Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 5 janvier 2022, 20-17.428, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 5 janvier 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 24 FS-B

Pourvoi n° H 20-17.428




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 5 JANVIER 2022

La société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Segard-Carboni et en qualité d'administrateur provisoire de la société le Carrefour de Destrelian, a formé le pourvoi n° H 20-17.428 contre l'arrêt rendu le 27 janvier 2020 par la cour d'appel de Basse-Terre (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [D] [T], épouse [W], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Buk Lament-Robillot, avocat de la société BCM, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [T], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 16 novembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mme Abgrall, conseillers, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 27 janvier 2020), Mme [T] est associée de la société civile immobilière Le Carrefour de Destrellan (la SCI).

2. Par ordonnance du 16 mars 2012, un administrateur provisoire a été désigné avec pour mission de gérer et d'administrer la SCI.

3. Le 24 juillet 2015, l'assemblée générale de la SCI a adopté des résolutions portant sur l'approbation des comptes des exercices 2011 à 2014, le quitus donné aux cogérants, puis à l'administrateur, pour ces exercices, l'affectation des résultats de l'exercice 2014 et la rémunération de l'administrateur provisoire.

4. Mme [T] a assigné la SCI, représentée par son administrateur, en annulation de cette assemblée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de constater le non-respect de la règle de l'unanimité des associés

Enoncé du moyen

5. La SCI, représentée par son administrateur provisoire, fait grief à l'arrêt de constater que la règle de l'unanimité des associés n'a pas été respectée, alors :

« 1°/ que, sauf stipulation contraire des statuts de la société, l'unanimité des associés nécessaire à la prise des décisions excédant les pouvoirs du gérant désigne les associés présents ou représentés lors de l'assemblée générale ; qu'en affirmant que les comptes auraient dû être approuvés à l'unanimité des associés y compris les absents à l'assemblée, en l'absence de disposition statutaire particulière, la cour d'appel a violé l'article 1852 du code civil ;

2°/ que, sauf stipulation contraire des statuts de la société, l'unanimité des associés nécessaire à la prise des décisions excédant les pouvoirs du gérant désigne les associés présents ou représentés lors de l'assemblée générale ; qu'après avoir constaté que les statuts reprenaient cette disposition au sujet de l'adoption des décisions collectives, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en affirmant que les statuts exigeaient l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société plutôt que l'unanimité des associés présents à l'assemblée générale, violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1852 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 1852 du code civil, les décisions qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés.

7. Ce texte ne restreint pas l'unanimité à celle des associés présents ou représentés à une assemblée générale, mais vise la totalité des associés de la société.

8. La cour d'appel a retenu que, les statuts de la SCI ne prévoyant aucune disposition particulière pour l'approbation des comptes, qui constitue une décision excédant les pouvoirs reconnus aux gérants, cette approbation devait être décidée à l'unanimité des associés.

9. Elle a, ensuite, souverainement retenu, abstraction faite de motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, que la clause des statuts stipulant que « toutes décisions qui excèdent les pouvoirs de gestion sont prises à l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société. Chaque part donne droit à une voix. », qui s'appliquait aux décisions portant sur le quitus donné à l'administrateur et la distribution des résultats, imposait l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société et non l'unanimité des voix des seuls associés présents à l'assemblée générale.

10. Elle a constaté que ces décisions n'avaient pas été prises à l'unanimité des voix de l'ensemble des associés.

11. Elle en a exactement déduit que les délibérations litigieuses avaient été adoptées en violation des règles statutaires et de la règle de l'unanimité des associés prévue par l'article 1852 du code civil.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des délibérations et d'ordonner le recouvrement des dividendes versés

Enoncé du moyen

13. La SCI, représentée par son administrateur provisoire, fait grief à l'arrêt de prononcer la nullité des délibérations prises à l'occasion de son assemblée générale du 24 juillet 2015 et d'ordonner à l'administrateur de poursuivre le recouvrement des dividendes versés, alors :

