Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 16 juin 2021, 20-14.552, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 juin 2021




Cassation


Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 737 F-D

Pourvoi n° F 20-14.552




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 16 JUIN 2021

Mme [I] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-14.552 contre l'arrêt rendu le 17 janvier 2020 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 4-1), dans le litige l'opposant à la société ACD Aix, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme [B], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société ACD Aix, après débats en l'audience publique du 4 mai 2021 où étaient présentes Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Gilibert, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 janvier 2020), Mme [B], engagée en qualité d'assistante produits-paie le 19 mai 2014 par la société ACD Aix, a été en arrêt de travail pour maladie non professionnelle du 13 septembre 2015 au 24 septembre 2018.

2. Le 13 novembre 2018, dans le cadre d'une seule visite médicale de reprise le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude en ces termes : « Inapte au poste et à tous postes de l'entreprise. Pas de reclassement à envisager dans l'entreprise ni de formation à envisager dans l'entreprise - Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ».

3. Le 30 novembre 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, statuant en la forme des référés, d'une contestation portant sur l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de prononcer l'irrecevabilité de sa contestation, alors « que l'absence de notification d'une décision ne fait pas courir le délai de recours ; que l'absence de notification d'une décision permet à la partie à laquelle cette décision fait grief d'en contester le bien-fondé sans condition de délai ; que le délai pour exercer un recours ne court que du jour d'une notification complète, exacte et certaine ; qu'en l'espèce, en présumant, pour prononcer l'irrecevabilité de la contestation formée par Mme [B], que l'avis d'inaptitude lui aurait été notifié par courrier recommandé du 13 novembre 2018 délivré le 14 novembre 2018, tandis qu'aucun élément versé aux débats ni constaté par la cour d'appel n'établissait, ni que Mme [B] ait effectivement reçu notification de l'avis du médecin du travail, ni en tous les cas la date à laquelle elle aurait reçu cette notification, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 668 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4624-7 dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019 et R. 4624-45 du code du travail dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1698 du 15 décembre 2017 applicable au litige :

5. Aux termes du premier de ces textes, le salarié ou l'employeur peut saisir le conseil de prud'hommes en la forme des référés d'une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale. Le conseil des prud'hommes peut confier toute mesure d'instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l'éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.

6. Selon le second, en cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, le conseil de prud'hommes statuant en la forme des référés est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.

7. Pour dire irrecevable le recours formé par la salariée contre l'avis du médecin du travail, l'arrêt retient que l'avis d'inaptitude du 13 novembre 2018 a été notifié tant à la salariée qu'à l'employeur par lettre recommandée du 13 novembre 2018, tel que précisé par le médecin du travail dans un courriel du 15 janvier 2019, que la salariée ne prétend pas avoir réceptionné le courrier de notification postérieurement à la date du 14 novembre 2018, se contentant d'affirmer, d'une part, qu'il n'était pas démontré que le "prétendu courrier recommandé" lui aurait été adressé par le médecin du travail, ce qui est démenti par ce dernier dans son courriel du 15 janvier 2019, et d'autre part, qu'il n'était pas justifié de la date de réception dudit courrier, que la salariée ne peut reprocher à son employeur de ne produire aucune pièce permettant de préciser la date de réception par la salariée du courrier de notification de l'avis d'inaptitude alors qu'elle a été seule destinataire de ce courrier qui lui a été adressé par le médecin du travail et qu'elle choisit de ne pas verser aux débats, que dans ces conditions la cour retient que l'avis d'inaptitude a été notifié à la salariée par courrier recommandé du 13 novembre 2018 délivré le 14 novembre 2018.

