Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 6 mai 2021, 20-14.381, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 mai 2021




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 392 F-D

Pourvoi n° V 20-14.381






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 MAI 2021

Mme [V] [S], épouse [E], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-14.381 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2020 par la cour d'appel d'Amiens (chambre baux ruraux), dans le litige l'opposant à M. [J] [F], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barbieri, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de Mme [E], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. [F], après débats en l'audience publique du 23 mars 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Barbieri, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 14 janvier 2020), par acte du 21 septembre 2001, M. et Mme [E] ont pris à bail d'une durée de dix-huit ans une parcelle agricole appartenant à M. [F].

2. Par déclaration du 26 avril 2018, Mme [E] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en autorisation de cession de ce bail à son fils [E].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme [E] fait grief à l'arrêt de la déclarer irrecevable en sa demande en autorisation de céder le bail la liant, ainsi que M. [E] en qualité de copreneur solidaire, à M. [J] [F], alors :

« 1°/ que la résiliation du bail est acquise chaque fois que le bailleur, dûment informé du départ à la retraite de l'un des copreneurs, ne s'oppose pas à la décision de ce dernier de mettre fin au bail pour ce qui le concerne et qu'aucune contestation n'est élevée s'agissant des modalités de son départ ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par lettre du 12 janvier 2017, M. [F] a été informé par [C] [E], qualifié de copreneur à bail, de son départ en retraite et de la poursuite de l'exploitation des parcelles affermées par son épouse ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la demande d'autorisation de cession dont [V] [E] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux le 3 octobre 2017, qu'il n'était pas justifié qu'à cette date, le bail avait été résilié du chef d'[C] [E], sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas de l'absence de toute opposition de M. [F], à réception de la lettre du 12 janvier 2017, au départ en retraite d'[C] [E] et à la poursuite du bail par [V] [E] seule, une résiliation partielle du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-33 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 32 du code de procédure civile ;

2°/ que le bail renouvelé qui constitue un nouveau bail, peut être conclu avec un seul des copreneurs au bail initial ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par lettre du 12 janvier 2017, M. [F] avait été informé par [C] [E], qualifié de copreneur à bail, de son départ en retraite et de la poursuite de l'exploitation des parcelles affermées par son épouse ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la demande d'autorisation de cession dont [V] [E] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux, que le seul départ en retraite de l'un des preneurs ne met pas fin au bail de son chef, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas du fait que M. [F] avait laissé le bail se renouveler à l'issue de la récolte 2018, en toute connaissance du départ en retraite d'[C] [E] et de la poursuite du bail par [V] seule, que le bail renouvelé n'était conclu qu'avec cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-50 et L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et 32 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, ayant constaté que le bail liait M. et Mme [E] en qualité de copreneurs indivisibles et solidaires et retenu souverainement qu'il n'était pas établi que M. [E] eût régulièrement notifié au bailleur sa décision de résilier partiellement ce titre à l'âge de sa retraite, ni que son épouse eût elle-même recours au dispositif légal de continuation de l'exploitation à son seul nom, la cour d'appel, qui a procédé à la recherche prétendument omise, en a exactement déduit que Mme [E] n'avait pas qualité pour demander, de son seul chef, l'autorisation de céder ce bail.

5. En second lieu, ayant retenu que la preuve d'une acceptation par le bailleur de la résiliation du bail du seul chef de M. [E] n'était pas rapportée, de sorte que la relation entre contractants s'était poursuivie et renouvelée aux mêmes conditions, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a exactement décidé que Mme [E] ne pouvait disposer des droits de son époux.

6. La cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [E] et la condamne à payer à M. [F] la somme de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six mai deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour Mme [E].

