Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 2 juin 2021, 19-24.061, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 juin 2021




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 648 FS-P sur le premier moyen

Pourvoi n° W 19-24.061






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 2 JUIN 2021

La société [B] Doitrand, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° W 19-24.061 contre deux arrêts rendus le 31 janvier et 3 octobre 2019 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à Mme [G] [R], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Van Ruymbeke, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat de la société Etablissements Doitrand, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [R], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 7 avril 2021 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Van Ruymbeke, conseiller rapporteur, Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen, M. Ricour, Mmes Capitaine, Gilibert, conseillers, M. Duval, Mmes Valéry, Pecqueur, Laplume, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon les arrêts attaqués ([Localité 1], 31 janvier 2019 et 3 octobre 2019), Mme [R] a été engagée en qualité de secrétaire par les [B] Doitrand.

2. Placée en arrêt de travail à compter du 25 novembre 2016, elle a introduit le 14 juin 2017, une action aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

3. Le 25 octobre 2017, elle a fait l'objet d'un avis d'inaptitude à tout poste par le médecin du travail.

4. Le 16 novembre 2017, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale en la forme des référés, d'une contestation de cet avis et sollicité la désignation d'un médecin-expert.

5. Le 26 décembre 2017, il a procédé au licenciement de la salariée.

6. Un arrêt avant dire droit du 31 janvier 2019, a dit que le délai de quinze jours ouvert pour la saisine du conseil de prud'hommes a couru à compter de la réception par l'employeur de l'avis d'inaptitude et non d'éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude et ordonné la réouverture des débats sur les conséquences à tirer de ce principe sur la recevabilité de la requête en contestation de l'avis d'inaptitude.

7. Un arrêt du 3 octobre 2019 a confirmé l'ordonnance déférée notamment en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action formée par l'employeur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt avant dire droit du 31 janvier 2019 de dire que le délai de quinze jours ouvert pour la saisine du conseil de prud'hommes a couru à compter de la réception par l'employeur de l'avis d'inaptitude et non d'éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude et d'ordonner la réouverture des débats sur les conséquences à tirer de ce principe sur la recevabilité de la requête en contestation de l'avis d'inaptitude, alors « qu'en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification ; que ce délai court à compter du jour où les éléments de nature médicale justifiant la position du médecin du travail ont été notifiés ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 et de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des Droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, le salarié ou l'employeur qui conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, peut saisir le conseil de prud'hommes, en sa formation de référé, d'une demande de désignation d'un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d'appel.

10. L'article R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 applicable au litige, dispose qu'en cas de contestation portant sur des éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, la formation de référé du conseil de prud'hommes est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification.

11. Il en résulte que le point de départ du délai de quinze jours pour la saisine du conseil de prud'hommes court à compter de la notification de l'avis d'inaptitude émis par le médecin du travail.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

13. L'employeur fait grief à l'arrêt du 3 octobre 2019 de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle déclare irrecevable l'action formée par la société, alors « que l'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice et l'intérêt d'une partie à interjeter appel s'apprécie au jour de l'appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet ; qu'en l'espèce, il est constant que la société a saisi le conseil de prud'hommes le 16 novembre 2017 et interjeté appel de sa décision le 22 décembre 2017, soit à des dates où la salariée n'était pas licenciée ; la cour d'appel ne pouvait affirmer que la société serait privée d'intérêt à agir à raison du licenciement notifié postérieurement à l'action en justice, soit le 26 décembre 2017, sans violer les articles 31 et 122 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 31 du code de procédure civile :

14. Aux termes de ce texte, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.

15. Pour déclarer l'action de l'employeur irrecevable, l'arrêt, après avoir constaté que la juridiction prud'homale avait été saisie le 14 juin 2017 d'une demande aux fins de résiliation judiciaire du contrat de travail par la salariée, retient que cette dernière a fait l'objet, le 25 octobre 2017, d'un avis d'inaptitude à tout poste de l'agence, que l'employeur a contesté cet avis dans le cadre de la présente instance, que sans attendre l'issue du litige, il a choisi de licencier la salariée en se prévalant de l'avis d'inaptitude que justement il contestait, qu'il ne justifie donc plus d'aucun intérêt à agir en contestation de l'avis d'inaptitude.

16. En statuant ainsi, alors que l'intérêt de l'employeur à contester un avis d'inaptitude et solliciter la désignation d'un médecin-expert doit être apprécié au jour de l'introduction de la demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2019 par la cour d'appel de Versailles ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 octobre 2019 ,entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du deux juin deux mille vingt et un.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Cabinet Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société [B] Doitrand


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt avant-dire droit attaqué du 31 janvier 2019 d'AVOIR dit que le délai de 15 jours ouvert pour la saisine du conseil de prud'hommes a couru à compter de la réception par l'employeur de l'avis d'inaptitude et non d'éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude et d'AVOIR ordonné la réouverture des débats sur les conséquences à tirer de ce principe sur la recevabilité de la requête en contestation de l'avis d'inaptitude ;

