Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 mars 2021, 19-24.232, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2021




Cassation partielle


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 285 F-D

Pourvoi n° H 19-24.232




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 MARS 2021

M. M... S..., domicilié [...] , a formé le pourvoi n° H 19-24.232 contre l'arrêt rendu le 20 décembre 2018 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant à la société Armatis Normandie, société en nom collectif, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Joly, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. S..., de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Armatis Normandie, après débats en l'audience publique du 13 janvier 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Joly, conseiller référendaire rapporteur, Mme Sommé, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 20 décembre 2018), M. S... a été engagé à compter du 2 janvier 2007 par la société Armatis Normandie (la société), en qualité de superviseur.

2. Le 6 avril 2010, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

3. Le 11 juin 2010, le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir des dommages-intérêts pour harcèlement moral et la requalification de sa prise d'acte en licenciement nul.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral, de sa demande de prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, et de ses demandes de paiement des indemnités de rupture et de dommages-intérêts, et de le condamner à payer une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, alors « que les juges doivent examiner les éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que le salarié a produit de nombreuses attestations, auditions de salariés recueillies dans le cadre de plusieurs plaintes pénales et extraits de presse faisant état des méthodes de management générant une souffrance au travail, le témoignage de Mme Q... faisant état de la situation de l'exposant, des documents médicaux concernant l'arrêt de travail dont il a fait l'objet en septembre et octobre 2009, la tentative de suicide sur son lieu de travail le 16 octobre 2009, l'hospitalisation ainsi que l'arrêt de travail et le suivi psychologique dont il a fait l'objet suite à cette tentative de suicide, la reprise à temps partiel thérapeutique à compter du 14 décembre 2019, le certificat du docteur D..., psychiatre, précisant que le salarié était suivi régulièrement depuis son hospitalisation, qu'il avait besoin d'une reprise d'activité qui devait être à temps partiel et éviter les pressions psychologiques dans ce domaine, les constatations du médecin du travail qui a notamment mentionné dans le dossier médical la tentative de suicide sur le lieu de travail pour "ras le bol professionnel" et l'absence de reconnaissance par ses supérieurs, ainsi que le courrier du salarié du 4 janvier 2010 pour demander la reconnaissance de l'accident du travail, faisant état des brimades et pressions subies, rejoignant les nombreux témoignages des autres salariés ainsi que son propre témoignage ; que la cour d'appel, qui n'a pas examiné l'intégralité des éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1152-1 du code du travail et l'article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable :

5. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre du harcèlement moral, la cour d'appel a retenu que les éléments apportés par ce dernier portaient sur des considérations trop générales concernant les méthodes de gestion du centre d'appel dirigé par la société et que les agissements de harcèlement moral collectif dénoncés ne s'étaient pas manifestés personnellement pour le salarié déterminé qui s'en prévalait.

6. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait relevé que plusieurs salariés témoignaient, d'une part, de pressions en matière d'objectifs, imposées aux directeurs de projets, aux responsables de projets, aux chargés de terrain, aux superviseurs et aux téléconseillers par une organisation très hiérarchisée du directeur de site et qui se traduisaient par une surveillance des prestations décrite comme du "flicage" et, d'autre part, d'une analyse de leurs prestations qu'ils ressentaient comme une souffrance au travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Sur le second moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts au titre du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, alors « que la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation emportera censure de l'arrêt en ses dispositions relatives au manquement à l'obligation de sécurité et ce, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »



Réponse de la Cour

8. La cassation sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, emporte cassation par voie de conséquence du chef du dispositif critiqué par le second moyen en ce qu'il fait grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevables les demandes de M. S... au titre d'un manquement de son employeur à son obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne la société Armatis Normandie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Armatis Normandie et la condamne à payer à M. S... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. S...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral, de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir juger que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement nul, et en paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts, et de l'AVOIR condamné à payer une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

