Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 février 2022, 20-14.416, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 février 2022, 20-14.416, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 20-14.416
- ECLI:FR:CCASS:2022:SO00235
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 16 février 2022
Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, du 21 janvier 2020- Président
- M. Cathala
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 février 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 235 FS-B
Pourvoi n° G 20-14.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 FÉVRIER 2022
La société Valéo systèmes thermiques, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 20-14.416 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [S] [C], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Valéo systèmes thermiques, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mme Ott, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 21 janvier 2020), la société Valéo systèmes thermiques (la société) est divisée en plusieurs établissements distincts, dont celui de Reims qui compte un effectif d'environ cinq cents salariés. Le 5 mai 2019, M. [C], secrétaire du comité social et économique, a procédé à l'affichage, sur le panneau destiné aux communications de l'ancien comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), d'un extrait des conclusions déposées par ce dernier au soutien d'une citation directe de la société, examinée par le tribunal correctionnel le même jour. Cet extrait reproduisait le contenu d'un courriel adressé le 18 janvier 2016 par l'ancien directeur de l'établissement au directeur en charge de certaines missions d'hygiène, de sécurité et d'environnement.
2. Le 7 mai 2019, la société a fait assigner M. [C] devant le président du tribunal de grande instance afin que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de l'affichage.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'ordonner le retrait de tout panneau d'affichage en son sein du courriel daté du 18 janvier 2016 échangé entre M. [T] et M. [N], alors :
« 4°/ qu'à supposer que, nonobstant son obligation de discrétion, un représentant du personnel puisse diffuser auprès de l'ensemble du personnel de l'entreprise un courrier privé contenant des données personnelles relatives à un salarié, une telle diffusion doit se rattacher aux missions qui lui sont confiées en vertu de son mandat, être strictement nécessaire à l'exercice de ces missions et présenter un caractère strictement proportionnel au but recherché ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le l'affichage avait été effectué le 3 mai 2019 et était "constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [N], responsable sécurité" ; qu'il résulte, par ailleurs, que ce mail était "un avertissement tout au moins une mise en garde" et que "l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié" ; que, pour refuser néanmoins le retrait de cet affichage, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'en diffusant une sanction adressée au responsable sécurité et faisant référence à la communication en matière d'amiante, qui est un sujet à la source d'inquiétude pour le personnel, M. [C] aurait "agi dans le cadre des intérêts défendus" par le CHSCT, devenu comité social et économique ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que l'affichage du courrier litigieux se rattachait aux missions confiées à M. [C], était nécessaire à l'exercice de ces missions à la date où il a été effectué et si les modalités de diffusion étaient proportionnées au but recherché, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-3, L. 2315-15 du code du travail, 809 du code de procédure civile, 9 du code civil, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans répondre aux moyens déterminants développés par les parties dans leurs conclusions et sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [N] qui avait donné lieu à une mise à pied disciplinaire qui avait été jugée justifiée par le conseil de prud'hommes ; qu'elle produisait à cet égard un tract qui avait été distribué aux salariés et qui surnommait M. [N] de "cowboy de la sécurité" et lui imputait l'idée selon laquelle il serait indifférent au fait que : "[les salariés] peuvent mourir brûlés vifs, ce n'est pas bien important ?? la priorité reste le fric" ; qu'elle produisait également les comptes rendus de cinq entretiens individuels réalisés au cours de l'enquête interne attestant notamment, que "tout le monde est au courant, tout le monde est en copie des mails : il recevait des mails tous les jours. C'est un sentiment qui traine depuis deux ans, et là c'est la goutte d'eau. Maintenant il a peur d'ouvrir ses mails, il a une boule au ventre, il m'a parlé de cette situation en privé. J'ai vu [Y] en pleurs. Il remet tout en question" ou encore que "sur la situation de [Y], j'ai constaté un homme abattu et blessé, suite aux attaques à répétition, à tout ce qu'on essaie de lui mettre sur le dos. Je fais référence aux différents mails, à la visite de l'inspecteur du travail, de la DREAK, quand [S] [C] essayait de démonter tout ce qu'on met en place par les mensonges. Il y a des attaques personnelles dans les mails." ; qu'en se bornant à énoncer qu'il résultait du contenu du courriel litigieux que M. [C] avait agi dans "le cadre des intérêts défendus" par le comité social et économique, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [U], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du code civil et l'article L. 2315-15 du code du travail :
4. Il résulte des textes susvisés que le respect de la vie personnelle d'un salarié n'est pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l'obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'informations relevant de la vie personnelle d'un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.