AUX MOTIFS QUE « Mme [R] soutient à titre principal que la demande en contestation de l'avis d'inaptitude est irrecevable car la SAS Etablissements Doitrand a saisi le conseil de prud'hommes plus de 15 jours après la date de l'avis médical contesté. La société estime au contraire que le délai de saisine du conseil de prud'hommes de 15 jours n'a pas couru dès lors que ce délai commence à courir à compter de la réception par l'employeur des éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude et non à compter de l'avis d'inaptitude lui-même ; elle fait valoir que le médecin du travail ne lui a pas permis de connaître les éléments de nature médicale justifiant son avis. L'article R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction du décret du 10 mai 2017 applicable en l'espèce, énonce que "En cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusion écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l'article L. 4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail". La cour observe que les parties concluent sur la base d'un point de départ du délai de contestation, qui serait pour l'une la date de l'avis d'inaptitude et pour l'autre la date de réception des éléments de nature médicale justifiant l'avis d'inaptitude. D'une part, il ne ressort pas de l'article R. 4624-45 susvisé une obligation pesant sur le médecin du travail de communiquer à l'employeur les éléments de nature médicale justifiant son avis, étant d'ailleurs relevé que le secret médical y ferait obstacle. D'autre part, il résulte de ce texte que le délai de quinze jours commence à courir à compter de la notification des avis, propositions, conclusions écrites ou indications. Dans ces conditions, il y a lieu d'ordonner la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur ce point » ;

ALORS QU'en cas de contestation portant sur les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification ; que ce délai court à compter du jour où les éléments de nature médicale justifiant la position du médecin du travail ont été notifiés ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 4624-7 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et R. 4624-45 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-1008 du 10 mai 2017 et de l'article 6, § 1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué du 3 octobre 2019 D'AVOIR confirmé l'ordonnance du conseil de prud'hommes de Mantes-la-Jolie en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action formée par la société Etablissements Doitrand ;

AUX MOTIFS QUE « la cour ayant soulevé d'office la question de l'intérêt à agir de la société Doitrand, employeur de Mme [G] [R], les parties ont été invitées à s'expliquer sur ce point, conformément aux dispositions de l'article 442 du code de procédure civile. Selon une note en délibéré remise à l'audience de plaidoirie du 18 juin 2019, Mme [R] relève que la position de la société Établissements Doitrand est contradictoire entre la contestation de l'avis d'inaptitude de la médecine du travail et son licenciement pour inaptitude. Elle en déduit que la société rétablissements Doitrand, qui ne justifie pas d'un intérêt à agir, doit Être déclarée irrecevable en son action de contestation de l'avis d'inaptitude du médecin du travail du 25 octobre 2017. L'employeur considère qu'il a un intérêt à agir. Il résulte des dispositions de l'article 122 du code de procédure civile que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut du droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée. Selon l'article 125 du même code, le juge peut relever d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt, du défaut de qualité ou de la chose jugée. L'intérêt à agir se définit comme une condition de recevabilité de l'action consistant, dans l'avantage que procurerait au demandeur la reconnaissance par le juge du bien-fondé de sa prétention. L'intérêt doit être personnel, direct, né et actuel. En l'espèce, la salariée a fait l'objet, le 25 octobre 2017, d'un avis d'inaptitude à tout poste de l'agence, ce que l'employeur estime contestable et entend voir remis en cause dans le cadre de la présente instance. Or, sans attendre l'issue du litige, la SAS Établissements Doitrand a choisi de licencier Mme [R] en se prévalant de l'avis inaptitude que justement elle conteste. Il en résulte que la société Établissements Doitrand ne justifie plus d'aucun intérêt à agir en contestation de l'avis d'inaptitude. Son action sera dès lors déclarée irrecevable » ;

1. ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen, concernant l'arrêt avant-dire droit du 31 janvier 2019, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du second arrêt rendu sur le fond le 3 octobre 2019 conformément aux dispositions de l'article 625 du Code de procédure civile ;

2. ALORS QUE l'action étant ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que la société serait privée du droit de contester, en la forme des référés, l'avis d'inaptitude médicale émis par le médecin du travail, faute d'intérêt à agir aux motifs inopérants qu'elle a notifié à la salariée son licenciement sur la base de l'avis d'inaptitude contesté sans attendre l'issue du litige, quand, d'une part, le droit d'agir en contestation de l'avis d'inaptitude médicale devant la formation des référés n'est pas conditionné par l'absence de notification ultérieure du licenciement, d'autre part, l'action en justice aux fins de contester l'avis d'inaptitude médicale ne suspend pas l'obligation de procéder au reclassement du salarié sur la base de l'avis ou de le licencier dans le délai légal d'un mois, sous peine de devoir reprendre le paiement du salaire au profit du salarié dont le contrat de travail n'est pas suspendu, de sorte que l'employeur a un intérêt immédiat à saisir le juge de sa contestation ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 31 et 122 du Code de procédure civile ;

3.ALORS QUE la société avait entamé son action en contestation de l'avis d'inaptitude afin de pouvoir se défendre utilement par la suite, devant le conseil de prud'hommes saisi au fond d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, en démontrant que les conditions de travail de la salariée, à raison des mesures prises par l'employeur, n'étaient pas de nature à entraîner son inaptitude médicale définitive à tous emplois et à justifier une résiliation judiciaire aux torts de l'employeur, ce dont il résultait que la société avait un intérêt certain à agir en justice afin d'obtenir l'annulation de l'avis d'inaptitude définitive, la cour d'appel, qui a jugé le contraire a violé les articles 31 et 122 du code de procédure civile ;

4. ALORS QUE l'intérêt au succès ou au rejet d'une prétention s'apprécie au jour de l'introduction de la demande en justice et l'intérêt d'une partie à interjeter appel s'apprécie au jour de l'appel dont la recevabilité ne peut dépendre de circonstances postérieures qui l'auraient rendu sans objet ; qu'en l'espèce, il est constant que la société a saisi le conseil de prud'hommes le 16 novembre 2017 et interjeté appel de sa décision le 22 décembre 2017, soit à des dates où la salariée n'était pas licenciée ; la cour d'appel ne pouvait affirmer que la société serait privée d'intérêt à agir à raison du licenciement notifié postérieurement à l'action en justice, soit le 26 décembre 2017, sans violer les articles 31 et 122 du code de procédure civile. ECLI:FR:CCASS:2021:SO00648
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