Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 16 septembre 2021, 19-26.014, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 septembre 2021




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 839 F-D

Pourvoi n° U 19-26.014




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

La société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 19-26.014 contre l'arrêt rendu le 8 octobre 2019 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [M] [V], épouse [F], domiciliée [Adresse 3],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Meurthe-et-Moselle, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pradel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes, de Me Le Prado, avocat de Mme [V], et l'avis de M. Grignon Dumoulin, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 juin 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Pradel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 8 octobre 2019), le 11 septembre 2013, Mme [V] a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par M. [X], assuré par la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes (la Matmut). A la suite de cet accident, il a été diagnostiqué le 12 mai 2014 un syndrome de défilé thoraco-cervico-brachial nécessitant une intervention chirurgicale.

2. Mme [V] a fait assigner la Matmut, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de Meurthe et Moselle devant un tribunal de grande instance aux fins notamment qu'il soit dit que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial est une conséquence directe de l'accident.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La Matmut fait grief à l'arrêt de dire que la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] était une conséquence directe de l'accident de la voie publique dont elle avait été victime le 11 septembre 2013, de dire que la prise en charge chirurgicale de ce syndrome, le 9 juillet 2014 et les suites opératoires étaient directement imputables à cet accident et devaient donner lieu à une indemnisation intégrale des préjudices en découlant, d'ordonner en conséquence une expertise médicale et de la condamner à payer à Mme [V] la somme de 10 000 euros à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation de son préjudice, alors :

« 1°/ que le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage doit être certain ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'eu égard aux avis partagés des experts et de praticiens, il importait de resituer, dans la vie de Mme [V], de constater que l'anomalie présentée par Mme [V] depuis l'enfance était « asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse pendant 36 ans » et que les experts avaient écarté le lien de causalité entre l'accident et la décompensation du syndrome ; qu'en jugeant néanmoins que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013, quand il ressortait de ses propres constatations que l'origine des douleurs ressenties par Mme [V] près d'un an après l'accident n'était pas connue avec certitude, ce qui excluait tout lien de causalité direct et certain avec l'accident, la cour d'appel a violé les articles 1er et 3 de la loi du 5 juillet 1985 ;

2°/ qu'il appartient à la victime d'un dommage d'établir le lien de causalité entre ce dommage et le fait générateur ; qu'en l'espèce, pour retenir que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013, la cour d'appel a considéré que la société Matmut n'établissait pas que les douleurs présentées par Mme [V] près d'un an après l'accident en raison d'un syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial préexistant n'avaient pas de lien avec cet accident, dans la mesure où les experts n'expliquaient pas leur conclusion écartant un tel lien ; qu'en imposant ainsi à la société Matmut d'établir l'absence de lien de causalité entre l'accident et le préjudice allégué par Mme [V], la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 nouveau du code civil ;

3°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'avis du Dr [K], sapiteur de l'expert judiciaire, n'avait pas catégoriquement exclu que l'accident soit la cause de la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial présenté par Mme [V] ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que cet expert avait conclu que les explorations radiologiques effectuées à distance de l'accident ne montraient pas de stigmates de lésions traumatiques de nature osseuse et confirmaient la présence d'un syndrome du défilé cervico-thoraco-axillaire gauche, en énonçant que « l'absence de modifications anatomiques de l'artère sous-clavière en position neutre plaide contre une lésion traumatique vasculaire contemporaine du traumatisme initial ayant pu aggraver ce syndrome », excluant ainsi tout lien entre le syndrome présenté par Mme [V] et l'accident, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

4°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'expert judiciaire avait émis un avis nuancé, en écrivant que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial était « susceptible de constituer un facteur d'aggravation dans la mesure où il est suspecté d'avoir amplifié le dommage résultant du sinistre » et que la symptomatologie de ce syndrome pouvait être atypique, et en indiquant ne pas rejeter le bien-fondé d'un lien entre ce syndrome et l'accident ; qu'elle a également jugé que l'expert avait concédé une « augmentation par rapport à l'estimation qu'il avait proposée dans son pré-rapport » ; qu'elle en a déduit qu'il n'était pas possible de tirer du rapport d'expertise une certitude sur l'absence de lien de causalité ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. [G] a clairement conclu que le syndrome présenté par Mme [V] avant l'accident était susceptible d'évoluer pour son propre compte, de sorte qu'il ne pouvait pas constituer l'une des conséquences de cet accident, sous la seule réserve d'une incidence indirecte sur le déficit fonctionnel permanent puisqu'une intervention chirurgicale avait été pratiquée « au décours » - c'est-à-dire à l'occasion et non à cause de - l'accident, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