8. En statuant ainsi, en présumant de la date de réception par la salariée de l'avis d'inaptitude, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne la société ACD Aix aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société ACD Aix et la condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du seize juin deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme [B]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé l'irrecevabilité de la contestation formée par Mme [B] et d'AVOIR condamné Mme [B] aux dépens et à payer à la SAS ACD Aix 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE SUR CE : Madame [I] [B] fait valoir qu'elle a été reçue par la médecine du travail le 9 novembre 2018, que l'avis d'inaptitude a été établi le 13 novembre 2018, que contrairement à ce qui a été jugé par le conseil de prud'hommes, l'avis d'inaptitude n'a donc pas pu lui être remis le 13 novembre 2018 qui n'est pas le jour de la visite, que la remise en main propre ne peut valoir notification à moins qu'elle n'ait donné lieu à émargement, que la notification est faite par lettre recommandée avec accusé de réception selon les dispositions du code de procédure civile (articles 651 et 667), que la SAS ACD AIX soutenait en première instance, sans aucune pièce à l'appui, que le Docteur [L] [V], médecin du travail, lui avait notifié l'avis d'inaptitude de la salariée par courrier recommandé en date du 13 novembre 2018, distribué le 14 novembre 2018, que la société poursuivait son raisonnement en affirmant, toujours sans aucune pièce à l'appui, que le prétendu courrier recommandé contenant l'avis d'inaptitude avait été distribué à Madame [B] le 14 novembre 2018 et que le délai de contestation de 15 jours avait commencé à courir à compter du 14 novembre 2018, qu'aucune pièce n'est versée aux débats permettant précisément de fixer la date de réception par Madame [B] de l'avis d'inaptitude litigieux, qu'à supposer que cet avis ait bien été notifié à Madame [B] le même jour qu'à l'employeur, soit le 14 novembre 2018, il y a lieu de considérer que le délai prévu à l'article R.4624-45 du code du travail a commencé à courir le 15 novembre 2018 en application de l'article 641 du code de procédure civile, que dans ce cas, son délai pour contester l'avis d'inaptitude expirait le 30 novembre 2018 à minuit en vertu de l'article 642 du code de procédure civile, que Madame [B] a bien saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 30 novembre 2018, cette saisine ayant valablement interrompu le délai de recours conformément aux dispositions de l'article 2241 du Code civil, et que la Cour réformera l'ordonnance rendue par le conseil de prud'hommes en date du 27 février 2019 et jugera recevable sa contestation. La SAS ACD AIX réplique que Madame [B] a été reçue à une visite de reprise par le Docteur [L] [V], médecin du travail, le 9 novembre 2018, que le médecin du travail a notifié à la société par lettre recommandée du 13 novembre 2018 l'avis d'inaptitude daté du même jour, envoi doublé par l'envoi d'un courriel, qu'il ne fait aucun doute que Madame [B] a été destinataire du même avis, à la même date, selon les mêmes modalités de transmission, ce qui a été confirmé par le médecin du travail dans son mail du 15 janvier 2019, que la date de notification de l'avis d'inaptitude qui a fait courir le délai de contestation de 15 jours prévu par l'article R.4624-45 du code du travail est celle du 13 novembre 2018, que tout au plus, il peut être retenu au maximum la date du 14 novembre 2018, date de distribution du courrier recommandé à la société ACD AIX, comme date de notification, que l'avis d'inaptitude ayant été notifié le 13 novembre 2018, le délai de recours de 15 jours calendaires expirait le 28 novembre 2018 à minuit ou, à tout le moins, le jeudi 29 novembre 2018 à minuit si l'on retient la date de présentation du courrier comme date de notification, que Madame [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Marseille le 30 novembre 2018, puis le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence le 3 décembre 2018, soit 4 jours après l'expiration du délai de contestation prévu par l'article R.4624-45 du code du travail, et que la Cour confirmera l'ordonnance de référé qui a déclaré la contestation de Madame [I] [B] irrecevable car formée hors délai. Contrairement à ce qui a été jugé par le conseil de prud'hommes, Madame [I] [B] n'a pu recevoir en main propre l'avis d'inaptitude le jour de sa visite auprès de la médecine du travail, compte tenu que la salariée a été examinée par le médecin du travail lors de la visite du 9 novembre 2018 et que l'avis d'inaptitude a été pris par le Docteur [L] [V], médecin du travail, à la date du 13 novembre 2018. Toutefois, l'avis d'inaptitude du 13 novembre 2018 a été notifié tant à Madame [I] [B] qu'à la SAS ACD AIX par lettre recommandée du 13 novembre 2018, tel que précisé par le médecin du travail dans un courriel du 15 janvier 2019 adressé à l'employeur en réponse à l'interrogation de ce dernier : « J'ai reçu Mme [B] le 9/11/2018 et lui ai adressé le 13/11/2018 son "avis d'inaptitude" en même temps que le vôtre ». Il convient d'observer que Madame [I] [B] ne prétend pas avoir réceptionné le courrier de notification postérieurement à la date du 14 novembre 2018 (date de réception du courrier recommandé adressé à la même date, le 13 novembre 2018, à l'employeur), se contentant d'affirmer, d'une part, qu'il n'était pas démontré que le "prétendu courrier recommandé" lui aurait été adressé par le médecin du travail, ce qui est démenti par ce dernier dans son courriel du 15 janvier 2019, et d'autre part, qu'il n'était pas justifié de la date de réception dudit courrier par la salariée. Or, Madame [I] [B] ne peut reprocher à son employeur de ne produire aucune pièce permettant de préciser la date de réception par la salariée du courrier de notification de l'avis d'inaptitude alors qu'elle a été seule destinataire de ce courrier qui lui a été adressé par le médecin du travail et qu'elle choisit de ne pas verser aux débats. Dans ces conditions, la Cour retient que l'avis d'inaptitude a été notifié à Madame [I] [B] par courrier recommandé du 13 novembre 2018 délivré le 14 novembre 2018. Le délai de recours de 15 jours a donc commencé à courir le 15 novembre 2018 et a expiré le 29 novembre 2018 à minuit. La requête de Madame [I] [B] déposée le 30 novembre 2018 auprès du conseil de prud'hommes de Marseille est donc hors délai. En conséquence, la requête en contestation de l'avis d'inaptitude a été à juste titre déclarée irrecevable par le conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, Madame [B] étant forclose en sa demande enregistrée à la date du 30 novembre 2018 et ce en application de l'article 125 du code de procédure civile par suite de l'inobservation du délai dans lequel doit être exercée une voix de recours. Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la SAS ACD AIX, tel que précisé au dispositif.