« 3°/ que la nullité des actes ou délibérations des organes d'une société civile ne peut résulter que de la violation d'une règle impérative du titre neuvième du livre troisième du code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général, la méconnaissance d'une disposition non impérative ; qu'en considérant que la méconnaissance de la règle de l'unanimité des associés issue du code civil en cas de décisions excédant les compétences du gérant justifiait l'annulation de la délibération relative à l'approbation des comptes, cependant que la règle méconnue n'était pas impérative, la cour d'appel a violé les articles 1844-10 et 1852 du code civil ;

4°/ que sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts n'est pas sanctionné par la nullité ;
qu'en considérant que la méconnaissance de la règle statutaire d'unanimité des associés pour toute délibération collective justifiait l'annulation des délibérations du 24 juillet 2015 portant quitus aux cogérants puis à l'administrateur, affectation du résultat, distributions des bénéfices, retrait d'une résolution et fixation des honoraires de l'administrateur, lorsque cette règle ne constituait pas une dérogation statutaire à une règle impérative la cour d'appel a violé les articles 1844-10, 1852 et l'ancien article 1134 du code civil. »

Réponse de la Cour

14. Aux termes de l'article 1844-10, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019, la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre neuvième du livre troisième du code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général.

15. Le principe d'unanimité, posé par l'article 1852 du code civil, à défaut de dispositions statutaires, pour prendre des décisions collectives qui excèdent les pouvoirs reconnus aux gérants, relève des dispositions impératives au sens de l'article 1844-10 précité.

16. La violation de ce principe ou des règles statutaires qui l'aménagent est sanctionnée par la nullité.

17. La cour d'appel a exactement retenu que la violation des règles statutaires et légales relatives à l'adoption, par l'assemblée générale, des décisions excédant les pouvoirs du gérant relatives à l'approbation des comptes des exercices 2011 à 2014, au quitus donné aux gérants et à l'administrateur pour ces exercices, à l'affectation des résultats de l'exercice 2014 et à la fixation des honoraires de l'administrateur, était sanctionnée par la nullité.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière Le Carrefour de Destrellan, représentée par son administrateur provisoire, la société BCM, aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société civile immobilière Le Carrefour de Destrellan, représentée par son administrateur provisoire, la société BCM, et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à Mme [T] ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq janvier deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour la SCI Le Carrefour de Destrellan représentée par la Selarl BCM

La SCI Le Carrefour de Destrellan représentée par la Selarl BCM fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté que la règle de l'unanimité des associés n'a pas été respectée, prononcé la nullité des délibérations prises à l'occasion de son assemblée générale du 24 juillet 2015, et d'avoir, en conséquence, ordonné à l'administrateur de poursuivre le recouvrement des dividendes versés ;

AUX MOTIFS QUE l'article 1844-10 du code civil dispose que la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du titre III du livre IX du même code ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ; l'article 1852 du code civil, relatif à la société civile, précise que les décisions qui excèdent les pouvoir reconnus aux gérants sont prises selon les dispositions statutaires ou, en l'absence de telles dispositions, à l'unanimité des associés ; cette disposition revêt un caractère impératif, quand bien même elle n'est pas d'ordre public ; dès lors, peuvent être annulées les décisions qui excèdent les pouvoir du gérant qui ont été prises en violation des dispositions statutaires ou, à défaut de telles dispositions, en violation de la règle de l'unanimité des associés ; en l'espèce, les statuts de la S.C.I. Le Carrefour de Destrellan indiquent dans leur article 14 qu'une « assemblée générale, appelée à statuer sur les comptes de l'exercice écoulé, doit être réunie chaque année dans les six mois de la clôture de l'exercice » ; cet article ne prévoyant aucune disposition particulière pour l'approbation des comptes, qui constitue une décision excédant les pouvoirs reconnus aux gérants, cette approbation doit être décidée à l'unanimité ;