5°/ que le juge ne peut se déterminer au seul vu d'une expertise établie non contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il existait une incertitude sur le lien de causalité entre le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial présenté par Mme [V] et l'accident, au regard du quatrième rapport d'expertise établi par M. [S] et M. [J] « établi à la demande de Mme [V] » ; qu'elle s'est en outre référée à l'avis de deux praticiens, MM. [Z] et [N], mentionné dans ce rapport d'expertise privé ; qu'en se fondant ainsi exclusivement sur un rapport d'expertise établi sans contradiction à la demande de Mme [V], la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction ;

6°/ que le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, se référant aux examens pratiqués par MM. [Z] et [N], la cour d'appel a considéré que « d'autres praticiens » avaient retenu un lien de causalité entre la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] et l'accident du 11 septembre 2013 ; qu'en statuant ainsi quand aucune des parties n'invoquaient ces examens qui n'étaient pas produits aux débats, mais seulement évoqués dans le rapport de MM. [S] et [J], la cour d'appel qui s'est fondée sur un moyen relevé d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction ;

7°/ que le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage doit être certain ; qu'en matière médicale, le juge ne peut se prononcer sur le lien de causalité qu'après avoir vérifié, lorsqu'il y est invité, l'état des données actuelles de la science ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013, en se fondant notamment sur le rapport de MM. [S] et [J] et en considérant que « l'argument de [la société Matmut] selon lequel la plus récente référence de la littérature médicale mentionnée dans ce rapport date de 1987 est inopérant » ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces experts s'étaient prononcés au regard des données acquises de la science médicale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 3 de la loi du 5 juillet 1985 ;

8°/ que le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que le responsable d'un dommage n'a pas à indemniser la victime des conséquences d'une prédisposition pathologique, lorsqu'elle s'est révélée symptomatique avant la survenance de ce dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe de l'accident », dès lors que ce syndrome est apparu « moins d'un an après l'accident, alors que l'anomalie connue de Mme [V] avait été asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse, pendant 36 ans » ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le syndrome du défilé cervico-thoracique gauche présenté par Mme [V] n'était pas pathologique, même s'il n'avait donné lieu, selon l'expert, à aucune complication sévère, de sorte que la prédisposition pathologique de Mme [V] s'étant déjà exprimée, elle ne pouvait être prise en charge par la société Matmut, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt relève que ce n'est qu'après l'accident, intervenu quand elle était âgée de 36 ans, que Mme [V] a présenté des douleurs correspondant au syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial, que c'est parce que des douleurs persistaient suite à cet accident, alors qu'elles auraient dû s'atténuer puis disparaître grâce aux traitements habituellement utilisés dans ce genre de situation, que des examens supplémentaires ont été réalisés et que ce syndrome a été mis en évidence le 12 mai 2014, huit mois seulement après l'accident, puis traité par chirurgie au mois de juillet 2014.

5. L'arrêt précise que l'anomalie du défilé thoraco-cervico-scapulaire gauche de Mme [V] est connue depuis son enfance, mais n'occasionnait aucune douleur et ne donnait lieu à aucun traitement, qu'il résulte d'un courrier de son médecin traitant en date du 21 mai 2015 qu'elle n'a jamais présenté depuis février 1997, date de sa première consultation à son cabinet, de symptômes en rapport avec son défilé thoraco-cervico-thoracique, que si l'expert judiciaire considère quant à lui que le syndrome était déjà symptomatique avant l'accident, ce dernier reconnaît qu'« il ne donnait alors pas lieu à complications sévères », et que le sapiteur ne pouvait exclure catégoriquement que l'accident soit la cause de la décompensation du syndrome.

6. L'arrêt ajoute que le rapport d'expertise rédigé par MM. [S] et [J], médecins, qui se réfère à une littérature médicale datant de 1987, sans que l'intimée ne soit en mesure de démontrer que les connaissances médicales auraient évolué, a retenu un lien de causalité certain entre l'accident et la décompensation du syndrome, que d'autres praticiens, MM. [Z] et [N], retiennent un tel lien de causalité. Il considère que les experts qui ont écarté le lien de causalité entre l'accident et la décompensation du syndrome n'ont pas expliqué pour quelle raison ce syndrome était apparu moins d'un an après l'accident, alors que l'anomalie connue de Mme [V] avait été asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse pendant 36 ans.

