Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 mars 2021, 19-11.305, Inédit
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 10 mars 2021, 19-11.305, Inédit
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 19-11.305
- ECLI:FR:CCASS:2021:SO00310
- Non publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 10 mars 2021
Décision attaquée : Cour d'appel de Colmar, du 30 octobre 2018- Président
- Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 mars 2021
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 310 F-D
Pourvoi n° F 19-11.305
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 MARS 2021
M. H... Q..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 19-11.305 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société [...] , entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. Q..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [...] , après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, M. Ricour, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 octobre 2018), M. Q..., engagé le
10 juin 2002 par la société [...] (la société) en qualité de conducteur d'engins, a été victime d'un accident du travail le 22 février 2010 et placé en arrêt de travail à compter de cette date.
2. Licencié, le 7 novembre 2011, à raison des perturbations occasionnées à la société par ses absences de longue durée et de la nécessité de procéder à son remplacement définitif, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité du licenciement, subsidiairement à son absence de cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes sur ce fondement, alors « que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; que M. Q... exposait dans ses écritures d'appel, reprises oralement à l'audience, que son employeur avait mis sa vie en péril en installant un chauffage radiant dans la cabine de son engin de chantier, puis, après qu'il ait eu fait un malaise provoqué par l'inhalation de monoxyde de carbone, en faisant transporter son corps dans une camionnette jusqu'au réfectoire de l'entreprise afin de dissimuler sa responsabilité, donnant en outre pour instructions à ses salariés de transmettre des informations mensongères sur les circonstances de la chute, alors même que M. Q... présentait une fracture de la vertèbre D5 et aurait dû être transporté sur un brancard à coque; que ce dernier reprochait à son employeur d'avoir mis sa vie en péril et d'invoquer néanmoins la perturbation sur le fonctionnement normal de l'entreprise qu'engendrait son absence prolongée, et en déduisait que son licenciement était nul en ce qu'il était fondé sur son état de santé ; que dès lors, en estimant que l'employeur démontrait que l'absence de M. Q... avait objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et avait contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif, pour en déduire que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le comportement de l'employeur était à l'origine de l'état de santé du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La société conteste la recevabilité du moyen, au motif qu'il est nouveau et incompatible avec l'argumentation développée devant les juges du fond.
5. Cependant le salarié a soutenu dans ses conclusions que la faute de l'employeur était seule à l'origine de l'accident du travail et de l'absence qui s'en est suivie, et que le licenciement était nul de ce fait.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, applicable au litige :
7. Il résulte de ce texte qu'il est fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap. Lorsque l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d'un manquement de l'employeur à ses obligations, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement.
8. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeter la demande de nullité du licenciement et la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'employeur démontre, comme il le doit, que l'absence de M. Q..., du 22 février 2010 au 7 novembre 2011 a objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et a contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif.
9. En se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résultait d'une faute de l'employeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation prononcée n'atteint pas le chef du dispositif relatif à la demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, non critiquée par le moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'appel recevable et déboute M. Q... de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 30 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société [...] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. Q... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. Q...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement de Monsieur H... Q... était fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir en conséquence débouté de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et la condamnation de l'EURL [...] au paiement de diverses sommes sur ce fondement,
