Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 11 février 2021, 20-13.627, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 11 février 2021, 20-13.627, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre civile 3
- N° de pourvoi : 20-13.627
- ECLI:FR:CCASS:2021:C300167
- Publié au bulletin
- Solution : Rejet
Audience publique du jeudi 11 février 2021
Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, du 19 décembre 2019- Président
- M. Chauvin
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 février 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 167 FS-P+L
Pourvoi n° A 20-13.627
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 FÉVRIER 2021
1°/ M. T... D...,
2°/ Mme W... X..., épouse D...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ Mme C... D..., divorcée F..., domiciliée [...] ,
4°/ M. V... D..., domicilié [...] ,
ont formé le pourvoi n° A 20-13.627 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige les opposant à la société Laurie, société civile immobilière, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat des consorts D..., de Me Haas, avocat de la société Laurie, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Jobert, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 19 décembre 2019), M. T... D..., Mmes W... X... et C... D... et M. V... D... (les consorts D...) sont propriétaires d'un terrain sur lequel ils ont édifié une maison d'habitation en vertu d'un permis de construire initial délivré le 24 décembre 2010 et d'un permis modificatif délivré le 1er février 2011.
2. La société Laurie, ayant obtenu le 10 avril 2015 l'annulation de ces permis par la juridiction administrative, a assigné les consorts D... en démolition et en dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. Les consorts D... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes, alors :
« 1°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées, mais a néanmoins estimé pouvoir passer outre cette condition et ordonner la démolition de la construction érigée en énonçant que le risque ayant conduit au classement postérieur au sein d'un PPRI aurait existé dès 2010 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fondé sa décision sur des motifs inopérants et ainsi violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme ;
2°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; que cette condition, introduite en 2015, a pour but de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s'agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ; que dès lors, l'appréciation du caractère protégé ou non l'environnement doit se faire au jour de l'attribution du permis de construire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées ; que cependant, elle a ordonné la démolition de la maison d'habitation des exposants ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, si l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, limite l'action des tiers en démolition du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique aux seules zones mentionnées au 1°, ce même texte, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, confère au représentant de l'Etat dans le département la faculté d'engager l'action en démolition, y compris lorsque la construction n'est pas située dans l'une de ces zones.
6. S'il a entendu prévenir les recours abusifs de tiers, le législateur n'a donc pas conféré une impunité aux propriétaires de constructions situées en dehors des zones spécifiquement mentionnées, lesquels demeurent exposés à l'action du représentant de l'Etat.
7. En second lieu, en maintenant la possibilité pour les tiers d'agir en démolition dans certaines zones présentant une importance particulière, le législateur a entendu assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de sécurisation des projets de construction et, d'autre part, la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain, ainsi que la prévention des risques naturels ou technologiques.
8. Or, ne pas permettre au juge d'ordonner la démolition d'une construction qui, au jour où il statue, est située dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 serait de nature à méconnaître l'équilibre ainsi recherché au détriment de ces objectifs de protection et de prévention.
9. La cour d'appel a constaté que, à la date à laquelle elle statuait, la construction des consorts D... était située dans un périmètre classé en zone rouge du plan de prévention du risque d'inondation.