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES DES PREMIERS JUGES QUE L'article R.4624-45 du Code du Travail stipule : « En cas de contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale émise par le médecin du travail mentionnés à l'article L.4624-7,1e conseil de prud'hommes statuant en la forme des référés est saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail. » La saisine du Conseil de Prud'hommes doit avoir lieu dans un délai de quinze jours à compter de la notification des éléments contestés. Le salarié ou l'employeur qui saisit le Conseil de Prud'hommes doit en informer le Médecin du Travail. Attendu que Madame [I] [B] n'a pas informé la Médecine du Travail ; Attendu que Madame [I] [B] a donc reçu en main propre par le Médecin du Travail, le jour de sa visite auprès de la Médecine du Travail, son avis d'inaptitude définitif, soit le 13 Novembre 2018, obligation faite au Médecin du Travail ; Attendu qu'en conséquence, Madame [I] [B] ne peut nier ne pas avoir été informée par le Médecin du travail de son inaptitude définitive en date du 13 Novembre 2018 ; Attendu qu'en conséquence, le délai de recours courait bien à compter de cette date ; Attendu que Madame [I] [B] a saisi la Formation de Référé du Conseil de Prud'hommes en date du 04 Décembre 2018 ; Attendu qu'en l'espèce, le délai de contestation expirait le 29 Novembre 2018 au soir Attendu que le délai de contestation était donc largement dépassé ; Attendu qu'en conséquence, la Formation de Référé du Conseil de Prud'hommes prononce l'irrecevabilité de la contestation formée par Madame [I] [B] ;

1°) ALORS QUE l'absence de notification d'une décision ne fait pas courir le délai de recours ; que l'absence de notification d'une décision permet à la partie à laquelle cette décision fait grief d'en contester le bien-fondé sans condition de délai ; que le délai pour exercer un recours ne court que du jour d'une notification complète, exacte et certaine ; qu'en l'espèce, en présumant, pour prononcer l'irrecevabilité de la contestation formée par Mme [B], que l'avis d'inaptitude lui aurait été notifié par courrier recommandé du 13 novembre 2018 délivré le 14 novembre 2018 (cf. arrêt attaqué p. 5), tandis qu'aucun élément versé aux débats ni constaté par la cour d'appel n'établissait, ni que Mme [B] ait effectivement reçu notification de l'avis du médecin du travail, ni en tous les cas la date à laquelle elle aurait reçu cette notification, la cour d'appel a violé les articles L. 4624-7 et R. 4624-45 du code du travail, ensemble l'article 6 § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et l'article 668 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE chaque partie doit prouver les faits allégués à l'appui de ses prétentions ; que c'est ainsi à celui qui oppose une fin de non-recevoir tirée de l'expiration du délai de recours d'en justifier ; qu'en l'espèce, en estimant, pour dire le recours de Mme [B] irrecevable, que ce n'était pas à son employeur, qui soulevait pourtant l'irrecevabilité du recours de la salariée comme formé hors délai, de démontrer la date de réception de la notification ayant fait courir le délai, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve, et violé l'article 1315 du code civil, devenu 1353, ensemble l'article 9 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00737
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