1°) ALORS QUE sauf stipulation contraire des statuts de la société, l'unanimité des associés nécessaire à la prise des décisions excédant les pouvoirs du gérant désigne les associés présents ou représentés lors de l'assemblée générale ; qu'en affirmant que les comptes auraient dû être approuvés à l'unanimité des associés y compris les absents à l'assemblée, en l'absence de disposition statutaire particulière, la cour d'appel a violé l'article 1852 du code civil ;

ET AUX MOTIFS QU'en page 16, sous le titre « comptabilité – bénéfices – comptes annuels affectation et répartition des résultats », les statuts prévoient en outre que, « par décision collective, les associés après approbation des comptes de l'exercice écoulé et constatation de l'existence d'un bénéfice distribuable, procèdent à toutes distributions, reports à nouveau, inscriptions à tous comptes de réserve dont ils fixent l'affectation et l'emploi ; or dans un paragraphe intitulé « décisions collectives » figurant en page 15, les statuts précisent que « toutes décisions qui excèdent les pouvoirs de gestion sont prises à l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société. Chaque part donne droit à une voix » ; cette disposition statutaire, qui reprend les dispositions impératives prévues à titre subsidiaire par l'article 1852 du code civil, impose donc que les décisions excédant les pouvoirs de gestion du gérant, au titre desquelles figurent le quitus donné à l'administrateur ainsi que les décisions relatives à la distribution des bénéfices, soient prises à l'unanimité [?] par ailleurs, contrairement à ce que soutient la SELARL BCM, les statuent imposent l'unanimité des associés, puisqu'il prévoient l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société, et non l'unanimité des voix des seuls associés présents à l'assemblée générale [?] Au regard de ce qui précède, il convient de constater que la règle de l'unanimité des voix de l'ensemble des associés n'a pas été respectée. Les délibérations ainsi adoptées en violation des règles statutaires et de la règle impérative de l'unanimité s'agissant de l'approbation des comptes annuels encourent donc l'annulation conformément aux dispositions de l'article 1844-10 précité ;

2°) ALORS QUE sauf stipulation contraire des statuts de la société, l'unanimité des associés nécessaire à la prise des décisions excédant les pouvoirs du gérant désigne les associés présents ou représentés lors de l'assemblée générale ; qu'après avoir constaté que les statuts reprenaient cette disposition au sujet de l'adoption des décisions collectives, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en affirmant que les statuts exigeaient l'unanimité des voix attachées aux parts créées par la société plutôt que l'unanimité des associés présents à l'assemblée générale, violant ainsi l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article 1852 du code civil ;

3°) ALORS QUE subsidiairement que la nullité des actes ou délibérations des organes d'une société civile ne peut résulter que de la violation d'une règle impérative du titre neuvième du livre troisième du code civil ou de l'une des causes de nullité des contrats en général, la méconnaissance d'une disposition non impérative ; qu'en considérant que la méconnaissance de la règle de l'unanimité des associés issue du code civil en cas de décisions excédant les compétences du gérant justifiait l'annulation de la délibération relative à l'approbation des comptes, cependant que la règle méconnue n'était pas impérative, la cour d'appel a violé les articles 1844-10 et 1852 du code civil ;

4°) ALORS QUE encore subsidiairement, sous réserve des cas dans lesquels il a été fait usage de la faculté, ouverte par une disposition impérative d'aménager conventionnellement la règle posée par celle-ci, le non-respect des stipulations contenues dans les statuts n'est pas sanctionné par la nullité ; qu'en considérant que la méconnaissance de la règle statutaire d'unanimité des associés pour toute délibération collective justifiait l'annulation des délibérations du 24 juillet 2015 portant quitus aux cogérants puis à l'administrateur, affectation du résultat, distributions des bénéfices, retrait d'une résolution et fixation des honoraires de l'administrateur, lorsque cette règle ne constituait pas une dérogation statutaire à une règle impérative la cour d'appel a violé les articles 1844-10, 1852 et l'ancien article 1134 du code civil. ECLI:FR:CCASS:2022:C300024
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