Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 6 octobre 2021, 21-84.295, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° J 21-84.295 F-P+B

N° 01340


SL2
6 OCTOBRE 2021


REJET


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 OCTOBRE 2021



M. [F] [S] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Reims, en date du 8 juillet 2021, qui l'a renvoyé devant la cour d'assises de la Marne sous l'accusation de violence ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Guéry, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [F] [S], et les conclusions de Mme Zientara-Logeay, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 octobre 2021 où étaient présents M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 13 février 2016, après une rencontre de football de Ligue 1 opposant, à [2], le Stade de [2] au Racing Club de [1], des troubles ont été occasionnés par certains supporters bastiais ayant fait le choix de repartir à pied plutôt que de monter dans le bus prévu à cet effet.

3. Huit d'entre eux ont été interpellés et placés en garde à vue à l'issue de la rencontre puis déférés au parquet de Reims.

4. M. [C] [U] a été placé en garde à vue le 14 février 2016. Il présentait une plaie saignante à l'oeil gauche et se disait victime d'un tir de flash-ball et de coups au thorax portés après son interpellation et son placement en garde à vue. Son état de santé ne permettait pas la poursuite de sa garde à vue.

5. Le 17 février 2016, une information judiciaire a été ouverte contre personne non dénommée du chef de violences volontaires ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours au préjudice de M. [U].

6. Les constatations médicales postérieures ont montré que la victime avait définitivement perdu l'usage d'un oeil.

7. M. [F] [S], fonctionnaire de police, a été mis en examen du chef de violence avec arme ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente. Il a été placé sous contrôle judiciaire.

8. Par ordonnance du 25 janvier 2021, M. [S] a été mis en accusation devant la cour d'assises de la Marne.

9. Il a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le premier moyen pris en ses deuxième et troisième branches, et sur le second moyen pris en sa cinquième branche

10. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen pris en sa première branche et sur le second moyen pris en ses quatre premières branches

Enoncé des moyens

11. La première branche du premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la mise en accusation et le renvoi de M. [S] devant la cour d'assises du chef de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente avec arme, alors :

« 1°/ que l'ordre d'interpeller donné par l'autorité hiérarchique « sans consigne particulière quant aux méthodes à utiliser » n'excluait aucunement un éventuel usage d'une arme, fût-ce contre un « fuyard » qu'il fallait interpeller ; qu'en affirmant que M. [S] se serait « de bonne ou de mauvaise foi mépris sur la nature de l'ordre reçu, dont la chambre de l'instruction incline en conséquence à penser qu'il est mal fondé à se prévaloir », la chambre de l'instruction a violé l'article 122-4 du code pénal. »

12. Le second moyen, pris en ses quatre premières branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la mise en accusation et le renvoi de M. [S] devant la cour d'assises du chef de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, avec arme, alors :

« 1°/ que selon l'article L 435-1 du code de la sécurité intérieure, dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale peuvent faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui ; que ce texte ne pose aucune condition de concomitance entre la riposte et l'attaque ; qu'en retenant le contraire, la chambre de l'instruction a violé ces dispositions ;

2°/ que les conditions d'absolue nécessité et stricte proportionnalité s'apprécient in concreto, en fonction de l'ensemble des circonstances de fait ; que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en se plaçant exclusivement au moment de la fuite pour apprécier la nécessité et la proportionnalité de l'usage ayant été fait par le fonctionnaire de police de son bâton télescopique et en tenant pas compte, comme elle y était invitée, de la situation dans laquelle il s'était retrouvé dans sa globalité, c'est-à-dire à compter du moment où l'ordre de procéder aux interpellations avait été donné suite aux jets de projectiles constituant des atteintes à l'intégrité physique des fonctionnaires, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, 122-5 du code pénal et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure autorise les agents de la police nationale à faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, appréciées in concreto, en cas d'atteintes à la vie ou à l'intégrité physique ou de menace d'atteinte à le vie ou à l'intégrité physique ; que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que M. [S] soutenait avoir agi en répondant à des atteintes et menaces d'atteintes à l'intégrité physique des fonctionnaires présents sur place lorsqu'il a utilisé son bâton télescopique pour atteindre M. [U] et procéder ensuite à son interpellation ; qu'en se bornant à rechercher puis écarter une menace pour la vie du policier ou celle d'autrui, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 435-1 du code de la sécurité intérieure et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ qu'en retenant qu'il n'est pas établi avec certitude qu'il aurait été procédé aux deux sommations préalables requises par l'article L. 435-1, 3°, du code de la sécurité intérieure tout en constatant que la partie civile a reconnu ne pas avoir obtempéré « aux injonctions du policier » et avoir pris la fuite, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé ces dispositions. »

Réponse de la Cour

13. Les moyens sont réunis.

14. L'article L435-1 du code de sécurité intérieure, issu de la loi n°2017-258 du 28 février 2017 prévoit que, dans l'exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent, outre les cas mentionnés à l'article L. 211-9 du même code, faire usage de leurs armes en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée, dans les cas qu'il détermine.

