Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 9 mars 2022, 19-25.704, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2022




Rejet


M. MOLLARD, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 172 F-D

Pourvoi n° H 19-25.704




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 9 MARS 2022

La société Cofimo, société à responsabilité limitée, dont le siège est chez [Adresse 2], a formé le pourvoi n° H 19-25.704 contre l'arrêt rendu le 17 octobre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-3), dans le litige l'opposant à la société Océanis promotion, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme de Cabarrus, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez, avocat de la société Cofimo, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Océanis promotion, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), par acte du 13 septembre 2013, la société Océanis promotion a signé une promesse unilatérale de vente portant sur plusieurs parcelles de terrain en vue de la construction de logements, la société à responsabilité limitée Cofimo étant intervenue dans cette opération en qualité d'apporteur d'affaires. Un riverain ayant menacé de déposer un recours contre le permis de construire qui avait été accordé, la société Océanis promotion a signé avec lui un protocole d'accord prévoyant le versement d'une indemnité transactionnelle de 60 000 euros. Prétendant que la société Cofimo s'était engagée à prendre en charge la moitié de cette somme, la société Océanis promotion l'a assignée en paiement.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La société Cofimo fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Océanis promotion la somme de 30 000 euros avec intérêts légaux, alors :

« 1°/ que seul le gérant de la SARL est investi du pouvoir d'agir au nom de la personne morale à l'égard des tiers ; que sa nomination et la cessation de ses fonctions sont soumises à des règles de publicité qui tiennent en échec la théorie du mandat apparent ; qu'en décidant, en application de la théorie du mandat apparent, que la société Océanis promotion avait pu légitimement croire que M. [P] avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires d'une petite société comme la société Cofimo, dont il n'était pourtant que le salarié, du seul fait qu'il était son unique interlocuteur concernant la question de la rémunération dans trois mails, qu'il a déclaré intervenir pour le compte de cette société en terminant ses messages par "pour Cofimo", en employant le terme "nous" pour désigner la société Cofimo, et qu'elle envoyait tous ses courriels à l'adresse mail de la société Cofimo, et non à l'adresse mail personnelle de M. [P], la cour d'appel a violé les articles 1984 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 223-18, alinéa 5, du code de commerce ;

2°/ que si le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, ce n'est qu'à la condition que la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ; qu'en décidant, en application de la théorie du mandat apparent, que la société Océanis promotion avait pu légitimement croire que M. [P] avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires d'une petite société comme la société Cofimo, dont il n'était pourtant que le salarié, du seul fait qu'il était son unique interlocuteur concernant la question de la rémunération dans trois mails, qu'il a déclaré intervenir pour le compte de cette société en terminant ses messages par "pour Cofimo", en employant le terme "nous" pour désigner la société Cofimo, et qu'elle envoyait tous ses courriels à l'adresse mail de la société Cofimo, et non à l'adresse mail personnelle de M. [P], la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser les circonstances l'autorisant à ne pas vérifier les pouvoirs du préposé de la société Cofimo ; qu'ainsi, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 223-18, alinéa 5, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

3. D'une part, le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas à exclure qu'une telle société puisse être engagée sur le fondement d'un mandat apparent. Le grief de la première branche, qui postule le contraire, manque en droit.

4. D'autre part, il résulte des articles 1985 et 1998 du code civil qu'une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.

5. L'arrêt constate que, s'agissant de la rémunération de la société Cofimo, la société Oceanis promotion avait pour seul interlocuteur M. [P], salarié de cette petite société, que ce dernier a déclaré, dans trois courriels adressés à la société Océanis promotion, qu'il intervenait pour le compte de la société Cofimo, en employant le terme « nous » pour la désigner et en terminant ses messages par les mots « Pour Cofimo », et que la société Océanis promotion envoyait ses propres courriels à l'adresse mail de la société Cofimo et non à l'adresse mail personnelle de M. [P]. Il en déduit que la société Océanis promotion a pu légitimement croire que M. [P], qui a confirmé par écrit l'engagement de la société Cofimo concernant la rétrocession d'honoraires, avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires de cette société. En l'état de ces constatations et appréciations, caractérisant les circonstances autorisant la société Océanis promotion à ne pas vérifier les pouvoirs de M. [P], la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

6. Par conséquent, le moyen n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Cofimo aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Cofimo et la condamne à payer à la société Océanis promotion la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Boullez, avocat aux Conseils, pour la société Cofimo.

