Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 mars 2021, 19-18.110, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.

IK



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 3 mars 2021




Rejet


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 277 F-D

Pourvoi n° C 19-18.110




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 3 MARS 2021

Mme S... W..., domiciliée [...] , a formé le pourvoi n° C 19-18.110 contre l'arrêt rendu le 27 février 2019 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société La Plateforme, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.

La société La Plateforme a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de Mme W..., de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la société La Plateforme, après débats en l'audience publique du 13 janvier 2021 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, M. Joly, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 février 2019), Mme W... a été engagée par la societé La Plateforme à compter du 24 mai 2003 en qualité d'hôtesse de caisse. Elle a été promue chef de caisse, statut cadre, suivant avenant du 1er avril 2010, puis en dernier lieu chef de groupe au sein de l'établissement de [...].

2. Soutenant avoir été victime de harcèlement sexuel de la part de sa supérieure hiérarchique, la salariée a saisi la juridiction prud'homale, le 12 mai 2015, de demandes tendant notamment à la résiliation judiciaire de son contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul et au paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens du pourvoi principal de la salariée, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur qui est préalable

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement sexuel, alors :

« 1°/ que tout propos ou comportement inapproprié ou inacceptable, même empreint de certaines connotations sexuelles ne caractérise pas le harcèlement sexuel ; que l'aveu ne peut porter sur un point de droit ; qu'en l'espèce, en se fondant de manière inopérante, pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, sur le fait que la société aurait reconnu un tel harcèlement sexuel en licenciant Mme F... pour des propos "inacceptables" et "déplacés", tout en constatant que la lettre de licenciement ne qualifiait pas ces faits de harcèlement sexuel, outre qu'aucun aveu ne pouvait être opposé à la société sur un tel point de droit, la cour d'appel a violé l'article L. 1153-1 du code du travail, ensemble l'article 1355 du code civil dans sa version applicable au litige ;

2°/ que pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer une situation de harcèlement sexuel, à charge pour l'employeur, le cas échéant, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la société La Plateforme faisait expressément valoir et offrait de prouver que les copies de messages versées aux débats par Mme W... avaient manifestement fait l'objet d'une sélection, dès lors que les "conversations" produites n'avaient généralement aucun sens, les réponses de Mme W... à Mme F... ayant à l'évidence été supprimées pour les besoins de la cause ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si cette circonstance, qui empêchait de connaître le positionnement véritable de la salariée par rapport aux agissements reprochés, ne privait pas de sincérité ses éléments de preuve, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3°/ subsidiairement que lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement sexuel, l'employeur est admis à prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement ; que la société La Plateforme soutenait encore, offre de preuve à l'appui, que la qualification de harcèlement sexuel ne pouvait être encourue à raison de la familiarité réciproque affichée par Mmes W... et F... et de la relation ambiguë qu'elles avaient, ensemble, volontairement entretenue et dont attestaient les messages qu'elles avaient échangés pendant l'intégralité de la période litigieuse ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si ces justifications de l'employeur n'excluaient pas tout harcèlement sexuel dont il aurait pu être responsable, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel ayant, par une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, d'une part constaté que la salariée avait été destinataire de centaines de SMS adressés par sa supérieure hiérarchique, contenant des propos à connotation sexuelle ainsi que des pressions répétées exercées dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle, lesquelles étaient matérialisées par des insultes et menaces, d'autre part que la salariée avait demandé à de multiples reprises à l'intéressée d'arrêter ces envois, en a déduit, procédant à la recherche prétendument omise et exerçant les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 1154-1 du code du travail, tant l'existence de faits précis et concordants qui permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel que l'absence de justification par l'employeur d'éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

6. Il s'ensuit que le moyen, inopérant en sa première branche en ce qu'il critique des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal de la salariée

Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses demandes subséquentes, alors :

