Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 23 juin 2021, 19-23.614, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 juin 2021




Cassation partielle


Mme BATUT, président



Arrêt n° 457 FS-B

Pourvoi n° K 19-23.614

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [R].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 6 juillet 2020.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 23 JUIN 2021

M. [M] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 19-23.614 contre l'arrêt rendu le 10 septembre 2019 par la cour d'appel de Riom (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [D] [R], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Rousseau et Tapie, avocat de M. [P], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [R], et l'avis de Mme Marilly, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 11 mai 2021 où étaient présents Mme Batut, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, M. Hascher, Mmes Antoine, Bozzi, Poinseaux, Guihal, M. Fulchiron, Mme Dard, conseillers, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mme Feydeau-Thieffry, conseillers référendaires, Mme Marilly, avocat général référendaire, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 10 septembre 2019), un arrêt du 28 juin 2011 a prononcé le divorce de M. [P] et de Mme [R], mariés sans contrat préalable.

2. Des difficultés s'étant élevées à l'occasion de la liquidation de leurs intérêts patrimoniaux, M. [P] a assigné Mme [R] en partage.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

4. M. [P] fait grief à l'arrêt de dire que les récompenses dues par lui à la communauté et celles qui lui sont dues par la communauté ont été justement évaluées par M. [S], notaire, de dire que le compte d'administration post-communautaire sera établi par le notaire selon les points tranchés dans le jugement de première instance et renvoyer les parties devant ce dernier pour établir l'acte définitif de liquidation et partage de la communauté en prenant en compte les points litigieux tranchés dans le jugement, alors « que la circonstance que M. [P] n'ait chiffré aucune récompense dans le dispositif de ses écritures ne dispensait pas la cour d'appel de répondre aux moyens par lesquels M. [P] contestait la fixation par le notaire des récompenses que lui devait la communauté et celle dont il était lui-même redevable envers la communauté en raison de travaux réalisés sur une maison à [Localité 1] ; qu'en confirmant purement et simplement le jugement ayant dit que les récompenses dues de part et d'autre avaient été justement évaluées par le notaire et en considérant qu'il n'était pas possible de statuer sur une demande au titre des récompenses en raison de leur absence de chiffrage dans le dispositif des conclusions de M. [P], sans répondre aux moyens développés par M. [P] pour contester le travail du notaire, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article 1375 du code de procédure civile, le tribunal statue sur les points de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire chargé des opérations de partage.

6. Aux termes de l'article 954, alinéa 3, du code de procédure civile, la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

7. Il en résulte que la cour d'appel ne statue que sur les contestations relatives au projet d'état liquidatif énoncées au dispositif des conclusions.

8. Après avoir relevé que M. [P], qui contestait le montant des récompenses dues par lui à la communauté et celles dues à lui par celle-ci, telles qu'évaluées par le notaire chargé de la liquidation, ne chiffrait aucune récompense dans le dispositif de ses écritures, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'elle n'avait pas à statuer sur ces contestations dont elle n'était pas saisie.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

10. M. [P] fait grief à l'arrêt de fixer la valeur vénale du bien immobilier situé à [Localité 2] à la somme de 280 000 euros, alors « que le juge ne peut refuser d'examiner une expertise officieuse dès lors qu'elle a été communiquée aux parties et soumise à leur discussion contradictoire ; qu'en énonçant, pour fixer la valeur vénale du bien immobilier à 280 000 euros, que M. [P] n'était aucunement fondé à produire une expertise non contradictoire pour contester la valeur fixée par le premier juge, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. Mme [R] conteste la recevabilité du moyen. Elle expose que M. [P] ne peut, sans se contredire, soutenir que la cour d'appel aurait violé le principe de la contradiction en refusant de tenir compte de l'expertise officieuse qu'il avait commanditée, tout en faisant valoir que son refus de laisser le notaire de son ancienne épouse effectuer l'évaluation de ce bien était légitime.

12. Cependant, M. [P] n'a pas prétendu qu'il était légitime de ne pas tenir compte d'une expertise unilatérale.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

14. Il résulte de ce texte que le juge ne peut pas refuser d'examiner un rapport d'expertise établi unilatéralement à la demande d'une partie, dès lors qu'il est régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire. Il lui appartient alors de rechercher s'il est corroboré par d'autres éléments de preuve.