Aux motifs que la lettre de licenciement est ainsi libellée : « à la suite de notre entretien du 2 novembre 2011, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour le motif suivant : absence maladie prolongée rendant nécessaire votre remplacement définitif pour assurer un fonctionnement normal de la société » ; que selon Monsieur Q..., à la suite du malaise provoqué par l'inhalation de dioxyde de carbone, il est tombé, inconscient et s'est fracturé la vertèbre D5, l'employeur l'ayant déplacé jusqu'au réfectoire, sans aucun égard à sa situation afin de dissimuler sa responsabilité ; le salarié reproche à l'EURL [...] de ne pas démontrer la perturbation apportée à l'entreprise et la nécessité du remplacement définitif, observant que pendant un an, aucun remplacement ne s'est avéré nécessaire et le salarié embauché en mai 2011 n'a pas sa qualification mais celle de manoeuvre et n'a été engagé par contrat à durée indéterminée que le 8 janvier 2012 ; que l'EURL [...] rappelle qu'elle ne compte que 6 salariés, qu'elle a engagé Monsieur V... dès le 6 mai 2011 en qualité de conducteur de chargeur par contrat à durée déterminée de remplacement, contrat reconduit le 5 juillet 2011, soit dans un délai raisonnable, elle ajoute qu'elle a formé l'épouse du gérant et un chef d'équipe à la conduite d'engins ; que si l'article L. 1132-1 du code du travail proscrit toute discrimination fondée sur l'état de santé ou le handicap du salarié, un licenciement peut être motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié ; en pareil cas, la lettre de licenciement doit énoncer l'existence de perturbations causées par l'absence prolongée ou les absences répétées et la nécessité de procéder au remplacement du salarié ; le juge doit vérifier si ce remplacement revêt un caractère définitif ; la charge de la preuve que les conditions précitée sont réunies appartient à l'employeur et, si cette démonstration n'est pas faite, le licenciement n'est pas nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en principe, le remplacement définitif suppose l'embauche d'un nouveau salarié sous contrat à durée indéterminée et non pas le remplacement par un autre salarié dans le cadre d'une promotion interne, sauf si ce salarié a lui-même été remplacé par un salarié en contrat à durée indéterminée ; que s'agissant du caractère définitif du remplacement, Monsieur Q... occupait la fonction de conducteur d'engins ; qu'il a été placé en arrêt de travail le 22 février 2010 et licencié le 7 novembre 2011 ; que l'EURL [...] a embauché, le 6 mai 2011, Monsieur J... V... en qualité de manoeuvre, par contrat à durée déterminée pour une durée de deux mois « en remplacement de Monsieur H... Q..., salarié de la société pendant son absence maladie » ; qu'un avenant de renouvellement a été conclu le 5 juillet 2011, jusqu'au retour de Monsieur Q..., Monsieur V... occupant la même fonction, à savoir celle de manoeuvre ; que le 8 janvier 2012, Monsieur V... a été engagé à durée indéterminée aux mêmes conditions d'emploi ; que certes, ce salarié, lors de son embauche et des avenants successifs, n'avait pas la même qualification de conducteur d'engins que Monsieur Q... ; que toutefois, les attestations de Monsieur C... S..., chef d'équipe, de Monsieur V... lui-même, de Madame E... A..., secrétaire et épouse du gérant de l'entreprise, permettent de tenir pour établi que :
- Monsieur S..., ancien conducteur d'engins, comme le mentionne le registre du personnel sur lequel figure sa date d'entrée dans l'entreprise en cette qualité (22 février 1994), a assuré « l'intérim » de Monsieur Q...,
- Monsieur V... a été formé à la conduite d'engins afin de travailler sur le site de l'usine Cristal,
- Madame A... a conduit un « D... » sur un chantier de terrassement en juillet-août 2010 ;
que ce faisant, l'EURL [...] démontre avoir dû remplacer Monsieur Q... de façon pérenne dès son absence pour maladie, mais surtout, ce qui est déterminant, à compter du licenciement, Monsieur V... ayant, par formation interne, occupé ses fonctions ; que à cet égard, aucune règle ne fait obstacle à ce que le remplacement du salarié prenne effet avant le licenciement, l'essentiel étant que le remplacement définitif soit effectué dans un délai raisonnable après la rupture ; que tel est le cas en l'espèce, Monsieur V... étant engagé dès le 6 mai 2011, puis formé à la conduite d'engins ; que s'agissant de la perturbation apportée à l'entreprise, celle-ci démontre par l'attestation précitée de Monsieur S..., que l'absence de Monsieur Q... a conduit à d'importants dysfonctionnements, Monsieur S... précisant que sans la décision de remplacer l'intéressé, « l'entreprise ne pouvait poursuivre son activité. » ; qu'il convient, sur ce point, de prendre en considération les effectifs de l'entreprise que révèle l'examen du registre des entrées et sorties du personnel, soit au jour du licenciement, le 7 novembre 2011, 7 personnes, à savoir, Madame U..., conducteur d'engins ; que Monsieur M..., ouvrier polyvalent, Monsieur F..., chauffeur poids lourds, Monsieur S..., conducteur d'engins et chef de travaux, Monsieur R..., un chauffeur mécanicien, Madame E... A..., secrétaire, ainsi que Monsieur V... ; que par suite, l'employeur démontre, comme il le