Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 21 octobre 2021, 20-17.462, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 octobre 2021




Cassation sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 971 F-B

Pourvoi n° U 20-17.462

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 11 juin 2020.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 21 OCTOBRE 2021

Mme [S] [W], veuve [M], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 20-17.462 contre l'arrêt rendu le 19 septembre 2019 par la cour d'appel de Versailles (5e chambre), dans le litige l'opposant à la Caisse nationale d'assurance vieillesse, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Renault-Malignac, conseiller, les observations de la SCP Marc Lévis, avocat de Mme [W], et l'avis de M. Halem, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 15 septembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Renault-Malignac, conseiller rapporteur, Mme Taillandier-Thomas, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 septembre 2019), par arrêt irrévocable du 4 avril 2013, le mariage célébré le 14 octobre 2002, en France, entre [R] [M] (l'assuré), de nationalité française, et Mme [W] a été annulé pour cause de bigamie de l'époux mais reconnu putatif à l'égard de cette dernière. Après le décès de l'assuré, survenu le 21 décembre 2013, Mme [W] a demandé le bénéfice de la pension de réversion que la Caisse nationale d'assurance vieillesse (la caisse) lui a refusé.

2. L'intéressée a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Mme [W] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à la caisse de lui payer des droits à la retraite de réversion selon la répartition de 68 mois sur 229 mois et de réviser les droits à la retraite de réversion de Mme [N], première épouse de l'assuré, selon la répartition de 161 mois sur 229 mois, alors « qu'en cas de mariage d'un assuré, suivi d'un second mariage nul mais déclaré putatif à l'égard de la seconde épouse, celle-ci a la qualité de conjoint survivant au sens des articles L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale définissant les conditions exigées pour bénéficier d'une pension de réversion ; que, pour débouter Mme [W] de sa demande tendant à voir obtenir une pension de réversion selon la répartition de 136 mois, soit la durée de son mariage, sur 229 mois, la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de texte légal ou convention internationale proposant une clé de répartition entre les deux épouses partageant concomitamment une même période de mariage, chacune pouvait prétendre, au titre du principe d'égalité, au versement d'une pension de réversion sur la moitié de cette période ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 201 du code civil, ensemble les articles L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 201 du code civil, L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de mariage d'un assuré, suivi d'un second mariage nul, mais déclaré putatif à l'égard de la seconde épouse, celle-ci a la qualité de conjoint survivant au sens des deux derniers. Dans un tel cas, conformément au troisième, la pension de réversion à laquelle l'assuré est susceptible d'ouvrir droit à son décès est partagée entre les conjoints survivants au prorata temporis de la durée respective de chaque mariage.

5. Après avoir retenu qu'en conséquence de l'arrêt du 4 avril 2013 lui reconnaissant le bénéfice du mariage putatif, Mme [W] a la qualité de conjoint survivant au sens de l'article L. 353-1 du code de la sécurité sociale, l'arrêt énonce que, cependant, le principe de l'unicité de la pension de réversion s'oppose à ce que celle-ci puisse être versée à deux conjoints survivants pour les mêmes périodes. Il ajoute que lorsque deux épouses se partagent, par l'effet de la loi, la même période de mariage, chacune d'elles a des droits au titre de la pension de réversion sans que l'une puisse être avantagée au détriment de l'autre, quelle que soit l'organisation de vie choisie par l'assuré de son vivant et que le principe d'égalité fait obstacle à ce que l'une d'elle bénéficie, seule, pour le calcul de la pension de réversion, de la totalité de la période commune.

6. Ayant constaté que le précédent mariage de l'assuré, célébré le 6 février 1995, en Algérie, avec Mme [N], n'était pas dissout à la date du décès de celui-ci et qu'ainsi, entre le 14 octobre 2002, date du mariage de Mme [W] avec l'assuré, et le 21 décembre 2013, date du décès de l'assuré, les deux épouses de l'assuré s'étaient trouvées en concours pendant 136 mois, il retient qu'en l'absence de tout texte légal ou convention internationale proposant une clef de répartition entre les conjoints survivants au titre d'une même période de mariage, il y a lieu de procéder à un partage par moitié entre eux de la durée commune de mariage de sorte que pour le calcul de ses droits à la pension de réversion, Mme [W] est en droit de bénéficier d'une répartition de 68 mois sur 229 mois.

7. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de déterminer les droits des conjoints survivants à la pension de réversion ouverts du chef de l'assuré décédé en fonction de la durée totale des mariages, peu important que leurs durées se chevauchent et de les partager au prorata de la durée respective de chaque mariage, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. Il y a lieu de dire que Mme [W] est en droit de bénéficier de 37,26 % (soit 136 mois sur 365 mois) du montant de la pension de réversion ouverte du chef de son époux décédé, [R] [M], et que les droits de Mme [N] seront révisés en conséquence.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DIT que Mme [W] est en droit de bénéficier de 37,26 % (soit 136 mois sur 365 mois) du montant de la pension de réversion ouverte du chef de son époux décédé, [R] [M], et que les droits de Mme [N] seront révisés en conséquence ;

Condamne la Caisse nationale d'assurance vieillesse aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel de Versailles ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un octobre deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Marc Lévis, avocat aux Conseils, pour Mme [W]

Madame [W] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement en ce qu'il avait ordonné à la Caisse nationale d'assurance vieillesse de lui payer des droits à la retraite de réversion selon la répartition de 68 mois sur 229 mois, et de réviser les droits à la retraite de réversion de Madame [K] [N], veuve [M] selon la répartition de 161 mois sur 229 mois ;

1°) ALORS QU'en cas de mariage d'un assuré, suivi d'un second mariage nul mais déclaré putatif à l'égard de la seconde épouse, celle-ci a la qualité de conjoint survivant au sens des articles L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale définissant les conditions exigées pour bénéficier d'une pension de réversion ; que, pour débouter Madame [W] de sa demande tendant à voir obtenir une pension de réversion selon la répartition de 136 mois, soit la durée de son mariage, sur 229 mois, la cour d'appel a retenu qu'en l'absence de texte légal ou convention internationale proposant une clé de répartition entre les deux épouses partageant concomitamment une même période de mariage, chacune pouvait prétendre, au titre du principe d'égalité, au versement d'une pension de réversion sur la moitié de cette période ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 201 du code civil, ensemble les articles L. 353-1 et L. 353-3 du code de la sécurité sociale ;

2°) ALORS QUE les motifs d'un jugement qui se bornent à donner acte aux parties de leur accord sont dépourvus de portée juridique ; que, pour débouter Madame [W] de sa demande à bénéficier d'une pension de réversion calculée sur la base de 136 mois sur 229 mois, l'arrêt retient que celle-ci avait accepté la répartition de 68 mois sur 229 mois devant les premiers juges, dont le jugement mentionnait qu'il était donné acte aux parties de leur accord pour le versement de droits à une retraite de réversion à Madame [W] selon cette répartition, et qu'en appel, cette dernière n'a pas expliqué les raisons pour lesquelles elle revenait sur cet accord, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à réformation du jugement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil ;

3°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans ses conclusions d'appel, Madame [W] sollicitait la réformation du jugement en ce qu'il lui avait attribué une répartition de 68 mois sur 229 mois pour le calcul de la pension de réversion, et demandait à bénéficier d'une répartition de 136 mois sur 229 mois en faisant valoir différents moyens à l'appui de cette demande ; que, pour débouter Madame [W] de sa demande, l'arrêt relève que celle-ci avait accepté la répartition de 68 mois sur 229 mois devant les premiers juges, dont le jugement mentionnait qu'il était donné acte aux parties de leur accord pour le versement de droit à une retraite de réversion à Madame [W] selon cette répartition, et qu'en appel, cette dernière n'avait pas expliqué les raisons pour lesquelles elle revenait sur cet accord, de sorte qu'il n'y avait pas lieu à réformation du jugement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2021:C200971
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