Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 14 avril 2021, 19-16.909, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

COMM.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 14 avril 2021




Rejet et déchéance partielle


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 342 F-D

Pourvoi n° X 19-16.909




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 14 AVRIL 2021

1°/ La Société nationale maritime Corse Méditérranée (SNCM), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ la société [I] [U] et [X] [F], société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [I] [U], agissant en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société nationale maritime Corse Méditérranée (SNCM),

3°/ M. [S] [H], domicilié [Adresse 3], agissant en qualité de liquidateur amiable de la Société nationale maritime Corse Méditérranée (SNCM),

ont formé le pourvoi n° X 19-16.909 contre deux arrêts n° RG 16/06105 et RG 16/06103 rendus le 21 mars 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-2), dans le litige les opposant :

1°/ à la Compagnie générale maritime et financière (CGMF), société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) [Localité 1], dont le siège est [Adresse 5],

3°/ à l'AGS-CGEA, dont le siège est [Adresse 6],

4°/ au Comité d'établissement de la SNCM, dont le siège est [Adresse 7],

défendeurs à la cassation.

La Compagnie générale maritime et financière a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la Société nationale maritime Corse Méditérranée, de la société [I] [U] et [X] [F], ès qualités, et de M. [H], ès qualités, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Compagnie générale maritime et financière (CGMF), et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 mars 2021 où étaient présentes Mme Mouillard, président, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller rapporteur, Mme Darbois, conseiller, Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Déchéance partielle du pourvoi

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. Le mémoire en demande ne contenant aucun moyen dirigé contre l'arrêt du 21 mars 2019 (n° RG 16/06103), il y a lieu de constater la déchéance du pourvoi en ce qu'il est formé contre cette décision.


Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 mars 2019, n° RG 16/06105), par décision, devenue définitive, du 20 novembre 2013, la Commission européenne a qualifié d'aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, en application de l'article 107 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), l'apport de la somme de 15,81 millions d'euros au capital de la Société nationale Corse Méditerranée (la SNCM) réalisé en 2002 par la Compagnie générale maritime française (la CGMF) et les nouvelles mesures mises en oeuvre par les autorités françaises en 2006, notamment l'augmentation de capital de 8,75 millions d'euros de la SNCM, également souscrite par la CGMF. La Commission européenne a donc décidé que la France devait se faire rembourser ces aides par leur bénéficiaire, précisant que les sommes à récupérer produisaient intérêts à partir de la date à laquelle elles avaient été mises à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de leur récupération effective.

3. La SNCM ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, et la société [I] [U] et [X] [F] désignée liquidateur, la CGMF a déclaré à son passif diverses créances dont l'une, correspondant à la partie déclarée illégale par la Commission européenne des sommes mises à la disposition de la SNCM, assortie des intérêts échus jusqu'au 28 novembre 2014, date du prononcé du redressement judiciaire de la SNCM, et l'autre, au titre des intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la date de la déclaration de créance, qui ont été contestées par la SNCM devant le juge-commissaire.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La SNCM, la société [I] [U] et [X] [F], liquidateur judiciaire de la SNCM, et M. [H], liquidateur amiable de la SNCM, font grief à l'arrêt de dire que la CGMF, personne morale dispensatrice des aides illégales versées à la SNCM, a qualité pour déclarer les créances de récupération au passif de la SNCM et de prononcer l'admission au passif de la procédure collective de la SNCM de la créance n° 115 (numérotée par erreur 116 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence), à titre chirographaire pour la somme de 223 064 198,50 euros en principal et celle de 66 803 864,53 euros au titre des intérêts arrêtés au 28 novembre 2014, jour de l'ouverture de la procédure collective de la SNCM, alors :

« 1°/ que l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 dispose que toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire de l'Etat ; que la décision de la Commission du 20 novembre 2013 imposant la récupération des aides litigieuses, dont la Commission a considéré qu'il était le véritable dispensateur des aides avait pour seul destinataire l'Etat français, peu important que l'aide ait été versée par l'intermédiaire d'une entreprise de droit privé, la CGMF, dès lors que les fonds versés par la CGMF l'ont été au moyen de ressources de l'Etat ; qu'en considérant néanmoins que la société CGMF, personne morale de droit privé ayant dispensé à la SNCM l'intégralité des aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, a qualité pour déclarer la créance de récupération au passif de la procédure collective de la SNCM, la cour d'appel a violé l'article 38 de la loi 55-366 ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589 et le principe d'autonomie procédurale des Etats membres de l'Union européenne.