10. Elle a exactement déduit, de ces seuls motifs, que la condition tenant à la localisation de la construction dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme était remplie.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts D... et les condamne à payer à la société Laurie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour les consorts D....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Monsieur T... D..., Madame W... X... épouse D..., Madame C... D... et Monsieur V... D... à procéder à la démolition de leur construction située [...] ) ayant fait l'objet du permis de construire modificatif n°[...] ensuite annulé, d'AVOIR assorti cette condamnation d'une astreinte de 500 euros .par jour de retard durant six mois, passé le délai d'un an suivant la signification du présent arrêt, et d'AVOIR condamné Monsieur T... D..., Madame W... X... épouse D..., Madame C... D... et Monsieur V... D... à payer à la SCI Laurie la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE
1/ Sur le préjudice de la SCI Laurie :Sur l'application de l'article L. 480-13 i) du code de l'urbanisme : que l'article L. 480-13 i) du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi dite Macron du 06 août 2015 et d'application immédiate, dispose « Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnés au I de l'article L. 516-16 dudit code, celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-l du même code, ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. I 74 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes est limité ou supprimé » ; qu'en l'espèce, il est constant : - que la construction des consorts D... a été édifiée conformément à un permis de construire ayant fait l'objet d'une annulation définitive par la cour d'appel administrative de Marseille le 10 avril 2015, - que cette construction se trouve en zone rouge du PPRI ; que s'agissant de la violation des règles d'urbanisme, la cour d'appel administrative de Marseille fonde sa décision sur l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme qui dispose « Le projet peut être refusé, ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales, s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations » et retient une erreur manifeste d'appréciation du maire de Nîmes sur l'atteinte que le projet est susceptible de porter à la sécurité publique ; que ces dispositions légales constituent indiscutablement une règle d'urbanisme de portée générale ; qu'enfin, quand bien même le classement en zone rouge sur laquelle se situe la construction litigieuse n'est intervenu qu'après l'édification de cette dernière, le risque d'inondation préexistait et ne pouvait être ignoré par les intéressés car ce risque a motivé l'avis défavorable donné par la direction départementale des territoires et de la mer du Gard sur le permis de construire initial ; que le permis modificatif a donc été délivré en violation de la règle d'urbanisme précitée et le classement de cette zone rouge ne fait que démontrer si besoin que le risque d'inondation est majeur ; qu'il ne saurait enfin être sérieusement contesté que des inondations emportent des conséquences dramatiques pour les biens et les personnes ; qu'il en résulte que les conditions d'application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme sont parfaitement remplies.
2/ Sur l'application de l'article 1382 ancien du code civil, devenu article 1240, qu'un préjudice actuel ou futur est réparable dès lors qu'il est certain ; qu'en l'espèce il résulte des pièces produites aux débats par la SCI Laurie que dès le·12 septembre 1989 les riverains de la [...] , se domiciliant chez Monsieur T... D..., avaient attiré par courrier l'attention du député-maire de Nîmes sur la nécessité de trouver des solutions à l'inondation de leurs maisons, submergées le 03 octobre 1988, et menacées après un nouvel orage survenu le l0 septembre 1989 ; que les riverains évoquaient « une nouvelle nuit d'angoisse » ; que l'expertise hydraulique réalisée le 10 septembre 2012 par le cabinet Aquabane à la demande de la SCI Laurie indique : - que la rue [...] se situe en zone inondable et a été classée par le PPRI approuvé le 28 février 2012 en zone rouge « aléa très fort », - que le nouveau bâtiment construit par les consorts D... constitue un volume entièrement clos de trois niveaux, sans barbacane, constituant un exhaussement de terrain (interdit dans· une zone d'aléa fort), soustrayant ce volume à la zone inondable, et qu'il contribue à l'aggravation du risque inondation dans le secteur en provoquant le rejet des eaux vers les fonds voisins, - que la vulnérabilité des biens et des personnes est très forte en raison notamment des ruptures d'ouvrage liées à des phénomènes de vague ; qu'entre le 06 novembre 1982 et le 09 octobre 2014, 19 arrêtés portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, principalement en raison d'inondations et coulées de boue, ont été pris à Nîmes ; que le rapport d'expertise protection juridique établi le 21 avril 2017 par le cabinet S... Y... à la demande de l'assureur de la SCI Laurie confirme les constatations faites par le cabinet Aquabane s'agissant de l'aggravation du risque inondation par la construction D... et évalue la dépréciation du bien de la SCI Laurie à 15% de la valeur du bien au regard du risque d'aggravation d'inondation ; que les consorts D... ne produisent quant à eux aucune pièce susceptible de contredire les éléments rapportés ; qu'il en résulte que la construction D... d'une surface hors oeuvre nette de 106 m2, par son volume et par l'imperméabilisation accrue des sols, aggrave indiscutablement le risque d'inondation préexistant, et que ce risque est certain, seule la date de survenance du dommage étant inconnue ; que de ce fait, la SCI Laurie subit un préjudice découlant d'une situation d'inquiétude permanente depuis sept années, face au risque accru d'inondation dont elle a parfaitement connaissance et qui est susceptible d'entraîner des conséquences graves tant matérielles que physiques pour ses membres, inquiétude ravivée à chaque épisode de pluies ; qu'elle en conséquence bien fondée dans ses demandes et le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ; que la démolition de l'ouvrage D... sera ordonnée sous astreinte selon les modalités ci-après définies ; que l'allocation d'une somme de 30 000 euros à la SCI Laurie est de nature à réparer son préjudice