7. En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d‘appel, qui a souverainement apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu déduire, hors toute dénaturation, sans inverser la charge de la preuve et sans violer le principe de la contradiction, que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial présenté par Mme [V], qui avait été révélé par le fait dommageable, était une conséquence directe de l'accident dont elle avait été victime.

8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes et la condamne à payer à Mme [V] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Mutuelle assurance des travailleurs mutualistes

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] était une conséquence directe de l'accident de la voie publique dont elle avait été victime le 11 septembre 2013, d'AVOIR dit que la prise en charge chirurgicale de ce syndrome, le 9 juillet 2014 et les suites opératoires étaient directement imputables à cet accident et devaient donner lieu à une indemnisation intégrale des préjudices en découlant, et d'AVOIR en conséquence ordonné une expertise médicale et condamné la société Matmut à payer à Mme [V] la somme de 10.000 € à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;

AUX MOTIFS QUE sur l'imputabilité de la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial à l'accident du 11 septembre 2013 et la demande d'expertise, Mme [V] demande que la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial soit reconnue imputable à l'accident dont elle a été victime et qu'il soit ordonné une nouvelle expertise judiciaire car, en ne reconnaissant pas une imputabilité intégrale de la décompensation à l'accident, l'expert judiciaire n'a pas évalué la totalité de son préjudice ; qu'en conséquence, c'est à tort que le premier juge a rappelé -et que la société d'assurance mutuelle Matmut lui oppose- les dispositions de l'article 146 du code de procédure civile selon lesquelles : « Une mesure d'instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l'allègue ne dispose pas d'éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve » ; qu'en effet, on ne peut reprocher à Mme [V] une carence dans l'administration de la preuve, la nouvelle expertise sollicitée tendant à évaluer des chefs de préjudice qui ne l'ont pas été totalement lors de la première expertise judiciaire, en raison de l'appréciation faite par l'expert ; que, de même, la société d'assurance mutuelle Matmut fait valoir que Mme [V] ne produit aucun élément nouveau ; que cet argument est inopérant puisque la réalisation d'une nouvelle expertise tend à ce que l'ensemble du préjudice de Mme [V] soit évalué et puisse être retenu ou non comme une conséquence directe de l'accident par la juridiction statuant au fond ; que, comme le rappelle Mme [V], le droit de la victime à obtenir réparation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique, lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; que, de façon complémentaire, le tribunal a à juste titre indiqué que, si la prédisposition pathologique de Mme [V] ne pouvait pas permettre d'exclure la réparation du préjudice corporel subi dans le cadre d'un accident de la circulation, il était néanmoins nécessaire d'établir la preuve d'un lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice ; que, cependant, le premier juge a considéré que, compte tenu de trois des quatre rapports d'expertises, le lien de causalité entre le préjudice dont se prévaut Mme [V] et l'accident de la circulation n'était pas établi de manière certaine ; que, pourtant, le quatrième de ces rapports d'expertise, rédigé par les Dr [U] [S], chirurgien vasculaire, et [Q] [J], chirurgien orthopédique, à la demande de Mme [V], retient un lien de causalité certain entre l'accident et la décompensation du syndrome ; qu'ainsi, ces derniers écrivent en conclusion : « la ceinture de sécurité, vu la violence de l'accident, [...] lui a comprimé violemment la région claviculaire entraînant une contusion des parties molles et probablement une entorse articulaire au niveau de la première côte entraînant un syndrome de traversée thoraco-brachial post-traumatique entièrement imputable à l'accident de la circulation » ; qu'à cet égard, l'argument de la société d'assurance mutuelle Matmut selon lequel la plus récente référence de littérature médicale mentionnée dans ce rapport date de 1987 est inopérant ; qu'en effet, l'intimée n'explique pas en quoi les connaissances médicales auraient « grandement évolué » comme elle l'affirme et elle ne cite aucune référence plus récente ; qu'en outre, d'autres praticiens retiennent un tel lien de causalité ; qu'ainsi, le Dr [Z], le 12 mai 2014, écrivait que le syndrome avait été très probablement aggravé par l'accident ; que, quant au Pr [N], il indiquait le 16 juin 2014 que la côte surnuméraire était « pathologique, non pas en raison de l'existence de celle-ci, mais en raison d'un antécédent d'accident de la voie publique » ; qu'il est par ailleurs relevé que l'avis du Dr [I] [K], sapiteur que s'est adjoint l'expert judiciaire, n'est pas catégorique ; qu'il indique en effet qu'il est « difficile d'admettre » que ce syndrome ait pu être aggravé par l'accident, et que l'absence de modifications anatomiques de l'artère sous-clavière en position neutre 'plaide contre' une lésion traumatique vasculaire contemporaine du traumatisme initial ayant fait aggraver ce syndrome ; qu'en d'autres termes, si le sapiteur considère qu'il est improbable que l'accident soit la cause de la décompensation du syndrome, il ne l'exclut pas catégoriquement ; que, quant à