15. Selon le 1° de cet article, il en est ainsi lorsque des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont portées contre eux ou contre autrui ou lorsque des personnes armées menacent leur vie ou leur intégrité physique ou celles d'autrui.

16. Bien que le texte ne le précise pas expressément, il résulte, d'une part, de la forme grammaticale adoptée, soit le présent de l'indicatif, d'autre part, des travaux parlementaires, que, pour être justifié, l'usage de l'arme doit être réalisé dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l'intégrité physique des agents ou d'autrui.

17. Pour rejeter la demande d'application du fait justificatif prévu par l'article 122-4 du code pénal, et ordonner la mise en accusation de M. [S] devant la cour d'assises du chef susvisé, l'arrêt attaqué relève que l'ordre donné par l'autorité légitime était d'interpeller les personnes troublant l'ordre public, sans consigne particulière quant aux méthodes à utiliser.

18. Les juges énoncent que les éléments de procédure ne permettent pas d'affirmer, en outre, et contrairement à ce que soutient M. [S], que M. [U] aurait fait partie des supporters les plus virulents et les plus actifs, ni même qu'il aurait participé aux insultes et exactions dénoncées.

19. Ils concluent sur ce point qu'il n'est pas acquis que M. [S] soit en droit, dans ces conditions, de se prévaloir d'éléments de contexte pour considérer qu'il avait reçu des instructions autorisant expressément, ou même implicitement par leur caractère général, l'interpellation avec usage d'une arme de M. [U], dont il n'est pas contesté en revanche qu'il était en train de fuir au moment où il a reçu le coup qui a eu pour conséquence de le priver définitivement de l'usage de son oeil gauche ; que M. [S], de bonne ou de mauvaise foi, s'est mépris sur la nature de l'ordre reçu.

20. Les juges énoncent ensuite que l'article L 435-1 du code de la sécurité intérieure encadre rigoureusement l'action des forces de l'ordre, et à plusieurs égards, reprend les exigences de la légitime défense, notamment dans son 1°, l'usage du présent de l'indicatif permettant de retenir l'exigence de la concomitance entre la riposte et l'attaque.

21. Ils ajoutent, que l'on se place dans le cadre d'un ordre donné par l'autorité légitime ou de l'autorisation de la loi, que l'action doit répondre aux mêmes exigences issues de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure ; qu'il ne résulte nullement de l'information que M. [S] se serait trouvé dans l'une des hypothèses prévues par cet article, lequel rappelle à titre liminaire que l'usage de leurs armes par les forces de l'ordre ne doit s'effectuer qu'en cas d'absolue nécessité et de manière strictement proportionnée et qu'en l'espèce, la vie du policier, pas plus que celle d'autrui, n'était menacée par M. [U], qui fuyait et dont rien ne démontre qu'il était porteur d'une arme, fût-ce par destination.

22. La cour conclut que, dans ces conditions, rien ne démontre que M. [S] était autorisé dans la circonstance à faire usage de son arme, en méconnaissance des principes de proportionnalité et d'absolue nécessité.

23. En se déterminant ainsi, la chambre de l'instruction a, sans insuffisance ni contradiction, justifié sa décision.

24. En effet, la chambre de l'instruction a pu estimer, après avoir souverainement apprécié les faits et les éléments discutés devant elle, que, d'une part, M. [S] ne pouvait invoquer le commandement de l'autorité légitime pour avoir fait usage de son arme contre une personne qui prenait la fuite, aucun élément ne permettant de conclure à l'implication de la victime dans les infractions commises dans les minutes qui précédaient, cette action dépassant dès lors la consigne d'interpeller les personnes troublant l'ordre public.

25. Elle a pu également juger, d'autre part, que l'action entreprise par M. [S] n'entrait pas dans le cadre d'application de l'article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure, les faits ayant été commis, alors que la personne visée prenait la fuite, en méconnaissance des principes de proportionnalité et d'absolue nécessité.

26. Les moyens doivent, en conséquence, être rejetés.

27. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six octobre deux mille vingt et un.ECLI:FR:CCASS:2021:CR01340
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