1°) ALORS QUE lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas situé, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées, mais a néanmoins estimé pouvoir passer outre cette condition et ordonner la démolition de la construction érigée en énonçant que le risque ayant conduit au classement postérieur au sein d'un PPRI aurait existé dès 2010 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fondé sa décision sur des motifs inopérants et ainsi violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
2°) ALORS QUE lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; que cette condition, introduite en 2015, a pour but de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s'agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ; que dès lors, l'appréciation du caractère protégé ou non l'environnement doit se faire au jour de l'attribution du permis de construire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées ; que cependant, elle a ordonné la démolition de la maison d'habitation des exposants ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, la responsabilité délictuelle d'une partie ne peut être engagée sans l'existence d'un comportement fautif imputable à celui dont la responsabilité est recherchée ; qu'au cas présent, pour condamner les exposants à verser à la SCI Laurie des dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la cour d'appel a estimé que celle-ci avait subi un préjudice en raison d'une situation d'inquiétude permanente depuis sept années, face au risque accru d'inondation, sans cependant relever de comportement fautif imputable aux Consorts D... pouvant avoir causé ce dommage ; en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil.ECLI:FR:CCASS:2021:C300167
CIV. 3
MF
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 11 février 2021
Rejet
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 167 FS-P+L
Pourvoi n° A 20-13.627
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 FÉVRIER 2021
1°/ M. T... D...,
2°/ Mme W... X..., épouse D...,
domiciliés tous deux [...],
3°/ Mme C... D..., divorcée F..., domiciliée [...] ,
4°/ M. V... D..., domicilié [...] ,
ont formé le pourvoi n° A 20-13.627 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2019 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre, section A), dans le litige les opposant à la société Laurie, société civile immobilière, dont le siège est [...] , défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat des consorts D..., de Me Haas, avocat de la société Laurie, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 janvier 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, M. Boyer, Mme Abgrall, M. Jobert, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 19 décembre 2019), M. T... D..., Mmes W... X... et C... D... et M. V... D... (les consorts D...) sont propriétaires d'un terrain sur lequel ils ont édifié une maison d'habitation en vertu d'un permis de construire initial délivré le 24 décembre 2010 et d'un permis modificatif délivré le 1er février 2011.
2. La société Laurie, ayant obtenu le 10 avril 2015 l'annulation de ces permis par la juridiction administrative, a assigné les consorts D... en démolition et en dommages-intérêts.
Examen du moyen
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
4. Les consorts D... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes, alors :
« 1°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées, mais a néanmoins estimé pouvoir passer outre cette condition et ordonner la démolition de la construction érigée en énonçant que le risque ayant conduit au classement postérieur au sein d'un PPRI aurait existé dès 2010 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fondé sa décision sur des motifs inopérants et ainsi violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme ;
2°/ que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; que cette condition, introduite en 2015, a pour but de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s'agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ; que dès lors, l'appréciation du caractère protégé ou non l'environnement doit se faire au jour de l'attribution du permis de construire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées ; que cependant, elle a ordonné la démolition de la maison d'habitation des exposants ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme. »
Réponse de la Cour
5. En premier lieu, si l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, limite l'action des tiers en démolition du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique aux seules zones mentionnées au 1°, ce même texte, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, confère au représentant de l'Etat dans le département la faculté d'engager l'action en démolition, y compris lorsque la construction n'est pas située dans l'une de ces zones.
6. S'il a entendu prévenir les recours abusifs de tiers, le législateur n'a donc pas conféré une impunité aux propriétaires de constructions situées en dehors des zones spécifiquement mentionnées, lesquels demeurent exposés à l'action du représentant de l'Etat.