15. Pour fixer la valeur vénale du bien immobilier situé à [Localité 2] à la somme de 280 000 euros sur la seule base de vente de maisons similaires dans le même secteur géographique entre 2012 et 2015, l'arrêt retient qu'il n'est pas contesté que M. [P] a mis en échec les opérations d'expertise ordonnées avant dire-droit pour déterminer la valeur vénale de ce bien et qu'il n'a pas permis au notaire de Mme [R] de pénétrer dans les lieux, de sorte qu'il n'est pas fondé à produire une expertise non contradictoire aux fins de contester la valeur fixée par le premier juge.

16. En statuant ainsi, alors que ce rapport d'expertise, régulièrement versé aux débats, avait été soumis à la discussion contradictoire des parties, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

17. M. [P] fait grief à l'arrêt de dire que la communauté doit récompense à Mme [R] de la somme de 22 867 euros correspondant à la réparation d'un préjudice purement personnel, alors « que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse destinée à réparer le préjudice résultant pour un époux de la perte de son emploi entre dans la communauté ; qu'en considérant comme propre à l'épouse la somme de 22 867 euros versée à la suite de son licenciement sans rechercher, comme elle y était invitée, si le conseil de prud'hommes ne l'avait pas allouée à Mme [R] compte tenu des circonstances de son licenciement et de son ancienneté, ce qui constituait un substitut à son salaire tombant en communauté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1401 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1401 et 1404, alinéa 1er, du code civil :

18. Il résulte de ces textes que les indemnités allouées à un époux entrent en communauté, à l'exception de celles qui sont exclusivement attachées à la personne du créancier.

19. Pour dire que la communauté doit récompense à Mme [R] de la somme correspondant aux dommages-intérêts auquel son ancien employeur a été condamné à lui verser en raison d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que cette somme était destinée à indemniser un préjudice personnel.

20. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si cette indemnité avait exclusivement pour objet de réparer un dommage affectant uniquement sa personne et non pas le préjudice résultant de la perte de son emploi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la deuxième branche du premier moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe la valeur vénale du bien immobilier situé à Vic-le-Comte à la somme de 280 000 euros et dit que la communauté doit récompense à Mme [R] de la somme de 22 867 euros, l'arrêt rendu le 10 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne Mme [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois juin deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. [P]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la valeur vénale du bien immobilier situé à [Localité 2] à la somme de 280 000 euros ;

Aux motifs qu'il n'était pas contesté que M. [P] avait mis en échec les opérations d'expertise quant à la fixation de la valeur vénale du bien immobilier en litige et n'avait pas permis au notaire de pénétrer dans les lieux, ainsi qu'il résultait de l'attestation de Me [C] du 5 décembre 2017 ; qu'il n'était en conséquence aucunement fondé à produire une expertise non contradictoire pour contester la valeur fixée par le premier juge ; qu'il était produit la justification de ventes de maisons similaires dans le même secteur géographique entre 2012 et 2015 pour des prix situés entre 250 000 et 320 000 euros ; que le prix du mètre carré, selon le fichier des notaires versé aux débats, était de 2 690 euros ; qu'ainsi la somme de 280 000 euros était très raisonnable au regard de la superficie de la maison et que ce montant serait confirmé ;

Alors 1°) qu'en énonçant qu'il n'était pas « contesté » que M. [P] avait mis en échec les opérations d'expertise quant à la fixation de la valeur vénale du bien immobilier cependant que M. [P] contestait précisément ce fait (conclusions d'appel p. 5) en faisant valoir que son avocat avait seulement fait observer au juge aux affaires familiales, par lettre du 24 juillet 2017, que le notaire désigné pour procéder à la liquidation de la communauté faisait partie de la SCP [D], notaire attitré de Mme [R], ce qui entraînait un risque de partialité et que son client n'avait pas la capacité financière de payer l'importante consignation de 4 000 euros mise à sa charge, qui aurait dû être partagée entre les deux parties également concernées par l'expertise, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors 2°) qu'en énonçant qu'il n'était pas davantage contesté que M. [P] n'avait pas permis au notaire, Me [C], de pénétrer dans les lieux, cependant que M. [P] contestait précisément cette affirmation (conclusions d'appel p. 5 in fine) en faisant valoir qu'il n'avait reçu qu'un simple appel téléphonique du notaire en question qu'il avait orienté vers Me [S], ce qui ne constituait nullement une interdiction faite au notaire de rentrer dans la maison à évaluer, la cour d'appel a encore méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors 3°) que le juge ne peut refuser d'examiner une expertise officieuse dès lors qu'elle a été communiquée aux parties et soumise à leur discussion contradictoire ; qu'en énonçant, pour fixer la valeur vénale du bien immobilier à 280 000 euros, que M. [P] n'était aucunement fondé à produire une expertise non contradictoire pour contester la valeur fixée par le premier juge, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. [P] de sa demande tendant à voir reconnaître que la maison d'habitation à [Localité 2] était un bien lui appartenant en propre et de l'avoir condamné à payer une indemnité pour l'occupation de ce bien entre le 24 novembre 2006 et le jour le plus proche du partage ;

