Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 mars 2022, 20-22.261, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mars 2022




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 258 FS-B
sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches

Pourvoi n° K 20-22.261




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 MARS 2022

La société Orano chimie enrichissement, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Orano cycle, a formé le pourvoi n° K 20-22.261 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant au syndicat Confédération générale du travail Force ouvrière de l'Energie Nucléaire de la Hague, dont le siège est [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Flores, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Orano chimie enrichissement, et l'avis de M. Desplan, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Flores, conseiller rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mme Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Thomas-Davost, Techer, conseillers référendaires, M. Desplan, avocat général, et Mme Jouanneau greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 novembre 2020), un préavis de grève illimité a été déposé par plusieurs organisations syndicales de la société Orano cycle, qui exploite à La Hague un centre de traitement de combustibles employant environ 3 170 salariés. Le site a été affecté par une grève jusqu'au 18 janvier 2018.

2. A compter du 1er janvier 2018, l'employeur a imposé aux salariés non-grévistes de prendre des congés au cours des deux premières semaines de janvier en invoquant la paralysie du site en raison de la grève, laquelle faisait suite à une période de maintenance de deux mois.

3. Le syndicat Confédération générale du travail Force ouvrière de l'Energie Nucléaire de La Hague a saisi un tribunal de grande instance d'une demande tendant à la reconnaissance de l'illicéité de cette mesure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire illicite la fixation par lui de congés payés imposés sans respect du délai de prévenance, alors :

« 1° / que la cinquième semaine de congés payés, qui s'ajoute au congé annuel de quatre semaines garanti par la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, est soumise à un régime juridique particulier, distinct du régime applicable aux quatre premières semaines ; que la cinquième semaine n'est pas soumise aux règles de fractionnement et connaît diverses dérogations aux principes d'effectivité et d'annualité de la prise du congé, les jours de congés payés de la cinquième semaine pouvant être abandonnés en contrepartie d'un abondement du compte épargne temps, cédés à un autre salarié dans certains cas ou reportés et cumulés au maximum sur six années jusqu'au départ du salarié en congé pour création d'entreprise ou congé sabbatique ; qu'il en résulte que la fixation de la date des congés payés de la cinquième semaine n'est pas soumise aux règles applicables au congé principal de quatre semaines et, en particulier, au délai de prévenance d'un mois ; qu'en affirmant cependant, par motifs propres, que les dispositions de l'article L. 3141-16 du code du travail relatives à la fixation de la période de prise des congés et à la détermination de l'ordre et de la date des départs s'appliquent à tous les congés payés, sans distinction entre le congé principal correspondant à quatre semaines et les congés au-delà et, par motifs adoptés, qu'aucun texte n'autorise l'employeur à fixer les jours de la cinquième semaine sans respect de délai de prévenance, pour juger que la société Orano Cycle ne pouvait imposer aux salariés la prise des jours de congés payés excédant quatre semaines sans respecter un délai de prévenance d'un mois, la cour d'appel a violé les articles L. 3141-16 et D. 3141-6, ensemble les articles L. 3141-17, L. 3151-2, L. 3142-25, L. 3142-120 et L. 3142-35 du code du travail ;

2°/ que les dispositions légales encadrant la prise des congés payés ne sont pas applicables, sauf disposition conventionnelle contraire, aux congés payés d'origine conventionnelle, ni a fortiori aux jours de RTT qui constituent la contrepartie des heures de travail accomplies au-delà de la durée légale du travail ; qu'en l'espèce, la société Orano Cycle soutenait que l'article L. 3141-16 du code du travail n'est pas applicable aux congés supplémentaires d'origine conventionnelle, ni aux jours de repos – JRTT employeur, de sorte qu'elle avait pu imposer la prise de jours de congés supplémentaires conventionnels et de jours de repos sans respecter le délai de prévenance d'un mois ; qu'en affirmant cependant que l'article L. 3141-16 du code du travail a une portée générale, quelle que soit l'origine des congés, et s'applique aussi bien aux congés d'origine légale qu'aux congés d'origine conventionnelle, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 3141-16 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 3141-16 du code du travail, à défaut de stipulation dans la convention ou l'accord conclus en application de l'article L. 3141-15, l'employeur ne peut, sauf en cas de circonstances exceptionnelles, modifier l'ordre et les dates de départ moins d'un mois avant la date de départ prévue. Il résulte de ce texte qu'aucune distinction n'est faite entre les quatre premières semaines et la cinquième semaine de congés.

7. Sauf disposition contraire, la même règle s'applique aux congés d'origine conventionnelle.

8. Après avoir énoncé à bon droit qu'il n'y avait pas lieu de distinguer selon que les congés concernés relevaient de la cinquième semaine ou étaient d'origine conventionnelle, la cour d'appel, qui a constaté que l'employeur ne justifiait pas de circonstance exceptionnelles et avait imposé aux salariés de prendre des congés sans respecter le délai de prévenance, a exactement décidé qu'un tel dispositif était illicite.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Orano chimie enrichissement, venant aux droit de la société Orano cycle aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Orano cycle ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Orano chimie enrichissement, venant aux droits de la société Orano cycle

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Orano Cycle fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement ayant dit illicite la fixation, par la société Orano Cycle, de congés payés imposés sans respect du délai de prévenance d'un mois ;

1. ALORS QUE la cinquième semaine de congés payés, qui s'ajoute au congé annuel de quatre semaines garanti par la Directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003, est soumise à un régime juridique particulier, distinct du régime applicable aux quatre premières semaines ; que la cinquième semaine n'est pas soumise aux règles de fractionnement et connaît diverses dérogations aux principes d'effectivité et d'annualité de la prise du congé, les jours de congés payés de la cinquième semaine pouvant être abandonnés en contrepartie d'un abondement du compte épargne temps, cédés à un autre salarié dans certains cas ou reportés et cumulés au maximum sur six années jusqu'au départ du salarié en congé pour création d'entreprise ou congé sabbatique ; qu'il en résulte que la fixation de la date des congés payés de la cinquième semaine n'est pas soumise aux règles applicables au congé principal de quatre semaines et, en particulier, au délai de prévenance d'un mois ; qu'en affirmant cependant, par motifs propres, que les dispositions de l'article L. 3141-16 du code du travail relatives à la fixation de la période de prise des congés et à la détermination de l'ordre et de la date des départs s'appliquent à tous les congés payés, sans distinction entre le congé principal correspondant à quatre semaines et les congés au-delà et, par motifs adoptés, qu'aucun texte n'autorise l'employeur à fixer les jours de la cinquième semaine sans respect de délai de prévenance, pour juger que la société Orano Cycle ne pouvait imposer aux salariés la prise des jours de congés payés excédant quatre semaines sans respecter un délai de prévenance d'un mois, la cour d'appel a violé les articles L. 3141-16 et D. 3141-6, ensemble les articles L. 3141-17, L. 3151-2, L. 3142-25, L. 3142-120 et L. 3142-35 du code du travail ;

2. ALORS, AU SURPLUS, QUE les dispositions légales encadrant la prise des congés payés ne sont pas applicables, sauf disposition conventionnelle contraire, aux congés payés d'origine conventionnelle, ni a fortiori aux jours de RTT qui constituent la contrepartie des heures de travail accomplies au-delà de la durée légale du travail ; qu'en l'espèce, la société Orano Cycle soutenait que l'article L. 3141-16 du code du travail n'est pas applicable aux congés supplémentaires d'origine conventionnelle, ni aux jours de repos – JRTT employeur, de sorte qu'elle avait pu imposer la prise de jours de congés supplémentaires conventionnels et de jours de repos sans respecter le délai de prévenance d'un mois ; qu'en affirmant cependant que l'article L. 3141-16 du code du travail a une portée générale, quelle que soit l'origine des congés, et s'applique aussi bien aux congés d'origine légale qu'aux congés d'origine conventionnelle, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 3141-16 du code du travail ;

3. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QU' en cas de circonstances exceptionnelles, l'employeur peut modifier les dates de congés moins d'un mois avant la date du départ en congés ; que lorsque, par sa prolongation et les actions répétées de blocage l'accompagnant, une grève conduit à paralyser l'activité de l'entreprise, l'employeur se trouve dans une situation contraignante qui lui permet de placer les salariés non-grévistes en chômage technique ; qu'une telle situation constitue donc nécessairement une circonstance exceptionnelle autorisant l'employeur à imposer la prise de congés, sans respecter le délai de prévenance d'un mois ; qu'en l'espèce, la société Orano Cycle soutenait que le mouvement de grève, qui avait débuté le 3 décembre 2017 et s'était prolongé jusqu'au 18 janvier 2018, avait empêché le redémarrage des installations du site de La Hague placées à l'arrêt pendant deux mois pour maintenance, en raison d'actions répétées de blocage d'accès au site et qu'ayant épuisé les possibilités de réaffectation sur des tâches annexes, elle avait dû, pour éviter de placer le personnel non-gréviste en chômage technique, imposer, après un mois de grève, la prise de jours de congés dépassant les quatre premières semaines de congés ; que, de son côté, s'il critiquait la licéité de cette mesure, le syndicat FO reconnaissait que le mouvement de grève avait « eu pour effet de paralyser substantiellement l'activité de l'usine » et que la direction avait imposé la prise de congés « faute de tâches annexes en nombre suffisant » ; qu'en se bornant à affirmer que le mouvement grève, tel qu'il était décrit par les parties, ne constitue pas une circonstance de nature exceptionnelle au sens de l'article L. 3141-16 du code du travail, sans rechercher si cette grève n'avait pas entraîné une paralysie de l'activité du site qui autorisait l'employeur à placer le personnel nongréviste en chômage technique et, pour éviter ou différer cette mesure, à imposer la prise de congés sans respecter le délai de prévenance d'un mois, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3141-16 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE

La société Orano Cycle fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR, par confirmation du jugement entrepris ayant dit illicite la fixation, par la société Orano Cycle, de congés payés imposés sans respect du délai de prévenance d'un mois, rejeté la demande de la société Orano Cycle tendant à voir dire que les conditions de mise en chômage technique étaient réunies à la date à laquelle a été mise en oeuvre la mesure contestée d'imposition de jours de congés et qu'aucune rémunération n'étant donc due au titre des journées non-travaillées, les sommes le cas échéant perçues à ce titre par les salariés de l'établissement de La Hague, à défaut de correspondre à un droit à congé, pourront alors donner lieu à remboursement par application des articles 1302 et 1302-1 du code civil ;

ALORS QUE l'illicéité de la décision de l'employeur d'imposer la prise de congés payés prive de cause l'indemnité de congés payés versée en contrepartie de ces jours de congés ; que dès lors que l'employeur se trouvait, à la date de ces jours de congés, dans une situation contraignante l'empêchant de fournir du travail au salarié, aucune rémunération n'est due au salarié au titre de ces jours non-travaillés ; qu'en affirmant cependant, en l'espèce, que la société Orano Cycle ne peut demander le remboursement de l'indemnité de congés payés versée aux salariés au titre des congés payés imposés, de manière irrégulière, pendant le mouvement de grève, au motif inopérant qu'elle a pris l'initiative de recourir aux congés forcés excluant ainsi le recours au chômage technique, sans rechercher si elle n'était pas dans une situation contraignante qui l'autorisait à placer les salariés en situation de chômage technique et la dispensait ainsi de leur fournir du travail, de sorte qu'aucune rémunération n'était due aux salariés au titre de ces journées nontravaillées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1302-1 (anciennement 1376) et 1231-1 (anciennement 1147) du code civil. ECLI:FR:CCASS:2022:SO00258
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