7. En second lieu, en maintenant la possibilité pour les tiers d'agir en démolition dans certaines zones présentant une importance particulière, le législateur a entendu assurer une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de sécurisation des projets de construction et, d'autre part, la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain, ainsi que la prévention des risques naturels ou technologiques.
8. Or, ne pas permettre au juge d'ordonner la démolition d'une construction qui, au jour où il statue, est située dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 serait de nature à méconnaître l'équilibre ainsi recherché au détriment de ces objectifs de protection et de prévention.
9. La cour d'appel a constaté que, à la date à laquelle elle statuait, la construction des consorts D... était située dans un périmètre classé en zone rouge du plan de prévention du risque d'inondation.
10. Elle a exactement déduit, de ces seuls motifs, que la condition tenant à la localisation de la construction dans l'une des zones mentionnées au 1° de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme était remplie.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les consorts D... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les consorts D... et les condamne à payer à la société Laurie la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour les consorts D....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné Monsieur T... D..., Madame W... X... épouse D..., Madame C... D... et Monsieur V... D... à procéder à la démolition de leur construction située [...] ) ayant fait l'objet du permis de construire modificatif n°[...] ensuite annulé, d'AVOIR assorti cette condamnation d'une astreinte de 500 euros .par jour de retard durant six mois, passé le délai d'un an suivant la signification du présent arrêt, et d'AVOIR condamné Monsieur T... D..., Madame W... X... épouse D..., Madame C... D... et Monsieur V... D... à payer à la SCI Laurie la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE
1/ Sur le préjudice de la SCI Laurie :Sur l'application de l'article L. 480-13 i) du code de l'urbanisme : que l'article L. 480-13 i) du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi dite Macron du 06 août 2015 et d'application immédiate, dispose « Lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnés au I de l'article L. 516-16 dudit code, celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l'article L. 562-l du même code, ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l'article L. I 74 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements des ouvrages ou des constructions nouvelles et d'étendre les constructions existantes est limité ou supprimé » ; qu'en l'espèce, il est constant : - que la construction des consorts D... a été édifiée conformément à un permis de construire ayant fait l'objet d'une annulation définitive par la cour d'appel administrative de Marseille le 10 avril 2015, - que cette construction se trouve en zone rouge du PPRI ; que s'agissant de la violation des règles d'urbanisme, la cour d'appel administrative de Marseille fonde sa décision sur l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme qui dispose « Le projet peut être refusé, ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales, s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations » et retient une erreur manifeste d'appréciation du maire de Nîmes sur l'atteinte que le projet est susceptible de porter à la sécurité publique ; que ces dispositions légales constituent indiscutablement une règle d'urbanisme de portée générale ; qu'enfin, quand bien même le classement en zone rouge sur laquelle se situe la construction litigieuse n'est intervenu qu'après l'édification de cette dernière, le risque d'inondation préexistait et ne pouvait être ignoré par les intéressés car ce risque a motivé l'avis défavorable donné par la direction départementale des territoires et de la mer du Gard sur le permis de construire initial ; que le permis modificatif a donc été délivré en violation de la règle d'urbanisme précitée et le classement de cette zone rouge ne fait que démontrer si besoin que le risque d'inondation est majeur ; qu'il ne saurait enfin être sérieusement contesté que des inondations emportent des conséquences dramatiques pour les biens et les personnes ; qu'il en résulte que les conditions d'application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme sont parfaitement remplies.