AUX MOTIFS propre QUE M. M... S... invoque les faits suivants : « - Modification régulière des superviseurs et équipes créant un climat d'instabilité et de stress, - Mutation des salariés entre différentes opérations, à titre de sanction, - Ecoute permanente des salariés par casque pendant leur appel, - Notation constante par leur supérieur, sans explication sur la méthodologie appliquée, - Convocation à des "briefs" s'apparentant en pratique à des entretiens disciplinaires, desquels les salariés ressortaient régulièrement en pleurs, - Chronométrage des pauses systématiques, - Interdiction de s'absenter pour aller aux toilettes, hors temps de pause, ou alors en restant connecté, impactant dès lors sur leur statistiques d'appel et leur prime, - Mise en absence injustifiée, y compris pour un retard de quelques minutes en raison d'un rendez-vous médical dûment justifié, - Refus de prise en compte des problématiques médicales des salariés (ex : claustrophobie ...), - Critiques permanentes, injures et menaces de licenciement de la part des supérieurs, - Etc... » ; M. M... S... expose que, courant 2010, plusieurs des 700 salariés du site ont mis en cause la gestion du personnel et les méthodes de management de la société Armatis Normandie, en déposant pour certains des plaintes pénales et en saisissant le conseil de prud'hommes ; il expose avoir tenté de mettre fin à ses jours, le 16 octobre 2009, sur son lieu de travail par absorption de médicaments et fait le parallèle avec trois autres tentatives de suicide ; l'appelant s'appuie sur : - de nombreuses attestations de salariés du centre ; - une attestation rédigée par ses soins ; - les auditions de salariés recueillies dans le cadre de plusieurs plaintes pénales ; - des extraits de presse ; M. M... S... produit les attestations de Mme F... G..., L... H..., B... I..., O... R..., C... VF... , E... V..., W... T..., E... X..., J... K..., U... DT... , N... Y..., P... Q..., U... A... et de MM. OP... WC... ; il résulte de la lecture de ces témoignages, qui ne seront pas reproduits, que les auteurs de ces attestations, dont Mme F... G..., déléguée du personnel, décrivent, en détail, les conditions de travail qui illustrent les reproches ci-dessus, faits par l'appelante qu'ils illustrent par des exemples tirés de leur propre expérience ; ces personnes témoignent de pressions en matière d'objectifs imposées par une organisation très hiérarchisée du directeur de site, aux directeurs de projets, responsables de projets, chargés de terrain, superviseurs aux téléconseillers qui se sont traduits par une surveillance des prestations décrites comme du "flicage", une analyse de leurs prestations qu'ils ont ressenti comme une souffrance au travail ; mais aucune des attestations ne rapporte de faits précis concernant M. S... dont l'auteur aurait été personnellement le témoin ; il en est de même des auditions recueillies par les enquêteurs à la suite des quatre plaintes déposées qui ont toutes fait l'objet d'une décision de classement sans suite par le procureur de la République ; à cet égard, il est relevé qu'aucune suite n'a été donnée à la plainte de l'inspection du travail à l'encontre de la société Armatis Normandie ; ont le même degré de généralité les procès-verbaux de réunions de délégués du personnel produits par le salarié ; M. M... S... verse une attestation rédigée par ses soins, qui décrit des pressions psychologiques faits la concernant mais qui n'est rien moins qu'une preuve constituée à lui-même qui de surcroît n'est pas corroborée par des témoignages ; davantage encore que les attestations ou auditions, les extraits d'article de presse décrivent, en termes généraux, la souffrance au travail dans les centres d'appels ; il est symptomatique de relever que les pièces décrites figurent dans un dossier de pièces communes aux salariés ayant saisi la juridiction prud'homale ; au total, les éléments apportés par le salarié portent sur des considérations trop générales sur les méthodes de gestion du centre d'appel dirigée par la société Armatis Normandie et ne satisfont donc pas à l'exigence que les agissements de harcèlement moral collectif dénoncés se manifestent pour le salarié déterminé qui s'en prévaut ; dans la mesure où le harcèlement moral collectif n'est pas retenu, M. M... S... doit apporter des éléments relatifs au harcèlement moral dont il se plaint, personnellement ; il indique avoir personnellement subi des changements d'équipe, d'horaires, d'affectations qui ont retenti sur son état de santé ; il fait état de sa tentative de suicide, de son hospitalisation, de ses arrêts de travail, de sa reprise à mi-temps thérapeutique à compter du 14 décembre 2009 ; la cour renvoie à ses observations relativement à la valeur probatoire de l'attestation que le salarié s'est fait à lui-même et des attestations qui ne permettent pas de vérifier la matérialité d'agissements répétés répondant à la définition du harcèlement moral ; la non-reconnaissance de sa tentative de suicide en accident du travail par la CPAM à l'issue de son enquête ne plaide pas en faveur d'un lien entre la dégradation de son état de santé et l'environnement de travail tout comme l'absence d'avis d'inaptitude du médecin du travail qui connaît cet environnement ; ces éléments pris ensemble ne laissent pas présumer le harcèlement moral dont se plaint l'appelant ; au total, faute d'étaiement préalable du harcèlement moral, il devient superfétatoire d'examiner les éléments justificatifs apportés par la société ;

Et AUX MOTIFS propres QUE le débouté de M. S... quant à la reconnaissance d'un harcèlement moral, et d'un manquement de l'obligation de sécurité de résultat ne permet pas de caractériser de manquements de l'employeur et a fortiori suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail ; par conséquent, la prise d'acte que le salarié fait remonter à un courrier du 6 avril 2010 produira les effets d'une démission (arrêt page 5);