Aux motifs que le terrain avait été acheté par les deux conjoints et le contrat de construction de la maison était à leurs deux noms ; que l'utilisation de fonds propres par M. [P] n'était aucunement un élément suffisant pour considérer que le bien était devenu propre à son profit alors qu'il avait été acheté par les deux époux ;

Alors que forment des propres, par l'effet de la subrogation réelle, les biens acquis en emploi ou en remploi de deniers provenant de l'aliénation d'un bien propre, même s'il n'a pas été fait la déclaration de remploi prévue à l'article 1434 du code civil ; qu'en considérant que l'utilisation de fonds propres par M. [P] était insuffisante pour juger que la maison achetée à Vic-le-Comte grâce à ces fonds était elle-même un bien propre sans rechercher, comme elle y était invitée, si son épouse n'avait pas donné son accord au remploi des fonds provenant de la vente du bien propre de son mari, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1406 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que la communauté devrait récompense à Mme [R] de la somme de 22 867 euros correspondant à la réparation d'un préjudice purement personnel ;

Aux motifs que Mme [R] avait perçu une somme de 22 867 euros de dommages et intérêts, destinée à indemniser un préjudice personnel ; que la communauté devait donc récompense à hauteur de cette somme qui devait être considérée comme des fonds propres à l'épouse ;

Alors que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse destinée à réparer le préjudice résultant pour un époux de la perte de son emploi entre dans la communauté ; qu'en considérant comme propre à l'épouse la somme de 22 867 euros versée à la suite de son licenciement sans rechercher, comme elle y était invitée, si le conseil de prud'hommes ne l'avait pas allouée à Mme [R] compte tenu des circonstances de son licenciement et de son ancienneté, ce qui constituait un substitut à son salaire tombant en communauté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1401 du code civil.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dit que les récompenses dues par M. [P] à la communauté et celles dues par la communauté à M. [P] avaient été justement évaluées par Me [S], notaire, dit que le compte d'administration post-communautaire serait établi par le notaire selon les points tranchés dans le jugement de première instance et renvoyé les parties devant Me [S] pour établir l'acte définitif de liquidation et partage de la communauté [K] en prenant en compte les points litigieux tranchés dans le jugement ;

Aux motifs que le notaire avait chiffré les récompenses dues au regard des sommes encaissées par la communauté provenant de la vente des biens propres ainsi que des travaux réalisés par la communauté ; qu'il convenait de constater que M. [P] ne chiffrait aucune récompense dans le dispositif de ses écritures et qu'il n'était donc pas possible de statuer sur une demande à ce titre ;

Alors que la circonstance que M. [P] n'ait chiffré aucune récompense dans le dispositif de ses écritures ne dispensait pas la cour d'appel de répondre aux moyens par lesquels M. [P] contestait la fixation par le notaire des récompenses que lui devait la communauté et celle dont il était lui-même redevable envers la communauté en raison de travaux réalisés sur une maison à [Localité 1] ; qu'en confirmant purement et simplement le jugement ayant dit que les récompenses dues de part et d'autre avaient été justement évaluées par le notaire et en considérant qu'il n'était pas possible de statuer sur une demande au titre des récompenses en raison de leur absence de chiffrage dans le dispositif des conclusions de M. [P], sans répondre aux moyens développés par M. [P] pour contester le travail du notaire, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et violé l'article 455 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2021:C100457
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