Le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société COFIMO à payer à la société OCEANIS PROMOTION, la somme de 30 000 € avec intérêts légaux ;

AUX MOTIFS QUE la société Océanis promotion invoque l'existence d'un mandat apparent au profit de M. [P], salarié de la société Cofimo, et la société Cofimo fait valoir qu'il appartenait à l'appelante de vérifier les pouvoirs de celui-ci ainsi que l'identité de la gérante de la société Cofimo ; que M. [P] a adressé à la société Océanis un courriel, à une date non précisée, en ces termes : "Suite à nos entretiens téléphoniques, et afin de vous permettre de réaliser l'acquisition de ce foncier, eu égard à la menace de recours du voisin [X], nous acceptons de baisser nos honoraires d'un montant de 30 000 euros (?) cordialement pour COFIMO [D] [P]" ; que le 25 septembre 2014, M. [P] a confirmé son courriel précédent en écrivant à M. [J] [F], directeur développement nord de la société Océanis promotion : "Suite à notre entretien de ce jour relatif à la vente en cours du terrain de M. [V] sis à Juvisy nous vous confirmons le point suivant : Afin de ne pas devoir repurger le DIA, nous sommes d'accord que le notaire en charge de cette vente, consigne en son étude un montant de 30 000 euros à prélever sur nos honoraires convenus de 92 500 HT lors du compromis de vente ; et ceci afin de pouvoir (le cas échéant) désintéresser le voisin de son intention de déposer un recours à l'encontre du permis de construire que vous avez obtenu. (?) pour COFIMO [D] [P]." ; qu'enfin le 14 octobre 2014, il a envoyé un courriel à M. [J] [F] en ces termes : "CHER [J] CI JOINTE FACTURE HONORAIRES COFIMO ; JE TE CONFIRME QUE J'ADRESSE UN COURRIER AU NOTAIRE CE JOUR LUI DEMANDANT DE CONSIGNER EN SON ÉTUDE LA SOMME FORFAITAIRE DE 30 000 EUROS À RETENIR SUR LE MONTANT DE NOS HONORAIRES SUITE À LA CONVENTION QUE VOUS AVEZ SIGNÉE AVEC LE VOISIN POUR LE DISSUADER D'EXERCER UN RECOURS CONTRE VOTRE PERMIS DE CONSTRUIRE DANS LE DÉLAI IMPARTI. CORDIALEMENT [D]" ; que la société Océanis promotion prouve ainsi avoir eu pour seul interlocuteur de la société Cofimo concernant la question de la rémunération de cet apporteur d'affaires, M. [P] qui, dans tous les mails, a déclaré intervenir pour le compte de cette société en terminant ses messages par "pour COFIMO", en employant le terme "nous" pour désigner la société Cofimo, étant précisé que la société Océanis promotion envoyait les courriels à l'adresse mail de la société Cofimo et non à l'adresse mail personnelle de M. [P] ; que la société Océanis a donc légitimement pu croire que M. [P], qui a confirmé par écrit l'engagement de la société Cofimo concernant la rétrocession d'honoraires, avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires de cette petite société ; que suivant protocole d'accord du 29 septembre 2014, la société Océanis promotion s'est engagée à réaliser des travaux au domicile de M. [X] et à verser à celui-ci une indemnité transactionnelle de 60 000 euros moyennant la renonciation de M. [X] à tous recours contre le permis de construire. ; que la société Océanis promotion prouve avoir versé au total la somme de 60 000 euros à M. [X] en vertu du protocole d'accord susvisé ; que la société Cofimo sera donc condamnée à payer à la société Océanis promotion la somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 octobre 2015 ;

1. ALORS QUE seul le gérant de la SARL est investi du pouvoir d'agir au nom de la personne morale à l'égard des tiers ; que sa nomination et la cessation de ses fonctions sont soumises à des règles de publicité qui tiennent en échec la théorie du mandat apparent ; qu'en décidant, en application de la théorie du mandat apparent, que la société OCEANIS PROMOTION avait pu légitimement croire que M. [P] avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires d'une petite société comme la société COFIMO, dont il n'était pourtant que le salarié, du seul fait qu'il était son unique interlocuteur concernant la question de la rémunération dans trois mails, qu'il a déclaré intervenir pour le compte de cette société en terminant ses messages par « pour COFIMO », en employant le terme « nous » pour désigner la société COFIMO, et qu'elle envoyait tous ses courriels à l'adresse mail de la société COFIMO, et non à l'adresse mail personnelle de M. [P], la cour d'appel a violé les articles 1984 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 223-18, alinéa 5, du code de commerce ;

2. ALORS subsidiairement QUE si le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, même en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, ce n'est qu'à la condition que la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire soit légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient le tiers à ne pas vérifier les limites exactes de ces pouvoirs ; qu'en décidant, en application de la théorie du mandat apparent, que la société OCEANIS PROMOTION avait pu légitimement croire que M. [P] avait le pouvoir de prendre la décision de réduire les honoraires d'apporteur d'affaires d'une petite société comme la société COFIMO, dont il n'était pourtant que le salarié, du seul fait qu'il était son unique interlocuteur concernant la question de la rémunération dans trois mails, qu'il a déclaré intervenir pour le compte de cette société en terminant ses messages par « pour COFIMO », en employant le terme « nous » pour désigner la société COFIMO, et qu'elle envoyait tous ses courriels à l'adresse mail de la société COFIMO, et non à l'adresse mail personnelle de M. [P], la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser les circonstances l'autorisant à ne pas vérifier les pouvoirs du préposé de la société COFIMO ; qu'ainsi, elle a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 223-18, alinéa 5, du code de commerce. ECLI:FR:CCASS:2022:CO00172
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