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré Mme [V] [S] épouse [E] irrecevable en sa demande de se voir autorisée à céder le bail la liant ainsi que M. [C] [E] en qualité de copreneur solidaire à M. [J] [F] consenti par acte authentique reçu le 21 septembre 2001 par Maître [Q] notaire associé de la SCP [Y] [D], [K] [Z], [M] [W], [I] [A] et [J] [Q], et portant sur la parcelle sis à [Localité 1], lieudit « [Localité 2] » cadastrée ZN n° [Cadastre 1] ;

AUX MOTIFS QUE sur l'irrecevabilité soulevée par M. [J] [F] ; qu'en l'espèce, le bail a été consenti à M. [C] [E] et à Mme [V] [S] épouse [E] désignés ensemble sous la dénomination de « preneur », étant indiqué à l'acte que cette appellation ne nuit pas « à la solidarité existant entre eux au cas où il y aurait plusieurs preneurs, y compris époux » ; qu'une précision terminologique est également apportée par l'acte selon laquelle le mot « Locataire » désignera respectivement les personnes identifiées sous ce même vocable et qu'« il y aura solidarité et indivisibilité entre toutes les personnes figurant sous le même vocable » ; que si en matière de bail rural, le terme de preneur est davantage utilisé que celui de locataire, ces deux termes n'entraînant pas de conséquences juridiques différentes, cette précision terminologique vaut également pour ce dernier terme. Il s'induit de ce qui précède que M. [C] [E] et Mme [V] [S] épouse [E] sont des copreneurs indivisibles et solidaires ; que seule Mme [V] [S] épouse [E] a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande tendant à se voir autorisée à céder le bail rural à M. [E] [E]. M. [C] [E] n'est par ailleurs pas intervenu à l'instance tant devant le tribunal paritaire des baux ruraux que devant la cour ; que cette demande judiciaire portée par un seul des copreneurs ne manque pas d'étonner ; en effet, quelques mois avant l'introduction par Mme [V] [S] épouse [E] de son action en justice, un courrier était adressé le 12 janvier 2017 à M. [J] [F] en recommandé avec demande d'avis de réception, par un avocat du barreau d'Amiens se présentant comme étant le conseil de M. [C] [E] et de Mme [V] [S] épouse [E]. Selon les termes de ce courrier, ce conseil rappelait que M. [J] [F] loue la parcelle située à [Localité 3], lieudit « [Localité 2] » cadastrée ZN° [Cadastre 1] à M. [C] [E] et Mme [V] [S] épouse [E] et que ses clients ont demandé amiablement à M. [J] [F] d'autoriser la cession à leur fils, M. [E] [E], installé depuis 2008 au sein de la Scea [Personne physico-morale 1] composée de luimême et sa mère, depuis le départ en retraite de M. [C] [E], dont M. [J] [F] a été régulièrement informé par courrier recommandé avec demande d'avis de réception en date du 29 décembre 2010 ; que le conseil de M. [C] [E] et Mme [V] [S] épouse [E] demandait ainsi à M. [J] [F] de lui répondre sous quinze jours et qu'à défaut, il saisirait le tribunal paritaire des baux ruraux d'une demande de cession de bail ; que sans qu'il n'y ait lieu à ce stade de vérifier la date à laquelle M. [E] [E] est devenu membre de la Scea [Personne physico-morale 1], il résulte des termes explicites de ce courrier que Mme [V] [S] épouse [E] et M. [C] [E] se reconnaissent l'un et l'autre copreneurs du bail rural dont ils demandaient par la plume de leur conseil à être autorisés à céder à leur fils ; que par ailleurs, s'il est produit devant la cour la copie (et non l'original) d'un avis de réception d'un courrier adressé par M. [C] [E] reçu par son destinataire le 29 décembre 2010, le document qui est joint sans qu'il n'y ait aucune certitude qu'il corresponde à celui effectivement adressé, est une lettre (pièce 4 de Mme [V] [S] épouse [E]) adressée en application de l'article L. 331-1 du code rural faite au nom de M. [E] [E] et selon un modèle préétabli par la Direction départementale de l'agriculture pour informer le bailleur d'une demande d'autorisation d'exploiter la parcelle en cause ; cette lettre ne fait nullement état d'un départ à la retraite de M. [C] [E] et de son retrait de la Scea [Personne physico-morale 1] qui était apparemment à l'époque constituée sous la forme d'une Earl ; qu'il résulte des termes de l'article L.411-33 du code rural que le seul départ en retraite d'un des preneurs s'il n'est pas accompagné des règles de formes prévues à cet article ne met pas fin au bail de son chef. Il n'est d'ailleurs pas discuté que Mme [V] [S] épouse [E] n'a pas eu recours au dispositif instauré par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 à l'article L.411-35 du même code pour voir continuer le bail à son seul nom dans les trois mois de sa publication comme l'y autorisaient les dispositions transitoires de cette loi ; qu'ainsi à supposer que cette lettre ait été reçue par le bailleur de l'épouse, il ne peut être déduit de sa réception que celui-ci ait accepté même tacitement la résiliation du bail du seul chef de M. [C] [E] ; qu'il s'en suit que n'étant pas justifié que le bail a été résilié du chef de M. [C] [E], Mme [V] [S] épouse [E] n'avait pas qualité pour demander de son seul chef à être autorisée à céder le bail dont elle est co-preneur avec son époux, ne pouvant disposer des droits de ce dernier dans le bail ; que partant, ajoutant au jugement entrepris, il y a lieu de déclarer Mme [V] [S] épouse [E] irrecevable en sa demande tendant à être autorisée à céder le bail la liant ainsi que M. [C] [E] en leur qualité de copreneurs solidaires à M. [J] [F] consenti par acte authentique reçu le 21 septembre 2001 par Maître [Q] notaire associé de la SCP [Y] [D], [K] [Z], [M] [W], [I] [A] et [J] [Q], et portant sur la parcelle sise à [Localité 1], lieudit « [Localité 2] » cadastrée ZN n° [Cadastre 1] ; que cette décision d'irrecevabilité entraîne par ailleurs nécessairement l'infirmation du jugement qui a autorisé Mme [V] [S] épouse [E] à céder son bail et en tous ses chefs qui lui sont subséquents ; que Mme [V] [S] épouse [E] étant irrecevable en sa demande, il ne peut être statué sur son bien-fondé ;