« 1°/ que l'ancienneté des faits imputés par le salarié à l'employeur ne suffit pas à rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, la suspension du contrat de travail du fait d'un arrêt pour maladie ou accident étant de nature à neutraliser l'ancienneté des faits ; qu'en statuant au regard de l'ancienneté des faits imputés par Mme W... à la société La Plateforme pour en déduire que les manquements avérés de l'employeur ne présentaient pas la gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, la cour d'appel, qui a pourtant constaté que Mme W... était en congé maternité à compter de décembre 2014, n'a pas tenu compte des arrêts de travail successifs de la salariée et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail ;

2°/ qu'une situation de harcèlement peut devenir, par l'effet du temps, insupportable au point de rendre la poursuite du contrat de travail impossible dans une société qui n'a pas su protéger le salarié sur une longue période en dépit de ses obligations ; qu'en statuant comme elle l'a fait au regard de l'ancienneté des faits imputés par Mme W... à la société La Plateforme et du licenciement, pourtant tardif, de l'auteur du harcèlement, la cour d'appel, qui n'a pas tenu compte de la situation avérée et relevée par elle-même de harcèlement, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail ;

3°/ que l'ancienneté des faits imputés à l'employeur ne suffit pas à leur ôter un caractère de gravité justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts ; qu'en statuant au regard de l'ancienneté des faits de harcèlement, dont elle avait pourtant relevé la réalité et la durée, pour en déduire que ceux-ci ne présentaient pas un degré de gravité suffisant pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société La Plateforme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. La cour d'appel, qui a constaté, d'une part que la salariée n'établissait pas de lien de causalité entre les faits de harcèlement sexuel dont elle avait été victime et ses arrêts de travail pour maladie, d'autre part que l'employeur, informé de ces faits à la fin du mois de novembre 2014, avait mis fin au harcèlement sexuel commis sur la salariée par le licenciement, en décembre 2014, de la supérieure hiérarchique de celle-ci, a pu en déduire que le manquement de l'employeur résultant d'un harcèlement sexuel qui avait cessé à la date à laquelle la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 12 mai 2015, n'était pas suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

9. La cour d'appel a, dès lors, légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits, au pourvoi principal, par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour Mme W...

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir limité la condamnation de la société La Plate-forme à payer à Mme W... la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par des faits de harcèlement sexuel ;

aux motifs que « les faits de harcèlement sexuel sont établis ;
Considérant, s'agissant du préjudice découlant de ce harcèlement sexuel, que si Mme W... soutient que le harcèlement sexuel subi est à l'origine de son placement en arrêt de travail pour maladie à raison selon elle d'un "état dépressif grave" à compter du 23 novembre 2013, il y a lieu de relever que les avis d'arrêt de travail établis par son médecin traitant, versés aux débats, se bornent à faire état d'une "dépression" sans relier cet état de santé avec les conditions de travail tandis que les ordonnances médicales versées ne contiennent aucun élément sur ce point ; que la société La Plate-forme fait par ailleurs valoir à juste titre que Mme W... a été confrontée dans les semaines précédant son arrêt de travail à des problèmes de santé physique, sans lien avec ses conditions de travail, ainsi qu'à des problèmes de santé de l'un de ses enfants ; que le lien de causalité entre les faits de harcèlement sexuel et ses arrêts de travail pour maladie n'est donc pas établi ; que dans ces conditions, il ressort des débats que seul un préjudice moral résultant du harcèlement sexuel répété sur une longue période subi par Mme W... est établi ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;
Considérant, sur le harcèlement moral, que Mme W... ne se prévaut pas de faits distincts de ceux invoqués au titre du harcèlement sexuel ; que de plus et en tout état de cause, aucun préjudice distinct de celui résultant du harcèlement sexuel n'est non plus établi par la salariée ; qu'il convient donc de débouter la salariée de cette demande de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point » ;