5. Après avoir constaté que l'e-mail litigieux adressé par le directeur d'établissement au directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité à qui il s'adresse personnellement et exclusivement mentionne notamment « je fais suite à notre conversation téléphonique du [...] et notre conversation orale [...] un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude [...] pour la bonne forme merci de m'accuser réception de ce mail par retour » et retenu qu'il résultait du contenu et de la conclusion de ce message qu'il constituait un avertissement ou tout au moins une mise en garde de nature disciplinaire, l'arrêt en a déduit exactement qu'il constituait un élément relevant de la vie personnelle du salarié.
6. Toutefois, pour rejeter la demande de retrait de cet e-mail du panneau d'affichage du comité social et économique, l'arrêt retient que le directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité n'est pas intervenu volontairement à la procédure pour défendre ses droits et la société ne dispose d'aucun élément démontrant qu'il s'associe à son action en référé, que l'e-mail litigieux marque au responsable hygiène et sécurité sa réprobation aux propos qu'il a tenus dans la forme et le fond le 12 janvier 2016 mais également fixe désormais la position de la direction sur la communication au titre de l'amiante, qu'en diffusant un e-mail dans lequel la direction sanctionne son responsable sécurité pour avoir communiqué sur le sujet de l'amiante avec le secrétaire du CHSCT, dans lequel la direction lui retire tout droit à communiquer sur l'amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie et se réserve seule le droit de transmettre des informations, le secrétaire du CHSCT et désormais du CSE a agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci, que ce sujet de l'amiante qui est de haute sécurité pour la santé des travailleurs était l'objet de toute leur inquiétude et qu'ils s'estimaient mal renseignés et mal protégés depuis de nombreuses années, qu'en conséquence l'intérêt de cet e-mail était suffisant pour justifier l'atteinte aux droits fondamentaux du salarié concerné.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à démontrer que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'un courriel relevant de la vie personnelle d'un salarié, datant de trois années auparavant et qui concernait seulement les modalités de communication en matière de santé et de sécurité entre deux membres de la direction, était indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle de ce salarié était proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'action dirigée contre M. [C] recevable, l'arrêt rendu le 21 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Valéo systèmes thermiques
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société VST de sa demande visant à voir ordonner le retrait de tout panneau d'affichage au sein de la société VST à [Localité 3] du courrier daté du 18 janvier 2016 échangé entre M. [T] et M. [N] ;
AUX MOTIFS QUE « L'affichage des communications syndicales et des institutions représentatives du personnel se fait librement sur des panneaux réservés à charge pour l'auteur de l'affichage de transmettre à l'employeur un exemplaire des communications qu'il va afficher. L'employeur ne peut prétendre exercer un contrôle préalable ni soumettre unilatéralement l'affichage à une procédure d'autorisation. Sauf à commettre un délit d'entrave il ne peut qu'agir a posteriori par la voie judiciaire pour obtenir le retrait des communications. Ainsi en l'espèce le retrait d'un affichage du 3 mai 2019 effectué par Monsieur [C] et constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [L] responsable sécurité a été réclamé par la société Valeo Systemes Thermiques. Ce mail échangé avec en copie une seule personne a été envoyé de la boite personnelle de Monsieur [T] sur celle de Monsieur [L] à qui il s'adresse personnellement et exclusivement écrivant notamment « [Y], je fais suite à notre conversation téléphonique du et notre conversation orale... ...un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude... pour la bonne forme merci de m'accuser réception de ce mail par retour? ». De la lecture de son contenu et de sa conclusion il ressort qu'il s'agit d'un avertissement tout au moins d'une mise en garde. Aussi l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié. Si le contenu des affiches et des documents distribués est librement déterminé par l'organisation syndicale ou les institutions représentatives son contenu doit néanmoins rester dans les limites de ce qui fait leur objet et dans les limites le cas échéant d'une atteinte proportionnée à d'autres libertés fondamentales. Il se fait sous réserve des dispositions relatives à la presse (injures et diffamation), sous réserve du secret des correspondances incluant les courriels émis ou reçus et de la vie privée des personnes reconnus comme des libertés fondamentales des salariés garanties aux articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du Code civil et dont la violation est réprimées à l'article L. 226-15 du code pénal. La diffusion du message du 18 janvier 2016 qualifié de correspondance privée contenant des données personnelles interdisait dès lors de le diffuser sauf à justifier de la défense d'un intérêt légitime supérieur et de la proportionnalité à l'atteinte ainsi apportée à ces droits fondamentaux. La société conteste cette proportion affirmant que cet affichage d'un e-mail échangé plus de trois ans auparavant n'apportait strictement rien aux salariés de l'établissement et se bornait à vouloir inutilement blesser et humilier le destinataire visé et porter atteinte à son crédit. Mais la société qui invoque le secret des correspondances a