2°/ qu'en application du principe d'autonomie procédurale des Etats membres et du principe d'effectivité du droit européen, seul l'Etat a qualité pour récupérer une aide publique illégale, quand bien même celle-ci aurait été versée par l'intermédiaire d'une personne morale de droit privé ; que pour déclarer recevable la déclaration de créance effectuée par la SA CGMF au titre de la restitution d'une aide publique illégale, la cour d'appel énonce que l'Etat français n'ayant pas versé l'aide publique, il ne peut en obtenir la restitution ; qu'en se fondant sur une telle affirmation, inopérante puisque l'Etat étant désigné comme le véritable dispensateur des aides déclarées illégales, il était seul titulaire de la créance de récupération, fût-ce par l'intermédiaire de la société CGMF à laquelle l'Etat membre aurait pu déléguer son pouvoir de déclarer la créance, ce qu'il n'a pas fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622-24 du code de commerce ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589, ensemble les principes d'autonomie procédurale des Etats membres et d'effectivité du droit de l'Union européenne.

3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si s'agissant d'une créance de fonds publics, la personne de droit privée ayant versé l'aide n'était pas transparente de sorte qu'elle ne pouvait agir en récupération de l'aide qu'en tant que mandataire de l'Etat français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 38 de la loi 55-366 du 3 avril 1955, L. 622-24 du code de commerce, ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589 et le principe d'autonomie procédurale des Etats membres. »

Réponse de la Cour

5. Selon le paragraphe 3 de l'article 16 du règlement 2015/1589 du 13 juillet 2015, la récupération de l'aide d'Etat illégale s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'État membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission européenne.

6. Après avoir rappelé qu'une décision de la Commission européenne avait qualifié d'aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur plusieurs des sommes versées, en sa qualité d'actionnaire, à la SNCM par la CGMF, société de droit privé détenue à 100 % par l'Etat français, et dit que la France était tenue de se faire rembourser ces sommes par leur bénéficiaire, l'arrêt énonce que, selon le droit national, pour une entreprise liquidée, la récupération de l'aide illégale s'exécute par l'admission à son passif de la créance déclarée à ce titre et que les sommes qualifiées d'aides illégales sont, par principe, recouvrées par l'entité qui les a accordées. L'arrêt en déduit exactement qu'il importe peu que la procédure de contrôle de la Commission européenne n'ait été ouverte qu'à l'égard de l'Etat et que la CGMF n'y ait pas été partie, dès lors que c'est celle-ci qui a dispensé l'intégralité des aides litigieuses et qu'elle était ainsi créancière des sommes correspondantes. Il en résulte que le moyen, en ses deux premières branches, procède d'un postulat erroné et que c'est à bon droit que la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par la troisième branche, que ses appréciations rendaient inopérantes, a retenu que la CGMF avait qualité pour déclarer la créance de récupération des aides d'Etat illégales au passif de la procédure collective de la SNCM.