alors que pour limiter l'indemnisation de l'exposante au titre du harcèlement avéré, la cour d'appel a considéré qu'elle n'établissait pas le lien entre le harcèlement et son état de santé ; que la cour d'appel a relevé que le harcèlement subi par Mme W... présentait un caractère « répété sur une longue période » ; que celle-ci soutenait, dans ses conclusions d'appel, que les prétendus problèmes de santé rencontrés par sa fille et dont l'employeur tentait de faire accroire qu'ils avaient pu causer son état dépressif, consistaient en une simple gastro-entérite, ainsi qu'il ressortait des pièces qu'elle a versées aux débats ; qu'en jugeant néanmoins que l'état dépressif avéré de Mme W... depuis novembre 2013 n'aurait pas été lié au harcèlement sexuel qu'elle subissait mais à des problèmes personnels, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si les autres causes alléguées par l'employeur étaient établies, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1153-1 et L. 1153-5 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir débouté Mme W... de sa demande en dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de son employeur ;

aux motifs que « Considérant que Mme W... soutient qu'elle a alerté la société La Plate-forme dès le mois de janvier 2014 des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime et que cette dernière est restée inerte; qu'elle ajoute qu'aucune mesure générale de prévention du harcèlement n'a été prise par l'entreprise ; qu'elle demande donc la condamnation de la société Plate-forme à lui verser une somme de 33 096 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité "de résultat" ;
Que la société La Plate-forme conclut au débouté ;
Considérant que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ;
Qu'en l'espèce, il ne ressort pas des pièces versées par Mme W... que cette dernière a prévenu au mois de janvier 2014 la société La Plate-forme de faits de harcèlement sexuel infligés par Mme F...; qu'il ressort seulement des pièces versées que la société La Plate-forme a eu connaissance de ces faits le 24 novembre 2014, par une remise de la retranscription des messages téléphoniques échangés entre Mme W... et Mme F... ; qu'elle a pris toute mesure utile pour faire cesser ce harcèlement en convoquant Mme F... à un entretien préalable à un licenciement dès le 4 décembre suivant et en procédant à son licenciement pour faute grave le 18 décembre suivant; qu'aucun manquement à ce titre n'est donc établi ;
Que par ailleurs, il ne ressort pas, comme le soutient justement Mme W..., des pièces versées par la société La Plate-forme qu'elle a rempli ses obligations de prévention du harcèlement, puisque le règlement intérieur de l'entreprise ne mentionne les dispositions relatives au harcèlement moral et sexuel qu'à compter du mois de juillet 2014, alors que le harcèlement sexuel en cause a débuté dans le dernier trimestre de 2012 ; que de plus, les formations suivies tant par Mme W... que par Mme F... ne font pas apparaître de formations spécifiques relatives au harcèlement moral et sexuel ; que la société La Plate-forme ne justifie pas ainsi avoir pris toutes les mesures de prévention du harcèlement moral et sexuel ; que toutefois, Mme W... n'établit ni même n'allègue avoir subi un quelconque préjudice à ce titre; qu'il convient donc de la débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point » ;

alors 1°/ que l'exposante soutenait, dans ses conclusions d'appel, que M. N..., directeur régional, avait connaissance des faits de harcèlement, attestations de salariés à l'appui, dès novembre 2013 (cf. conclusions, p. 11, § 3 et s.), et qu'elle avait, en janvier et février 2014, prévenu M. X..., délégué du personnel, produisant des échanges de mails et de sms (cf. conclusions, p. 12 § 2 et s.) ; qu'en énonçant qu'il ne ressortait pas des pièces produites par Mme W... que celle-ci aurait prévenu la société La Plate-forme au mois de janvier 2014, quand il ressortait de ses conclusions assorties d'offres de preuve qu'au contraire différents cadres de la société étaient informés, la cour d'appel, qui n'a pas examiné, serait-ce sommairement lesdits éléments de preuve, a privé sa décision de motif en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

alors 2°/ que Mme W... soutenait que de nombreux certificats médicaux attestaient de l'impact du harcèlement moral et sexuel sur sa santé (cf. conclusions, p. 15 in fine et 16 § 1er et s.) ; qu'en énonçant que « Mme W... n'établit ni même n'allègue avoir subi un quelconque préjudice à ce titre; qu'il convient donc de la débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre », la cour d'appel, qui a purement et simplement délaissé les conclusions d'appel de l'exposante, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