l'expert judiciaire lui-même, son avis est plus nuancé que ne l'affirme la société d'assurances mutuelles Matmut et que ne l'a considéré le premier juge ; qu'en effet, il écrit (notamment en page 33 de son rapport) que ce syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial est susceptible de constituer un facteur d'aggravation dans la mesure où il est suspecté d'avoir amplifié le dommage résultant du sinistre et qu'il représente dans ce cas un coefficient d'aggravation à prendre en compte, ce facteur d'aggravation étant en relation avec la prise en charge chirurgicale du syndrome de la traversée thoraco-cervico-brachiale gauche ; que l'expert judiciaire mentionne en outre 'la symptomatologie parfois atypique que peut revêtir le dit syndrome' , ainsi que le fait que les médecins présents à la réunion de synthèse en ont accepté l'éventualité, tout en divergeant sur l'importance, « jusqu'à une valeur maximale de l'ordre de 50 % tout au plus » ; que l'expert judiciaire indique dès lors « ne pas en rejeter le bien-fondé » ; mais que ne pas pour autant l'intégrer en totalité « quand bien même si le doute devrait favoriser le bénéficiaire » : qu'il concède dès lors une augmentation par rapport à l'estimation qu'il avait proposée dans son pré-rapport, « essentiellement celle concernant le dommage permanent pour une valeur nettement inférieure à 50 %, et plus proche de 10 % de la valeur totale calculée (la valeur de 18 % d'incapacité permanente partielle au lieu de 15 % initialement retenue pourrait être envisagée) » ; que force est de constater que l'expert judiciaire n'explique pas pour quelle raison les suites de l'intervention chirurgicale ne devraient pas être prises en considération, à partir du moment où ces complications présentent un lien avec l'accident ; qu'il ne précise pas davantage pourquoi cette prise en compte du syndrome ne devrait affecter que le déficit permanent, et non les autres chefs de préjudice ; qu'en outre, cette « valeur nettement inférieure à 50 %, et plus proche de 10 % », augmentant son appréciation initiale de 15 % à 18 % n'est guère explicitée ; qu'eu égard à ces avis d'experts et de praticiens partagés, voire indécis, il importe de resituer dans la vie de Mme [V] les deux événements que sont l'accident de la circulation et les douleurs en lien avec le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial ; que Mme [V] présentait une côte surnuméraire cervicale gauche ; que l'anomalie du défilé thoraco-cervico-scapulaire gauche est connue depuis son enfance, mais ne générait aucune douleur et ne donnait lieu à aucun traitement ; qu'ainsi, le médecin traitant de Mme [V] écrit, dans un courrier du 21 mai 2015, que cette dernière n'a jamais présenté depuis février 1997, date de sa première consultation à son cabinet, de symptômes en rapport avec son défilé cervico-thoracique ; qu'à ce sujet, l'expert judiciaire considère quant à lui que le syndrome était déjà symptomatique avant l'accident, mais reconnaît qu'« il ne donnait alors pas lieu à complications sévères » ; que ce n'est qu'après l'accident du 11 septembre 2013, intervenu quand elle était âgée de 36 ans, que Mme [V] a présenté des douleurs correspondant au syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial ; que, plus précisément, c'est parce que des douleurs persistaient suite à cet accident alors qu'elles auraient dû s'atténuer puis disparaître grâce aux traitements habituellement utilisés dans ce genre de situation (entorse cervicale,') que des examens supplémentaires ont été réalisés et que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial a été mis en évidence le 12 mai 2014, huit mois seulement après l'accident du 11 septembre 2013, puis traité par chirurgie au mois de juillet 2014 ; que force est de constater que les experts qui ont écarté le lien de causalité entre l'accident et la décompensation du syndrome n'ont pas expliqué pour quelle raison ce syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial était apparu moins d'un an après l'accident, alors que l'anomalie connue de Mme [V] avait été asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse, pendant 36 ans ; que l'argument de la société d'assurance mutuelle Matmut selon lequel le choc imputable à l'accident n'aurait pas été violent ne peut être retenu ; qu'en effet, le coût des réparations d'un véhicule n'est pas un indice suffisamment révélateur de la violence d'une collision, et moins encore de ses conséquences sur un corps humain ; que, quant à l'absence d'hospitalisation et d'examens radiologiques dans les suites de l'accident, elles ne permettent pas d'affirmer comme le fait la société d'assurance mutuelle Matmut que les blessures initiales étaient bénignes, d'autant qu'il a été reconnu une entorse cervicale, une contusion hématique localisée du muscle trapèze innervé par le nerf spinal et une légère tendinopathie du muscle sus-épineux gauche ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, il sera jugé que la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe de l'accident dont elle a été victime le 11 septembre 2013 ; qu'en conséquence, la prise en charge chirurgicale de ce syndrome, le 9 juillet 2014, et les suites opératoires sont directement imputables à l'accident et doivent donner lieu à une indemnisation intégrale des préjudices en découlant ; qu'il y a lieu d'ordonner une expertise médicale judiciaire, confiée à un chirurgien orthopédiste, pour évaluer les préjudices de Mme [V], ce dernier étant invité à s'adjoindre un sapiteur psychiatre pour déterminer les séquelles psychologiques (arrêt, p. 5 à 8) ;

