Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 8 septembre 2021, 19-13.526, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 septembre 2021




Cassation partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 620 F-D

Pourvoi n° V 19-13.526




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 8 SEPTEMBRE 2021

1°/ M. [U] [V],

2°/ Mme [B] [V],

domiciliés tous deux [Adresse 1],

3°/ Mme [E] [V], domiciliée [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° V 19-13.526 contre l'arrêt rendu le 24 janvier 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 9), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [Q] [J], domicilié [Adresse 8],

2°/ à M. [H] [N], domicilié [Adresse 5],

3°/ à M. [R] [X], domicilié [Adresse 6],

4°/ à M. [K] [F], domicilié [Adresse 3],

5°/ à M. [G] [W], domicilié [Adresse 2],

6°/ à la société Quilvest France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6],

7°/ à la société Omnes capital, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Vaissette, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [V] et de Mmes [B] et [E] [V], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X] et de la société Quilvest France, de la SAS Cabinet Colin - Stoclet, avocat de MM. [N] et [W], de la SCP Gaschignard, avocat de M. [F] et de la société Omnes capital, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er juin 2021 où étaient présents Mme Mouillard, président, Mme Vaissette, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 janvier 2019), par un acte du 6 janvier 2010, M. [U] [V], Mme [B] [V] et Mme [E] [V] (les consorts [V]) ont cédé à la (SAS) société Solola, représentée par M. [J], les parts qu'ils détenaient dans la société Col Claudine.
La société Solola a été mise en redressement puis liquidation judiciaires respectivement les 6 octobre 2010 et 24 février 2011.
En novembre et décembre 2015, les consorts [V] ont, sur le fondement de l'article L. 225-251 du code de commerce, assigné en responsabilité la société Omnes capital, la société Quilvest France, M. [F], M. [X], M. [J], M. [W] et M. [N], afin d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de diverses sommes en réparation de préjudices matériels et moraux.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième, cinquième et septième branches, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

3. Les consorts [V] font grief à l'arrêt de dire leur action irrecevable pour défaut de préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers, alors « qu'en retenant que la perte de la rémunération que M. [V] aurait dû percevoir pour l'avenir au titre de la mission d'accompagnement non effectuée n'était pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers, cependant que la réparation de ce préjudice était étrangère à la réparation d'une atteinte portée au gage commun des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 225-251, L. 622-20 et L. 641-4, alinéa 3, du code de commerce :

4. La recevabilité d'une action en responsabilité personnelle engagée par un créancier contre les dirigeants d'une société en procédure collective, pour des faits antérieurs au jugement d'ouverture, est subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers résultant d'une faute du dirigeant séparable de ses fonctions.

5. Pour déclarer irrecevable l'action en responsabilité des consorts [V] contre les dirigeants de la société Solola en liquidation judiciaire, l'arrêt retient que le préjudice invoqué par M. [V], au titre des missions d'accompagnement non effectuées, n'est pas distinct de celui des autres créanciers.

6. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la perte, pour l'avenir, des rémunérations que M. [V] aurait pu percevoir au titre de la mission d'accompagnement d'une durée de douze mois, prévue par la convention de cession des parts sociales, ne constituait pas un préjudice dont la réparation était étrangère à la reconstitution du gage commun des créanciers et si elle n'échappait pas en conséquence au monopole d'action du liquidateur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il dit irrecevable pour défaut de préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers l'action en réparation formée par M. [U] [V] et de Mmes [B] et [E] [V] contre les dirigeants de la société Solola au titre de la perte des rémunérations des missions d'accompagnement non effectuées, l'arrêt rendu le 24 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne MM. [J], [N], [X], [F], [W], la SAS Quilvest France et la SAS Omnes capital aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit septembre deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat aux Conseils, pour M. [V] et Mmes [B] et [E] [V].

