Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 8 septembre 2021, 20-15.730, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 septembre 2021




Cassation


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 914 F-D

Pourvoi n° M 20-15.730




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 SEPTEMBRE 2021

M. [C] [G], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-15.730 contre l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société Tech Data France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de la société Avnet Technology Solutions, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de M. [G], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la société Tech Data France, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Van Ruymbeke, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 09 janvier 2020), M. [G] a été engagé par la société Magirus Systems Integration le 3 décembre 2003 ; son contrat de travail a été transféré à plusieurs reprises, en dernier lieu à la société Tech Data As, aux droits de laquelle vient désormais la société Tech Data France.

2. En arrêt maladie depuis le 22 août 2014, le salarié a été licencié pour faute, le 9 janvier 2015, pour n'avoir pas communiqué, pendant son arrêt maladie, les codes d'accès au VDC (centre de formation virtuelle), alors qu'il était le seul détenteur des informations nécessaires au fonctionnement de cette plateforme.

3. Les parties ont conclu une transaction le 15 janvier 2015.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de prononcer l'annulation du protocole d'accord transactionnel conclu entre les parties le 15 juillet 2015 et de le condamner à restituer à l'employeur la somme perçue en exécution de ce protocole d'accord, alors :

« 1°/ que la transaction ne peut être rescindée que si l'intention de tromper est établie et que les manoeuvres dolosives ont été déterminantes dans sa conclusion ; que la cour d'appel, qui se borne à faire valoir que si elle avait eu connaissance des agissements de son salarié, la société Tech Data France "aurait pu refuser de transiger", n'a pas constaté avec certitude que les manoeuvres dolosives reprochées au salarié avaient été déterminantes de la conclusion de la transaction et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116, celui-ci en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 16 février 2016, 2052 et 2053 du code civil, ces derniers dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

2°/ que la seule circonstance que les mensonges reprochés au salarié aient amené l'employeur à lui consentir des concessions plus avantageuses n'est pas de nature à affecter la validité de la transaction conclue à la suite du licenciement ; qu'en faisant état de ce que l'employeur soit "aurait pu refuser de transiger", soit "à tout le moins, transiger à un montant inférieur à celui retenu dans le protocole d'accord", la cour d'appel qui n'a pas de plus fort caractérisé avec certitude que les manoeuvres dolosives reprochées au salarié avaient été déterminantes de la conclusion de la transaction, a par la même encore une fois privé sa décision de base légale au regard des articles 1116, celui-ci en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 16 février 2016, 2052 et 2053 du code civil, ces derniers dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1116 et 2053 du code civil, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 16 février 2016, le second dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 :

5. Selon l'article 1116 du code civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté ; il ne se présume pas et doit être prouvé. Selon l'article 2053 du même code, les transactions ne peuvent être attaquées pour cause de lésion. Il résulte de ces textes que, si la seule circonstance que les mensonges reprochés au salarié ont amené l'employeur à lui consentir des concessions plus avantageuses n'est pas de nature à affecter la validité de la transaction, le juge doit cependant rechercher si, sans les mensonges invoqués, il est évident que l'employeur n'aurait pas signé la transaction.

6. Pour annuler le protocole transactionnel du 15 janvier 2015 et condamner le salarié à restituer à l'employeur la somme perçue en exécution de ce protocole, l'arrêt retient que le salarié n'a pas évoqué, lors de la conclusion de la transaction, la vente d'une partie du matériel de l'entreprise qu'il réalisait avec un autre salarié, que le silence ainsi gardé par le salarié n'a pas permis à l'employeur de transiger de manière éclairée et équilibrée, et que s'il avait eu connaissance des agissements de son salarié, l'employeur aurait pu refuser de transiger ou, à tout le moins, transiger à un montant inférieur à celui retenu dans le protocole d'accord.

7. En se déterminant ainsi, sans constater que l'employeur, s'il avait eu connaissance des agissements du salarié, aurait refusé de transiger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la société Tech Data France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Tech data France à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. [G]


Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé l'annulation du protocole d'accord transactionnel conclu entre les parties en date du 15 juillet 2015 et d'avoir condamné Monsieur [G] à restituer à la société Tech Data France la somme de 63 467,77 euros perçue en exécution de ce protocole d'accord, ainsi qu'à lui payer la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Aux motifs que l'article 2044 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose : « La transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit » ; qu'ayant autorité de chose jugée à l'égard des parties ayant transigé en application de l'article 2052 du code civil, la transaction doit être librement consentie et équilibrée ; qu'en l'espèce, pour conclure à la nullité du protocole d'accord transactionnel, la Sas Tech Data France fait valoir pour l'essentiel : – qu'après le licenciement de M. [G], elle a découvert par hasard, au mois de juillet 2015, plusieurs annonces sur un site internet de vente en ligne « Le bon coin » proposant du matériel de bureau et du matériel informatique lui appartenant et entreposés dans les locaux de son établissement situé à [Localité 1] ; – que l'exploitation du téléphone portable professionnel mis à disposition de M. [K] [O], son salarié employé en qualité de gardien de cet établissement, a permis de révéler que les annonces ont été mises en ligne par celui-ci, avec la complicité de M. [G], a minima dès le mois de septembre 2014 ; – que lors de la signature du protocole d'accord transactionnel, elle ignorait totalement que M. [G] se livrait depuis plusieurs mois à la vente de nombreux biens lui appartenant, à son insu, et en tirait profit, de sotte que son consentement a été vicié du fait des manoeuvres dolosives de ce dernier ; – que M. [G] a bénéficié non seulement d'une indemnité transactionnelle de 66.250 euros bruts, mais aussi d'une prime exceptionnelle de 4.732,74 euros bruts, destinée à récompenser l'exécution « de bonne foi de toutes les diligences pendant toute la durée de son préavis effectué, soit jusqu'au 31 janvier 2015 » ; que M. [G] rétorque en substance : – que suite au transfert de l'activité VDC (centre de formation virtuelle) en Allemagne, il lui avait été demandé de procéder à un tri du matériel électronique, une partie devant être transférée en Allemagne, et de se débarrasser du matériel restant, obsolète ou endommagé et sorti des immobilisations de la société, tout en refusant de faire appel à une déchetterie électronique, – qu'au mois de septembre 2014, il avait été demandé à M. [K] [O], gardien, de se « débarrasser » du matériel de bureau et informatique laissé à l'abandon dans un hall de stockage, qui avait été mis en vente par la société ; – que le matériel mis en vente sur le site internet « le bon coin » était destiné au rebut ; – qu'il n'a jamais cherché à dissimuler quoi que ce soit à son employeur ; qu'il résulte des éléments du dossier, et notamment de la lettre de licenciement pour faute et du protocole d'accord transactionnel, qu'il était reproché à M. [G] de n'avoir pas communiqué, pendant son arrêt maladie, les codes d'accès au VDC (centre de formation virtuelle), alors qu'il était le seul détenteur des informations nécessaires au fonctionnement de cette plate-forme, ce qui aurait eu un impact financier important de l'ordre de 80 000 euros pour recourir dans l'urgence à des prestataires extérieurs afin de ne pas annuler les formations planifiées et d'assurer la continuité du service ; que de son côté, M. [G] reprochait à son employeur une modification unilatérale de son contrat de travail, en ne remplaçant pas en France son seul assistant qui avait quitté l'entreprise, en le faisant exercer ses fonctions depuis le 29 mai 2014 dans des locaux vidés de tout matériel informatique dont il avait la responsabilité, en rendant la gestion du parc informatique dont il avait la charge difficile voire impossible, et en lui demandant de former son « successeur » et/ou son « remplaçant »
travaillant sur le site de [Localité 2] en Allemagne ; qu'il déduisait de ces éléments la preuve que son poste à [Localité 1] avait vocation à disparaître ; que M. [G] ne conteste pas avoir mis en vente du matériel informatique appartenant à son employeur ; qu'il ne justifie pas de ce qu'il s'agissait d'un matériel destiné au rebut et de ce qu'il ait obtenu une autorisation de son employeur pour en disposer à sa guise ; que le seul courriel du 27 septembre 2014, émanant de l'employeur et dont il se prévaut, est ainsi rédigé : « Les serveurs référencés ci-dessous sont amortis en totalité et sortis des immobilisations, vous pouvez donc les jeter » ; que ce courriel concerne donc des produits bien identifiés et destinés à être jetés, et ne saurait constituer une autorisation de procéder à leur vente, qui plus est à l'insu de l'employeur ; qu'il est constant que M. [G] n'a pas évoqué, lors de la conclusion de la transaction, la vente d'une partie du matériel de l'entreprise qu'il réalisait avec M. [K] [O] ; que le silence ainsi gardé par M. [G], et ce alors qu'il savait qu'il allait continuer avec ce dernier à vendre du matériel de l'entreprise même après la transaction n'a pas permis à l'employeur de transiger de manière éclairée et équilibrée ; que, en effet, si elle avait eu connaissance des agissements de son salarié, la Sas Tech Data France aurait pu refuser de transiger ou, à tout le moins, transiger à un montant inférieur à celui retenu dans le protocole d'accord, ce d'autant que M. [G] tirait un profit financier de la vente d'un matériel appartenant à son employeur ; que dans le même temps, M. [G] ne pouvait ignorer qu'il trompait son employeur en ne révélant pas, lors des pourparlers, l'existence des ventes qu'il réalisait avec un autre salarié et qui lui procuraient des gains certains ; que, s'agissant donc d'une réticence dolosive qui a eu une incidence sur la validité du protocole d'accord transactionnel, il y a lieu de prononcer l'annulation de ce protocole et de condamner M. [G] à restituer à la Sas Tech Data France la somme de 63.467,77 euros (59.844,94 + 3.622,83) qu'elle lui a versée en exécution du protocole ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur ce point ;

Alors, d'une part, que la transaction ne peut être rescindée que si l'intention de tromper est établie et que les manoeuvres dolosives ont été déterminantes dans sa conclusion ; que la cour d'appel, qui se borne à faire valoir que si elle avait eu connaissance des agissements de son salarié, la société Tech Data France « aurait pu refuser de transiger », n'a pas constaté avec certitude que les manoeuvres dolosives reprochées à Monsieur [G] avaient été déterminantes de la conclusion de la transaction et a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116, celui-ci en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 16 février 2016, 2052 et 2053 du code civil, ces derniers dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

Alors, d'autre part, que la seule circonstance que les mensonges reprochés au salarié aient amené l'employeur à lui consentir des concessions plus avantageuses n'est pas de nature à affecter la validité de la transaction conclue à la suite du licenciement ; qu'en faisant état de ce que la société Tech Data France soit « aurait pu refuser de transiger », soit « à tout le moins, transiger à un montant inférieur à celui retenu dans le protocole d'accord », la cour d'appel qui n'a pas de plus fort caractérisé avec certitude que les manoeuvres dolosives reprochées à Monsieur [G] avaient été déterminantes de la conclusion de la transaction, a par la même encore une fois privé sa décision de base légale au regard des articles 1116, celui-ci en sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 16 février 2016, 2052 et 2053 du code civil, ces derniers dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00914
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