Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 16 février 2022, 20-13.542, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 131 FS-B

Pourvoi n° G 20-13.542











R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 16 FÉVRIER 2022

L'association La Manif pour tous, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° G 20-13.542 contre l'arrêt rendu le 20 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'association Société protectrice des animaux (SPA), dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la Fondation [4], dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de l'association La Manif pour tous, de la SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, avocat de l'association Société protectrice des animaux, et l'avis de Mme Beaudonnet, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois, conseiller doyen, Mmes Champalaune, Michel-Amsellem, conseillers, M. Blanc, conseiller référendaire ayant voix délibérative, Mmes Comte, Bellino, MM. Maigret, Régis, conseillers référendaires, Mme Beaudonnet, avocat général, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 décembre 2019), la Société protectrice des animaux (la SPA), association reconnue d'utilité publique, dont l'objet social est la protection des animaux, a lancé une campagne nationale pour dénoncer la torture faite aux animaux dans le cadre de l'abattage, de l'expérimentation animale et de la corrida.

2. L'association La Manif pour tous (l'association LMPT), qui a pour objet la coordination d'actions de promotion du mariage homme-femme, de la famille, de la parenté et de l'adoption, a diffusé sur son site internet des « visuels » reprenant les codes et certains éléments de cette campagne, pour dénoncer la procréation médicalement assistée (PMA) sans père et la gestation pour autrui (GPA).

3. La Fondation [4], qui agit au profit des personnes atteintes de maladies génétiques, a également repris des éléments de cette campagne nationale sur son site internet, pour dénoncer l'avortement « tardif » et l'euthanasie.

4. A la demande de la SPA, un juge des référés a, notamment, interdit sous astreinte aux deux défenderesses de poursuivre l'utilisation des visuels litigieux, leur a ordonné la publication d'un communiqué sur leurs sites internet respectifs et a accordé à la SPA à titre de provision la somme de un euro de dommages-intérêts.

5. Considérant que ces faits étaient constitutifs de parasitisme, la SPA a assigné l'association LMPT et la Fondation [4] sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, aux fins d'indemnisation du préjudice en résultant.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et cinquième branches ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. L'association LMPT fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la SPA la somme de 15 000 euros en réparation de préjudices subis du fait d'actes de parasitisme et de dire que la Fondation [4] y était tenue à hauteur de 5 000 euros, alors « que le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre pour tirer indûment un profit économique de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'une campagne à des fins politiques n'a pas pour finalité de tirer un profit économique d'une notoriété acquise ou des investissements ; qu'il est constant que la campagne engagée par la SPA n'a pour finalité que d'attirer l'attention du public et des politiques sur la nécessité de mettre fin à certaines pratiques nuisibles pour les animaux et n'a pas de finalités économiques ; que la parodie des affiches par les associations LMPT et [4] avait pour finalité d'accentuer ce trait, par un humour caustique, en montrant la nécessité que l'enfant soit protégé de la même façon, sans aucune finalité économique ; qu'en retenant l'existence d'un parasitisme sans caractériser aucune finalité économique de la part de l'une (la SPA) ou de l'autre (la LMPT) de ces associations, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. L'action en parasitisme, fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du code civil, qui implique l'existence d'une faute commise par une personne au préjudice d'une autre, peut être mise en oeuvre quels que soient le statut juridique ou l'activité des parties, dès lors que l'auteur se place dans le sillage de la victime en profitant indûment de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements.