Le moyen reproche à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir dit l'action des consorts [V] irrecevable pour défaut de préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers ;

AUX MOTIFS QUE

« Sur l'existence d'un préjudice personnel des consorts [V]

Les consorts [V] soutiennent que n'est pas applicable à l'espèce la règle du non-cumul qui interdit aux créanciers, une fois la procédure ouverte, de se prévaloir des dispositions de responsabilité autres que celles relatives au comblement de passif ; Ils font valoir que la liquidation judiciaire de toutes les sociétés [sic] du groupe Solola a été clôturée au cours de l'année 2016 et qu'aucune action en comblement du passif n'a été introduite contre ses dirigeants et que leur action n'est pas fondée sur l'insuffisance d'actif, mais sur la tromperie sur la solvabilité du groupe Solola dont ils estiment avoir été victimes ; Ils ajoutent que les fautes qu'ils reprochent aux dirigeants de la Financière Solola sont d'une particulière gravité et qu'ils ont subi un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers de la procédure collective dès lors qu'ils ont vendu leur propre entreprise ;

Les intimés soutiennent que l'ensemble des préjudices invoqués par les consorts [V] se confondent avec ceux subis par la collectivité des créanciers, et que si les appelants avaient la possibilité d'engager une action en responsabilité pour insuffisance d'actif, toute action intentée sur le fondement de la responsabilité des dirigeants leur est désormais fermée ;

En l'espèce, la société Financière Solola a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Bobigny en date du 6 octobre 2010 ; La date de cessation des paiements a été fixée au 24 septembre 2010 ; Le redressement judiciaire était converti en liquidation judiciaire par jugement du 24 février 2011 ; La liquidation judiciaire a été clôturée en 2016 ;

Les préjudices dont se plaignent les consorts [V] résultent selon eux du défaut de paiement par la société Solola du solde du prix de cession de la société Col Claudine, des compléments de prix impayés, de la perte financière résultant des missions d'accompagnement non effectuées par monsieur [V], du licenciement de madame [V] et du non-paiement des loyers des locaux dans lesquels la société Col Claudine exerçait ;

Ces préjudices [sic] sont nés antérieurement à l'ouverture de la procédure collective ; Il est constant que l'action en responsabilité exercée à l'encontre des dirigeants ne se cumule pas avec l'action en insuffisance d'actif ;

Est donc irrecevable l'action en responsabilité intentée par un créancier à l'encontre du dirigeant social lorsqu'il existe une insuffisance d'actif, comme c'est le cas en l'espèce puisque l'insuffisance d'actif étant supérieure à 11 millions selon les consorts [V] eux-mêmes ; Peu importe qu'une action en comblement de l'insuffisance d'actif ait été engagée ou ait échouée ;

Le créancier ne pourrait agir sur le fondement de l'article L. 225-252 du code de commerce que si les fautes invoquées contre le dirigeant sont postérieures au jugement d'ouverture ou lorsque la procédure collective ne fait pas apparaître d'insuffisance d'actif ou s'il justifie d'un préjudice personnel distinct de celui de la collectivité des créanciers ;

En l'espèce, la procédure collective a montré une insuffisance d'actif et les préjudices invoqués sont antérieurs à l'ouverture de la procédure hormis le non-paiement des loyers qui est une conséquence directe de l'ouverture de la procédure ; Il convient donc de déterminer si le préjudice des consorts [V] est un préjudice personnel distinct ;

Le préjudice invoqué résultant du non-paiement du prix de cession de la société Col Claudine ainsi que des compléments de prix et le préjudice né des missions non effectuées par monsieur [V] sont des préjudices qui ne sont pas distincts de celui des autres créanciers ;

Le préjudice de madame [V] né de son licenciement a été réparé par la cour d'appel de Bourges ;

Le préjudice né du non-paiement des loyers n'est pas un préjudice subi par les consorts [V] mais par les Sci qui leur appartiennent et enfin le préjudice moral qu'ils invoquent est celui résultant des difficultés rencontrées du fait du non-paiement des parts sociales ;

Aucun de ces préjudices, hormis celui lié au licenciement de madame [V], est un préjudice distinct de celui des autres créanciers ;

La cour confirmera en conséquence le jugement en ce qu'il a déclaré l'action intentée par les consorts [V] irrecevable » ;