alors 3°/ qu'en toute hypothèse, Mme W... sollicitait la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes du chef de la condamnation au titre du manquement à l'obligation de sécurité ; qu'elle était ainsi réputée s'approprier les motifs du jugement à l'appui de sa demande de confirmation ; que les premiers juges ont considéré que « la vie privée de Madame W... a été atteinte par ces faits, son époux ayant eu connaissance de certains messages et étant intervenu pour demander que soit mis fin à cette situation ; qu'il y a également été porté atteinte compte tenu des horaires auxquels les messages lui étaient adressés, que l'atteinte à la dignité et à la réputation de la demanderesse, au regard du nombre de personnes mises à contribution par Madame F... pour parvenir à joindre Madame W... [
] est manifeste, comme est manifeste l'atteinte à sa dignité et à sa réputation portée par la déclaration intime faite à la DRH qui en atteste » ; qu'en jugeant néanmoins que « Mme W... n'établit ni même n'allègue avoir subi un quelconque préjudice à ce titre; qu'il convient donc de la débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre », la cour d'appel, qui a purement et simplement dénaturé les conclusions d'appel de l'exposante, a violé l'article 4 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir débouté Mme W... de sa demande en dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation ;

aux motifs que « Mme W... soutient qu'elle a été contrainte de "servir de bouc-émissaire pour faire en sorte que ses collaborateurs puissent accomplir leur travail sans être ennuyés par" Mme F..., qu'elle a subi un dénigrement et une atteinte à sa réputation de la part de sa direction qui a fait courir le bruit d'une prétendue homosexualité; qu'elle réclame en conséquence l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral causé par une atteinte à sa réputation ;
Mais considérant que ces allégations de la salariée ne sont établies par aucun élément ; qu'il convient donc de la débouter de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point » ;

alors que Mme W... sollicitait la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes du chef de la condamnation au titre de l'atteinte à sa réputation ; qu'elle était ainsi réputée s'approprier les motifs du jugement à l'appui de sa demande de confirmation ; que les premiers juges ont considéré que « que l'atteinte à la dignité et à la réputation de la demanderesse, au regard du nombre de personnes mises à contribution par Madame F... pour parvenir à joindre Madame W... [
] est manifeste, comme est manifeste l'atteinte à sa dignité et à sa réputation portée par la déclaration intime faite à la DRH qui en atteste » ; qu'en jugeant néanmoins que les allégations de la salariée n'auraient été établies par aucun élément, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de l'exposante en violation de l'article 4 du code de procédure civile.

QUATRIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'avoir débouté Mme W... de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et des demandes subséquentes ;

aux motifs que « un salarié est fondé à poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations ; qu'il appartient au juge de rechercher s'il existe à la charge de l'employeur des manquements d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail afin de prononcer cette résiliation, lesquels s'apprécient à la date à laquelle il se prononce ;

Qu'en l'espèce, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les faits de harcèlement moral et d'atteinte à la réputation invoquée par Mme W... ne sont pas établis ;
qu'ensuite, il y a lieu de relever que le manquement à l'obligation de sécurité établi ci-dessus a en grande partie pris fin par la modification du règlement intérieur de l'entreprise intervenu en juillet 2014 et Mme W... n'établit pas ni même n'allègue que les lacunes en matière de formation à la prévention du harcèlement persistaient au-delà de sa saisine du conseil de prud'hommes ou lui ont causé un préjudice; qu'enfin, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la société La Plate-forme a mis fin au harcèlement sexuel commis sur Mme W... en décembre 2014 par le licenciement de sa supérieure après en avoir été informée à la fin du mois de novembre 2014, tandis que Mme W... n'a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résiliation à raison de ce harcèlement qu'en mai 2015 ; que dans ces conditions, Mme W... n'établit pas l'existence, au moment où les premiers juges ont statué, de manquements de son employeur d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail ;
Qu'il y a donc lieu de la débouter de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de ses demandes de dommages intérêts pour licenciement nul et d'indemnité conventionnelle de licenciement, ainsi que de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents qu'elle a abandonnée en appel ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points » ;

