Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 12 mai 2021, 20-12.827, Publié au bulletin

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 mai 2021




Rejet


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 406 F-P

Pourvoi n° F 20-12.827




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 MAI 2021

La caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) [Localité 1], dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° F 20-12.827 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2019 par la cour d'appel d'Amiens (2e chambre, protection sociale et contentieux tarification), dans le litige l'opposant à la société Transports Marne et Morin, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Taillandier-Thomas, conseiller, les observations de la SCP GatineauGatineau, Fattaccini et RebeyrolFattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) [Localité 1], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Transports Marne et Morin, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 mars 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Taillandier-Thomas, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, et Mme Aubagna, greffier de chambre.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 22 novembre 2019), la caisse régionale d'assurance maladie [Localité 1] (la caisse) ayant rejeté sa contestation de l'imputation sur son compte employeur des dépenses afférentes à l'accident du travail dont a été victime l'un de ses salariés, le 16 décembre 2017, la société Transports Marne et Morin (l'employeur) a saisi d'un recours la juridiction de la tarification.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. La caisse fait grief à l'arrêt de faire droit au recours, alors :

« 1° / que l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pas pu être identifié ; que la notion d'arme doit être ici entendue en son sens littéral, une arme étant tout objet qui sert à attaquer ou à se défendre ; que, dès lors que le texte du code de la sécurité sociale ne se réfère pas au code pénal, la notion spécifique « d'arme par destination » adoptée par le droit pénal n'est pas applicable ; qu'en jugeant néanmoins en l'espèce que le salarié avait été victime d'une agression au moyen d'une arme par destination constituée par un sac rempli de bouteilles d'alcool, quand un tel objet ne constitue pas une arme au sens littéral du terme, la cour d'appel a violé l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale ;

2°/ que, subsidiairement, constitue une arme par destination au sens du droit pénal tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes, dès lors qu'il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu'il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer ; que c'est à ce titre le comportement de l'utilisateur de l'objet qui est déterminant et non la situation de danger dans laquelle ont pu se trouver les victimes dès lors que de tels effets auraient pu tout aussi bien être produits par une involontaire maladresse dans l'utilisation de l'objet ; qu'en l'espèce, pour dire que le salarié avait été victime d'une agression perpétrée au moyen d'une arme, la cour d'appel s'est contentée de relever que l'homme qui descendait du bus par l'avant lui avait mis un coup de sac dans la tête ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser une intention de la part de cet homme d'utiliser son sac comme une arme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale et 132-75 du code pénal ;

3°/ qu'en tout état de cause l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pas pu être identifié ; qu'il en résulte que seule une agression commise au moyen de plusieurs armes ou de plusieurs explosifs est susceptible d'exclure l'imputation de l'accident au compte employeur ; que, même à supposer qu'un sac à dos puisse être qualifié d'arme, le seul fait pour un salarié d'avoir été heurté par un unique sac à dos ne constitue pas une agression perpétrée au moyen de plusieurs armes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

3. Selon l'article D. 242-6-7, alinéa 5, du code de la sécurité sociale, l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pu être identifié.

4. L'arrêt retient qu'il résulte de la plainte déposée le 18 décembre 2017 que le salarié a été agressé par un homme, qui descendant du bus par l'avant, lui a porté à la tête un coup de sac de randonnée contenant des bouteilles d'alcool et que le parquet de Meaux, par courrier du 9 avril 2019, a précisé que l'affaire avait été déclarée sans suite, l'auteur étant inconnu.

5. De ces énonciations et constatations procédant de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve débattus par les parties, la cour d'appel a pu déduire que l'accident du travail résultait d'une agression perpétrée au moyen d'une arme par destination, au sens de l'article 132-75, alinéa 2, du code pénal, par un tiers qui n'avait pu être identifié, de sorte que les dépenses afférentes à cet accident du travail ne devaient pas être inscrites au compte de l'employeur.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la caisse régionale d'assurance maladie [Localité 1] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale d'assurance maladie [Localité 1] et la condamne à payer à la société Transports Marne et Morin la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP GatineauGatineau, Fattaccini et RebeyrolFattaccini et Rebeyrol, avocat aux Conseils, pour la caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) [Localité 1]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que les dépenses afférentes à l'accident du travail déclaré par Monsieur [B] [L] doivent faire l'objet d'un retrait du compte employeur de la société Transports Marne et Morin en raison de l'implication d'un tiers non identifié dans cette agression perpétrée au moyen d'arme, d'AVOIR dit que la CRAMIF doit procéder au recalcul des taux influencés par ce retrait, d'AVOIR condamné la CRAMIF aux entiers dépens et d'AVOIR débouté les parties du surplus de leurs demandes,