9. L'arrêt constate d'abord que la SPA, dont la notoriété est établie auprès du public français qui la place en troisième position des associations caritatives les plus connues, justifie d'investissements publicitaires pour une opération de communication dénonçant la maltraitance animale, qui a été relayée dans des médias nationaux, et ensuite que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné ses affiches, sur leurs sites internet respectifs, pour traiter des causes qui leurs sont propres, quelques jours seulement après le lancement de la campagne nationale de la SPA.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a établi l'utilisation, par l'association LMPT et la Fondation [4], des outils de communication conçus et financés par la SPA, a pu en déduire, peu important la finalité de leurs campagnes respectives, qu'elles avaient commis des actes de parasitisme.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

12. L'association LMPT fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'utilisation de la marque, des concepts ou des idées d'autrui est permise à des fins polémiques ou humoristiques, sauf abus ; qu'en particulier, les buts de santé publique ou de protection de l'environnement sont considérés comme justifiant même des dénigrements de produits ou services, à plus forte raison s'il s'y ajoute une pointe d'humour ; qu'en l'espèce, en l'absence même de tout dénigrement du bien-fondé de la poursuite de la santé animale, la reprise humoristique d'une campagne d'information en vue de la protection de la santé humaine relève de la liberté d'expression et ne pouvait être qualifiée de fautive sans que soit caractérisé l'abus ; qu'en considérant que le parasitisme était constitué, nonobstant la liberté d'expression, du seul fait que la "campagne" menée par LMPT aurait "brouillé" celle de la SPA, sans que soit caractérisée ni volonté de nuire, ni aucun abus dans la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

13. Après avoir exactement énoncé que la liberté d'expression protégée par l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales peut faire l'objet de restrictions prévues par la loi, qui doivent constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre des buts légitimes et notamment la protection des droits d'autrui, l'arrêt constate que le message de la SPA était destiné à sensibiliser le public au problème de la maltraitance animale et que l'association LMPT et la Fondation [4] ont détourné cette campagne d'affichage au profit de leurs propres causes, notamment l'opposition à la PMA sans père et la GPA, faisant ainsi ressortir que ces campagnes participaient à des débats intéressant le grand public et portaient sur des questions d'intérêt général.

14. L'arrêt relève ensuite que l'association LMPT affirmait que ce qui touche la personne humaine est plus grave et plus important que la maltraitance animale. Il considère que du fait du détournement volontaire de la campagne de la SPA par l'association LMPT au profit de ses propres causes, la campagne de la SPA a perdu en clarté et en efficacité, a été en partie brouillée en ce qu'elle s'est trouvée associée à des organisations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, et qu'elle a été aussi affaiblie en ce que sa cause est présentée comme moins importante.

15. L'arrêt retient en outre, par motifs adoptés, que les thèmes de l'association LMPT, tels que « enfermée pour enfanter », « l'exploitation des femmes », « arrachée à sa mère dès la naissance », ne sont pas employés dans les « visuels » litigieux dans le but de provoquer le rire ou de manière humoristique.

16. De cette analyse concrète de l'ensemble des faits de l'espèce, la cour d'appel, qui n'avait pas à établir l'existence d'une intention de nuire, a pu déduire que l'ingérence causée à l'association LMPT et à la Fondation [4] par leur condamnation au paiement de dommages-intérêts, à raison de leur comportement fautif, constituait une mesure proportionnée au but légitime de la protection des droits de la SPA.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne l'association La Manif pour tous aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association La Manif pour tous et la condamne à payer à l'association Société protectrice des animaux la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Corlay, avocat aux Conseils, pour l'association La Manif pour tous.