alors 1°/ que l'ancienneté des faits imputés par le salarié à l'employeur ne suffit pas à rejeter la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur, la suspension du contrat de travail du fait d'un arrêt pour maladie ou accident étant de nature à neutraliser l'ancienneté des faits ; qu'en statuant au regard de l'ancienneté des faits imputés par Mme W... à la société La Plate-forme pour en déduire que les manquements avérés de l'employeur ne présentaient pas la gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail, la cour d'appel, qui a pourtant constaté que Mme W... était en congé maternité à 19 sur 23 compter de décembre 2014, n'a pas tenu compte des arrêts de travail successifs de la salariée et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail ;

alors 2°/ que une situation de harcèlement peut devenir, par l'effet du temps, insupportable au point de rendre la poursuite du contrat de travail impossible dans une société qui n'a pas su protéger le salarié sur une longue période en dépit de ses obligations ; qu'en statuant comme elle l'a fait au regard de l'ancienneté des faits imputés par Mme W... à la société La Plate-forme et du licenciement, pourtant tardif, de l'auteur du harcèlement, la cour d'appel, qui n'a pas tenu compte de la situation avérée et relevée par elle-même de harcèlement, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail ;

alors 3°/ que l'ancienneté des faits imputés à l'employeur ne suffit pas à leur ôter un caractère de gravité justifiant la rupture du contrat de travail à ses torts ; qu'en statuant au regard de l'ancienneté des faits de harcèlement, dont elle avait pourtant relevé la réalité et la durée, pour en déduire que ceux-ci ne présentaient pas un degré de gravité suffisant pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société La Plate-forme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1 et L. 1237-2 du code du travail. Moyen produit, au pourvoi incident, par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société La Plateforme

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société La Plate-forme à payer à Mme S... W... une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral causé par des faits de harcèlement sexuel ;

AUX MOTIFS QUE Mme W... soutient qu'elle a alerté la société La Plate-forme dès le mois de janvier 2014 des faits de harcèlement sexuel dont elle a été victime et que cette dernière est restée inerte ; qu'elle ajoute qu'aucune mesure générale de prévention du harcèlement n'a été prise par l'entreprise ; qu'elle demande donc la condamnation de la société Plate-forme à lui verser une somme de 33 096 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité « de résultat » ; que la société La Plate-forme conclut au débouté ; qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des faits soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétée qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme. de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au- profit d'un tiers ; qu'en application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de ces textes, le salarié établit des faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, s'agissant du harcèlement sexuel, les gestes à connotation sexuelle ne sont pas établis, puisque l'attestation de Mme T... (ancienne salariée de l'entreprise) versée par Mme W... est très imprécise sur ce point et que l'attestation de Mme D... ne rapporte que des faits vagues et en tout état de cause indirectement constatés puisque cette dernière était employée dans un établissement distinct ; que Mme W... verse en revanche aux débats des centaines de « SMS » que lui a envoyés sa supérieure hiérarchique Mme F..., entre octobre 2012 et décembre 2013 à partir de son téléphone professionnel, qui contiennent de très nombreux propos à connotation sexuelle ainsi que des pressions répétées exercées dans le but d'obtenir un acte de nature sexuelle, matérialisées par des insultes et menaces, telle que « je voulai d bisous et d calin de toi ke tu ne pe pas me donner et ça me rend agessive pourtant tu mavai provenu », « g envie de ta bouche », « je suis triste parce que tu veux pas m'aimer » ou « ferme ta gueule la sinon je v t insulter tu te fou de la gueule des gens », « pauvre fille c'est à la limite du ridicule t fai pitié », « va te faire enculer sale pute » ; qu'il résulte de ce qui précède que la salariée établit des faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement sexuel ; que si la société La Plate-forme soutient que ces propos ont été échangés dans le cadre d'une relation sentimentale consentie par Mme W..., il ressort des échanges de SMS entre les deux salariées, que Mme F... a été à l'initiative de l'envoi de centaines de SMS à Mme W..., que cette dernière ne l'a pas encouragée dans cette voie, lui a demandé à de multiples reprises d'arrêter ces envois et lui a dit ne pas éprouver de sentiment pour elle ; que de plus, la société La Plate-forme a elle-même reconnu l'existence d'un tel harcèlement sexuel en procédant au licenciement de Mme F... pour faute grave à raison de l'envoi de ces mêmes messages qu'elle a considérés par périphrase comme « inacceptables », « inappropriés » et « déplacés », en se gardant de qualifier les faits de harcèlement dans la lettre de licenciement notifiée à Mine F... ; que les faits de harcèlement sexuel sont établis ; que, s'agissant du préjudice découlant de ce harcèlement sexuel, si Mme W... soutient que le harcèlement sexuel subi est à l'origine de son placement en arrêt de travail pour maladie à raison selon elle d'un "état dépressif grave" à compter du 23 novembre 2013, il y a lieu de relever que les avis d'arrêt de travail établis par son médecin traitant, versés aux débats, se bornent à faire état d'une "dépression" sans relier cet état de santé avec les conditions de travail tandis que les ordonnances médicales versées ne contiennent aucun élément sur ce point ; que la société La Plate-forme fait par ailleurs valoir à juste titre que Mme W... a été confrontée dans les semaines précédant son arrêt de travail à des problèmes de santé physique, sans lien avec ses conditions de travail, ainsi qu'à des problèmes de santé de l'un de ses enfants ; que le lien de causalité entre les faits de harcèlement sexuel et ses arrêts de travail pour maladie n'est donc pas établi ; que dans ces conditions, il ressort des débats que seul un préjudice moral résultant du harcèlement sexuel répété sur une longue période subi par Mme W... est établi ; que ce préjudice sera réparé par l'allocation d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;