1) ALORS QUE la résiliation du bail est acquise chaque fois que le bailleur, dûment informé du départ à la retraite de l'un des copreneurs, ne s'oppose pas à la décision de ce dernier de mettre fin au bail pour ce qui le concerne et qu'aucune contestation n'est élevée s'agissant des modalités de son départ ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par lettre du 12 janvier 2017, M. [F] a été informé par [C] [E], qualifié de copreneur à bail, de son départ en retraite et de la poursuite de l'exploitation des parcelles affermées par son épouse ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la demande d'autorisation de cession dont [V] [E] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux le 3 octobre 2017, qu'il n'était pas justifié qu'à cette date, le bail avait été résilié du chef d'[C] [E], sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas de l'absence de toute opposition de M. [F], à réception de la lettre du 12 janvier 2017, au départ en retraite d'[C] [E] et à la poursuite du bail par [V] [E] seule, une résiliation partielle du bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-33 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 32 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE le bail renouvelé qui constitue un nouveau bail, peut être conclu avec un seul des copreneurs au bail initial ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que par lettre du 12 janvier 2017, M. [F] avait été informé par [C] [E], qualifié de copreneur à bail, de son départ en retraite et de la poursuite de l'exploitation des parcelles affermées par son épouse ; qu'en affirmant, pour déclarer irrecevable la demande d'autorisation de cession dont [V] [E] avait saisi le tribunal paritaire des baux ruraux, que le seul départ en retraite de l'un des preneurs ne met pas fin au bail de son chef, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il ne résultait pas du fait que M. [F] avait laissé le bail se renouveler à l'issue de la récolte 2018, en toute connaissance du départ en retraite d'[C] [E] et de la poursuite du bail par [V] seule, que le bail renouvelé n'était conclu qu'avec cette dernière, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 411-50 et L. 416-1 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et 32 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:C300392
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