'Unedic n'était pas due, en raison de la clôture de la procédure collective de M. [V], tout en fixant néanmoins la créance de M. [E] au passif de la procédure collective de M. [V], ce dont elle aurait dû déduire que la garantie de l'Unedic était due, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles L. 643-11 du code de commerce et L. 3252-6 et L. 3252-8 du code du travail.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la créance de M. [E] au passif de M. [V] à la somme de 12.201,14 € à titre d'indemnité pour rupture irrégulière, sans condamner M. [V] à payer cette somme ;

AUX MOTIFS QU'en application des dispositions de l'article L. 643-11 du code de commerce, le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l'exercice individuel de leurs actions contre le débiteur, sauf si la créance résulte d'une condamnation pénale du débiteur ou de droits attachés à la personne du créancier ; qu'il est admis que la créance salariale ou indemnitaire d'un salarié résulte de droits attachés à la personne, de sorte qu'en cas de clôture pour insuffisance d'actif, le salarié recouvre l'exercice individuel de son action contre le débiteur, ce qui conduit à prononcer une condamnation, comme l'a justement fait valoir l'Unedic délégation AGS CGEA de Rouen ; que néanmoins, la cour observe que M. [E] ne l'a pas sollicitée, se limitant à demander qu'il soit déclaré créancier à l'égard de la liquidation judiciaire de M. [N] [V] ;

ALORS QUE le juge est tenu de donner ou de restituer aux actes litigieux leur exacte qualification sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'en retenant que M. [E] était fondé à agir en paiement contre M. [V] pour recouvrer sa créance indemnitaire dans le cadre du droit de poursuite individuelle dont il était titulaire à la suite de la clôture pour insuffisance d'actif de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'égard de l'employeur (arrêt attaqué, p. 5 in fine et p. 6, alinéa 1er), puis en refusant de condamner M. [V], représenté à l'instance par un mandataire ad hoc, dans le cadre de cette action individuelle, au seul motif que cette demande de condamnation n'était pas sollicitée (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 2), cependant qu'ayant restituée à la demande litigieuse son véritable fondement, elle devait y faire droit, la cour d'appel, en s'en abstenant, a violé l'article 12 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2022:SO00349
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