1°) ALORS QUE tout propos ou comportement inapproprié ou inacceptable, même empreint de certaines connotations sexuelles ne caractérise pas le harcèlement sexuel ; que l'aveu ne peut porter sur un point de droit ; qu'en l'espèce, en se fondant de manière inopérante, pour retenir l'existence d'un harcèlement moral, sur le fait que la société aurait reconnu un tel harcèlement sexuel en licenciant Mme F... pour des propos « inacceptables » et « déplacés », tout en constatant que la lettre de licenciement ne qualifiait pas ces faits de harcèlement sexuel, outre qu'aucun aveu ne pouvait être opposé à la société sur un tel point de droit, la cour d'appel a violé l'article L. 1153-1 du code du travail, ensemble l'article 1355 du code civil dans sa version applicable au litige ;

2°) ALORS QUE, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement sexuel, il appartient au juge d'examiner les éléments invoqués par le salarié et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer une situation de harcèlement sexuel, à charge pour l'employeur, le cas échéant, de prouver que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que la société La Plate-forme faisait expressément valoir et offrait de prouver que les copies de messages versées aux débats par Mme W... avaient manifestement fait l'objet d'une sélection, dès lors que les « conversations » produites n'avaient généralement aucun sens, les réponses de Mme W... à Mme F... ayant à l'évidence été supprimées pour les besoins de la cause (p. 19 § 4) ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si cette circonstance, qui empêchait de connaître le positionnement véritable de la salariée par rapport aux agissements reprochés, ne privait pas de sincérité ses éléments de preuve, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail ;

3°) ET ALORS, subsidiairement, QUE, lorsque le salarié présente des éléments laissant supposer l'existence d'un harcèlement sexuel, l'employeur est admis à prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs et étrangers à tout harcèlement ; que la société La Plate-forme soutenait encore, offre de preuve à l'appui, que la qualification de harcèlement sexuel ne pouvait être encourue à raison de la familiarité réciproque affichée par Mmes W... et F... et de la relation ambiguë qu'elles avaient, ensemble, volontairement entretenue et dont attestaient les messages qu'elles avaient échangés pendant l'intégralité de la période litigieuse (cf. p. 9 § 4 ; pp. 19 et suiv.) ; qu'en s'abstenant dès lors de rechercher si ces justifications de l'employeur n'excluaient pas tout harcèlement sexuel dont il aurait pu être responsable, la cour d'appel a violé les articles L. 1153-1 et L. 1154-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00277
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