Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 9 mars 2022, 20-22.444, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2022




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 199 FS-B

Pourvoi n° J 20-22.444




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 MARS 2022

1°/ l'association Sherpa, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ l'association Les Amis de la terre France, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° J 20-22.444 contre l'arrêt rendu le 17 septembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 2), dans le litige les opposant à la société Perenco, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Hascher, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des associations Sherpa et Les Amis de la terre France, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Perenco, et l'avis de Mme Legohérel, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 18 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Hascher, conseiller rapporteur, M. Vigneau, conseiller doyen, M. Avel, Mme Guihal, M. Bruyère, conseillers, M. Vitse, Mmes Champ, Robin-Raschel, conseillers référendaires, Mme Legohérel, avocat général référendaire, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 septembre 2020), les associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France ont assigné en référé la société Perenco devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un huissier de justice afin de procéder à des constatations au sein des locaux de cette société, situés en France, en vue d'établir la preuve de faits de nature à engager sa responsabilité en raison de dommages environnementaux survenus en République démocratique du Congo.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Les associations Sherpa et Les Amis de la terre France font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors « que la qualité à agir d'une association de défense de l'environnement établie en France exerçant une action, fût-elle attitrée, aux fins de solliciter toutes mesures tendant à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un procès en vue d'engager la responsabilité d'une société dont le siège social est situé en France, pour des atteintes à l'environnement constatées à l'étranger, est déterminée selon la lex fori ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la terre France tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République démocratique du Congo par la société Perenco dont le siège social est situé en France, à raison de son "contrôle de fait" et de son "influence dominante" sur les sociétés du groupe opérant en RDC, après avoir constaté la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître d'une telle action, puis considéré qu'il n'était pas justifié de ce que la loi Congolaise selon elle applicable en vertu de la règle de conflit conférait aux associations qualité à agir, la cour d'appel, qui a apprécié la qualité à agir par application de la lex causae et ainsi méconnu la règle de conflit, a violé les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile :

4. Il résulte de ces textes que la qualité à agir d'une association pour la défense d'un intérêt collectif en vue d'obtenir une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile s'apprécie, non au regard de la loi étrangère applicable à l'action au fond, mais selon la loi du for en ce qui concerne les conditions d'exercice de l'action et selon la loi du groupement en ce qui concerne les limites de l'objet social dans lesquelles celle-ci est exercée.

5. Pour déclarer irrecevable la demande des associations, l'arrêt retient que celles-ci ne justifient pas, s'agissant d'une action attitrée, que la loi congolaise leur donnerait qualité pour agir au titre de dommages survenus en République démocratique du Congo.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Perenco aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par celle-ci et la condamne à payer aux associations Sherpa et Les Amis de la terre France la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

Le conseiller rapporteur le president

Le greffier de chambre

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour les associations Sherpa et Les Amis de la terre France

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Les associations Sherpa et Les Amis de la Terre France font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit irrecevable leur demande d'instruction in futurum pour défaut de qualité, ALORS QUE tout intéressé peut solliciter du juge des référés une mesure d'instruction s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, sous la simple réserve que l'action envisagée ne soit pas manifestement irrecevable ou vouée à l'échec ; qu'il appartient seulement au juge des référés saisi d'une telle demande de vérifier si le demandeur se prévaut d'éléments de fait de nature à caractériser un litige potentiel, sans pouvoir exiger qu'il précise le fondement juridique de l'action envisagée ni a fortiori la démonstration de son bien-fondé, sauf à excéder son office ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la Terre France tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République Démocratique du Congo découlant de décisions prises par une société établie en France, au terme d'un raisonnement à double détente, au cours duquel elle a tranché les différends existant entre les parties quant à la mise en oeuvre de la règle de conflit de lois, d'abord, en jugeant que la loi applicable à la qualité à agir était la lex causae (cf arrêt, p. 10, trois derniers § et p. 11, § 1 et 2), ce qui l'a conduite, ensuite, à rechercher la loi applicable à l'action envisagée au fond en application du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dont la mise en oeuvre était discutée entre les parties (cf arrêt, p. 11, § 2 et s.), d'où elle a déduit que les associations françaises ne justifiaient pas que la loi congolaise leur donnerait qualité pour agir, la cour d'appel, qui a excédé son office au regard de la recherche du motif légitime exigé pour faire droit à une requête tendant à la mise en place d'une mesure d'instruction in futurum avant tout procès, a violé l'article 145 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Les associations Sherpa et Les Amis de la Terre France font grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit irrecevable leur demande d'instruction in futurum pour défaut de qualité,