AUX MOTIFS adoptés QUE Sur la demande de constater l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral : [
] à l'appui de ses déclarations il produit un certain nombre d'attestations notamment de Madame G..., Madame Q..., Madame WN..., Madame H..., Madame VQ..., Madame R..., Monsieur RB..., Madame VF..., Madame V..., Madame T..., Monsieur WC... ; tous confirment les pressions exercées ; la société Armatis précise que les plaintes déposées par les salariées n'apportent aucun élément de preuve car elles ne font que relater les déclarations de leurs auteurs et que les témoins auditionnés « n'ont pas été témoins directs des faits de harcèlement » ; dans ses conclusions, la société Armatis répond sur chacun des points énoncés ci-dessus sur les agissements de la société relevés par Madame H... comme du harcèlement collectif : la société Armatis précise, entre autre, que : - les superviseurs ont pour rôle, comme l'indique leur fiche de fonction (pièce commune 21, annexes 4 et 7) de faire monter en compétence les équipes, de les animer et d'être le relais entre les collaborateurs et la hiérarchie, - les « briefs », comme les écoutes font partie intégrante de l'activité de tout centre d'appels, - la norme NF 345 à laquelle elle doit se conformer prévoit : un minimum de 6 contrôles par trimestre, un débriefing systématique du Chargé de Clientèle réalisé par la ressource en charge de l'évaluation, la formalisation d'une fiche de débriefing cosignée par le Chargé de Clientèle et son Evaluateur ; cette procédure permet aux collaborateurs de prendre conscience de leurs qualités ou des éléments à améliorer ; - l'exercice de son pouvoir de direction et notamment de son pouvoir disciplinaire ne saurait suffire à caractériser le harcèlement moral ; sur la situation particulière de Monsieur S... : Monsieur S... précise qu'il a dû faire face personnellement à des agissements constitutifs de harcèlement moral ce qui a eu des répercussions sur son état de santé ; il a été arrêté pendant 5 semaines entre le 4 septembre et le 11 octobre 2009 en raison d'un stress provoqué par ses conditions de travail, avant de reprendre ses fonctions au sein de la Société Armatis courant octobre 2009 ; aucune visite de reprise auprès de la médecine du travail n'avait lieu ; quelques jours plus tard, le 16 octobre 2009, Monsieur S... a absorbé une dose massive d'antidépresseurs sur son lieu de travail afin de mettre fin à ses jours ; hospitalisé, il a été en arrêt de travail pendant plusieurs semaines ; conformément à l'avis du Médecin du Travail il a repris son poste le 14 décembre 2009 dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique ; lors de la visite de reprise du travail le médecin du Travail indiquait « TS au lieu de travail le 16 octobre 2009 pour « raz le bol professionnel » ; Monsieur S... s'appuie sur les conclusions de la Caisse Primaire Maladie qui a rejeté la demande d'une reconnaissance en accident du travail au motif suivant « après enquête et selon avis du médecin conseil le certificat médical initial n'est pas exploitable » ; en effet, il précise que la CPAM n'affirme, à aucun moment, qu'aucun lien ne peut être fait entre les faits du 16 octobre 2009 et la situation professionnelle de Monsieur S... ; la société Armatis constate que Monsieur S... ne communique aucune pièce démontrant qu'il aurait eu à subir un comportement de harcèlement moral ; [
] sur le harcèlement collectif : suite à la plainte déposée par plusieurs salariées, le Parquet du Procureur de la République de Caen considère que l'infraction est insuffisamment caractérisée « sans doute une ambiance dure, mais pas de harcèlement » et les plaintes ont été classées sans suite ; en effet, de simples contraintes imposées par les impératifs de gestion ne sauraient contribuer à la reconnaissance d'un harcèlement moral ; en conséquence, Monsieur S... sera débouté de sa demande ; sur le harcèlement moral subi par Monsieur S... : il ressort que les pièces fournies n'attestent d'aucun fait de harcèlement moral le concernant ; les indications notées par le médecin du Travail le 16 octobre 2009 ne font que rapporter les dires de Monsieur S... mais ne relèvent pas de faits probants de harcèlement moral ; en effet, même si Monsieur S... apporte la preuve sur la dégradation de son état de santé (pièces 34 à 39) il n'est justifié en aucun cas de sa cause ou de son lien avec un harcèlement moral et il ne produit aucun autre document pour étayer ses dires ; la CPAM, quant à elle, a refusé de reconnaître le caractère professionnel de l'accident déclaré par S... le 16 octobre 2009 ; il y a donc lieu de conclure que Monsieur S... a accepté cette décision aucun recours n'ayant été formulé auprès de la Commission de Recours Amiable de cet Organisme ; en conséquence, l'ensemble des pièces produites n'attestent pas de faits répétés constitutifs de harcèlement moral.