1°) ALORS QUE le juge ne saurait méconnaître les termes du litige, telles qu'ils résultent des conclusions respectives des parties ; qu'en retenant que les préjudices dont se plaignaient les consorts [V] résultaient selon eux du défaut de paiement par la société Solala du solde du prix de cession de la société Col Claudine, des compléments de prix impayés, de la perte financière résultant des missions d'accompagnement non effectuées par M. [V], du licenciement de Mme [V] et du non-paiement des loyers des locaux dans lesquels la société Col Claudine exerçaient, cependant que les consorts [V] invoquaient également une perte de chance de percevoir les loyers des locaux commerciaux qu'ils s'étaient trouvé contraints de vendre entre 2011 et 2013 par suite des difficultés qu'ils avaient rencontrées du fait des fautes des administrateurs du groupe Solala (conclusions, p. 52 à 54), la cour d'appel a méconnu les termes du litige, en violation de l'article 4 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé, à peine de nullité ; qu'en affirmant péremptoirement que le préjudice invoqué par les consorts [V] résultant du non-paiement du prix de cession de la société Col Claudine et des compléments de prix, ainsi que le préjudice né des missions non effectuées par M. [V], étaient des préjudices qui n'étaient pas distincts de celui des autres créanciers, sans expliquer en quoi ces préjudices se confondaient avec le préjudice collectif des créanciers du groupe Solala, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE le créancier d'une société en liquidation judiciaire est recevable à agir individuellement contre le dirigeant de celle-ci pour des fautes antérieures au jugement d'ouverture de la procédure, dès lors qu'il invoque un préjudice personnel distinct de celui des autres créanciers ; qu'en retenant que le préjudice résultant du non-paiement du solde du prix de cession ainsi que des compléments de prix de la société Col Claudine n'était pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers, quand les consorts [V] avaient fourni, non pas une marchandise ou une prestation restée impayée, mais leur entreprise elle-même, ce qui caractérisait l'unicité de leur situation, distincte de celle des autres créanciers de la procédure collective, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251 du code de commerce ;

4°) ALORS QU'en retenant que le préjudice résultant du non-paiement du solde du prix de cession de la société Col Claudine n'était pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers, cependant que les manoeuvres des administrateurs des sociétés du groupe Solala pour déterminer les consorts [V] à leur céder la société Col Claudine avaient profité à la collectivité des créanciers de la société Solala, dont le gage s'était accru de la valeur des actifs de la société Col Claudine dont le prix n'avait pas été intégralement payé aux consorts [V], la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251 du code de commerce ;

5°) ALORS QU'en retenant que le préjudice des consorts [V] résultant du non-paiement des compléments de prix prévus à l'acte de cession de la société Col Claudine n'était pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers, cependant que le manquement des administrateurs des sociétés du groupe Solala à leur obligation de reverser aux consorts [V] la somme perçue dans la transaction conclue avec la société JFG et MM. [O] le 10 mai 2010 avait profité à la collectivité des créanciers de la société Solala, dont le gage s'était accru de l'indemnité transactionnelle qui aurait dû être reversée aux consorts [V] à titre de complément de prix, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251 du code de commerce ;

6°) ALORS QU'en retenant que la perte de la rémunération que M. [V] aurait dû percevoir pour l'avenir au titre de la mission d'accompagnement non effectuée n'était pas un préjudice distinct de celui des autres créanciers, cependant que la réparation de ce préjudice était étrangère à la réparation d'une atteinte portée au gage commun des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251 du code de commerce ;

7°) ALORS QU'en retenant que le préjudice moral des consorts [V] n'était pas distinct de celui des autres créanciers, motif pris qu'il résultait des difficultés rencontrées du fait du non-paiement des parts sociales, cependant que la réparation de ce préjudice était étrangère à la réparation d'une atteinte portée au gage commun des créanciers, la cour d'appel a violé les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 225-251 du code de commerce.ECLI:FR:CCASS:2021:CO00620
Retourner en haut de la page