7.Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8.La société CGMF, l'URSSAF [Localité 1], l'AGS-CGEA et le comité d'entreprise de la SNCM font grief à l'arrêt de rejeter les intérêts courus après l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L. 622-28 du code de commerce, alors « que l'article 16 § 2 du règlement (UE) n° 2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement de l'article 14 § 2 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999) dispose, d'une part, que l'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission et, d'autre part, que ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération ; qu'en outre, l'article 16 § 3 du règlement (UE) n° 2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement l'article 14 § 3 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999) dispose que la récupération d'une aide d'Etat s'effectue conformément aux procédures prévues par le droit national, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge national doit laisser inappliquées les règles du droit interne faisant obstacle à l'exécution immédiate et effective de l'obligation de restitution découlant d'une décision de la Commission européenne déclarant une aide d'Etat incompatible avec le marché commun ; que tel était précisément le cas des dispositions de l'article L. 622-28 du Code de commerce selon lesquelles le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, faisaient obstacle à l'exécution complète et effective de l'obligation de récupération des intérêts dus par le bénéficiaire de l'aide, dans la mesure où le droit de l'Union impose l'arrêt le cours des intérêts au jour de la récupération effective de l'aide auprès de son bénéficiaire ; que pour juger que la CGMF n'était pas fondée à déclarer au passif de la SNCM, dans le cadre de la procédure collective dont cette dernière faisait l'objet, les intérêts échus après la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, c'est-à-dire le 28 novembre 2014, et plus généralement les intérêts continuant à courir jusqu'à la récupération complète des aides d'Etat incompatibles avec le marché commun dont la SNCM avait bénéficié, la cour d'appel a énoncé que les créances de récupération d'aides illégales qui doivent être déclarées selon les règles internes spécifiques aux procédures collectives, sont soumises au principe de l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure de la procédure collective à l'exception de ceux résultant des contrats de prêts d'une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, s'appliquent aux créances de récupération, sans que cela n'entre en contradiction avec le principe de primauté du droit de l'Union Européenne" ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16 du règlement (UE) n° 2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement l'article 14 du règlement (CE) n° 659/1999 du 22 mars 1999), ensemble le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne et les dispositions de l'article L. 622-28 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9.La Cour de justice de l'Union européenne juge qu'une législation nationale, selon laquelle les dettes des entreprises qui ont été déclarées en faillite cessent de produire des intérêts à partir de la date de la déclaration correspondante, justifiée par l'intérêt commun des créanciers de ne pas faire peser sur le patrimoine de l'entreprise en faillite de nouvelles obligations susceptibles d'aggraver sa situation, s'appliquant indistinctement à l'ensemble des créanciers, privés ou publics, dans toutes les procédures de cette nature, ne peut être regardée comme de nature à rendre pratiquement impossible la récupération des aides exigées par le droit communautaire (CJCE, 12 octobre 2000, Espagne c/Commission, aff. C-480/98).

10. Après avoir énoncé que les créances de récupération d'aides illégales, qui doivent être déclarées selon les règles internes spécifiques aux procédures collectives, sont soumises au principe de l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure collective, à l'exception de ceux résultant des contrats de prêts d'une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, et retenu que les créances précitées ne sont pas des intérêts résultant de contrats de prêt d'une durée égale ou supérieure à un an ni de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, c'est exactement que la cour d'appel a, par application de l'article L. 662-28 du code de commerce, écarté la violation du droit de l'Union et, partant, retenu que seuls les intérêts échus au 28 novembre 2014 pouvaient être admis au passif de la SNCM.

11.Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la déchéance du pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt du 21 mars 2019 (n° RG 16/06103) ;

REJETTE les pourvois ;

Condamne la Société nationale maritime Corse Méditerranée, la société [I] [U] et [X] [F], liquidateur de la Société nationale maritime Corse Méditerranée, et M. [H], liquidateur amiable de la Société nationale maritime Corse Méditerranée, aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze avril deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la Société nationale maritime Corse Méditérranée, la société [I] [U] et [X] [F], ès qualités et M. [H], ès qualités.

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir dit que la SA CGMF , personne morale dispensatrice des aides illégales versées à la SNCM, a qualité pour déclarer les créances de récupération au passif de la SNCM et prononcé l'admission au passif de la procédure collective de la SNCM de la créance n° 115 (numérotée par erreur 116 par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence), à titre chirographaire échu pour la somme de 223.064.198,50 € en principal et la somme de 66.803.864 ,53 € au titre des intérêts arrêtés au 28 novembre 2014, jour de l'ouverture de la procédure collective de la SNCM ;

aux motifs que « la SA Compagnie Générale Maritime et Financière, dite CGMF, est un holding financier détenu à 100 % par l'Etat français qui sert de relais à ce dernier pour toute opération de transport maritime, d'armement et d'affrètement de navires en Méditerranée (décision de la Commission du 20 novembre 2013) ;
Attendu qu'actionnaire de la SNCM cette société a versé à cette dernière, dans le cadre d'opérations de recapitalisation intervenues en 2002, de privatisation en 2006, différentes sommes qualifiées d'aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur par décision définitive de la Commission en date du 20 novembre 2013, qui a dit que la France était tenue de se faire rembourser par le bénéficiaire les aides visées à l'article 1er et de veiller à ce cette décision soit mise en oeuvre dans les 4 mois suivant sa notification ;
Attendu que la récupération des sommes versées irrégulièrement, ayant pour objet de rétablir la situation qui existait sur le marché avant l'octroi des aides concernées, doit être effectuée sans délai selon les modalités prévues par le droit national, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission (article16 3) du Règlement (UE) 2015/1589 du 13 juillet 2015) ;
Attendu que pour atteindre cet objectif, les États membres aux quels incombent la responsabilité de mettre en oeuvre la décision de récupération doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l'effet utile de la décision de la Commission ;
Attendu que la déclaration de créance au passif de la procédure collective ouverte à l'égard du bénéficiaire des aides déclarées illégales et incompatibles, satisfait à l'exigence d'exécution immédiate de la décision de récupération de la Commission et à l'obligation de récupération de ces sommes versées irrégulièrement ;
Attendu que pour une entreprise liquidée, la récupération de l'aide illégale s'exécute donc par l'admission à son passif de la créance correspondante, lorsqu'elle est encore possible, selon les règles du droit national relatives à la production des créances ;
Attendu que la SA CGMF a déclaré une créance n° 115 au passif de la SNCM d'un montant de 223.064.198,50 € en principal, augmenté de 66.803.864,53 € d'intérêts échus au 28 novembre 2014, date du redressement judiciaire, de 842.368,55 € au titre des intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la date de la déclaration de créance arrêtés au 6 février 2015 pour les besoins de la déclaration de créance ;
Attendu que le liquidateur judiciaire et la SNCM soutiennent que seul l'Etat pouvait déclarer une créance relative à la récupération de l'aide d'Etat illégale et non la SA CGMF servant de relais à l'Etat français et qu'elle ne dispose d'aucun titre de créance, n'étant pas partie à la décision de la Commission ;
Attendu que si la procédure de contrôle n'est ouverte qu'à l'égard de l'Etat membre, il importe peu que la CGMF ne soit pas partie à la décision de la Commission qui doit être mise à exécution, cette décision adressée à un État membre ayant un effet contraignant au-delà de la personne de l'Etat lui-même ; qu'elle est obligatoire pour tous les organes de cet État (Communication relative à la récupération de la Commission en date du 15 novembre 2007) ;
Attendu que les sommes qualifiées d'aides illégales et incompatibles sont habituellement recouvrées par l'autorité les ayant accordées ;
Attendu qu'au regard du droit interne, la SA CGMF, personne morale de droit privée ayant dispensé à la SNCM l'intégralité des aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, a qualité pour déclarer la créance de récupération au passif de la procédure collective de la SNCM ;
Attendu que cette déclaration de créance est une mesure assurant la récupération des aides auprès de leur bénéficiaire au sens de l'article 14 3 du Règlement CE 959/1999 du 22 mars 1999 ;
Attendu que l'Etat n'ayant pas lui-même versé ces aides, mais par le relais de la SA CGMF, ne peut procéder directement à leur récupération auprès de leur bénéficiaire ;
Attendu que le moyen selon lequel la déclaration de créance devait, en application de l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955, modifié par le décret du 23 août 2012, émaner de l'Agent judiciaire de l'Etat, au motif qu'il était seul compétent pour porter devant les juridictions judiciaires toute action tendant à faire déclarer l'Etat créancier pour des causes étrangères à l'impôt, est dès lors inopérant ;
Attendu qu'est également sans emport la circonstance que la CGMF soit une entreprise privée intervenant dans un champ concurrentiel du secteur maritime ;
Attendu que l'ordonnance ayant rejeté la déclaration de créance précitée est dès lors infirmée » ;

alors 1°/ que l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 dispose que toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire et tendant à faire déclarer l'Etat créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire de l'Etat ; que la décision de la Commission du 20 novembre 2013 imposant la récupération des aides litigieuses, dont la Commission a considéré qu'il était le véritable dispensateur des aides avait pour seul destinataire l'Etat français, peu important que l'aide ait été versée par l'intermédiaire d'une entreprise de droit privé, la CGMF dès lors que les fonds versés par la CGMF l'ont été au moyen de ressources de l'Etat ; qu'en considérant néanmoins que la société CGMF, personne morale de droit privé ayant dispensé à la SNCM l'intégralité des aides d'Etat illégales et incompatibles avec le marché intérieur, a qualité pour déclarer la créance de récupération au passif de la procédure collective de la SNCM, la cour d'appel a violé l'article 38 de la loi 55-366 ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589 et le principe d'autonomie procédurale des Etats membres de l'Union européenne ;

alors 2°/ qu'en application du principe d'autonomie procédurale des Etats membres et du principe d'effectivité du droit européen, seul l'Etat a qualité pour récupérer une aide publique illégale, quand bien même celle-ci aurait été versée par l'intermédiaire d'une personne morale de droit privé ; que pour déclarer recevable la déclaration de créance effectuée par la SA CGMF au titre de la restitution d'une aide publique illégale, la cour d'appel énonce que l'Etat français n'ayant pas versé l'aide publique, il ne peut en obtenir la restitution ; qu'en se fondant sur une telle affirmation, inopérante puisque l'Etat étant désigné comme le véritable dispensateur des aides déclarées illégales, il était seul titulaire de la créance de récupération, fût-ce par l'intermédiaire de la société CGMF à laquelle l'Etat membre aurait pu déléguer son pouvoir de déclarer la créance, ce qu'il n'a pas fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622-24 du code de commerce ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589, ensemble les principes d'autonomie procédurale des Etats membres et d'effectivité du droit de l'Union européenne ;

alors 3°/ qu'en s'abstenant de rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si s'agissant d'une créance de fonds publics, la personne de droit privée ayant versé l'aide n'était pas transparente de sorte qu'elle ne pouvait agir en récupération de l'aide qu'en tant que mandataire de l'Etat français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 38 de la loi 55-366 du 3 avril 1955, L. 622-24 8 sur 19 du code de commerce, ensemble l'article 16 § 3 du règlement 2015/1589 et le principe d'autonomie procédurale des Etats membres. Moyen produit au pourvoi incident par de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la Compagnie générale maritime et financière (CGMF).

Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR rejeté les intérêts courus après l'ouverture de la procédure collective en application de l'article L. 622-28 du Code de commerce ;

