Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 30 juin 2021, 19-18.533, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 juin 2021




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 839 FS-B

Pourvoi n° N 19-18.533




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 JUIN 2021

Mme [C] [A], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 19-18.533 contre l'arrêt rendu le 14 mars 2019 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société BT France, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ricour, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de Mme [A], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société BT France, et l'avis de Mme Rémery, avocat général, après débats en l'audience publique du 18 mai 2021 où étaient présents M. Cathala, président, M. Ricour, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, M. Pion, Mmes Van Ruymbeke, Capitaine, Gilibert, conseillers, M. Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Rémery, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 mars 2019), Mme [A] a été engagée par la société BT France (la société) à compter du 6 septembre 2007, en qualité de responsable comptes clients. Le 26 juillet 2012, elle a été placée en arrêt maladie.

2. Le 20 juillet 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, alors « que pour se prononcer sur le bien-fondé d'une demande de résiliation judiciaire, les juges du fond doivent examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié au soutien de sa demande ; que Mme [A] avait fait valoir que sa demande de résiliation judiciaire était fondée sur plusieurs éléments, parmi lesquels, l'absence de convocation à une visite médicale de reprise à la suite de sa mise en invalidité de catégorie 2 le 27 juillet 2015 et la suppression consécutive de tous ses accès mails, et également, la circonstance qu'à la suite de l'avis d'inaptitude du 5 septembre 2017, la société BT France ne l'avait ni reclassée, ni licenciée ; qu'en disant que la demande de résiliation judiciaire était tardive, sans examiner l'ensemble des griefs énoncés par Mme [A], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. La société conteste la recevabilité du moyen, au motif qu'il serait incompatible avec l'argumentation développée par la salariée devant la cour d'appel, et nouveau.
6.Cependant, la salariée a soutenu devant les juges du fond que sa demande de résiliation judiciaire n'était pas prescrite, et a invoqué divers éléments au soutien de celle-ci.

7. Le moyen, qui n'est pas nouveau, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1231-1 du code du travail :

8. Selon ce texte, le contrat de travail à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, ou d'un commun accord.

9. Le juge, saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, doit examiner l'ensemble des griefs invoqués au soutien de celle-ci, quelle que soit leur ancienneté.

10. Pour déclarer prescrites les demandes de la salariée autres que celles reposant sur le harcèlement moral avant de la débouter de sa demande à ce titre et de sa demande subséquente au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail l'arrêt retient d'une part, que la demande présentée au titre du manquement à l'obligation de sécurité est relative à l'exécution du contrat de travail et se prescrit donc par deux ans, d'autre part, qu'à partir du moment où la salariée a été arrêtée le 25 juillet 2012, sans qu'elle soit jamais revenue au sein de l'entreprise, elle avait incontestablement connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit, puisqu'elle soutient que c'est le manquement à l'obligation de sécurité qu'elle invoque devant le juge qui a conduit à son arrêt de travail pour maladie. Il retient par ailleurs, s'agissant du harcèlement moral, que la demande présentée à ce titre est recevable, mais que faute pour la salariée d'établir des faits matériels permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, elle doit être déboutée de sa demande et de celle subséquente de résiliation judiciaire du contrat de travail.

11. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait d'examiner l'ensemble des griefs articulés par la salariée au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, la cour d'appel, qui a refusé d'examiner certains griefs, et a omis d'en examiner d'autres, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen emporte la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt critiqués par le troisième moyen, et de ceux relatifs à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour, sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de dommages-intérêts pour nullité de la convention de forfait jours, pour non-respect du repos hebdomadaire, pour travail dissimulé, pour perte du droit à congé annuel et au titre de la prévoyance ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société BT France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société BT France et la condamne à payer à Mme [A] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour Mme [A]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite la demande de Mme [A] au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE conformément aux dispositions issues de la loi du 14 juin 2013 n° 2013-504 et de l'article L.1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, la durée de la prescription pour toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail est de deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ;
Que la demande présentée au titre du manquement à l'obligation de sécurité est relative à l'exécution du contrat de travail et se prescrit donc par deux ans ;
Que le délai commence à courir à compter du moment où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit ;
Qu'à partir du moment où Mme [A] a été arrêtée le 25 juillet 2012, sans qu'elle ne soit jamais revenue au sein de l'entreprise, elle avait incontestablement connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit, puisqu'elle soutient que c'est le manquement à l'obligation de sécurité qu'elle invoque devant le juge qui a conduit à son arrêt de travail pour maladie ;
Que le délai n'a été interrompu que le 20 juillet 2015, date de saisine du conseil des prud'hommes, soit plus de deux ans plus tard ;
Que le délai peut certes être suspendu en cas d'impossibilité d'agir à la suite d'une déficience physique ou psychique ;
Qu'une telle déficience n'est toutefois pas établie en l'espèce puisque Mme [A] a poursuivi ses démarches, notamment en restant en contact avec une représentante du personnel selon échange de courriels de septembre 2012, en saisissant un avocat, lequel a écrit à l'employeur le 18 novembre 2014, ou en écrivant elle-même à son employeur le 30 avril 2015 ;
Que cette demande apparaît donc irrecevable comme tardive ;