1) ALORS QUE le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage doit être certain ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'eu égard aux avis partagés des experts et de praticiens, il importait de resituer, dans la vie de Mme [V], de constater que l'anomalie présentée par Mme [V] depuis l'enfance était « asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse pendant 36 ans » et que les experts avaient écarté le lien de causalité entre l'accident et la décompensation du syndrome (arrêt, p. 7) ; qu'en jugeant néanmoins que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013 (arrêt, p. 7 § 7), quand il ressortait de ses propres constatations que l'origine des douleurs ressenties par Mme [V] près d'un an après l'accident n'était pas connue avec certitude, ce qui excluait tout lien de causalité direct et certain avec l'accident, la cour d'appel a violé les articles 1er et 3 de la loi du 5 juillet 1985 ;

2) ALORS QU'il appartient à la victime d'un dommage d'établir le lien de causalité entre ce dommage et le fait générateur ; qu'en l'espèce, pour retenir que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013 (arrêt, p. 7 § 7), la cour d'appel a considéré que la société Matmut n'établissait pas que les douleurs présentées par Mme [V] près d'un an après l'accident en raison d'un syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial préexistant n'avaient pas de lien avec cet accident, dans la mesure où les experts n'expliquaient pas leur conclusion écartant un tel lien (arrêt, p. 7 § 2 à 6) ; qu'en imposant ainsi à la société Matmut d'établir l'absence de lien de causalité entre l'accident et le préjudice allégué par Mme [V], la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1353 nouveau du code civil ;

3) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré (arrêt, p. 6 § 4) que l'avis du Dr [K], sapiteur de l'expert judiciaire, n'avait pas catégoriquement exclu que l'accident soit la cause de la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial présenté par Mme [V] ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que cet expert avait conclu que les explorations radiologiques effectuées à distance de l'accident ne montraient pas de stigmates de lésions traumatiques de nature osseuse et confirmaient la présence d'un syndrome du défilé cervico-thoraco-axillaire gauche, en énonçant que « l'absence de modifications anatomiques de l'artère sous-clavière en position neutre plaide contre une lésion traumatique vasculaire contemporaine du traumatisme initial ayant pu aggraver ce syndrome » (p. 38), excluant ainsi tout lien entre le syndrome présenté par Mme [V] et l'accident, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