doit, que l'absence de Monsieur Q..., du 22 février 2010 au 7 novembre 2011 a objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et a contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif ; que dès lors, le licenciement n'est pas fondé sur l'état de santé du salarié et n'est, de ce fait, ni nul, ni dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Alors, d'une part, que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du Code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; que Monsieur Q... exposait dans ses écritures d'appel, reprises oralement à l'audience, que son employeur avait mis sa vie en péril en installant un chauffage radiant dans la cabine de son engin de chantier, puis, après qu'il ait eu fait un malaise provoqué par l'inhalation de monoxyde de carbone, en faisant transporter son corps dans une camionnette jusqu'au réfectoire de l'entreprise afin de dissimuler sa responsabilité, donnant en outre pour instructions à ses salariés de transmettre des informations mensongères sur les circonstances de la chute, alors même que Monsieur Q... présentait une fracture de la vertèbre D5 et aurait dû être transporté sur un brancard à coque; que ce dernier reprochait à son employeur d'avoir mis sa vie en péril et d'invoquer néanmoins la perturbation sur le fonctionnement normal de l'entreprise qu'engendrait son absence prolongée, et en déduisait que son licenciement était nul en ce qu'il était fondé sur son état de santé ; que dès lors, en estimant que l'employeur démontrait que l'absence de Monsieur Q... avait objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et avait contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif, pour en déduire que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le comportement de l'employeur était à l'origine de l'état de santé du salarié, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1132-1 du Code du travail ;
Alors, d'autre part, que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du Code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; qu'ayant constaté que, « alors qu'il conduisait un engin de chantier dont la cabine était équipée d'un chauffage radiant au gaz, Monsieur Q... avait perdu connaissance ; lorsqu'il a repris conscience, il avait fait une chute et présentait une fracture de la vertèbre D5 », le salarié ayant été placé en arrêt maladie à compter de son accident du travail, la Cour d'appel aurait dû nécessairement en déduire que le licenciement de Monsieur Q... était directement en lien avec l'accident causé par l'employeur, ce qui excluait la possibilité pour ce dernier de se prévaloir de la perturbation que son absence prolongée avait causé au fonctionnement de l'entreprise ; qu'en ne procédant pas à une telle déduction qui s'évinçait pourtant nécessairement de ses constatations, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1132-1 du Code du travail ;
Alors, enfin, en tout état de cause, que selon l'article L. 1226-7 du Code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie ; que la période de suspension s'achève par la visite de reprise ; qu'aux termes de l'article L. 1226-9 du même code, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre le contrat que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ; qu'en l'espèce, ayant constaté que le salarié avait été placé en arrêt maladie à compter de la date de l'accident du travail, le 22 février 2010, et qu'il avait été licencié le 7 novembre 2011 en raison de la prolongation de son absence nécessitant son remplacement définitif pour assurer un fonctionnement normal de la société, la Cour d'appel aurait dû en déduire que le licenciement était intervenu au cours de la période de protection et se trouvait nécessairement frappé de nullité ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle déduction qui s'évinçait pourtant nécessairement de ses propres constatations, la Cour d'appel a violé les articles L. 1226-7 et L. 1226-9 du Code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00310
SOC.
LG
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 10 mars 2021
Cassation partielle
Mme FARTHOUAT-DANON, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 310 F-D
Pourvoi n° F 19-11.305
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 10 MARS 2021
M. H... Q..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° F 19-11.305 contre l'arrêt rendu le 30 octobre 2018 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à la société [...] , entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gilibert, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. Q..., de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société [...] , après débats en l'audience publique du 19 janvier 2021 où étaient présents Mme Farthouat-Danon, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Gilibert, conseiller rapporteur, M. Ricour, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 octobre 2018), M. Q..., engagé le
10 juin 2002 par la société [...] (la société) en qualité de conducteur d'engins, a été victime d'un accident du travail le 22 février 2010 et placé en arrêt de travail à compter de cette date.