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir condamné l'association La Manif Pour Tous à payer à la Spa la somme de 15 000 € en réparation de préjudice subis du fait d'actes de parasitisme ; Dit que la Fondation J. Lejeune y serait tenue à hauteur de 5000 € ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le parasitisme L'association Lmpt fait valoir que les visuels de la Spa, qui n'ont pas d'originalité ne présentent pas de valeur économique individualisée, pas plus que le hashtag associé à la formule "Monsieur le Président" qui ne peut faire l'objet d'une appropriation exclusive, et que le fait de suggérer aux gens d'interpeller leurs élus sur un sujet de préoccupation n'a rien de novateur. Elle soutient qu'elle n'a procédé à aucune publication sur Twitter mais a simplement proposé de diffuser sur les réseaux sociaux les visuels inspirés de ceux de la Spa. La Fondation [4] fait valoir qu'elle est reconnue d'utilité publique et agit dans un but non lucratif sorte qu'elle n'est pas un opérateur économique, que les visuels de la campagne publicitaire de la Spa ne présentent aucune originalité, que ceux de sa campagne de communication sont distincts sans aucun risque de confusion, que l'existence d'un effort intellectuel et d'investissement n'est pas démontrée, que le concept de campagne participative pas plus que le hashtag «#JeVousFaisUneLettre » sont protégeables ; qu'elle n'a pas twitté ni profité du retentissement de la campagne de la Spa dont il n'est pas justifié d'une notoriété particulière, et qu'en conséquence sa responsabilité ne saurait être engagée sur le fondement du parasitisme. La Spa prétend que les visuels diffusés par les appelantes reprennent les éléments distinctifs de ceux de sa campagne, à savoir inciter les citoyens à prendre directement contact avec leurs élus sur interne au moyen. du Hashtag #JeVousFaisUneLettre qui devait permettre de centraliser l'intégralité des réactions du public sur la cause animale dans un fil unique de conversation sur Twitter, et qu'en détournant le concept de sa campagne, elles ont ainsi détourné l'audimat généré et bénéficié d'une exposition qu'elles n'auraient pas eu sans les investissements consentis ainsi qu'il résulte du fil de conversation du Hashtag montrant un grand nombre de publications concernant les causes défendues par l'association Lmpt et par la Fondation [4]. La cour rappelle que le parasitisme, qui consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d'un ensemble d'éléments appréhendés dans leur globalité indépendamment de tout risque de confusion. Ainsi que l'a justement relevé le tribunal par des motifs que la cour adopte, le fait que les parties qui sont toutes des associations reconnues d'utilité, publique n'ont pas d'activité commerciale n'empêche pas la Spa d'agir sur le fondement du parasitisme, sans préjudicier du bien-fondé de son action. La Spa justifie qu'elle a réalisé à compter du 18 avril 2016 une campagne de communication basée sur un concept participatif incitant chaque citoyen à interpeller les politiques à commencer par le Président de la République, afin de les sensibiliser la cause de la maltraitance animale, via le réseau Twitter en utilisant le Hashtag #JeVousFaisUne Lettre, par référence à la célèbre chanson de Boris Vian imaginant la lettre d'un déserteur sur l'horreur de la guerre adressée au Président de la République. Les trois affiches qu'elle a réalisées à cette fin ont été conçues selon la même mise en page, onglet en haut à gauche sur fond orange au bord biaisé comprenant un Hashtag suivi selon les thèmes des mots #ABATTOIRS. EXPERIMENTATION ANIMALE. et #CORRIDA, en dessous duquel se trouve un visuel d'animal. respectivement un agneau, un lapin et un taureau occupant la moitié gauche de l'affiche, l'autre moitié reprenant dans les trois cas en gros caractères la question "LA TORTURE ... C'EST LEGAL ?", en dessous de laquelle est positionné un cartouche rectangulaire sur fond noir sur lequel est écrit en lettres rouges "Monsieur le Président, puis au-dessous en lettres blanches #JeVousFaisUneLettre, le bas de l'affiche mentionnant de gauche à droite le site spa.fr, les comptes facebook et twitter de l'association, puis dans l'angle droit son logo. Cette campagne de sensibilisation à la. cause animale a été créée par un studio de création qui a. facturé ses prestations à hauteur de 5 775 euros à titre de note d'honoraires pour la création de la campagne d'affiche et sa déclinaison digitale les affiches ont été imprimées pour un montant de 15 221 euros et l'achat d'espaces d'affichages effectué par l'agence Havas Média a été facturée à la Spa pour un montant de 129 594 euros correspondant à des réservations sur des réseaux locaux" et de « Métrobus » ainsi qu'il résulte des factures versées à la procédure. Cette opération de communication a donné lieu à de nombreux articles de presse le 18 avril 2016, jour de son lancement, notamment sur les sites des magazines Paris Match. Midi libre. le Point, l'Express. le Figaro, Femme Actuelle, Ouest France mais aussi des radios telle que France Bleue et celui de la chaîne de télévision BFM TV, ces différents articles reprenant les visuels de la campagne et expliquant notamment que la Spa interpelle le Président de la République sur l‘abattage des animaux, la corrida et la vivisection en lançant une campagne à laquelle les internautes sont invités à réagir via le hashtag #JeVousFaisUneLettre. Il n'est pas contesté, ainsi qu'il résulte notamment des écritures des appelantes que l'association Lmpt comme la Fondation [4] se sont inspirées de la campagne de la Spa en affichant sur leurs sites internet respectifs des visuels rappelant celui des affiches de la Spa pour traiter des causes qui leurs sont propres à savoir, pour