Et AUX MOTIFS adoptés QUE Monsieur S... ne produit pas la copie la lettre de prise d'acte malgré la demande du Bureau de Jugement ; toutefois, il ressort que les principaux griefs énoncés par Monsieur S... dans ses conclusions font état du harcèlement moral qu'il aurait subi et qui aurait eu un impact sur sa santé au travail ; or, ces faits ont été jugés et ne sont pas constitutifs de harcèlement moral ; en conséquence, la prise d'acte de rupture de contrat de travail de Monsieur S... produit les effets d'une démission.

1° ALORS QUE le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques ; qu'en refusant de tenir compte de l'attestation de l'exposant motif pris qu'il ne pouvait se constituer une preuve à lui-même, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail et 1315 devenu 1353 du code civil.

2° ALORS QU'il est interdit aux juges de dénaturer les documents qui leur sont soumis ; qu'en disant qu'aucune des attestations produites par l'exposant ne rapportait de faits précis le concernant et dont l'auteur aurait été personnellement témoin, quand celui-ci a produit l'attestation de Mme Q... en date du 5 mai 2014 faisant état de faits précis le concernant et dont celle-ci avait été personnellement témoin, la cour d'appel a dénaturé ladite attestation en violation du principe faisant interdiction aux juges de dénaturer les documents qui leur sont soumis.

3° ALORS QUE les juges doivent examiner les éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral ; que le salarié a produit de nombreuses attestations, auditions de salariés recueillies dans le cadre de plusieurs plaintes pénales et extraits de presse faisant état des méthodes de management générant une souffrance au travail, le témoignage de Mme Q... faisant état de la situation de l'exposant, des documents médicaux concernant l'arrêt de travail dont il a fait l'objet en septembre et octobre 2009, la tentative de suicide sur son lieu de travail le 16 octobre 2009, l'hospitalisation ainsi que l'arrêt de travail et le suivi psychologique dont il a fait l'objet suite à cette tentative de suicide, la reprise à temps partiel thérapeutique à compter du 14 décembre 2019, le certificat du Docteur D..., psychiatre, précisant que le salarié était suivi régulièrement depuis son hospitalisation, qu'il avait besoin d'une reprise d'activité qui devait être à temps partiel et éviter les pressions psychologiques dans ce domaine, les constatations du médecin du travail qui a notamment mentionné dans le dossier médical la tentative de suicide sur le lieu de travail pour « ras le bol professionnel » et l'absence de reconnaissance par ses supérieurs, ainsi que le courrier du salarié du 4 janvier 2010 pour demander la reconnaissance de l'accident du travail, faisant état des brimades et pressions subies, rejoignant les nombreux témoignages des autres salariés ainsi que son propre témoignage ; que la cour d'appel, qui n'a pas examiné l'intégralité des éléments invoqués par le salarié afin d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, y compris les documents médicaux, permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral, a violé les articles L1152-1 et L1154-1 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, de l'AVOIR débouté de ses demandes tendant à voir juger que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail produisait les effets d'un licenciement nul, et en paiement des indemnités de rupture et de dommages et intérêts, et de l'AVOIR condamné à payer une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis.

AUX MOTIFS QU'il a été indiqué ci-dessus dans la discussion relative au harcèlement moral que le lien entre la dégradation de la santé de M. S... et celle de ses conditions de travail n'est pas caractérisé de sorte qu'il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts de ce chef et de sa demande tendant à dire son licenciement nul de ce chef.

1° ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen de cassation emportera censure de l'arrêt en ses dispositions relatives au manquement à l'obligation de sécurité et ce, en application de l'article 624 du code de procédure civile.

2° ALORS subsidiairement QUE l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; que la cour d'appel a constaté que de nombreux salariés avaient témoigné des pressions et brimades subies dans l'exercice de leurs fonctions et de la souffrance ressentie ; qu'en déboutant le salarié de sa demande sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'employeur avait respecté son obligation de sécurité quand d'une part, celui-ci avait laissé le salarié reprendre ses fonctions dans un climat délétère après un premier arrêt de travail du 4 septembre au 11 octobre 2009 sans organiser de visite de reprise malgré son état de santé dégradé, que d'autre part, il avait modifié ses tâches sans le faire bénéficier d'une formation et que le salarié, fragilisé et confronté à une modification de ses tâches sans aucune formation, avait tenté de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail quelques jours après, le 16 octobre 2009, et enfin que suite à l'avis d'aptitude pour une reprise à temps partiel thérapeutique, l'employeur avait ultérieurement demandé au salarié de reprendre son activité à plein temps, sans avoir préalablement consulté le médecin du travail, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article L. 4121-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00285
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