elle-même produit l'e-mail du 18 janvier 2016 dans le cadre d'une demande d'autorisation de licenciement d'un autre salarié protégé membre du CHSCT et a ainsi estimé proportionné à ses intérêts l'atteinte aux principes qu'elle oppose à Monsieur [C]. Elle a dans ce cadre fourni à un autre membre du CHSCT désormais CSE le document litigieux que celui-ci lui utilise contre la société dans le cadre d'une instance pénale en cours et qui dans ce cadre fera l'objet de débat public. Et l'atteinte à la vie privée ou aux données personnelles qu'invoque la société ne la concerne pas mais vise Monsieur [L]. Or celui-ci n'est pas intervenu volontairement à la procédure pour défendre ses droits et la société ne dispose d'aucun élément démontrant qu'il s'associe à son action en référé et qu'il a été affecté par cet affichage qui au contraire peut faciliter sa position en montrant aux salariés que sa parole n'était pas libre dans le cadre des discussions concernant l'amiante. Le contenu d'un mail du 12 janvier 2016 envoyé par Monsieur [C] 8 jours plus tôt situe le contexte de l'altercation qu'il a eu à cette date avec Monsieur [L] et portant notamment sur la question de l'amiante. Il démontre que celui litigieux du 18 janvier 2016 est l'exacte réponse de la direction à cette altercation en ce qu'elle marque à Monsieur [L] responsable sécurité sa réprobation aux propos qu'il a tenus dans la forme et le fond le 12 janvier mais également en ce qu'elle fixe désormais la position de la direction sur la communication au titre de l'amiante. En diffusant un mail dans lequel la direction sanctionne son responsable sécurité pour avoir communiquer sur le sujet de l'amiante « avec le secrétaire » dans lequel la direction lui retire tout droit à communiquer sur l'amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie, dans lequel elle évoque une stratégie qu'elle a mise en place pour le faire, et dans lequel elle se réserve seule le droit de transmettre des informations, Monsieur [C] en sa qualité d'ex secrétaire du CHSCT et nouveau secrétaire du CSE ayant substitué celui-ci, a agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci. Par ailleurs des nombreux documents fournis il ressort que ce sujet de l'amiante qui est de haute sécurité pour la santé des travailleurs était l'objet de toute leur inquiétude et qu'ils s'estimaient mal renseignés mal protégés depuis de nombreuses années. En conséquence l'intérêt de ce mail était suffisant pour justifier l'atteinte aux droits fondamentaux de Monsieur [L] constatée. Aussi l'ordonnance du juge est infirmée et la société est déboutée de sa demande. L'atteinte réciproque à des droits fondamentaux analysée démontre l'absence de caractère abusif de la procédure de sorte qu'il convient de débouter chacune des parties de leur demande à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;
1. ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office, sans recueillir préalablement les observations des parties ; qu'au cas présent, M. [C] se bornait à faire valoir dans ses écritures que le courrier électronique litigieux affiché sur les panneaux réservés au comité social et économique présentait un caractère professionnel et n'était donc pas couvert par le secret des correspondances et les règles gouvernant le respect de la vie privée du salarié ; qu'en estimant, après avoir relevé que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié », que la diffusion d'une telle correspondance pouvait néanmoins se justifier par la défense d'un intérêt légitime supérieur sous réserve de la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée aux droits fondamentaux, la cour d'appel s'est fondée sur un moyen de droit qu'elle a relevé d'office ; qu'en statuant de la sorte, sans recueillir préalablement les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2. ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office, sans recueillir préalablement les observations des parties ; qu'au cas présent, M. [C] se bornait à faire valoir dans ses écritures que le courrier litigieux affiché sur les panneaux réservé au comité social et économique présentait un caractère professionnel et n'était donc pas couvert par le secret des correspondances et les règles gouvernant le respect de la vie privée du salarié ; qu'en estimant, après avoir relevé que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié », que l'employeur ne pouvait se prévaloir du caractère attentatoire à la vie privée pour solliciter le retrait de ce document aux motifs que le salarié concerné n'était pas intervenant à la procédure et que l'employeur ne faisait état d'aucun élément démontrant que la salarié concerné s'associait à la demande de retrait ou aurait été affecté par l'affichage, la cour d'appel s'est fondée sur un moyen qu'elle a relevé d'office ; qu'en statuant de la sorte, sans recueillir préalablement les observations des parties, la cour d'appel a derechef violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3. ALORS QUE les représentants du personnel sont soumis à une obligation de discrétion qui s'applique à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur et à l'égard des informations réputées confidentielles par la loi ; que cette obligation interdit donc aux représentants du personnel d'afficher sur les panneaux mis à leur disposition un document à caractère privé contenant des données personnelles relatives à un salarié sans l'accord de ce dernier ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le courriel ayant fait l'objet de l'affichage litigieux avait été envoyé par le directeur de l'établissement sur la boîte personnelle du responsable sécurité et lui était adressé personnellement et exclusivement ; qu'il résulte, encore, des constatations de l'arrêt que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié » ; qu'en estimant néanmoins qu'un tel affichage était licite, la cour d'appel a méconnu les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations et violé les articles L. 2315-3 et L. 2315-15 du code du travail, dans leur version issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ensemble les articles 809 du code de procédure civile, 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et les articles 4, 5 et 6 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
4. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'à supposer que, nonobstant son obligation de discrétion, un représentant du personnel puisse diffuser auprès de l'ensemble du personnel de l'entreprise un courrier privé contenant des données personnelles relatives à un salarié, une telle diffusion doit se rattacher aux missions qui lui sont confiées en vertu de son mandat, être strictement nécessaire à l'exercice de ces missions et présenter un caractère strictement proportionnel au but recherché ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le l'affichage avait été effectué le 3 mai 2019 et était « constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [N] responsable sécurité » ; qu'il résulte, par ailleurs, que ce mail était « un avertissement tout au moins une mise en garde » et que « l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié » ; que, pour refuser néanmoins le retrait de cet affichage, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'en diffusant une sanction adressée au responsable sécurité et faisant référence à la communication en matière d'amiante, qui est un sujet à la source d'inquiétude pour le personnel, M. [C] aurait « agi dans le cadre des intérêts défendus » par le CHSCT, devenu comité social et économique ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que l'affichage du courrier litigieux se rattachait aux missions confiées à M. [C], était nécessaire à l'exercice de ces missions à la date où il a été effectué et si les modalités de diffusion étaient proportionnées au but recherché, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-3, L. 2315-15 du code du travail, 809 du code de procédure civile, 9 du code civil, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans répondre aux moyens déterminants développés par les parties dans leurs conclusions et sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [N] qui avait donné lieu à une mise à pied disciplinaire qui avait été jugée justifiée par le conseil de prud'hommes ; qu'elle produisait à cet égard un tract qui avait été distribué aux salariés et qui surnommait M. [N] de « cowboy de la sécurité » et lui imputait l'idée selon laquelle il serait indifférent au fait que : « [les salariés] peuvent mourir brûlés vifs, ce n'est pas bien important ?? la priorité reste le fric » ; qu'elle produisait également les comptes rendus de cinq entretiens individuels réalisés au cours de l'enquête interne attestant notamment, que « tout le monde est au courant, tout le monde est en copie des mails : il recevait des mails tous les jours. C'est un sentiment qui traine depuis deux ans, et là c'est la goutte d'eau. Maintenant il a peur d'ouvrir ses mails, il a une boule au ventre, il m'a parlé de cette situation en privé. J'ai vu [Y] en pleurs. Il remet tout en question » ou encore que « sur la situation de [Y], j'ai constaté un homme abattu et blessé, suite aux attaques à répétition, à tout ce qu'on essaie de lui mettre sur le dos. Je fais référence aux différents mails, à la visite de l'inspecteur du travail, de la DREAK, quand [S] [C] essayait de démonter tout ce qu'on met en place par les mensonges. Il y a des attaques personnelles dans les mails. » ; qu'en se bornant à énoncer qu'il résultait du contenu du courriel litigieux que M. [C] avait agi dans « le cadre des intérêts défendus » par le comité social et économique, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [U], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2022:SO00235
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 16 février 2022
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 235 FS-B
Pourvoi n° G 20-14.416
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 FÉVRIER 2022
La société Valéo systèmes thermiques, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° G 20-14.416 contre l'arrêt rendu le 21 janvier 2020 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant à M. [S] [C], domicilié [Adresse 1], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Valéo systèmes thermiques, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [C], et l'avis de M. Gambert, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 janvier 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Chamley-Coulet, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mme Ott, conseillers, Mme Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, M. Gambert, avocat général, et Mme Lavigne, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 21 janvier 2020), la société Valéo systèmes thermiques (la société) est divisée en plusieurs établissements distincts, dont celui de Reims qui compte un effectif d'environ cinq cents salariés. Le 5 mai 2019, M. [C], secrétaire du comité social et économique, a procédé à l'affichage, sur le panneau destiné aux communications de l'ancien comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), d'un extrait des conclusions déposées par ce dernier au soutien d'une citation directe de la société, examinée par le tribunal correctionnel le même jour. Cet extrait reproduisait le contenu d'un courriel adressé le 18 janvier 2016 par l'ancien directeur de l'établissement au directeur en charge de certaines missions d'hygiène, de sécurité et d'environnement.