la première, le refus de la GPA et de la PMA pour les couples de même sexes et pour la seconde, "l'eugénisme des bébés porteurs de la trisomie 21, l'avortement tardif' et l'euthanasie, ces visuels ayant été diffusés sur le site de l'association Lmpt à compter du 23 avril 2016 ainsi qu'il résulte du procès-verbal d'huissier de justice du 3 mai 2016 constatant sur ce site l'annonce de la nouvelle campagne PMA/IGPA sous laquelle est indiqué post on 23 avril 20 1.6. et sur le site de la Fondation Lejeune à compter du 2 mai 2016 soit respectivement 5 jours et 12 jours après le lancement de la campagne de la Spa. En outre, les visuels publiés par l'association Lmpt et la Fondation Lejeune sur leurs sites interne respectifs reprennent le concept de la campagne de communication de la Spa à savoir l'incitation des sympathisants à interpeller le Président de la République eu envoyant un twitt sur le #JeVousFaisUne Lettre. Ils reprennent aussi la même composition de l'affiche de la Spa à savoir - l'onglet en liant à gauche de couleur et de forme biaisée dans lequel se trouve un # suivi de leurs propres sujets de communication à savoir #GPA. #PMA SANS PERE, #AVOR.TEMENT TARDIF. #TRISOMIE21; - la photographie en gros plan sur la moitié gauche illustrant le thème - le texte en lettres capitales sur la partie droite dont les premiers mots "VOLONTAIREMENT PRIVE DE PERE". "CHERCHE PERE DESESPEREMENT", "LAVORTEMENT TARDIF ou "L'EUGENISME" se terminent par trois points de suspension ... suivis de la nième question que celle de la campagne de la Spa "C'EST LEGAL ?", - sous ladite question, une cartouche rectangulaire sur fond noir identique à celui de la Spa, sur lequel est écrit eu lettres de couleur Monsieur le Président, puis au-dessous en lettres blanches #JeVousFaisUneLettre": le pied du visuel mentionnant de gauche à droite le site de l'association, puis ses comptes facebook et twitter et en bas à droite leurs logos respectifs. Ces éléments caractérisent le fait que l'association Lmpt et la Fondation [4] ont profité des investissements réalisés par la Spa tant pour la création que pour la diffusion de sa campagne que de sa notoriété dont il est justifié par la production d'un baromètre Sofres réalisé en 2013 montrant qu'elle apparaît en 3e position des associations caritatives les plus connues des français, pour se placer dans soit sillage en détournant quelques jours seulement après le lancement de sa campagne de sensibilisation ù la cause animale, le concept et la composition visuelle de ladite campagne au bénéfice de leurs propres causes tendant ainsi à diluer, brouiller et à parasiter les messages de la Spa pour la protection des animaux ainsi qu'il résulte notamment du fil de conversation twitter #JeVousFaisUneLettre édité le 9 mai 2016 dont un nombre de publications provient des associations départementales de l'association Lmpt (31 , 33. 49, 53 ...) au sujet des causes qu'elles défendent et des manifestations qu'elles prévoient, étant observé qu'un particulier mentionne sur ledit fil "je découvre que La Manif pour tous trolle honteusement la campagne #JeVousFaisUneLettre de la Spa", et peu important le fait que lesdits messages sur le fil de conversation, n'étaient pas directement de l'association nationale Lmpt et de la Fondation [4], lesquelles sont bien à l'origine, ce qui n'est pas contesté, de la diffusion des visuels litigieux sur leurs sites internet respectifs. Sur la liberté d'expression et l'exception de parodie. L'association Lmpt fait valoir, à la différence de La Fondation [4] qui n'invoque pas ces moyens de défense, que la liberté d'expression garantie notamment par l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme (la CEDH) vaut pour les idées y compris celles qui choquent ou inquiètent, ainsi que l'exigent les principes de pluralisme et de tolérance, que les restrictions qui lui sont apportées doivent être rendues nécessaires dans une société démocratique et que le tribunal a appliqué à tort l'adjectif nécessaire non à la limitation susceptible d'être apportée à la liberté d'expression, mais à la manière dont la liberté d'expression avait été utilisée dans le cas d'espèce, et ce alors qu'un sujet d'intérêt général comme celui quelle défend justifie de la prééminence de la liberté d'expression sur d'autres droits. Elle ajoute que l'exception de parodie permet aussi d'échapper au grief de parasitisme, que les visuels litigieux ne poursuivaient aucune fin commerciale, que le risque de confusion est nul, que l'intention était un clin d'oeil humoristique destiné à rappeler sous un mode caustique que si le combat contre la maltraitance animale est légitime, celui de la filiation humaine ne l'est pas moins, ce clin d'oeil étant d'autant plus justifié que quelques mois plus tôt la Spa avait fait un clin d'oeil inverse à sa cause, en représentant un couple d'hommes tenant un chat dans les bras sous le slogan "A la Spa tout le monde peut adopter", et en conclut que le visuel concerné constitue une parodie qui ne saurait matérialiser un agissement parasite, et qui est tout au plus le détournement d'un visuel sous une forme de pastiche, la gravité du sujet n'excluant pas l'humour. La Spa prétend que l'association Lmpt invoque à tort l'exception de parodie prévue par le code de la propriété intellectuelle alors qu'elle ne revendique pas de droit d'auteur, que la liberté d'expression n'autorise pas le détournement des investissements d'autrui, et que le thème de la campagne des intimées n'a rien d'un clin d'oeil humoristique. La cour constate effectivement que l'exception de parodie prévue par l'article L 122-4-4 du code de la propriété intellectuelle n'est pas applicable à l'espèce, la Spa ne revendiquant pas de droit d'auteur, de sorte que les développements relatifs au pastiche ou à la parodie doivent être appréciés au regard du droit à la liberté d'expression. Elle rappelle qu'en application de l'article 10 de la Cedh, est reconnu le droit à la liberté d'expression, lequel comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir on de communiquer des informations ou des idées, et que l'exercice de ces libertés peut être soumis à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui doivent constituer des mesures nécessaires, dans une société démocratique, pour atteindre des buts légitimes et notamment la protection des droits d'autrui. Cette disposition s'applique à la communication sur Internet, quel que soit le type de message, de sorte que les messages litigieux des intimées sur leurs sites internet respectifs relèvent de l'exercice du droit à la liberté d'expression, et qu'en conséquence, la condamnation prononcée pour ces faits à leur encontre dans le jugement entrepris dont la Spa demande la confirmation, s'analyse en une ingérence dans celui-ci, laquelle enfreint l'article 10 susvisé de la CEDH, sauf si, elle est nécessaire, dans une société démocratique pour atteindre un des buts légitimes prévus par ledit article et en particulier la protection des droits d'autrui. En l'espèce, ainsi qu'il a été précédemment expliqué, quelques jours après le lancement d'une campagne nationale par la Spa aux fins de sensibiliser au problème de la maltraitance animale par le biais d'une communication participative incitant les citoyens à interpeller le Président de la République sur cette cause via le site de réseau social twitter et le #JeVousFaisUneLettre, l'association Lmpt a lancé sa propre campagne sur son site internet reprenant le concept de la campagne de la Spa en ce compris le slogan et le Hashtag le Président #JeVousFaisUneLettre" aux fins de les détourner pour ses propres causes. Ainsi, ledit Hashtag qui est un moyen pour les utilisateurs de twitter de catégoriser les messages relatifs à un même mot-clé ou sujets, et qui avait été créé par la Spa aux fins d'interpeller sur la cause de la maltraitance animale s'est trouvé sollicité par des twits de sympathisants de la Manif pour tous défendant leurs propres causes sans lien aucun avec celle de la Spa, de sorte que la campagne de cette dernière a perdu en clarté et en efficacité, a été en partie brouillée en ce qu'elle s'est trouvée associée à des associations et à des causes qui lui sont étrangères voire antagonistes, les sympathisants de la Spa pouvant être tout à fait réfractaires aux thèses soutenues par l'association Lmpt, mais aussi affaiblie en ce que sa cause est prétendument moins importante ainsi que le reconnaît la Présidente de l'association Lmpt dans son interview du 3 mai 2016 (pièce 4) "Nous avons voulu détourner cette campagne parce que ce qui touche la personne humaine est encore plus grave. (...) ce qui se passe pour les êtres humains est évidemment plus important", et enfin partiellement préemptée, le fil twitter comprenant des messages de sympathisants de l'association Lmpt, et ce alors que les causes qu'elle défend quoique distinctes, et notamment la protection des animaux ainsi que son droit à la liberté d'expression sont tout aussi légitimes. Il résulte de ces développements que la condamnation de l'association Lmpt comme celle de la Fondation [4] pour des faits de parasitisme au détriment de la Spa sont des mesures nécessaires pour atteindre le but légitime de la protection des droits de cette dernière, de sorte que le jugement entrepris doit être confirmé de ce chef. Sur la réparation du préjudice La Spa fait valoir qu'elle a investi environ 200 000 euros dans la conception et la diffusion de sa campagne, qu'elle a subi un préjudice moral du fait de la dilution de son message, et demandé en conséquence la condamnation in solidum des intimées à lui payer en réparation la somme de 50 000 euros. L'association Lmpt soutient qu'elle a diffusé les visuels sur son propre site Internet à l'exclusion de tout réseau social, seulement pendant 14 jours, que seulement 14 twits ont utilisé le Hashtag pour évoquer les causes de la PMA et de la GPA, qu'elle n'a utilisé elle-même aucun Hashtag se contentant de diffuser des visuels qui en étaient porteurs, outre qu'elle a publié le communiqué ordonné en référé. La Fondation [4] soutient que les campagnes publicitaires n'ont pas affecté l'image de la Spa ni entravé sa campagne de sorte qu'elle ne justifie d'aucun préjudice. La cour constate que la Spa justifie ainsi qu'il a été précédemment exposé, avoir dépensé une somme totale de 150 590 euros à titre d'honoraires de création, d'impressions d'affiches et de réservation d'espaces d'affichage. Il n'est cependant pas contesté, ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal, que la campagne de la Spa s'est déroulée selon le planning initialement: prévu, et que les visuels litigieux ont été retirés dès le 10 mai 2016, jour de l'assignation introductive d'instance en référé, de sorte qu'ils n'ont perduré que sur une courte période soit 17 jours sur le site de l'association Lmpt et 8 jours sur celui de la Fondation Jérôn.me Lejeune, outre que la publication judiciaire ordonnée en référé sur chacun des deux sites incriminés a permis de réparer en partie le préjudice moral subi. Il est enfin avéré que parmi les twits incriminés sur le fil de conversation #jeVousFaisUneLettre (pièce 1 3) 14 concernent l'association Lmpt et un seul la Fondation [4]. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le tribunal doit donc être approuvé en ce qu'il a condamné l'association Lmpt à payer une somme de 15 000 euros à la Spa en réparation de son entier préjudice subi tant financier que moral, et dit que la Fondation [4] y est tenue in solidum dans la limite de 5 000 euros. »

ALORS QUE 1°) le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'un autre pour tirer indûment un profit économique de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; qu'une campagne à des fins politiques n'a pas pour finalité de tirer un profit économique d'une notoriété acquise ou des investissements ; qu'il est constant que la « campagne » engagée par la Spa n'a pour finalité que d'attirer l'attention du public et des politiques sur la nécessité de mettre fin à certaines pratiques nuisibles pour les animaux et n'a pas de finalités économiques ; que la parodie des affiches par les associations Lmpt et [4] avait pour finalité d'accentuer ce trait, par un humour caustique, en montrant la nécessité que l'enfant soit protégé de la même façon, sans aucune finalité économique ; qu'en retenant l'existence d'un parasitisme sans caractériser aucune finalité économique de la part de l'une (la Spa) ou de l'autre (la Lmpt) de ces associations, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;

ALORS QUE 2°) les idées étant de libre parcours, le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en oeuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme ; que la reprise par un tiers d'un hashtag qui ne représente qu'une idée est libre ; que le principe même de twitter suppose l'utilisation de hashtags par des tiers, soit pour les approuver, soit pour les caricaturer, soit pour les détourner, sans qu'ils puissent fait l'objet d'une appropriation ; qu'en retenant que la responsabilité de l'exposante était engagée aux motifs que le « Hashtag qui est un moyen pour les utilisateurs de twitter de catégoriser les messages relatifs à un même mot-clé ou sujets, et qui avait été créé par la Spa aux fins d'interpeller sur la cause de la maltraitance animale s'est trouvé sollicité par des twits de sympathisants de la Manif pour tous défendant leurs propres causes sans lien aucun avec celle de la Spa », soit reconnaissant une privatisation d'un hashtag qui n'avait fait l'objet d'aucun dépôt de marque, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;

ALORS QUE 3°) l'exception de parodie procède de la liberté d'expression qui a valeur constitutionnelle ; qu'elle peut être opposée aussi bien en présence de droits d'auteurs ou autres droits privatifs qu'en matière de parasitisme ; qu'en disant que l'exception de parodie ne pouvait être opposée en matière de parasitisme dès lors que n'était pas en cause un droit privatif, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

ALORS QUE 4°) en toute hypothèse, l'utilisation de la marque, des concepts ou des idées d'autrui est permise à des fins polémiques ou humoristiques, sauf abus ; qu'en particulier, les buts de santé publique ou de protection de l'environnement sont considérés comme justifiant même des dénigrements de produits ou services, à plus forte raison s'il s'y ajoute une pointe d'humour ; qu'en l'espèce, en l'absence même de tout dénigrement du bien fondé de la poursuite de la santé animale, la reprise humoristique d'une campagne d'information en vue de la protection de la santé humaine relève de la liberté d'expression et ne pouvait être qualifiée de fautive sans que soit caractérisé l'abus ; qu'en considérant que le parasitisme était constitué, nonobstant la liberté d'expression, du seul fait que la « campagne » menée par Lmpt aurait « brouillé » celle de la Spa, sans que soit caractérisée ni volonté de nuire, ni aucun abus dans la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

ALORS QUE 5°) subsidiairement, les dommages et intérêts alloués ne peuvent réparer que le préjudice effectivement subi ; que la cour d'appel a constaté que la campagne de la Spa avait pu se dérouler normalement jusqu'à son terme ; que la présence sur le site de l'association des visuels litigieux n'avaient eu une durée que de 17 jours ; qu'uniquement 14 twits comportant le hashtag #jeVousFaisUneLettre concernaient l'association Lmpt ; qu'en retenant cependant qu'une indemnisation à hauteur de 15.000 € était justifiée, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1240 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2022:CO00131
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