AUX MOTIFS QUE « s'agissant des intérêts déclarés, les intimés se prévalent des dispositions de l'article L 622-25 du code de commerce qui précisent que la déclaration de créance porte le montant de la créance due au jour du jugement d'ouverture avec indication des sommes à échoir et de celles de l'article L 622-28 du même code qui posent le principe de l'arrêt du cours des intérêts légaux et conventionnels par l'effet du jugement d'ouverture, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à l'exception de ceux résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus pour soutenir que le cours des intérêts de la créance d'avance en trésorerie consentie jusqu'à un premier terme de 6 mois ensuite prorogé pour une durée de moins d'un an, a été arrêté au jour de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la SNCM ;
Attendu que l'appelante fait valoir que les principes de primauté du droit européen et de récupération effective de récupération des aides illégales et incompatibles, et l'article 16§2 du Règlement n° 2015/1589 qui dispose que les intérêts de la créance de récupération courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à disposition jusqu'à sa récupération, interdisent d'arrêter le cours des intérêts au jour du jugement d'ouverture ;
Mais attendu que les créances de récupération d'aides illégales qui doivent être déclarées selon les règles internes spécifiques aux procédures collectives, sont soumises au principe de l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure de la procédure collective à l'exception de ceux résultant des contrats de prêts d'une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, s'appliquent aux créances de récupération, sans que cela n'entre en contradiction avec le principe primauté du droit de l'Union Européenne ;
Attendu que les créances précitées ne sont pas des intérêts résultant de contrats de prêt d'une durée égale ou supérieure à un an ni de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus ; que, dès lors, seuls les intérêts échus au 28 novembre 2014 sont admis à hauteur de la somme de 66.803.864,53 € ;
Attendu que ceux déclarés après le 28 novembre 2014 pour un montant de 842.368,55 € au titre des intérêts échus entre le 29 novembre 2014 et la déclaration de créance arrêtés au 6 février 2015, et ceux réclamés pour un montant complémentaire de 5.386.369,59 € arrêtés au 4 juillet 2016, sont rejetés. »
ALORS QUE l'article 16§2 du règlement (UE) n°2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement de l'article 14§2 du règlement (CE) n°659/1999 du 22 mars 1999) dispose, d'une part, que l'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission et, d'autre part, que ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération ; qu'en outre, l'article 16§3 du règlement (UE) n°2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement l'article 14§3 du règlement (CE) n°659/1999 du 22 mars 1999) dispose que la récupération d'une aide d'Etat s'effectue conformément aux procédures prévues le droit national, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission ; qu'il résulte de ces dispositions que le juge national doit laisser inappliquées les règles du droit interne faisant obstacle à l'exécution immédiate et effective de l'obligation de restitution découlant d'une décision de la Commission européenne déclarant une aide d'Etat incompatible avec le marché commun ; que tel était précisément le cas des dispositions de l'article L. 622-28 du Code de commerce selon lesquelles le jugement d'ouverture arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels, ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, à moins qu'il ne s'agisse des intérêts résultant de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, faisaient obstacle à l'exécution complète et effective de l'obligation de récupération des intérêts dus par le bénéficiaire de l'aide, dans la mesure où le droit de l'Union impose l'arrêt le cours des intérêts au jour de la récupération effective de l'aide auprès de son bénéficiaire ; que pour juger que la CGMF n'était pas fondée à déclarer au passif de la SNCM, dans le cadre de la procédure collective dont cette dernière faisait l'objet, les intérêts échus après la date du jugement d'ouverture de la procédure collective, c'est-à-dire le 28 novembre 2014, et plus généralement les intérêts continuant à courir jusqu'à la récupération complète des aides d'Etat incompatibles avec le marché commun dont la SNCM avait bénéficié, la Cour d'appel a énoncé que «les créances de récupération d'aides illégales qui doivent être déclarées selon les règles internes spécifiques aux procédures collectives, sont soumises au principe de l'arrêt du cours des intérêts au jour de l'ouverture de la procédure de la procédure collective à l'exception de ceux résultant des contrats de prêts d'une durée égale ou supérieure à un an ou de contrats assortis d'un paiement différé d'un an ou plus, s'appliquent aux créances de récupération, sans que cela n'entre en contradiction avec le principe primauté du droit de l'Union Européenne » ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16 28 du règlement (UE) n°2015/1589 du 13 juillet 2015 (anciennement l'article 14 du règlement (CE) n°659/1999 du 22 mars 1999), ensemble le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne et les dispositions de l'article L. 622-28 du Code de commerce.ECLI:FR:CCASS:2021:CO00342
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