2. Le 7 mai 2019, la société a fait assigner M. [C] devant le président du tribunal de grande instance afin que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de l'affichage.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
3. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'ordonner le retrait de tout panneau d'affichage en son sein du courriel daté du 18 janvier 2016 échangé entre M. [T] et M. [N], alors :
« 4°/ qu'à supposer que, nonobstant son obligation de discrétion, un représentant du personnel puisse diffuser auprès de l'ensemble du personnel de l'entreprise un courrier privé contenant des données personnelles relatives à un salarié, une telle diffusion doit se rattacher aux missions qui lui sont confiées en vertu de son mandat, être strictement nécessaire à l'exercice de ces missions et présenter un caractère strictement proportionnel au but recherché ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le l'affichage avait été effectué le 3 mai 2019 et était "constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [N], responsable sécurité" ; qu'il résulte, par ailleurs, que ce mail était "un avertissement tout au moins une mise en garde" et que "l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié" ; que, pour refuser néanmoins le retrait de cet affichage, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'en diffusant une sanction adressée au responsable sécurité et faisant référence à la communication en matière d'amiante, qui est un sujet à la source d'inquiétude pour le personnel, M. [C] aurait "agi dans le cadre des intérêts défendus" par le CHSCT, devenu comité social et économique ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que l'affichage du courrier litigieux se rattachait aux missions confiées à M. [C], était nécessaire à l'exercice de ces missions à la date où il a été effectué et si les modalités de diffusion étaient proportionnées au but recherché, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-3, L. 2315-15 du code du travail, 809 du code de procédure civile, 9 du code civil, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans répondre aux moyens déterminants développés par les parties dans leurs conclusions et sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [N] qui avait donné lieu à une mise à pied disciplinaire qui avait été jugée justifiée par le conseil de prud'hommes ; qu'elle produisait à cet égard un tract qui avait été distribué aux salariés et qui surnommait M. [N] de "cowboy de la sécurité" et lui imputait l'idée selon laquelle il serait indifférent au fait que : "[les salariés] peuvent mourir brûlés vifs, ce n'est pas bien important ?? la priorité reste le fric" ; qu'elle produisait également les comptes rendus de cinq entretiens individuels réalisés au cours de l'enquête interne attestant notamment, que "tout le monde est au courant, tout le monde est en copie des mails : il recevait des mails tous les jours. C'est un sentiment qui traine depuis deux ans, et là c'est la goutte d'eau. Maintenant il a peur d'ouvrir ses mails, il a une boule au ventre, il m'a parlé de cette situation en privé. J'ai vu [Y] en pleurs. Il remet tout en question" ou encore que "sur la situation de [Y], j'ai constaté un homme abattu et blessé, suite aux attaques à répétition, à tout ce qu'on essaie de lui mettre sur le dos. Je fais référence aux différents mails, à la visite de l'inspecteur du travail, de la DREAK, quand [S] [C] essayait de démonter tout ce qu'on met en place par les mensonges. Il y a des attaques personnelles dans les mails." ; qu'en se bornant à énoncer qu'il résultait du contenu du courriel litigieux que M. [C] avait agi dans "le cadre des intérêts défendus" par le comité social et économique, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [U], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du code civil et l'article L. 2315-15 du code du travail :
4. Il résulte des textes susvisés que le respect de la vie personnelle d'un salarié n'est pas en lui-même un obstacle à l'application de l'article L. 2315-15 du code du travail, nonobstant l'obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'informations relevant de la vie personnelle d'un salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.
5. Après avoir constaté que l'e-mail litigieux adressé par le directeur d'établissement au directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité à qui il s'adresse personnellement et exclusivement mentionne notamment « je fais suite à notre conversation téléphonique du [...] et notre conversation orale [...] un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude [...] pour la bonne forme merci de m'accuser réception de ce mail par retour » et retenu qu'il résultait du contenu et de la conclusion de ce message qu'il constituait un avertissement ou tout au moins une mise en garde de nature disciplinaire, l'arrêt en a déduit exactement qu'il constituait un élément relevant de la vie personnelle du salarié.
6. Toutefois, pour rejeter la demande de retrait de cet e-mail du panneau d'affichage du comité social et économique, l'arrêt retient que le directeur chargé des questions d'hygiène et de sécurité n'est pas intervenu volontairement à la procédure pour défendre ses droits et la société ne dispose d'aucun élément démontrant qu'il s'associe à son action en référé, que l'e-mail litigieux marque au responsable hygiène et sécurité sa réprobation aux propos qu'il a tenus dans la forme et le fond le 12 janvier 2016 mais également fixe désormais la position de la direction sur la communication au titre de l'amiante, qu'en diffusant un e-mail dans lequel la direction sanctionne son responsable sécurité pour avoir communiqué sur le sujet de l'amiante avec le secrétaire du CHSCT, dans lequel la direction lui retire tout droit à communiquer sur l'amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie et se réserve seule le droit de transmettre des informations, le secrétaire du CHSCT et désormais du CSE a agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci, que ce sujet de l'amiante qui est de haute sécurité pour la santé des travailleurs était l'objet de toute leur inquiétude et qu'ils s'estimaient mal renseignés et mal protégés depuis de nombreuses années, qu'en conséquence l'intérêt de cet e-mail était suffisant pour justifier l'atteinte aux droits fondamentaux du salarié concerné.
7. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à démontrer que l'affichage par un membre de la délégation du personnel du comité social et économique d'un courriel relevant de la vie personnelle d'un salarié, datant de trois années auparavant et qui concernait seulement les modalités de communication en matière de santé et de sécurité entre deux membres de la direction, était indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du comité social et économique en application de l'article L. 2312-9 du code du travail, et que l'atteinte ainsi portée à la vie personnelle de ce salarié était proportionnée au but poursuivi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'action dirigée contre M. [C] recevable, l'arrêt rendu le 21 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt, et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne M. [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Valéo systèmes thermiques
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société VST de sa demande visant à voir ordonner le retrait de tout panneau d'affichage au sein de la société VST à [Localité 3] du courrier daté du 18 janvier 2016 échangé entre M. [T] et M. [N] ;
AUX MOTIFS QUE « L'affichage des communications syndicales et des institutions représentatives du personnel se fait librement sur des panneaux réservés à charge pour l'auteur de l'affichage de transmettre à l'employeur un exemplaire des communications qu'il va afficher. L'employeur ne peut prétendre exercer un contrôle préalable ni soumettre unilatéralement l'affichage à une procédure d'autorisation. Sauf à commettre un délit d'entrave il ne peut qu'agir a posteriori par la voie judiciaire pour obtenir le retrait des communications. Ainsi en l'espèce le retrait d'un affichage du 3 mai 2019 effectué par Monsieur [C] et constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [L] responsable sécurité a été réclamé par la société Valeo Systemes Thermiques. Ce mail échangé avec en copie une seule personne a été envoyé de la boite personnelle de Monsieur [T] sur celle de Monsieur [L] à qui il s'adresse personnellement et exclusivement écrivant notamment « [Y], je fais suite à notre conversation téléphonique du et notre conversation orale... ...un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude... pour la bonne forme merci de m'accuser réception de ce mail par retour? ». De la lecture de son contenu et de sa conclusion il ressort qu'il s'agit d'un avertissement tout au moins d'une mise en garde. Aussi l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié. Si le contenu des affiches et des documents distribués est librement déterminé par l'organisation syndicale ou les institutions représentatives son contenu doit néanmoins rester dans les limites de ce qui fait leur objet et dans les limites le cas échéant d'une atteinte proportionnée à d'autres libertés fondamentales. Il se fait sous réserve des dispositions relatives à la presse (injures et diffamation), sous réserve du secret des correspondances incluant les courriels émis ou reçus et de la vie privée des personnes reconnus comme des libertés fondamentales des salariés garanties aux articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du Code civil et dont la violation est réprimées à l'article L. 226-15 du code pénal. La diffusion du message du 18 janvier 2016 qualifié de correspondance privée contenant des données personnelles interdisait dès lors de le diffuser sauf à justifier de la défense d'un intérêt légitime supérieur et de la proportionnalité à l'atteinte ainsi apportée à ces droits fondamentaux. La société conteste cette proportion affirmant que cet affichage d'un e-mail échangé plus de trois ans auparavant n'apportait strictement rien aux salariés de l'établissement et se bornait à vouloir inutilement blesser et humilier le destinataire visé et porter atteinte à son crédit. Mais la société qui invoque le secret des correspondances a elle-même produit l'e-mail du 18 janvier 2016 dans le cadre d'une demande d'autorisation de licenciement d'un autre salarié protégé membre du CHSCT et a ainsi estimé proportionné à ses intérêts l'atteinte aux principes qu'elle oppose à Monsieur [C]. Elle a dans ce cadre fourni à un autre membre du CHSCT désormais CSE le document litigieux que celui-ci lui utilise contre la société dans le cadre d'une instance pénale en cours et qui dans ce cadre fera l'objet de débat public. Et l'atteinte à la vie privée ou aux données personnelles qu'invoque la société ne la concerne pas mais vise Monsieur [L]. Or celui-ci n'est pas intervenu volontairement à la procédure pour défendre ses droits et la société ne dispose d'aucun élément démontrant qu'il s'associe à son action en référé et qu'il a été affecté par cet affichage qui au contraire peut faciliter sa position en montrant aux salariés que sa parole n'était pas libre dans le cadre des discussions concernant l'amiante. Le contenu d'un mail du 12 janvier 2016 envoyé par Monsieur [C] 8 jours plus tôt situe le contexte de l'altercation qu'il a eu à cette date avec Monsieur [L] et portant notamment sur la question de l'amiante. Il démontre que celui litigieux du 18 janvier 2016 est l'exacte réponse de la direction à cette altercation en ce qu'elle marque à Monsieur [L] responsable sécurité sa réprobation aux propos qu'il a tenus dans la forme et le fond le 12 janvier mais également en ce qu'elle fixe désormais la position de la direction sur la communication au titre de l'amiante. En diffusant un mail dans lequel la direction sanctionne son responsable sécurité pour avoir communiquer sur le sujet de l'amiante « avec le secrétaire » dans lequel la direction lui retire tout droit à communiquer sur l'amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie, dans lequel elle évoque une stratégie qu'elle a mise en place pour le faire, et dans lequel elle se réserve seule le droit de transmettre des informations, Monsieur [C] en sa qualité d'ex secrétaire du CHSCT et nouveau secrétaire du CSE ayant substitué celui-ci, a agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci. Par ailleurs des nombreux documents fournis il ressort que ce sujet de l'amiante qui est de haute sécurité pour la santé des travailleurs était l'objet de toute leur inquiétude et qu'ils s'estimaient mal renseignés mal protégés depuis de nombreuses années. En conséquence l'intérêt de ce mail était suffisant pour justifier l'atteinte aux droits fondamentaux de Monsieur [L] constatée. Aussi l'ordonnance du juge est infirmée et la société est déboutée de sa demande. L'atteinte réciproque à des droits fondamentaux analysée démontre l'absence de caractère abusif de la procédure de sorte qu'il convient de débouter chacune des parties de leur demande à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;
1. ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office, sans recueillir préalablement les observations des parties ; qu'au cas présent, M. [C] se bornait à faire valoir dans ses écritures que le courrier électronique litigieux affiché sur les panneaux réservés au comité social et économique présentait un caractère professionnel et n'était donc pas couvert par le secret des correspondances et les règles gouvernant le respect de la vie privée du salarié ; qu'en estimant, après avoir relevé que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié », que la diffusion d'une telle correspondance pouvait néanmoins se justifier par la défense d'un intérêt légitime supérieur sous réserve de la proportionnalité de l'atteinte ainsi portée aux droits fondamentaux, la cour d'appel s'est fondée sur un moyen de droit qu'elle a relevé d'office ; qu'en statuant de la sorte, sans recueillir préalablement les observations des parties, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2. ALORS QUE le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction et ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office, sans recueillir préalablement les observations des parties ; qu'au cas présent, M. [C] se bornait à faire valoir dans ses écritures que le courrier litigieux affiché sur les panneaux réservé au comité social et économique présentait un caractère professionnel et n'était donc pas couvert par le secret des correspondances et les règles gouvernant le respect de la vie privée du salarié ; qu'en estimant, après avoir relevé que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié », que l'employeur ne pouvait se prévaloir du caractère attentatoire à la vie privée pour solliciter le retrait de ce document aux motifs que le salarié concerné n'était pas intervenant à la procédure et que l'employeur ne faisait état d'aucun élément démontrant que la salarié concerné s'associait à la demande de retrait ou aurait été affecté par l'affichage, la cour d'appel s'est fondée sur un moyen qu'elle a relevé d'office ; qu'en statuant de la sorte, sans recueillir préalablement les observations des parties, la cour d'appel a derechef violé l'article 16 du code de procédure civile ;
3. ALORS QUE les représentants du personnel sont soumis à une obligation de discrétion qui s'applique à l'égard des informations revêtant un caractère confidentiel et présentées comme telles par l'employeur et à l'égard des informations réputées confidentielles par la loi ; que cette obligation interdit donc aux représentants du personnel d'afficher sur les panneaux mis à leur disposition un document à caractère privé contenant des données personnelles relatives à un salarié sans l'accord de ce dernier ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le courriel ayant fait l'objet de l'affichage litigieux avait été envoyé par le directeur de l'établissement sur la boîte personnelle du responsable sécurité et lui était adressé personnellement et exclusivement ; qu'il résulte, encore, des constatations de l'arrêt que l'affichage concernait « une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié » ; qu'en estimant néanmoins qu'un tel affichage était licite, la cour d'appel a méconnu les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations et violé les articles L. 2315-3 et L. 2315-15 du code du travail, dans leur version issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ensemble les articles 809 du code de procédure civile, 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et les articles 4, 5 et 6 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
4. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'à supposer que, nonobstant son obligation de discrétion, un représentant du personnel puisse diffuser auprès de l'ensemble du personnel de l'entreprise un courrier privé contenant des données personnelles relatives à un salarié, une telle diffusion doit se rattacher aux missions qui lui sont confiées en vertu de son mandat, être strictement nécessaire à l'exercice de ces missions et présenter un caractère strictement proportionnel au but recherché ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que le l'affichage avait été effectué le 3 mai 2019 et était « constitué d'un mail échangé le 18 janvier 2016 soit plus de 3 ans plus tôt entre Monsieur [T] directeur de l'établissement et Monsieur [N] responsable sécurité » ; qu'il résulte, par ailleurs, que ce mail était « un avertissement tout au moins une mise en garde » et que « l'affichage concerne une correspondance privée contenant des données personnelles d'un salarié » ; que, pour refuser néanmoins le retrait de cet affichage, la cour d'appel s'est bornée à énoncer qu'en diffusant une sanction adressée au responsable sécurité et faisant référence à la communication en matière d'amiante, qui est un sujet à la source d'inquiétude pour le personnel, M. [C] aurait « agi dans le cadre des intérêts défendus » par le CHSCT, devenu comité social et économique ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à faire ressortir que l'affichage du courrier litigieux se rattachait aux missions confiées à M. [C], était nécessaire à l'exercice de ces missions à la date où il a été effectué et si les modalités de diffusion étaient proportionnées au but recherché, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-3, L. 2315-15 du code du travail, 809 du code de procédure civile, 9 du code civil, et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. ALORS QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans répondre aux moyens déterminants développés par les parties dans leurs conclusions et sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'au cas présent, la société exposante faisait valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [N] qui avait donné lieu à une mise à pied disciplinaire qui avait été jugée justifiée par le conseil de prud'hommes ; qu'elle produisait à cet égard un tract qui avait été distribué aux salariés et qui surnommait M. [N] de « cowboy de la sécurité » et lui imputait l'idée selon laquelle il serait indifférent au fait que : « [les salariés] peuvent mourir brûlés vifs, ce n'est pas bien important ?? la priorité reste le fric » ; qu'elle produisait également les comptes rendus de cinq entretiens individuels réalisés au cours de l'enquête interne attestant notamment, que « tout le monde est au courant, tout le monde est en copie des mails : il recevait des mails tous les jours. C'est un sentiment qui traine depuis deux ans, et là c'est la goutte d'eau. Maintenant il a peur d'ouvrir ses mails, il a une boule au ventre, il m'a parlé de cette situation en privé. J'ai vu [Y] en pleurs. Il remet tout en question » ou encore que « sur la situation de [Y], j'ai constaté un homme abattu et blessé, suite aux attaques à répétition, à tout ce qu'on essaie de lui mettre sur le dos. Je fais référence aux différents mails, à la visite de l'inspecteur du travail, de la DREAK, quand [S] [C] essayait de démonter tout ce qu'on met en place par les mensonges. Il y a des attaques personnelles dans les mails. » ; qu'en se bornant à énoncer qu'il résultait du contenu du courriel litigieux que M. [C] avait agi dans « le cadre des intérêts défendus » par le comité social et économique, sans répondre aux conclusions qui faisaient valoir que l'affichage litigieux s'inscrivait dans un contexte de harcèlement de la part de M. [C] à l'égard de M. [U], la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.