2/ Sur l'application de l'article 1382 ancien du code civil, devenu article 1240, qu'un préjudice actuel ou futur est réparable dès lors qu'il est certain ; qu'en l'espèce il résulte des pièces produites aux débats par la SCI Laurie que dès le·12 septembre 1989 les riverains de la [...] , se domiciliant chez Monsieur T... D..., avaient attiré par courrier l'attention du député-maire de Nîmes sur la nécessité de trouver des solutions à l'inondation de leurs maisons, submergées le 03 octobre 1988, et menacées après un nouvel orage survenu le l0 septembre 1989 ; que les riverains évoquaient « une nouvelle nuit d'angoisse » ; que l'expertise hydraulique réalisée le 10 septembre 2012 par le cabinet Aquabane à la demande de la SCI Laurie indique : - que la rue [...] se situe en zone inondable et a été classée par le PPRI approuvé le 28 février 2012 en zone rouge « aléa très fort », - que le nouveau bâtiment construit par les consorts D... constitue un volume entièrement clos de trois niveaux, sans barbacane, constituant un exhaussement de terrain (interdit dans· une zone d'aléa fort), soustrayant ce volume à la zone inondable, et qu'il contribue à l'aggravation du risque inondation dans le secteur en provoquant le rejet des eaux vers les fonds voisins, - que la vulnérabilité des biens et des personnes est très forte en raison notamment des ruptures d'ouvrage liées à des phénomènes de vague ; qu'entre le 06 novembre 1982 et le 09 octobre 2014, 19 arrêtés portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, principalement en raison d'inondations et coulées de boue, ont été pris à Nîmes ; que le rapport d'expertise protection juridique établi le 21 avril 2017 par le cabinet S... Y... à la demande de l'assureur de la SCI Laurie confirme les constatations faites par le cabinet Aquabane s'agissant de l'aggravation du risque inondation par la construction D... et évalue la dépréciation du bien de la SCI Laurie à 15% de la valeur du bien au regard du risque d'aggravation d'inondation ; que les consorts D... ne produisent quant à eux aucune pièce susceptible de contredire les éléments rapportés ; qu'il en résulte que la construction D... d'une surface hors oeuvre nette de 106 m2, par son volume et par l'imperméabilisation accrue des sols, aggrave indiscutablement le risque d'inondation préexistant, et que ce risque est certain, seule la date de survenance du dommage étant inconnue ; que de ce fait, la SCI Laurie subit un préjudice découlant d'une situation d'inquiétude permanente depuis sept années, face au risque accru d'inondation dont elle a parfaitement connaissance et qui est susceptible d'entraîner des conséquences graves tant matérielles que physiques pour ses membres, inquiétude ravivée à chaque épisode de pluies ; qu'elle en conséquence bien fondée dans ses demandes et le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions ; que la démolition de l'ouvrage D... sera ordonnée sous astreinte selon les modalités ci-après définies ; que l'allocation d'une somme de 30 000 euros à la SCI Laurie est de nature à réparer son préjudice
1°) ALORS QUE lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas situé, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées, mais a néanmoins estimé pouvoir passer outre cette condition et ordonner la démolition de la construction érigée en énonçant que le risque ayant conduit au classement postérieur au sein d'un PPRI aurait existé dès 2010 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a fondé sa décision sur des motifs inopérants et ainsi violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
2°) ALORS QUE lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si ladite construction est située dans certaines zones de protection limitativement énumérées ; que cette condition, introduite en 2015, a pour but de donner effet au caractère exécutoire du permis de construire attribué s'agissant des zones non-mentionnées par la loi en permettant au propriétaire de démarrer les travaux de construction sans attendre la purge des recours ; que dès lors, l'appréciation du caractère protégé ou non l'environnement doit se faire au jour de l'attribution du permis de construire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que la rue [...] n'était pas située, en 2010, lors de l'attribution du permis de construire, dans une des zones de protection limitativement énumérées ; que cependant, elle a ordonné la démolition de la maison d'habitation des exposants ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 480-13 du Code de l'urbanisme ;
3°) ALORS QUE, en tout état de cause, la responsabilité délictuelle d'une partie ne peut être engagée sans l'existence d'un comportement fautif imputable à celui dont la responsabilité est recherchée ; qu'au cas présent, pour condamner les exposants à verser à la SCI Laurie des dommages et intérêts à hauteur de 30 000 euros, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la cour d'appel a estimé que celle-ci avait subi un préjudice en raison d'une situation d'inquiétude permanente depuis sept années, face au risque accru d'inondation, sans cependant relever de comportement fautif imputable aux Consorts D... pouvant avoir causé ce dommage ; en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil.