Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 février 2022, 19-17.871, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 360 FS-B sur le deuxième moyen

Pourvoi n° T 19-17.871




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 FÉVRIER 2022

M. [F] [M], domicilié [Adresse 4]), a formé le pourvoi n° T 19-17.871 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 6), dans le litige l'opposant à la Société générale, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La Société générale a formé un pourvoi incident préalable contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les sept moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, les deux moyens de cassation également annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Monge, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [M], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société générale, et l'avis écrit de Mme Rémery, avocat général, et celui oral de Mme Grivel, avocat général lors de l'audience publique du 23 novembre 2021, après débats en l'audience publique du 1er février 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Monge, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, MM. Barincou, Seguy, conseillers, Mmes Prache, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 janvier 2019), M. [M] a été engagé à compter du 1er octobre 2008 en qualité de directeur fiscal par la société Newedge Group (la société Newedge). Son contrat était soumis à la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000. Le 1er mars 2012, il a été promu au grade de « senior director », puis, le 5 mars 2014, à celui de « managing director ».

2. A l'occasion du rachat par la Société générale, détentrice de 50 % des parts de la société Newedge, des parts restantes, un contrat de cession de parts a été conclu en décembre 2013 et des discussions ont été entreprises pour préparer l'absorption de la société Newedge par la Société générale.

3. Par lettre du 31 juillet 2014, la société Newedge a notifié au salarié son licenciement pour insuffisance professionnelle.

4. Arguant de ce que son licenciement serait, en réalité, la conséquence d'une alerte qu'il avait lancée le 17 juin 2014, le salarié a, le 9 octobre 2014, saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir, à titre principal, le prononcé de la nullité de son licenciement, à titre subsidiaire, la reconnaissance de ce qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et paiement de diverses sommes de nature salariale ou indemnitaire.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi incident de l'employeur, le premier moyen, pris en sa seconde branche, et les quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal du salarié, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen du pourvoi incident qui n'est pas recevable ni sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et d'une indemnité pour travail dissimulé, alors « que l'employeur est tenu d'organiser avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, un entretien annuel portant sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié ; que pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que les dispositions de l'accord de branche garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, que chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude de travail qu'à la charge de travail et qu'il est établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, et que des solutions ont été recherchées et trouvées ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié avaient été évoquées au cours de ces entretiens, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 3121-46 du code du travail dans sa rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que chaque entretien annuel réservait une partie tant à l'amplitude du travail qu'à la charge de travail et qu'il était suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié avait pu y exprimer ses besoins, qu'il avait été écouté, et que des solutions avaient été recherchées et trouvées, la cour d'appel a fait ressortir que l'employeur avait veillé à la surcharge de travail, y avait remédié et qu'était assuré le contrôle de la durée maximale raisonnable de travail.

8. Elle a ainsi pu retenir, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que les garanties mises en place par l'accord avaient été effectives et en a justement déduit que le salarié serait débouté de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et de ses demandes subséquentes, alors « que le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié à qui il était seulement reproché d'avoir usé, sans abus de sa part, de sa liberté d'expression, est entaché de nullité ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement et en concluant à une simple absence de cause réelle et sérieuse, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le salarié ait exprimé son désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La Société générale conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'un licenciement ne pouvant être à la fois nul et sans cause réelle et sérieuse, le salarié, qui n'a pas remis en cause les chefs de dispositif de l'arrêt ayant jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse et alloué des dommages-intérêts à ce titre, est irrecevable à critiquer le chef de dispositif rejetant sa demande tendant à faire juger son licenciement nul.

12. Cependant, il ressort des conclusions du salarié que celui-ci avait formé, à titre principal, la demande tendant à faire déclarer son licenciement nul et, à titre subsidiaire, celle tendant à le faire reconnaître sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel a rejeté la demande principale et accueilli la demande subsidiaire.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

14. Il résulte de ces textes que sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

15. Le licenciement prononcé par l'employeur pour un motif lié à l'exercice non abusif par le salarié de sa liberté d'expression est nul.

16. Pour débouter le salarié de sa demande en nullité de son licenciement, l'arrêt, après avoir relevé que l'expression par le salarié de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] était au c?ur des reproches faits par l'employeur et constaté qu'aucun des éléments versés aux débats ne démontrait que le salarié se fût exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux, retient que l'intéressé n'a pas abusé de sa liberté d'expression et que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que les propos litigieux sur lesquels était fondé le licenciement ne caractérisaient pas un abus par le salarié de sa liberté d'expression, la cour d'appel, qui aurait dû en déduire la nullité du licenciement, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, et le sixième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, réunis

Enoncé du moyen

18. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à faire ordonner la publication de la décision, alors :

« 1°/ que lorsque le licenciement irrégulier est, au surplus, déclaré nul, l'irrégularité de procédure doit être réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ; que partant, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen relatif à la nullité du licenciement entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ici querellé, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entraînera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 624 du code de procédure civile :

19. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne la cassation, par voie de conséquence, des chefs du dispositif relatifs à l'indemnité pour non-respect de la procédure et à la publication de la décision, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Portée et conséquences de la cassation

20. La cassation prononcée sur le deuxième moyen du pourvoi principal entraîne, par application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le septième moyen du pourvoi principal et le premier moyen du pourvoi incident se rapportant à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [M] de sa demande tendant à voir dire son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité, dit que le licenciement de M. [M] est sans cause réelle et sérieuse, condamne la Société générale à payer à M. [M] les sommes de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, déboute M. [M] de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure et de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, l'arrêt rendu le 16 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la Société générale aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société générale et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [M], demandeur au pourvoi principal


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat de travail et d'une indemnité pour travail dissimulé.

AUX MOTIFS QUE le contrat de travail de M. [M] comporte une clause de forfait en jour et M. [M] a signé le 4 juillet 2009 une convention individuelle de forfait jour, rappelant l'accord d'entreprise sur la RTT du 29 mai 2008 relatif à la réduction du temps de travail, fixant ce forfait à 211 jours par an ; qu'il invite le salarié à respecter les obligations de repos minimal fixé par la loi soit 11 heures par jour et 35 heures par semaine ; qu'aux termes de l'article L. 3121-39 du code du travail, « La conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention collective ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle de travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions » ; qu'en application de l'article L. 3121-43 du code du travail, « Peuvent conclure une convention de forfait en jours sur l'année dans la limite de la durée annuelle de travail fixée par l'accord collectif prévu à l'article L. 3121-39 du code du travail : 1° Les cadres qui disposent d'une autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps et dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l'horaire collectif applicable au sein de l'atelier, du service ou de l'équipe auquel ils sont intégrés ; 2° Les salariés dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leurs sont confiées » ; qu'enfin, l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa version alors en vigueur, prévoit qu' « un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. » ; que l'accord de branche du 29 mai 2001 relatif à l'ARTT concernant les entreprises de la convention collective de la banque, prévoit que l'organisation du travail devra faire l'objet d'un suivi régulier par la hiérarchie qui veillera notamment aux éventuelles surcharges de travail, devra dans ce cas procéder à une analyse de la situation, prendre le cas échéant toutes dispositions adaptées pour respecter en particulier la durée minimale du repos quotidien et ne pas dépasser le nombre de jours travaillés ; que cet accord annexé à la convention collective s'applique au contrat de travail de M. [M] qui vise la convention collective de la banque ; que ces dispositions garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, et donc d'une durée maximale raisonnable de travail ; que la convention de forfait de M. [M] n'est donc pas nulle, peu important qu'un autre accord soit visé dans cette convention, cette circonstance ne rendant pas inapplicable l'accord du 29 mai 2001 ; qu'en outre chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude du travail, qu'à la charge de travail et il est suffisamment établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que M. [M] a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, a été écouté, et que des solutions ont été recherchées et trouvées, Mme [J] approuvant par exemple une demande d'aide ponctuelle formulée par M. [M] ; que les garanties mises en place par l'accord ont donc été effectives ; que M. [M] sera donc débouté tant de sa demande en paiement d'heures supplémentaires que de sa demande de dommages-intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat et de sa demande en paiement d'une indemnité pour travail dissimulé.

1° ALORS QUE l'employeur est tenu d'organiser avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait jours, un entretien annuel portant sur la charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié ; que pour rejeter les demandes du salarié, l'arrêt retient que les dispositions de l'accord de branche garantissent le contrôle par l'employeur de la surcharge de travail et des moyens d'y remédier, que chaque entretien annuel réserve une partie tant à l'amplitude de travail qu'à la charge de travail et qu'il est établi par la production des comptes rendus de ces entretiens que le salarié a pu y exprimer ses besoins lorsqu'il en avait, et que des solutions ont été recherchées et trouvées ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale ainsi que la rémunération du salarié avaient été évoquées au cours de ces entretiens, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 3121-46 du code du travail dans sa rédaction applicable.

2° ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé ; que dans ses conclusions d'appel, le salarié demandait à la cour, à titre subsidiaire si elle ne jugeait pas que la convention de forfait était nulle, d'en écarter à tout le moins l'application au motif qu'elle n'a pas été exécutée de bonne foi par Newedge ; qu'il ne demandait pas, en revanche, la condamnation de l'employeur à lui verser des dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi du contrat ; qu'en le déboutant d'une telle demande, sans se prononcer sur ce qui lui était demandé, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.


DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande tendant à voir son licenciement nul et de toutes ses demandes subséquentes à cette nullité.

AUX MOTIFS QUE (?) l'expression par M. [M] de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] qu'il considère comme pouvant constituer une fraude fiscale et justifier des poursuites pénales est donc manifestement au coeur des reproches faits à M. [M] ; que M. [M] en déduit que son licenciement est nul car intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte ; que l'article L. 1132-1 du code du travail applicable au présent litige, destiné à protéger les lanceurs d'alerte, dispose : « Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. En cas de litige relatif à l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles » ; que s'il est donc établi par M. [M] qu'il a exprimé son désaccord avec les modalités en voie d'être adoptées pour le transfert de [Localité 3] à [Localité 2] de ce qu'il estimait être sinon un fonds de commerce du moins une clientèle, et alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues, l'expression par M. [M] de son désaccord sur la méthode employée pour ce transfert ne peut cependant pas être assimilée à une alerte au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail ; que les fonctions de M. [M] consistaient en effet justement à assurer la conformité au plan fiscal des transactions effectuées par la société dont il était le salarié ; qu'il exerçait donc ses fonctions en mettant en garde son employeur contre le risque fiscal et pénal encouru selon les solutions de transfert retenues et il lui appartenait d'en informer ses supérieurs, et de leur donner les éléments pour apprécier le bien fondé de sa position et orienter leur choix et c'est l'absence d'avertissement qui aurait été en l'espèce fautif, la décision appartenant en définitive aux dirigeants ; que M. [M] a d'ailleurs été entendu puisqu'il ressort de ses propres dires au cours de l'entretien préalable à son licenciement, tels qu'attestés par M. [W] [P], que d'autres options ont été finalement été « réintégrées dans les schémas à l'étude pour ce projet après qu'il a mis en garde sa hiérarchie sur le risque pénal fiscal d'autant plus qu'il y aura à la suite de ce transfert de nombreuses personnes mécontentes qui pourront aller parler à l'administration fiscale de manière anonyme » ; que M. [M] n'a donc en l'espèce fait qu'exercer ses fonctions en informant son employeur des risques et en lui exposant ses arguments et ne s'est donc pas vu soumis à l'obligation d'entériner un choix qu'il contestait ou d'exécuter ce qu'il estimait être un transfert de clientèle déguisé frauduleux, ce choix n'ayant manifestement pas encore été arrêté lorsqu'il a été licencié ; qu'il a seulement exprimé son désaccord avec l'une des solutions envisagées en faisant valoir qu'il ne procéderait pas à sa mise en oeuvre effective et qu'il faudrait « le démettre de ses fonctions et le sortir de la ligne commandement pénalement responsable avant sa mise en oeuvre » ; qu'à ce stade, il ne peut donc se prévaloir d'un statut de lanceur d'alerte et son licenciement ne peut être déclaré nul sur le fondement de l'article L. 1132-1 du code du travail ; qu'en revanche un salarié ne peut être licencié parce que, exerçant ses fonctions, il exprime son désaccord avec la direction, dès lors qu'il le fait dans des termes acceptables et n'abuse pas de sa liberté d'expression ; qu'en l'espèce, aucun des éléments versés aux débats ne démontre qu'au cours de la période ayant précédé son licenciement il se soit exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression ; que son licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse ; que M. [M], débouté de sa demande en nullité de son licenciement sera donc débouté des demandes qu'il forme consécutivement à cette demande.

1° ALORS QUE le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, est frappé de nullité ; que cette protection s'étend à tous les salariés de l'entreprise, même à ceux dont la fonction consiste précisément à alerter l'employeur ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié avait exprimé son désaccord sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2], et alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales encourues ; qu'en retenant que l'expression de ce désaccord ne pouvait être assimilé à une alerte, par la considération que le salarié n'avait fait « qu'exercer ses fonctions en informant son employeur des risques et en lui exposant ses arguments », la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3 du code du travail dans sa rédaction applicable.

2° ALORS QUE l'article L. 1132-3-3 du code du travail, qui s'applique au témoignage ou à la relation de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, n'exige pas du salarié qu'il attende que ce délit ou ce crime soit déjà consommé avant de se manifester ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que le salarié avait « été entendu » et que le choix qu'il contestait n'avait « manifestement pas encore été arrêté lorsqu'il a été licencié », la cour d'appel a violé derechef l'article L. 1132-3-3 du code du travail dans sa rédaction applicable.

3° ALORS, de surcroît, QUE la mise en oeuvre effective du droit européen requiert que la protection des lanceurs d'alerte soit accordée au plus large éventail possible de catégories de personnes qui, en raison de leurs activités professionnelles, indépendamment de la nature de ces activités, ont un accès privilégié à des informations sur des violations qu'il serait dans l'intérêt public de signaler et qui peuvent faire l'objet de représailles si elles les signalent ; que pour prévenir efficacement les crimes et délits, il est nécessaire que la protection soit accordée aux personnes qui fournissent des informations nécessaires pour révéler des violations qui ont déjà eu lieu, des violations qui ne se sont pas encore matérialisées mais qui vont très probablement avoir lieu, des actes ou des omissions que l'auteur de signalement a des motifs raisonnables de considérer comme des violations ainsi que des tentatives de dissimulation de violations ; qu'en se basant cependant sur le fait que le salarié n'avait fait « qu'exercer ses fonctions en informant son employeur des risques », qu'il avait « été entendu » et que le choix qu'il contestait n'avait « manifestement pas encore été arrêté lorsqu'il a été licencié », la cour d'appel a violé l'article L. 1132-3-3 du code du travail tel qu'il doit être interprété à la lumière du droit européen relatif à la protection des lanceurs d'alerte.

4° ALORS, en tout cas, QUE le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié à qui il était seulement reproché d'avoir usé, sans abus de sa part, de sa liberté d'expression, est entaché de nullité ; qu'en rejetant la demande de nullité du licenciement et en concluant à une simple absence de cause réelle et sérieuse, après avoir constaté qu'il n'était pas établi que le salarié ait exprimé son désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.


TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité pour non-respect de la procédure.

AUX MOTIFS QUE l'article 26, 1er de la convention collective nationale de la banque du 10 janvier 2000 dispose qu'avant d'engager la procédure de licenciement pour un motif non disciplinaire, l'employeur doit avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l'insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions ; que le non-respect de cette disposition prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ; qu'en l'espèce M. [M] a été licencié pour insuffisance professionnelle, sans que les dispositions de l'article 26 aient été mise en oeuvre ; que cependant, d'une part il ne ressort pas de la lettre de licenciement que l'insuffisance professionnelle reprochée ait découlé d'une inadaptation à ses fonctions et d'autre part, le licenciement de M. [M] a d'ores et déjà été déclaré sans cause réelle et sérieuse, de sorte qu'il ne peut prétendre à une nouvelle indemnisation de ce chef pas plus qu'à une indemnité pour non-respect de la procédure.

1° ALORS QU'aux termes de l'article 26 de la convention collective nationale de la banque, l'employeur doit, avant d'engager la procédure de licenciement pour motif non-disciplinaire, avoir considéré toutes solutions envisageables, notamment recherché le moyen de confier au salarié un autre poste lorsque l'insuffisance résulte d'une mauvaise adaptation de l'intéressé à ses fonctions ; qu'il résulte de ce texte que, s'il n'est pas tenu de confier au salarié un autre poste lorsque son insuffisance ne résulte pas de sa mauvaise adaptation à ses fonctions, l'employeur doit néanmoins justifier avoir considéré toutes solutions envisageables préalables à l'engagement de la procédure de licenciement ; que pour débouter le salarié de sa demande, l'arrêt retient qu'« il ne ressort pas de la lettre de licenciement que l'insuffisance reprochée ait découlé d'une inadaptation à ses fonctions » ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier si l'employeur justifiait avoir considéré toutes solutions envisageables avant d'engager la procédure de licenciement, la cour d'appel a violé l'article 26 de la convention collective nationale de la banque.

2° ALORS QUE le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement rattachait l'insuffisance professionnelle reprochée tant aux « comportement inadaptés » du salarié qu'à ses « différentes lacunes et insuffisances (?) nullement en adéquation avec les exigences du poste » ; qu'en affirmant cependant qu' « il ne ressort pas de la lettre de licenciement que l'insuffisance reprochée ait découlé d'une inadaptation à ses fonctions », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de cette lettre, en violation de l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les documents de la cause.

3° ALORS, en outre, QUE le non-respect de la procédure conventionnelle entraîne un préjudice particulier pour le salarié, distinct de celui causé par le caractère injustifié du licenciement, et qui doit être réparé en tant que tel ; qu'en retenant cependant que « le licenciement a(vait) d'ores et déjà été déclaré sans cause réelle et sérieuse », pour en déduire que le salarié ne pouvait prétendre à une indemnité pour non-respect de la procédure, la cour d'appel a violé l'article 26 de la convention collective nationale de la banque.

4° ALORS, en tout cas, QUE lorsque le licenciement irrégulier est, au surplus, déclaré nul, l'irrégularité de procédure doit être réparée par le juge, soit par une indemnité distincte, soit par une somme comprise dans l'évaluation globale du préjudice résultant de la nullité du licenciement ; que partant, la cassation à intervenir sur le deuxième moyen relatif à la nullité du licenciement entrainera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ici querellé, en application de l'article 624 du code de procédure civile.


QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité de non-sollicitation.

AUX MOTIFS QUE M. [M] se prévaut d'une disposition du contrat de cession à la Société générale des actions de la société Newedge détenue par le Crédit agricole ; que ce contrat interdit au Crédit agricole (et autres sociétés du groupe) de solliciter directement ou indirectement en vue d'embaucher un salarié important pendant la durée de deux ans à compter de la cession, étant entendu que CA CIB Cas et les autres entités du groupe pourront librement solliciter en vue d'embaucher un salarié important qui ne serait plus salarié ou mandataire d'une société du groupe Newedge ou d'une autre entité du groupe Société générale à cette date ; que la cession a eu lieu le 6 mai 2014 ; qu'à cette date, M. [M] était salarié de la société Newedge au jour de la cession ; que cette clause n'interdisait donc pas M. [M] de rechercher un emploi dans une autre société du groupe mais elle interdisait à ces sociétés de l'embaucher ; que si cette clause ne peut être assimilée à une clause de non-concurrence, M. [M] étant un tiers à cette convention qui lie deux employeurs, elle portait atteinte à son libre exercice d'une activité professionnelle ; que M. [M] ne peut demander à ce titre une indemnité compensatrice de salaire mais il est bien fondé à demander le paiement de dommages-intérêts dès lors qu'il établit un préjudice à ce titre pendant les 18 mois pendant lesquels il a été privé de la possibilité d'être embauché par ces sociétés ; qu'en l'espèce M. [M] ne verse aux débats aucune pièce dont il ressortirait qu'il ait postulé entre novembre 2014 et mai 2016 dans une société du groupe ou que celles-ci aient émis des offres auxquelles il n'aurait pu répondre ; qu'à défaut d'établir un préjudice, M. [M] doit donc être débouté de sa demande.

ALORS QU'en tirant de la seule circonstance que le salarié ne prouvait pas qu'il avait « postulé entre novembre 2014 et mai 2016 dans une société du groupe ou que celles-ci aient émis des offres auxquelles il n'aurait pu répondre », la conséquence qu'il n'avait pas subi de préjudice, la cour d'appel a violé le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil.


CINQUIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité à 80 000 euros la somme allouée au salarié au titre de la perte de chance relative à ses pensions de retraite de base et complémentaire.

AUX MOTIFS QUE faisant état des points Arrco et Argic qu'il a acquis M. [M] demande à ce titre la somme de 100 800 euros au titre de l'indemnisation de perte des droits à la retraite sur le régime de base et la somme de 395 136 euros au titre de la perte sur les régimes complémentaires ; que les éléments versés aux débats démontrent que contrairement à ce que soutient la Société générale M. [M] est toujours à la recherche d'un emploi ; que M. [M] fait état de la perte de 7 années et demi de cotisations soit 30 trimestres et produit des calculs fondés sur le postulat qu'il ne retrouvera pas d'emploi avant l'âge de la retraite en juin 2022 ; que s'il est certain que le licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [M] qui a fait perdre des droits à la retraite de base et de retraites complémentaires, ce préjudice ne peut être évalué qu'à une perte de chance, M. [M] ayant encore plusieurs années pour retrouver un emploi, s'il adapte ses critères de recherches et les calculs qu'il produit étant fondés sur des paramètres dont aucun ne présente de caractère de certitude tant quant à la rémunération qu'il aurait effectivement perçue, qu'à la pérennité de son contrat de travail à la Société générale, ou qu'à son espérance de vie ; que pour l'ensemble de ce préjudice il lui sera alloué la somme de 80 000 euros.

1° ALORS QUE le principe de la réparation intégrale du préjudice suppose de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; qu'en limitant à la somme de 80 000 euros l'indemnité allouée au titre de la perte de chance, sans s'expliquer, même sommairement, sur la méthode et la base de calcul utilisées, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil,

2° ALORS, en tout cas, QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'en limitant à 80 000 le montant de l'indemnité allouée, sans exprimer aucun motif justifiant ce montant, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile et de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3° ALORS, en outre, QUE la perte de chance implique seulement la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain ; qu'en retenant cependant, pour écarter les calculs du salarié, que ceux-ci étaient fondés sur des paramètres « dont aucun ne présente de caractère de certitude tant quant à la rémunération qu'il aurait effectivement perçue, qu'à la pérennité de son contrat de travail à la Société générale, ou qu'à son espérance de vie », la cour d'appel a violé l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil.

4° ALORS, au surplus, QUE la réparation des préjudices subis par le salarié licencié pour avoir alerté son employeur sur une violation de la loi, doit être intégrale et couvrir pertes financières actuelles et futures ; qu'en limitant à 80 000 euros l'indemnité allouée au titre de la perte de chance, quand elle constatait que le salarié avait été licencié pour avoir « alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues » et qu'il résultait des simulations délivrées par les organismes de retraite qu'en l'absence de réintégration, la perte de chance de revenus futurs de retraite, compte tenu de l'aléa viager, s'élevait à plus de 495 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 153.1 d) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 11 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, la directive 2019/1937 du 23 octobre 2019 et le principe de réparation intégrale et dissuasive des préjudices résultant de la violation du droit de l'Union.

5° ALORS, enfin, QUE la réparation des préjudices résultant de violations des droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l'homme doit couvrir intégralement les préjudices matériels de pertes de revenus passées et futures et le préjudice moral subis par la victime licenciée pour avoir alerté son employeur sur des violations de la loi ; qu'en limitant à 80 000 euros l'indemnité allouée au titre de la perte de chance, quand elle constatait que le salarié avait été licencié pour avoir « alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues », et alors qu'il résultait des simulations délivrées par les organismes de retraite qu'en l'absence de réintégration, la perte de chance de revenus futurs de retraite, compte tenu de l'aléa viager, s'élevait à plus de 495 000 euros, la cour d'appel a violé l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, ensemble le principe de réparation intégrale (restitutio in integrum) résultant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.


SIXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision.

AUX MOTIFS QUE M. [M] demande la condamnation de la Société générale à la publication de la décision afin de réparer publiquement les soupçons de comportement délictueux que font peser sur lui sa disparition soudaine de l'équipe de direction de la Société générale et afin de contribuer à la protection des lanceurs d'alerte ; que cependant il a été jugé que M. [M] ne pouvait se prévaloir des dispositions relatives au lanceur d'alerte, et s'il est établi que sa carrière a souffert de son licenciement, il n'est pas établi que la réputation de M. [M] ait été entachée.

1° ALORS QUE la cassation à intervenir sur le deuxième moyen entrainera, par voie de conséquence, la censure du chef de dispositif ayant débouté le salarié de sa demande tendant à voir ordonner la publication de la décision, en application de l'article 624 du code de procédure civile.

2° ALORS, en tout cas, QU'en retenant qu'« il n'est pas établi que la réputation de M. [M] ait été entachée », tout en constatant que la coupure brutale de sa messagerie avait créé une suspicion chez ses collègues, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

3° ALORS, en outre, QU'en cas de licenciement discriminatoire, l'État doit assurer une protection juridictionnelle effective et efficace qui revête à l'égard de l'employeur un effet dissuasif réel ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le salarié avait été licencié pour avoir « alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues » ; qu'en le déboutant de sa demande de publication de l'arrêt, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette publication ne constituait pas une sanction et une réparation dissuasive, la cour d'appel a privé sa décision de base toute légale au regard de l'article 153.1 d) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, des articles 11 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du principe de réparation intégrale et dissuasive des préjudices résultant de la violation du droit de l'Union.


SEPTIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité à 250 000 euros la somme allouée au salarié à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

AUX MOTIFS QUE M. [M] était âgé de 54 ans lors de son licenciement et comptait 17 années d'ancienneté au sein de la société Newedge ; qu'il justifie des démarches entreprises pour retrouver un emploi dans son domaine de compétence, mais les critères qu'il a définis pour les recherches par pôle emploi font apparaître qu'il demandait encore en octobre 2015 un salaire très élevé et limitait ses recherches à un temps de transport de 30 mn ; que l'indemnité doit être calculée en fonction du salaire des six derniers mois et donc en ce compris les primes ou bonus effectivement versés ; qu'au regard du montant de ses revenus avant son licenciement, de son âge et de ses difficultés à retrouver un emploi et des éléments rappelés ci-dessus, il convient de lui allouer la somme de 250 000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

1° ALORS QU'en matière de licenciement discriminatoire, le droit de l'Union européenne exige que la réparation intégrale du préjudice couvre les pertes financières actuelles et futures ; qu'en limitant à 250 000 euros (soit seulement quinze mois de salaire) l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, quand elle constatait que le salarié avait été licencié pour avoir « alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues » et était sans emploi et sans revenus depuis plus de quatre années, la cour d'appel a violé l'article 153.1 d) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 11 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe de réparation intégrale des préjudices résultant du droit de l'Union.

2° ALORS, en outre, QUE l'indemnisation du salarié licencié doit être effective et efficace et avoir à l'égard de l'employeur un effet dissuasif réel ; qu'en limitant à 250 000 euros l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (soit seulement quinze mois de salaire), quand elle constatait que le salarié avait dix-sept années d'ancienneté et avait été licencié pour avoir « alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues », la cour d'appel, qui n'a pas prononcé de sanction efficace et dissuasive, a violé derechef l'article 153.1 d) du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les articles 11 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et le principe de réparation intégrale et dissuasive des préjudices résultant du droit de l'Union.
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Société générale, demanderesse au pourvoi incident préalable


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement de M. [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse et d'AVOIR condamné la Société Générale à lui payer les sommes de 250.000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et 80.000 euros au titre de la perte de chance relative à ses pensions de retraite de base et complémentaires ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la rupture du contrat : M. [M] soutient à titre principal qu'il a été licencié pour le motif véritable qu'il est un lanceur d'alerte et que la preuve en est que son éviction soudaine a été réalisée pour des motifs insignifiants et non avérés, et est concomitante à ses protestations d'être tenu à l'écart de la partie fiscale du transfert du fonds de commerce de compensation entre la société Newedge à paris et sa filiale anglaise. La Société générale conteste ce moyen et soutient que la cause réelle et sérieuse mentionnée dans la lettre de licenciement est la cause exacte. Il convient donc d'examiner les causes du licenciement. La lettre de licenciement adressée le 31 juillet 2014 à M. [M] prononce son licenciement pour insuffisance professionnelle. L'insuffisance professionnelle constitue à elle seule une cause réelle et sérieuse de licenciement. Elle est caractérisée lorsque le salarié n'exécute pas correctement des tâches ou ne parvient pas à assumer les responsabilités qui lui sont confiées, qu'il montre des carences professionnelles dans le traitement et le suivi de dossiers confiés, dans les méthodes de travail, la maintenance, le respect de consignes sans qu'il soit besoin de caractériser l'existence d'une négligence ou d'une mauvaise volonté délibérée du salarié. Celle-ci ne sont pas exclusives d'une insuffisance professionnelle de sorte que l'employeur peut les démontrer sans choisir le terrain disciplinaire et en conséquence sans que d'une part puissent lui être opposées les règles de prescription des faits propres à ce licenciement et posées par les dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail et sans que d'autre part puissent lui être opposée l'absence de sanction préalable démontrant la gravité des faits résultant de la répétition d'erreurs qu'il estime inacceptables malgré des alertes déjà données ou l'ancienneté du salarié à son poste. En revanche dans la mesure où elle ne peut résulter de manquements préalables de l'employeur à l'une de ses obligations, l'insuffisance doit être appréciée en fonction d'un ensemble de données incluant la constatation que les missions confiées au salarié n'excédaient pas sa classification professionnelle, l'absence de lien avec une surcharge de travail excessive ou avec un manque de formation et d'adaptation du salarié à son poste compte tenu notamment de l'évolution des emplois, des technologies posées par les dispositions de l'article L. 6321-1 du code du travail. En l'espèce parmi les faits concrets allégués au soutien de l'insuffisance professionnelle de M. [M] la Société générale lui reproche : - "des retards dans le traitement des dossiers dont vous avez la responsabilité traduisant, de manière générale, un manque de rigueur dans l'exercice de vos fonctions", avec à titre d'exemples : "vous n'anticipez pas le dépôt des différentes déclarations et avez pris l'habitude de procéder à ces formalités à la dernière minute, voire même en dehors des délais imposés, délais que vous connaissiez pourtant plusieurs mois à l'avance, cette attitude étant "persistante depuis des années" - vous n'avez pas su contribuer efficacement au projet Nevada (délai de traitement anormalement longs et interlocuteurs contraints de le relancer à de multiples reprises. - votre contribution au projet Transfer princing s'est avéré des plus insatisfaisantes puisque vous n'avez pas été en mesure de fournir une réponse dans les délais impartis, repoussant systématiquement les échéances, alors même que le travail d'autres équipes dépendait de votre réactivité. Ces éléments traduisant un manque de rigueur manifeste dans I 'exercice de vos fonctions. - aux difficultés relationnelles dont vous faites preuve dans l'exercice de vos fonctions vis à vis de nombreux interlocuteurs, alors que vos fonctions de directeur fiscal groupe nécessitent des aptitudes à travailler avec différents intervenants et dans ce cadre un sens aigu de la communication ainsi qu'une retenue inhérente à toute collaboration professionnelle. Il lui est à ce titre reproché : - "d'avoir des difficultés à prendre du recul afin de vous exprimer de façon modérée lors des échanges avec certains de vos interlocuteurs internes", et ce malgré les alertes de sa hiérarchie sur l'importance d'améliorer sa façon de communiquer avec les autres départements, - de ne pas supporter la contradiction et de prendre en compte tout avis divergent du sien, ce qui perturbe la fluidité et la sérénité nécessaire au bon déroulement du processus décisionnel. Il lui est ensuite reproché les faits suivants :- au ton inadapté que vous avez pris l'habitude d'adopter dans vos échanges se sont ajoutés de profonds désaccords et divergences de vues quant aux orientations envisagées par Newedge. Vous avez à cet égard dès le début affiché de manière radicale une opposition de principe au projet d'intégration de Newedge au sein de la Société générale, Votre attitude d'opposition a par la suite perduré puisque vous n'avez eu de cesse de faire preuve d'une particulière mauvaise volonté dans le cadre du projet envisagé, n'admettant manifestement pas de devoir collaborer avec différents intervenants comme le démontrent notamment les débats que vous avez créés, de manière infondée et inutile, sur l'opportunité de communiquer certains documents (courrier électronique du 13 mai 2014 à Mme [O] Chez) ou encore à propos de l'impossibilité dans laquelle vous vous trouviez de participer à une conférence téléphonique réunissant de nombreux interlocuteurs eux même disponibles (courrier électronique du 11 mars 2014 à M. [K] [I]. Ces comportements sont tout simplement inadaptés et déplacés pour un cadre de votre niveau. Ce d'autant que, parallèlement vous n'avez pas hésité à laisser entendre, alors même que cela était loin d'être le cas, que les orientations envisagées s'agissant de la politique fiscale étaient inadaptées. Ces différentes lacunes et insuffisances ne sont nullement en adéquation avec les exigences du poste que vous occupez. - S'agissant des retards dans le traitement des dossiers, la Société générale produit les évaluations de M. [M] sur plusieurs années desquelles il ressort qu'en effet il a été incité à améliorer sa gestion des priorités, à une meilleure prise en compte des délais notamment lorsque le travail d'autres équipes en dépend. Ces évaluation soulignent notamment que "la contribution difficile au projet actionnaire Nevada : temps de traitement un peu long (évaluation de 2012) et en 2013 son évaluateur, Mme [J], exposait que les résultats avaient été sensiblement en-deçà de nos attentes et les "réponses systématiquement décalées par rapport aux engagements initiaux", invitant M. [M] à mieux prioriser les sujets, et, quand il s'engage sur une échéance vis-à-vis de leurs clients internes ou externes, s'assurer de son respect" de façon à ne pas nuire à la crédibilité du département. Mais elle soulignait dans le même temps des compétences techniques reconnues de tous et ne faisait de cette remarque qu'un objectif à atteindre pour 2014. - Quant aux difficultés relationnelles reprochées à M. [M], les évaluations pour les années 2012 et 2013 les évoquent invitant M. [M] à "un peu de souplesse" dans le travail en commun avec d'autres équipes et à "améliorer la communication et les relations avec les autres départements". Mais elles soulignent aussi "pas de doute sur la qualité relationnelle au sein de l'équipe fiscale". Les exemples donnés par la Société générale font apparaître qu'il est reproché à M. [M] d'avoir mal accepté de devoir collaborer avec certains interlocuteurs de la Société générale lorsqu'il a été envisagé d'intégrer la société Newedge au sein du groupe Société générale, et de l'avoir manifesté par des commentaires que la Société générale estime sinon hostiles du moins peu aimables ("très chers amis de la Société générale"). La Société générale indique que "les très chers amis" s'en sont étonnés mais ne verse aucune pièce traduisant une quelconque réaction. Elle ne produit d'ailleurs qu'un unique mail du 12 mai 2014 en l'isolant de tout contexte pouvant l'expliquer, dans lequel M. [M] parle de ses "estimated coleagues in SG", ce qui ne permet pas d'évaluer la réaction de M. [M] en terme d'opportunité et d'en mesurer le caractère ou non agressif. Le second exemple pris concerne un message du mardi 11 mars 2014 à 17 h 20, par lequel M. [M] demande à M. [I] de déplacer une réunion à laquelle il ne peut assister, ce qui lui est refusé par son interlocuteur qui lui propose en revanche de le faire « débriefer » par un collègue, le ton montant rapidement entre les deux interlocuteurs et notamment celui de M. [M] qui engage les hostilités en répondant "Je n'aime pas le ton de ta réponse et je ne le mets pas sur le compte de différences culturelles de savoir-vivre entre les antipodes et l'Europe". Cet e-mail est en outre ensuite suivi d'un autre courriel d'explications qui explique sa réaction en réponse à celle de M. [I]. Ces deux exemples ne suffisent en tout état de cause pas à caractériser de difficultés relationnelles justifiant une insuffisance professionnelle, alors que dans le même temps M. [M] était promu au grade de managing director le 5 mars 2014, des félicitations accompagnant cette accession à un poste de cadre de direction dont il venait donc d'être considéré comme digne, malgré les quelques retards reprochés et malgré un ton certes personnel dont la Société générale elle-même reconnaît qu'il reflétait l'attitude générale de M. [M] "depuis plusieurs mois, pour ne pas dire plusieurs années". Ces deux griefs ne sont manifestement pas de nature à justifier un licenciement. Seul subsiste donc l'évocation dans la lettre de licenciement que M. [M] n'avait "pas hésité à laisser entendre, alors même que cela était loin d'être le cas, que les orientations envisagées s'agissant de la politique fiscale étaient inadaptées". Les pièces versées aux débats démontrent que ce litige est relatif à la fin de l'activité de compensation des trancartions pour compte de tiers au sein de Newedge group SA (NGSA) impliquant le transfert des comptes de compensation des clients de Newedge Paris à la filiale anglaise de Newedge group, Newedge Uk financial (NEUKFL). Il apparaît en effet que M. [M] a manifesté son désaccord quant aux modalités de transfert des "clients en compensation", activité qui concernait 2775 clients titulaires de compte de compensation, M. [M] estimant qu'il y avait là une véritable cession de clientèle, voire de fonds de commerce, devant être réalisée à valeur de marché, qu'il estimait entre 35 et 170 millions d'euros, avec des incidences fiscales de plusieurs millions de droit et taxes en enregistrement, quand la Société générale estime qu'il s'agit d'un simple transfert de tâches administratives et non d'actifs, les revenus générés par les opérations réalisées pour le compte des clients demeurant imposables en France. Elle fait valoir que chaque client décide de son transfert à la filiale anglaise NEUKFL sur proposition individuelle et avec signature d'un nouveau contrat ou de s'adresser à un autre compensateur, de sorte qu'il n'y a pas de transfert de clientèle, ni prix de cession à prévoir, qu'enfin ce projet n'avait rien d'occulte. M. [M] estime que tel est le véritable motif de son licenciement, puisqu'il a alerté à plusieurs reprises verbalement sa hiérarchie sur la fraude fiscale qui résulterait selon lui de cette décision et qu'ayant exercé son droit d'alerte, dans le respect des procédures internes, il a d'abord été évincé d'une réunion concernant directement ce sujet puis licencié. La Société générale réplique que M. [M] n'a exercé aucun droit d'alerte, que le seul élément qu'il verse aux débats est un courrier électronique du 17 juin 2014, qu'il n'a saisi aucun autre dirigeant local, ni la hotline mise en place pour signaler les faits délictueux et n'a jamais évoqué au cours de la procédure de licenciement l'existence d'une prétendue situation frauduleuse, pas plus qu'en cours de procédure de licenciement ni pendant la procédure de révision mise en oeuvre à sa demande, que le compte rendu établi 4 mois après l'entretien ne démontre pas le contraire, que ce sujet n'a pas plus été évoqué au travers des questions qu'il a posées le 25 juillet et le 5 septembre 2014 par l'intermédiaire des délégués du personnel. Elle soutient qu'en fait M. [M] a été licencié en raison de ses difficultés relationnelles avec un bon nombre d'interlocuteurs dans le cadre du projet d'intégration de Newedge au sein de la Société générale, manifestant son opposition au projet d'intégration et aux orientations envisagées. Le 3 novembre 2014 M. [W] [E], ayant assisté M. [M] lors de l'entretien préalable du 23 juillet 2014, a attesté très précisément des propos s'y étant tenus et notamment détaillé les propos de M. [A], avec les questions que lui-même a posées pour avoir des éclaircissements ainsi que les réponses de M. [M] puis les observations en réponses de M. [A]. Le détail de l'entretien ainsi rapporté permet de considérer que cette attestation se fonde sur des notes prises au cours de l'entretien et est très fidèle, s'agissant de matières techniques et de dossiers précis, et la Société générale tout en lui refusant une force probante, ne dénie aucun des propos prêtés aux interlocuteurs et n'a pas porté plainte pour faux témoignage. La relation de cet entretien fait expressément référence à un exposé de M. [M] sur "les études en cours sur les scénarios de transfert des activités d'exécution et de compensation de [Localité 3] à [Localité 2]", qu'il "est de son devoir de mettre en garde sa hiérarchie et toute la ligne décisionnaire jusqu'au président de Newedge qu'ils mettront potentiellement en jeu leur responsabilité pénale sur les modalités retenues pour effectuer ce transfert sont jugées abusives ou frauduleuses au plan fiscal par les services vérificateurs" et que compte tenu des termes de sa délégation de pouvoirs il peut être lui-même mis en cause et subir les contraintes de visites domiciliaires et qu'il doit donc être clairvoyant et intransigeant sur les projets de transaction et de réorganisation de Newedge et qu'il a un devoir d'alerte et de précaution". L'attestant précise que M. [A] a alors répondu "qu'il était d'accord avec [F] [M] sur le fait qu'il a le devoir d'alerter sa hiérarchie sur les risques en matière fiscale et qu'il est dans son rôle en le faisant". M. [M] citant ensuite un ancien ministre des finances britannique "qui a finement résumé que la différence entre l'évasion fiscale et la fraude fiscale est l'épaisseur d'un mur de prison". Cette mention fait clairement apparaître qu'au cours de cet entretien M. [M] a évoqué le désaccord sur les modalités de transferts des comptes de compensations entre NGSA et NEUKFL et fait valoir qu'il avait eu raison de mettre en garde sa hiérarchie sur les risques pénaux et fiscaux encourus si la solution se profilant selon lui était adoptée. Dans ce même entretien M. [M] a souligné la chronologie entre sa convocation à un entretien préalable et le fait qu'il a participé le 16 juin au matin à une réunion sur ce sujet avec Mme [Y] [N] et M. [U] [H] en charge de ce projet de transfert de l'activité de courtage de [Localité 3] vers [Localité 2] et que lorsqu'a été abordée la question des modalités juridiques et fiscales de ce transfert Mme [N] a indiqué que ce projet était réservé et serait traité à la Société générale le lendemain par le directeur fiscal de la Société générale M. [L] et le fiscaliste de son équipe [X] [G], que, n'étant pas convié à cette réunion M. [M] a estimé devoir y participer et a demandé au fiscaliste a être invité, demande restée sans suite. Enfin alors que M. [M] faisait état d'un entretien du 18 juin en présence de la DRH de la Société générale et de M. [A], au cours duquel il lui aurait été dit qu'il ne pouvait être repris à la Société générale et qu'il devait quitter la société Newedge car il avait froissé des égos et n'était pas compatible avec la stratégie fiscale de Société générale, que sa rémunération était trop élevée et que les équipes fiscales ne voulaient pas de lui, M. [A] a confirmé que les équipes fiscales de la Société générale n'avaient plus envie de travailler avec lui. Cette connaissance est encore établie par le courriel adressé le 16 juin 2014 par M. [M] à M. [A] lui demandant un rendez-vous urgent notamment sur "l'absence d'invitation à des réunions et travaux portant sur les aspects fiscaux pour Newedge du transfert des comptes clients [Localité 3]". Aucune explication n'est donnée sur cette absence d'invitation à une réunion portant sur le coeur du métier de M. [M] devant se tenir le 17 juin 2014. Ces éléments sont corroborés par le compte rendu établi par le même M. [E] lors de l'entretien "de révision" du 5 septembre 2014 qui s'est tenu en application de l'article 26.1 de la convention collective, ayant donné lieu à une attestation précise et détaillée de sa part le 7 janvier 2015 qui, là encore, n'a pas été arguée de faux. Dans cette attestation M. [P] rappelle les propos de M. [M] rappelant à M. [A] que "c'est selon lui en raison d'abord de cette préconisation (sur la suppression d'une structure Société générale logée aux Iles Caïman), puis de son opposition de son transfert "à l'arrache" des comptes de compensation de [Localité 3] vers [Localité 2] que la direction de GBIS a vu en lui un gêneur et a décidé qu'il devait partir." Il est donc suffisamment établi que l'employeur avait connaissance de ce que M. [M] s'était opposé aux modalités juridiques de transfert des comptes de compensations de [Localité 3] vers [Localité 2] en soulignant le risque fiscal pris à cet égard, et en faisant clairement et explicitement état de ce qu'il considérait ces modalités comme constituant une fraude fiscale. L'attestation de M. [P] qui relate un entretien au cours duquel M. [M] et son employeur ont discuté des griefs pouvant conduire à son licenciement, éclaire la lettre de licenciement lorsqu'elle reproche à M. [M] " de ne pas supporter la contradiction" de "refuser de prendre en compte tout avis qui serait divergent du vôtre", "d'admettre l'expression d'un point de vue différent de celui que vous pouviez exprimer", de "perturber le processus décisionnel au sein de l'entreprise et du groupe" et souligne les "profonds désaccords et divergences de vues quant aux orientations envisagées par Newedge." L'expression par M. [M] de son désaccord sur les modalités d'intégration de Newedge au sein de la Société générale et notamment sur le transfert des comptes de compensation de [Localité 3] à [Localité 2] qu'il considère comme pouvant constituer une fraude fiscale et justifier des poursuites pénales est donc manifestement au coeur des reproches faits à M. [M]. M. [M] en déduit que son licenciement est nul car intervenu en violation de la protection des lanceurs d'alerte. L'article L. 1132-1 du code du travail applicable au présent litige, destiné à protéger les lanceurs d'alerte, dispose : "Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. En cas de litige relatifà l'application du premier alinéa, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles." S'il est donc établi par M. [M] qu'il a exprimé son désaccord avec les modalités en voie d'être adoptées pour le transfert de [Localité 3] à [Localité 2] de ce qu'il estimait être sinon un fonds de commerce du moins une clientèle, et alerté son employeur sur les conséquences fiscales et pénales qu'il estimait être encourues, l'expression par M. [M] de son désaccord sur la méthode employée pour ce transfert ne peut cependant pas être assimilée à une alerte au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail. Les fonctions de M. [M] consistaient en effet justement à assurer la conformité au plan fiscal des transactions effectuées par la société dont il était le salarié. Il exerçait donc ses fonctions en mettant en garde son employeur contre le risque fiscal et pénal encouru selon les solutions de transfert retenues et il lui appartenait d'en informer ses supérieurs, et de leur donner les éléments pour apprécier le bien fondé de sa position et orienter leur choix et c'est l'absence d'avertissement qui aurait été en l'espèce fautif', la décision appartenant en définitive aux dirigeants. M. [M] a d'ailleurs été entendu puisqu'il ressort de ses propres dires au cours de l'entretien préalable à son licenciement, tels qu'attestés par M. [W] [E], que d'autres options ont été finalement été "réintégrées dans les schémas à l'étude pour ce projet après qu'il a mis en garde sa hiérarchie sur le risque pénal fiscal d'autant plus qu'il y aura à la suite de ce transfert de nombreuses personnes mécontentes qui pourront aller parler à l'administration fiscale de manière anonyme". M. [M] n'a donc en l'espèce fait qu'exercer ses fonctions en informant son employeur des risques et en lui exposant ses arguments et ne s'est donc pas vu soumis à l'obligation d'entériner un choix qu'il contestait ou d'exécuter ce qu'il estimait être un transfert de clientèle déguisé frauduleux, ce choix n'ayant manifestement pas encore été arrêté lorsqu'il a été licencié. Il a seulement exprimé son désaccord avec l'une des solutions envisagées en faisant valoir qu'il ne procéderait pas à sa mise en oeuvre effective et qu'il faudrait "le démettre de ses fonctions et le sortir de la ligne commandement pénalement responsable avant sa mise en oeuvre". A ce stade, il ne peut donc se prévaloir d'un statut de lanceur d'alerte et son licenciement ne peut être déclaré nul sur le fondement de l'article L. 1132-1 du code du travail. En revanche un salarié ne peut être licencié parce que, exerçant ses fonctions, il exprime son désaccord avec la direction, dès lors qu'il le fait dans des termes acceptables et n'abuse pas de sa liberté d'expression. En l'espèce, aucun des éléments versés aux débats ne démontre qu'au cours de la période ayant précédé son licenciement il se soit exprimé sur ce désaccord dans des termes outranciers ou injurieux et ait ainsi abusé de sa liberté d'expression. Son licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse. M. [M], débouté de sa demande en nullité de son licenciement sera donc débouté des demandes qu'il forme consécutivement à cette demande » ;

1. ALORS QUE la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; que le juge est tenu d'examiner les griefs exposés dans la lettre de licenciement, sans les déformer, ni les dénaturer ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reprochait à M. [M] « des retards dans le traitement des dossiers dont vous avez la responsabilité traduisant, de manière plus générale, un manque de rigueur dans l'exercice de vos fonctions », ; que la lettre de licenciement n'imputait pas ces retards à un manque de compétence technique du salarié, mais à un manque d'organisation et de rigueur de sa part ; qu'en retenant, après avoir relevé que les comptes rendus d'entretiens d'évaluation des années 2012 et 2013 pointaient des difficultés en matière de respect des délais de traitement des dossiers et la nécessité, pour le salarié, de « mieux prioriser les sujets », que ce grief ne pouvait être retenu, dès lors que la supérieure hiérarchique de M. [M] soulignait dans le même temps les compétences techniques reconnues de ce dernier, la cour d'appel a violé les articles L. 1232-6 et L. 1235-1 du code du travail ;

2. ALORS QUE si le licenciement d'un salarié ne peut être motivé par l'exercice de sa liberté d'expression, il peut en revanche être justifié par son comportement d'opposition aux projets de la direction et d'obstruction à une collaboration avec les autres services de l'entreprise ou du groupe ; qu'en l'espèce, il était encore reproché à M. [M] d'avoir, par le ton ironique, agressif ou arrogant employé dans ses communications avec les autres services du groupe et son refus de remettre en cause ses prises de position sur des sujets soumis à discussion, généré des difficultés relationnelles incompatibles avec les responsabilités de son poste de Directeur fiscal groupe ; que la cour d'appel a elle-même constaté que M. [M] avait employé, dans des courriers électroniques adressés à ses interlocuteurs au sein d'autres sociétés du groupe, des propos hostiles ou ironiques et qu'il avait par ailleurs exprimé son désaccord sur les modalités d'intégration de la société Newedge au sein de la Société Générale, en faisant valoir, à propos d'un aspect de ce projet, « qu'il ne procèderait pas à sa mise en oeuvre effective et qu'il faudrait le démettre de ses fonctions » ; qu'en considérant néanmoins, pour dire que le licenciement de M. [M] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, qu'il n'était pas établi qu'il se soit exprimé dans des termes outranciers ou injurieux, sans rechercher si, au regard de sa position dans l'entreprise, son mode de communication avec ses interlocuteurs au sein des autres sociétés du groupe et son opposition caractérisée aux orientations stratégiques envisagées par le groupe n'étaient pas de nature à préjudicier au bon fonctionnement de l'entreprise et justifier son licenciement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-1 et L. 1235-1 du code du travail ;

3. ALORS QUE ni le positionnement hiérarchique du salarié dans l'entreprise, ni sa promotion à un grade supérieur n'interdisent à l'employeur de prononcer son licenciement s'il constate des carences professionnelles incompatibles avec ses responsabilités ; qu'en relevant, en l'espèce, pour considérer que l'insuffisance professionnelle de M. [M] ne pouvait être retenue, qu'il avait bénéficié en mars 2014, quelques mois avant son licenciement, d'une promotion au poste de « managing director », la cour d'appel s'est fondée sur un motif radicalement inopérant et a violé l'article L. 1235-1 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la Société Générale à payer à M. [M] la somme de 80.000 euros au titre de la perte de chance relative à ses pensions de retraite de base et complémentaire ;

AUX MOTIFS QUE « sur les demandes relatives à la perte des droits à la retraite, régime de base et complémentaires : Faisant état des points Arrco et Argic qu'il a acquis M. [M] demande à ce titre la somme de 100 800 euros au titre de l'indemnisation de perte des droits à la retraite sur le régime de base et la somme de 395 136 euros au titre de la perte sur les régimes complémentaires. Les éléments versés aux débats démontrent que contrairement à ce que soutient la Société générale M. [M] est toujours à la recherche d'un emploi. M. [M] fait état de la perte de 7 années et demi de cotisations soit 30 trimestres et produit des calculs fondés sur le postulat qu'il ne retrouvera pas d'emploi avant l'âge de la retraite en juin 2022. S'il est certain que le licenciement sans cause réelle et sérieuse de M. [M] lui a fait perdre des droits à la retraite de base et de retraites complémentaires, ce préjudice ne peut être évalué qu'à une perte de chance, M. [M] ayant encore plusieurs années pour retrouver un emploi, s'il adapte ses critères de recherches et les calculs qu'il produit étant fondés sur des paramètres dont aucun ne présente de caractère de certitude tant quant à la rémunération qu'il aurait effectivement perçue, qu'à la pérennité de son contrat de travail à la Société générale, ou qu'à son espérance de vie. Pour l'ensemble de ce préjudice il lui sera alloué la somme de 80 00 euros. » ;

ALORS QU'en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, les dommages et intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit ; que le préjudice né de la perte de l'emploi, réparé par l'octroi de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, inclut la perte de chance de percevoir l'intégralité de la pension de retraite à laquelle le salarié aurait eu droit si son contrat de travail avait été maintenu jusqu'à son départ en retraite ; qu'en décidant en l'espèce d'allouer au salarié, outre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse réparant le préjudice né de la perte de son emploi, des dommages et intérêts réparant une perte de chance d'acquérir des droits à une pension de retraite supérieure, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice et violé le principe de la réparation intégrale du préjudice.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00360
Retourner en haut de la page