ALORS QUE pour se prononcer sur le bien-fondé d'une demande de résiliation judiciaire, les juges du fond doivent examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié au soutien de sa demande ; que Mme [A] avait fait valoir que sa demande de résiliation judiciaire était fondée sur plusieurs éléments, parmi lesquels, l'absence de convocation à une visite médicale de reprise à la suite de sa mise en invalidité de catégorie 2 le 27 juillet 2015 et la suppression consécutive de tous ses accès mails, et également, la circonstance qu'à la suite de l'avis d'inaptitude du 5 septembre 2017, la société BT France ne l'avait ni reclassée, ni licenciée ;


qu'en disant que la demande de résiliation judiciaire était tardive, sans examiner l'ensemble des griefs énoncés par Mme [A], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1231-1 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrites les demandes de Mme [A] au titre de la convention de forfait-jours, au titre de la prévoyance et de dommages et intérêts pour perte du droit à congés payés annuels sur la période 2013-2015 ;

AUX MOTIFS QUE les trois demandes - dommages-intérêts pour nullité de la convention de forfait-jours, dommages-intérêts pour nonrespect du repos hebdomadaire et dommages-intérêts pour travail dissimulé - s'analysent en des demandes relatives à l'exécution du contrat de travail et se prescrivent donc par deux ans ;
Que même en retenant comme point de départ du délai, non la date de signature de la convention mais la date la plus favorable à la salariée, soit le 25 juillet 2012, les demandes sont prescrites au moment de la saisine du conseil des prud'hommes, le 20 juillet 2015 ;
Ces demandes sont donc irrecevables.
Que sur la demande au titre de la prévoyance ;
Que la salariée n'explicite pas sa demande à ce titre ;
Qu'elle continue de bénéficier de la couverture de la prévoyance et ne subit donc aucun préjudice ;
Que l'employeur fournit de son côté des explications sur l'assiette de calcul de la cotisation contestant le calcul proposé par Mme [A] ;
Qu'en toute hypothèse, cette demande est relative à l'exécution du contrat de travail et se prescrit donc par deux ans ; que selon le même raisonnement, elle doit être dite irrecevable comme prescrite ;
Que sur la demande de dommages-intérêts pour perte du droit à congés payés annuels sur la période de 2013 à 2015 ;
Que cette demande relative à l'exécution du contrat de travail, se prescrit par deux ans ;
Que même en retenant comme point de départ du délai, le début de l'arrêt-maladie de la salariée, soit le 25 juillet 2012, date à laquelle elle connaissait ses droits, la demande apparaît prescrite ;

1) ALORS QUE aux termes de l'article L.3245-1 du code du travail dans sa version antérieure à la loi du 14 juin 2013, la prescription de l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrivait par cinq ans ; que la loi du 14 juin 2013 comporte des dispositions transitoires disant prescrites les dispositions du code du travail s'appliquant aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'à la date de la promulgation de la loi, soit à compter du 17 juin 2013, un salarié disposait d'un délai expirant le 17 juin 2016 pour formuler des demandes de rappel de salaires au titre de l'année 2011 ; qu'en disant prescrites les demandes de Mme [A] qui avaient été formulées par saisine du 20 juillet 2015, la cour d'appel a violé l'article L.3245-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l'espèce, ensemble l'article 21 V de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 ;

2) ALORS QUE s'agissant de la prévoyance, Mme [A] avait exposé que le tableau récapitulatif établi d'après les bulletins de paie faisait apparaître un solde à devoir de 8 781,88 euros (conclusions, p.42) ; qu'en affirmant que la salariée n'explicitait pas sa demande à ce titre sans s'expliquer sur le moyen pertinent de ses conclusions, révélant un manque à gagner déterminé au regard d'éléments objectifs, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme [A] de sa demande de reconnaissance de harcèlement moral et de sa demande subséquente au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail ;

AUX MOTIFS QUE la salariée invoque page 40 de ses conclusions, uniquement ce qui suit : « Mme [A] en raison du contexte ci-dessus rappelé (plan social, délocalisation, surcharge de travail, etc) a fait une dépression durant les années qui ont suivi son arrêt de travail jusqu'à être déclarée en invalidité deuxième catégorie » ;
Qu'elle ne présente aucun fait précis qui lui soit personnel, imputable à son employeur susceptible de faire présumer un harcèlement moral ;
Qu'elle s'appuie principalement sur des comptes rendus de CHSCT ou de CE, qui sont des documents généraux postérieurs au début de son arrêt-maladie en juillet 2012 et n'explique pas en quoi la mise en place d'un plan social au sein de l'entreprise à partir de 2010 pour externaliser certains services vers l'étranger a entraîné, pour elle, une surcharge de travail constitutive d'une dégradation de ses conditions de travail, qui serait imputable à son employeur au terme d'un processus harcelant ;
Que le pouvoir général d'organisation du chef d'entreprise autorisait la Sasu BT France à délocaliser certains services ;
Que Mme [A] ne démontre pas en quoi cette mesure collective a eu des incidences individuelles à son égard et qu'elle aurait subi à cette occasion des agissements répétés susceptibles de vérifications matérielles qui auraient constitué des faits de harcèlement moral ;
Que faute d'établir des faits matériels permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, Mme [A] sera déboutée de sa demande et de celle subséquente de résiliation judiciaire du contrat de travail ;

ALORS QU' aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que saisis d'une demande fondée sur l'existence d'un harcèlement moral, les juges du fond doivent examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié pour établir des faits de harcèlement, sans pouvoir les considérer de façon isolée, ainsi que les pièces corroborant ces éléments ; que Mme [A] s'était prévalue d'un procès-verbal du CHSCT en date du 18 septembre 2012, qui évoquait sa situation et précisait les conditions dans lesquelles elle avait subi pression, charge de travail et stress additionnel, témoignant de sa profonde détresse, et avait notamment versé aux débat une attestation de Mme [Y] corroborant les faits qu'elle invoquait ; qu'en refusant de tenir compte des éléments produits par la salariée au soutien de sa demande et établissant des faits de harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article L.1154-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00839
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