1° ALORS QUE la qualité à agir d'une association de défense de l'environnement établie en France exerçant une action, fût-elle attitrée, aux fins de solliciter toutes mesures tendant à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un procès en vue d'engager la responsabilité d'une société dont le siège social est situé en France, pour des atteintes à l'environnement constatées à l'étranger, est déterminée selon la lex fori ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la Terre tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République Démocratique du Congo par la société Perenco dont le siège social est situé en France, à raison de son « contrôle de fait » et de son « influence dominante » sur les sociétés du groupe opérant en RDC (cf arrêt, p. 10, § 3), après avoir constaté la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître d'une telle action, puis considéré qu'il n'était pas justifié de ce que la loi congolaise selon elle applicable en vertu de la règle de conflit conférait aux associations qualité à agir, la cour d'appel, qui a apprécié la qualité à agir par application de la lex causae et ainsi méconnu la règle de conflit, a violé les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile ;

2° ALORS QUE tout intéressé peut solliciter du juge une mesure d'instruction s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, sous réserve que l'action envisagée ne soit pas manifestement irrecevable ou vouée à l'échec ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations de droit français Sherpa et Les Amis de la Terre tendant à solliciter une mesure d'instruction in futurum dans l'optique d'un procès en réparation de dommages causés à l'environnement en République Démocratique du Congo découlant du comportement et de décisions prises par une société établie en France, au terme d'un raisonnement à double détente, au cours duquel elle a, tout d'abord, tranché un premier conflit de lois en considérant que la loi applicable à la qualité à agir était la lex causae (cf arrêt, p. 10, trois derniers § et p. 11, § 1 et 2), ce qui l'a conduite, ensuite, à trancher un second conflit de lois en recherchant la loi applicable à l'action envisagée au fond en application du règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dont la mise en oeuvre posait des difficultés (cf arrêt, p. 11, § 2 et s.), d'où elle a déduit que les associations françaises ne justifiaient pas que la loi congolaise leur donnerait qualité pour agir, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à établir que l'action envisagée était manifestement irrecevable ou vouée à l'échec, a violé les articles 31 et 145 du code de procédure civile ;

3° ALORS QUE la mise en oeuvre, sur le territoire français, de mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile est soumise à la loi française et n'impose pas au juge de caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction au regard de la loi susceptible d'être appliquée à l'action au fond qui sera éventuellement engagée ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations requérantes aux fins de désignation d'un huissier chargé de se rendre au siège social de la société Perenco situé en France pour y recueillir certaines informations dans l'optique d'une action en responsabilité à l'encontre de cette société, au motif qu'il n'était pas justifié que la loi congolaise selon elle applicable confèrerait qualité à agir à des associations en charge de la défense d'intérêts collectifs établies en France, à raison de dommages survenus en République Démocratique du Congo, la cour d'appel a violé les articles 3 du code civil, 31 et 145 du code de procédure civile ;

4° ALORS QUE au regard du conflit de lois, le demandeur en réparation d'un dommage environnemental ou de dommages subséquents peut, à son choix, invoquer soit la loi du pays de survenance du dommage, soit la loi du pays dans lequel le fait générateur du dommage s'est produit ; que s'agissant d'atteintes à l'environnement subies en République Démocratique du Congo à raison du « contrôle de fait » et de l'« influence dominante » exercée par une société dont le siège social est situé en France, sur les sociétés du groupe opérant en RDC, le fait générateur du dommage est localisé en France, de sorte que la loi française a vocation à s'appliquer ; qu'en refusant de l'admettre et en estimant que la loi congolaise était exclusivement applicable à l'action en responsabilité au titre d'atteintes à l'environnement matériellement subies en République Démocratique du Congo dès lors que « le lieu d'émission des substances polluantes et le lieu de survenance des dommages (?) sont tous les deux situés en République Démocratique du Congo » (cf arrêt, p. 11, antépénultième §), la cour d'appel a violé l'article 7 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles par refus d'application ;

5° ALORS QU'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu ; qu'en déclarant irrecevable la demande des associations requérantes après s'être bornée à relever que celles-ci ne justifiaient pas que la loi congolaise selon elle applicable donnerait qualité à des associations françaises pour agir au titre d'une action en réparation de préjudice moral pour atteinte aux intérêts collectifs qu'elles représentent (cf arrêt, p. 12/13), quand il lui appartenait de vérifier ce point en recherchant la teneur du droit congolais sur la question précisément en litige, le cas échéant d'office ou avec le concours des parties, la cour d'appel, qui a méconnu son office, a violé l'article 3 du code civil.
Le greffier de chambre ECLI:FR:CCASS:2022:C100199
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