AUX MOTIFS QUE : « Sur le fond : aux termes de l'ancien article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, « l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pu être identifié ». L'article 132-75 du code pénal définit une arme comme « tout objet conçu pour tuer ou blesser. Tout autre objet susceptible de présenter un danger pour les personnes est assimilé à une arme dès lors qu'il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu'il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer. Est assimilé à une arme tout objet qui, présentant avec l'arme définie au premier alinéa une ressemblance de nature à créer une confusion, est utilisé pour menacer de tuer ou de blesser ou est destiné, par celui qui en est porteur, à menacer de tuer ou de blesser ». Au sens du droit et de la réglementation française, une arme désigne donc tout objet ou dispositif conçu par nature ou destiné à tuer, blesser, frapper, neutraliser ou à provoquer une incapacité. En l'espèce, le dépôt de plainte pièce n°3 versée aux débats, énonce que le salarié a été agressé par « un sac de randonnée (?)[qui] contenait des bouteilles d'alcool ». Il ne saurait être nié que le salarié a été victime d'une agression perpétrée au moyen d'une arme, dès lors que l'homme qui descendait du bus par l'avant lui a mis un coup de sac dans la tête. Néanmoins, aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». Il appartient donc à la société Transports Marne et Morin d'établir que l'agression a été perpétrée par un tiers non-identifié. La Cour constate alors que la société Transports Marne et Morin verse la déclaration d'accident de travail, ainsi que le dépôt de plainte établi le 18 décembre 2017 à 11h00. La société produit au débat : - un dépôt de plainte établi le 18 décembre 2017 à 11h00 relatant les faits ; - un courrier du parquet de Meaux en date du 9 avril 2019 qui précise que l'affaire est déclarée sans suite le 5 novembre 2018 au motif que l'auteur est inconnu. La cour estime que la preuve d'une agression au moyen d'armes par un tiers non identifié est suffisamment démontré par la société Transports Marne et Morin. Les circonstances de l'accident du travail étant elles prévues à l'alinéa 5 de l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale, il convient de dire que les dépenses afférentes à l'accident du travail déclaré par Monsieur [B] [L] doivent faire l'objet d'un retrait du compte employeur de la société Transports Marne et Morin en raison de l'implication d'un tiers non identifié dans cette agression perpétrée au moyen d'armes. Sur les dépens : la CRAMIF, partie succombante, sera condamnée, en application de l'article 696 du code de procédure civile désormais applicable depuis le 1er janvier 2019. Par ailleurs, la demande fondée sur l'article 700 du même code formée par la société Transports Marne et Morin sera rejetée. »

1/ ALORS QUE l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pas pu être identifié ; que la notion d'arme doit être ici entendue en son sens littéral, une arme étant tout objet qui sert à attaquer ou à se défendre ; que, dès lors que le texte du code de la sécurité sociale ne se réfère pas au code pénal, la notion spécifique « d'arme par destination » adoptée par le droit pénal n'est pas applicable ; qu'en jugeant néanmoins en l'espèce que le salarié avait été victime d'une agression au moyen d'une arme par destination constituée par un sac rempli de bouteilles d'alcool, quand un tel objet ne constitue pas une arme au sens littéral du terme, la cour d'appel a violé l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale,

2/ ALORS QUE, subsidiairement, constitue une arme par destination au sens du droit pénal tout objet susceptible de présenter un danger pour les personnes, dès lors qu'il est utilisé pour tuer, blesser ou menacer ou qu'il est destiné, par celui qui en est porteur, à tuer, blesser ou menacer ; que c'est à ce titre le comportement de l'utilisateur de l'objet qui est déterminant et non la situation de danger dans laquelle ont pu se trouver les victimes dès lors que de tels effets auraient pu tout aussi bien être produits par une involontaire maladresse dans l'utilisation de l'objet ; qu'en l'espèce, pour dire que le salarié avait été victime d'une agression perpétrée au moyen d'une arme, la cour d'appel s'est contentée de relever que l'homme qui descendait du bus par l'avant lui avait mis un coup de sac dans la tête ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser une intention de la part de cet homme d'utiliser son sac comme une arme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale et 132-75 du code pénal,

3/ ALORS QUE, en tout état de cause l'accident du travail résultant d'une agression perpétrée au moyen d'armes ou d'explosifs n'est pas imputé au compte de l'employeur lorsque celle-ci est attribuable à un tiers qui n'a pas pu être identifié ; qu'il en résulte que seule une agression commise au moyen de plusieurs armes ou de plusieurs explosifs est susceptible d'exclure l'imputation de l'accident au compte employeur ; que, même à supposer qu'un sac à dos puisse être qualifié d'arme, le seul fait pour un salarié d'avoir été heurté par un unique sac à dos ne constitue pas une agression perpétrée au moyen de plusieurs armes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article D. 242-6-7 du code de la sécurité sociale. ECLI:FR:CCASS:2021:C200406
Retourner en haut de la page