2. Licencié, le 7 novembre 2011, à raison des perturbations occasionnées à la société par ses absences de longue durée et de la nécessité de procéder à son remplacement définitif, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant notamment à la nullité du licenciement, subsidiairement à son absence de cause réelle et sérieuse.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et la condamnation de la société au paiement de diverses sommes sur ce fondement, alors « que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; que M. Q... exposait dans ses écritures d'appel, reprises oralement à l'audience, que son employeur avait mis sa vie en péril en installant un chauffage radiant dans la cabine de son engin de chantier, puis, après qu'il ait eu fait un malaise provoqué par l'inhalation de monoxyde de carbone, en faisant transporter son corps dans une camionnette jusqu'au réfectoire de l'entreprise afin de dissimuler sa responsabilité, donnant en outre pour instructions à ses salariés de transmettre des informations mensongères sur les circonstances de la chute, alors même que M. Q... présentait une fracture de la vertèbre D5 et aurait dû être transporté sur un brancard à coque; que ce dernier reprochait à son employeur d'avoir mis sa vie en péril et d'invoquer néanmoins la perturbation sur le fonctionnement normal de l'entreprise qu'engendrait son absence prolongée, et en déduisait que son licenciement était nul en ce qu'il était fondé sur son état de santé ; que dès lors, en estimant que l'employeur démontrait que l'absence de M. Q... avait objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et avait contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif, pour en déduire que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le comportement de l'employeur était à l'origine de l'état de santé du salarié, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1132-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
4. La société conteste la recevabilité du moyen, au motif qu'il est nouveau et incompatible avec l'argumentation développée devant les juges du fond.
5. Cependant le salarié a soutenu dans ses conclusions que la faute de l'employeur était seule à l'origine de l'accident du travail et de l'absence qui s'en est suivie, et que le licenciement était nul de ce fait.
6. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, applicable au litige :
7. Il résulte de ce texte qu'il est fait interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap. Lorsque l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d'un manquement de l'employeur à ses obligations, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement.
8. Pour dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et rejeter la demande de nullité du licenciement et la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que l'employeur démontre, comme il le doit, que l'absence de M. Q..., du 22 février 2010 au 7 novembre 2011 a objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et a contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif.
9. En se déterminant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résultait d'une faute de l'employeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
10. La cassation prononcée n'atteint pas le chef du dispositif relatif à la demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, non critiquée par le moyen.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit l'appel recevable et déboute M. Q... de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 30 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la société [...] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [...] et la condamne à payer à M. Q... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. Q...
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que le licenciement de Monsieur H... Q... était fondé sur une cause réelle et sérieuse et de l'avoir en conséquence débouté de sa demande tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et la condamnation de l'EURL [...] au paiement de diverses sommes sur ce fondement,