4) ALORS QU'il est interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que l'expert judiciaire avait émis un avis nuancé, en écrivant que le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial était « susceptible de constituer un facteur d'aggravation dans la mesure où il est suspecté d'avoir amplifié le dommage résultant du sinistre » et que la symptomatologie de ce syndrome pouvait être atypique, et en indiquant ne pas rejeter le bien-fondé d'un lien entre ce syndrome et l'accident ; qu'elle a également jugé que l'expert avait concédé une « augmentation par rapport à l'estimation qu'il avait proposée dans son pré-rapport » (arrêt, p. 6 § 6) ; qu'elle en a déduit qu'il n'était pas possible de tirer du rapport d'expertise une certitude sur l'absence de lien de causalité ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que M. [G] a clairement conclu que le syndrome présenté par Mme [V] avant l'accident était susceptible d'évoluer pour son propre compte, de sorte qu'il ne pouvait pas constituer l'une des conséquences de cet accident, sous la seule réserve d'une incidence indirecte sur le déficit fonctionnel permanent puisqu'une intervention chirurgicale avait été pratiquée « au décours » - c'est-à-dire à l'occasion et non à cause de - l'accident, la cour d'appel a dénaturé cet écrit et violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

5) ALORS QUE le juge ne peut se déterminer au seul vu d'une expertise établie non contradictoirement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré qu'il existait une incertitude sur le lien de causalité entre le syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial présenté par Mme [V] et l'accident, au regard du quatrième rapport d'expertise établi par M. [S] et M. [J] « établi à la demande de Mme [V] » (arrêt, p. 6 § 1) ; qu'elle s'est en outre référée à l'avis de deux praticiens, MM. [Z] et [N], mentionné dans ce rapport d'expertise privé ; qu'en se fondant ainsi exclusivement sur un rapport d'expertise établi sans contradiction à la demande de Mme [V], la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction ;

6) ALORS QUE le juge doit respecter et faire respecter le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, se référant aux examens pratiqués par MM. [Z] et [N] (arrêt, p. 6 § 3), la cour d'appel a considéré que « d'autres praticiens » avaient retenu un lien de causalité entre la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] et l'accident du 11 septembre 2013 ; qu'en statuant ainsi quand aucune des parties n'invoquaient ces examens qui n'étaient pas produits aux débats, mais seulement évoqués dans le rapport de MM. [S] et [J], la cour d'appel qui s'est fondée sur un moyen relevé d'office sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble le principe de la contradiction ;

7) ALORS QUE le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage doit être certain ; qu'en matière médicale, le juge ne peut se prononcer sur le lien de causalité qu'après avoir vérifié, lorsqu'il y est invité, l'état des données actuelles de la science ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe » de l'accident du 11 septembre 2013 (arrêt, p. 7 § 7), en se fondant notamment sur le rapport de MM. [S] et [J] et en considérant que « l'argument de [la société Matmut] selon lequel la plus récente référence de la littérature médicale mentionnée dans ce rapport date de 1987 est inopérant » (arrêt, p. 6 § 2) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (concl., p. 7 § 5), si ces experts s'étaient prononcés au regard des données acquises de la science médicale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 3 de la loi du 5 juillet 1985 ;

8) ALORS QUE le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que le responsable d'un dommage n'a pas à indemniser la victime des conséquences d'une prédisposition pathologique, lorsqu'elle s'est révélée symptomatique avant la survenance de ce dommage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a considéré que « la décompensation du syndrome du défilé thoraco-cervico-brachial de Mme [V] est une conséquence directe de l'accident », dès lors que ce syndrome est apparu « moins d'un an après l'accident, alors que l'anomalie connue de Mme [V] avait été asymptomatique, ou tout du moins non douloureuse, pendant 36 ans » (arrêt, p. 7 § 4 et 7) ; qu'en se prononçant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl., p. 7 in fine), si le syndrome du défilé cervico-thoracique gauche présenté par Mme [V] n'était pas pathologique, même s'il n'avait donné lieu, selon l'expert, à aucune complication sévère (rapport [G], p. 32 § 1 et 2), de sorte que la prédisposition pathologique de Mme [V] s'étant déjà exprimée, elle ne pouvait être prise en charge par la société Matmut, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 de la loi du 5 juillet 1985, ensemble le principe de la réparation intégrale.ECLI:FR:CCASS:2021:C200839
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