Aux motifs que la lettre de licenciement est ainsi libellée : « à la suite de notre entretien du 2 novembre 2011, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour le motif suivant : absence maladie prolongée rendant nécessaire votre remplacement définitif pour assurer un fonctionnement normal de la société » ; que selon Monsieur Q..., à la suite du malaise provoqué par l'inhalation de dioxyde de carbone, il est tombé, inconscient et s'est fracturé la vertèbre D5, l'employeur l'ayant déplacé jusqu'au réfectoire, sans aucun égard à sa situation afin de dissimuler sa responsabilité ; le salarié reproche à l'EURL [...] de ne pas démontrer la perturbation apportée à l'entreprise et la nécessité du remplacement définitif, observant que pendant un an, aucun remplacement ne s'est avéré nécessaire et le salarié embauché en mai 2011 n'a pas sa qualification mais celle de manoeuvre et n'a été engagé par contrat à durée indéterminée que le 8 janvier 2012 ; que l'EURL [...] rappelle qu'elle ne compte que 6 salariés, qu'elle a engagé Monsieur V... dès le 6 mai 2011 en qualité de conducteur de chargeur par contrat à durée déterminée de remplacement, contrat reconduit le 5 juillet 2011, soit dans un délai raisonnable, elle ajoute qu'elle a formé l'épouse du gérant et un chef d'équipe à la conduite d'engins ; que si l'article L. 1132-1 du code du travail proscrit toute discrimination fondée sur l'état de santé ou le handicap du salarié, un licenciement peut être motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié ; en pareil cas, la lettre de licenciement doit énoncer l'existence de perturbations causées par l'absence prolongée ou les absences répétées et la nécessité de procéder au remplacement du salarié ; le juge doit vérifier si ce remplacement revêt un caractère définitif ; la charge de la preuve que les conditions précitée sont réunies appartient à l'employeur et, si cette démonstration n'est pas faite, le licenciement n'est pas nul, mais dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'en principe, le remplacement définitif suppose l'embauche d'un nouveau salarié sous contrat à durée indéterminée et non pas le remplacement par un autre salarié dans le cadre d'une promotion interne, sauf si ce salarié a lui-même été remplacé par un salarié en contrat à durée indéterminée ; que s'agissant du caractère définitif du remplacement, Monsieur Q... occupait la fonction de conducteur d'engins ; qu'il a été placé en arrêt de travail le 22 février 2010 et licencié le 7 novembre 2011 ; que l'EURL [...] a embauché, le 6 mai 2011, Monsieur J... V... en qualité de manoeuvre, par contrat à durée déterminée pour une durée de deux mois « en remplacement de Monsieur H... Q..., salarié de la société pendant son absence maladie » ; qu'un avenant de renouvellement a été conclu le 5 juillet 2011, jusqu'au retour de Monsieur Q..., Monsieur V... occupant la même fonction, à savoir celle de manoeuvre ; que le 8 janvier 2012, Monsieur V... a été engagé à durée indéterminée aux mêmes conditions d'emploi ; que certes, ce salarié, lors de son embauche et des avenants successifs, n'avait pas la même qualification de conducteur d'engins que Monsieur Q... ; que toutefois, les attestations de Monsieur C... S..., chef d'équipe, de Monsieur V... lui-même, de Madame E... A..., secrétaire et épouse du gérant de l'entreprise, permettent de tenir pour établi que :
- Monsieur S..., ancien conducteur d'engins, comme le mentionne le registre du personnel sur lequel figure sa date d'entrée dans l'entreprise en cette qualité (22 février 1994), a assuré « l'intérim » de Monsieur Q...,
- Monsieur V... a été formé à la conduite d'engins afin de travailler sur le site de l'usine Cristal,
- Madame A... a conduit un « D... » sur un chantier de terrassement en juillet-août 2010 ;
que ce faisant, l'EURL [...] démontre avoir dû remplacer Monsieur Q... de façon pérenne dès son absence pour maladie, mais surtout, ce qui est déterminant, à compter du licenciement, Monsieur V... ayant, par formation interne, occupé ses fonctions ; que à cet égard, aucune règle ne fait obstacle à ce que le remplacement du salarié prenne effet avant le licenciement, l'essentiel étant que le remplacement définitif soit effectué dans un délai raisonnable après la rupture ; que tel est le cas en l'espèce, Monsieur V... étant engagé dès le 6 mai 2011, puis formé à la conduite d'engins ; que s'agissant de la perturbation apportée à l'entreprise, celle-ci démontre par l'attestation précitée de Monsieur S..., que l'absence de Monsieur Q... a conduit à d'importants dysfonctionnements, Monsieur S... précisant que sans la décision de remplacer l'intéressé, « l'entreprise ne pouvait poursuivre son activité. » ; qu'il convient, sur ce point, de prendre en considération les effectifs de l'entreprise que révèle l'examen du registre des entrées et sorties du personnel, soit au jour du licenciement, le 7 novembre 2011, 7 personnes, à savoir, Madame U..., conducteur d'engins ; que Monsieur M..., ouvrier polyvalent, Monsieur F..., chauffeur poids lourds, Monsieur S..., conducteur d'engins et chef de travaux, Monsieur R..., un chauffeur mécanicien, Madame E... A..., secrétaire, ainsi que Monsieur V... ; que par suite, l'employeur démontre, comme il le doit, que l'absence de Monsieur Q..., du 22 février 2010 au 7 novembre 2011 a objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et a contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif ; que dès lors, le licenciement n'est pas fondé sur l'état de santé du salarié et n'est, de ce fait, ni nul, ni dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Alors, d'une part, que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du Code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; que Monsieur Q... exposait dans ses écritures d'appel, reprises oralement à l'audience, que son employeur avait mis sa vie en péril en installant un chauffage radiant dans la cabine de son engin de chantier, puis, après qu'il ait eu fait un malaise provoqué par l'inhalation de monoxyde de carbone, en faisant transporter son corps dans une camionnette jusqu'au réfectoire de l'entreprise afin de dissimuler sa responsabilité, donnant en outre pour instructions à ses salariés de transmettre des informations mensongères sur les circonstances de la chute, alors même que Monsieur Q... présentait une fracture de la vertèbre D5 et aurait dû être transporté sur un brancard à coque; que ce dernier reprochait à son employeur d'avoir mis sa vie en péril et d'invoquer néanmoins la perturbation sur le fonctionnement normal de l'entreprise qu'engendrait son absence prolongée, et en déduisait que son licenciement était nul en ce qu'il était fondé sur son état de santé ; que dès lors, en estimant que l'employeur démontrait que l'absence de Monsieur Q... avait objectivement perturbé de manière importante le fonctionnement de l'entreprise et avait contraint celle-ci à procéder à son remplacement définitif, pour en déduire que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si le comportement de l'employeur était à l'origine de l'état de santé du salarié, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1132-1 du Code du travail ;
Alors, d'autre part, que lorsque l'absence prolongée du salarié en raison d'un accident du travail résulte du comportement de l'employeur, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement ; que celui-ci est donc nul, en application de l'article L. 1132-1 du Code du travail, car fondé sur l'état de santé du salarié ; qu'ayant constaté que, « alors qu'il conduisait un engin de chantier dont la cabine était équipée d'un chauffage radiant au gaz, Monsieur Q... avait perdu connaissance ; lorsqu'il a repris conscience, il avait fait une chute et présentait une fracture de la vertèbre D5 », le salarié ayant été placé en arrêt maladie à compter de son accident du travail, la Cour d'appel aurait dû nécessairement en déduire que le licenciement de Monsieur Q... était directement en lien avec l'accident causé par l'employeur, ce qui excluait la possibilité pour ce dernier de se prévaloir de la perturbation que son absence prolongée avait causé au fonctionnement de l'entreprise ; qu'en ne procédant pas à une telle déduction qui s'évinçait pourtant nécessairement de ses constatations, la Cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1132-1 du Code du travail ;
Alors, enfin, en tout état de cause, que selon l'article L. 1226-7 du Code du travail, le contrat de travail du salarié victime d'un accident du travail, autre qu'un accident de trajet, ou d'une maladie professionnelle est suspendu pendant la durée de l'arrêt de travail provoqué par l'accident ou la maladie ; que la période de suspension s'achève par la visite de reprise ; qu'aux termes de l'article L. 1226-9 du même code, au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre le contrat que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie ; qu'en l'espèce, ayant constaté que le salarié avait été placé en arrêt maladie à compter de la date de l'accident du travail, le 22 février 2010, et qu'il avait été licencié le 7 novembre 2011 en raison de la prolongation de son absence nécessitant son remplacement définitif pour assurer un fonctionnement normal de la société, la Cour d'appel aurait dû en déduire que le licenciement était intervenu au cours de la période de protection et se trouvait nécessairement frappé de nullité ; qu'en s'abstenant de procéder à une telle déduction qui s'évinçait pourtant nécessairement de ses propres constatations, la Cour d'appel a violé les articles L. 1226-7 et L. 1226-9 du Code du travail.