Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 28 janvier 2021, 19-25.036, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 28 janvier 2021




Cassation partielle


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 109 F-D

Pourvoi n° F 19-25.036




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 JANVIER 2021

La société Marie-Jeanne, société à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° F 19-25.036 contre l'arrêt rendu le 2 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-8 (anciennement dénommée 11e chambre B)), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme H... W...,

2°/ à M. Q... W...,

tous deux domiciliés [...] ,

défendeurs à la cassation.

EN PRESENCE DE :

- la société BR associés, dont le siège est [...] , prise en la personne de M. V... X..., agissant en sa qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société Marie-Jeanne,



La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Andrich, conseiller, les observations de la SCP Richard, avocat de la société Marie-Jeanne, après débats en l'audience publique du 8 décembre 2020 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Andrich, conseiller rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 2 mai 2019), M. et Mme W..., bénéficiaires de deux autorisations d'occupation temporaire du domaine public maritime, portant sur un local situé en zone commerciale, ont consenti un bail commercial à la société Marie-Jeanne qui a postérieurement acquis le fonds de commerce du précédent locataire.

2. La société locataire, invoquant la nullité du bail commercial, s'est opposée à un commandement visant la clause résolutoire délivré par M. et Mme W..., et a demandé leur condamnation à l'indemniser des préjudices économique, financier et moral résultant de la nécessaire requalification du bail, en convention d'occupation précaire.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La société Marie-Jeanne fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes d'indemnisation, alors « qu'en déboutant la société Marie-Jeanne de sa demande en réparation de son préjudice commercial et économique, motif pris qu'elle exploitait son fonds de commerce et qu'elle ne le perdrait qu'en cas de non-renouvellement de la concession consentie à la commune du Lavandou à l'arrivée de son échéance, après avoir pourtant requalifié en convention d'occupation précaire le bail commercial du 24 janvier 2011 attaché à ce fonds et qui la liait à M. et Mme W... , ce dont il résultait que la société Marie-Jeanne avait été privée du bénéfice de la propriété commerciale et de son droit à indemnisation de la valeur de son fonds de commerce, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et, l'article L. 145-14 du code de commerce :

4. Aux termes du premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. Selon le second, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

5. Pour rejeter les demandes en réparation des préjudices, l'arrêt retient que la société Marie Jeanne, qui exploite actuellement le fonds de commerce, ne le perdrait qu'en cas de non-renouvellement de concession à l'arrivée de l'échéance, que son risque de perdre son fonds n'est ni présent ni avéré et que le préjudice invoqué, hypothétique et futur, n'ouvre pas droit à indemnisation en l'état.

6. En statuant ainsi alors que la reconnaissance d'un lien contractuel précaire qui, en se substituant à un bail commercial, entraîne la perte du droit au renouvellement attaché à ce bail, ouvre droit à réparation du préjudice qui en résulte, la cour d'appel a violé les textes sus-visés

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs , la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Marie-Jeanne de sa demande de dommages et intérêts, l'arrêt rendu le 2 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. et Mme W... aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. et Mme W... à payer à la société Marie-Jeanne la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit janvier deux mille vingt et un.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Marie-Jeanne

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société MARIE-JEANNE de sa demande tendant à voir condamner Monsieur et Madame W... à lui payer la somme de 367.400 euros en réparation du préjudice commercial et économique qu'elle a subi en raison de la requalification du bail commercial du 24 janvier 2011 en convention d'occupation précaire, de sa perte du bénéfice de la propriété commerciale et de son droit à indemnisation de son fonds de commerce, outre la somme de 6.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

AUX MOTIFS QUE la locataire sollicite la somme de 15 000 € au titre de son préjudice subi en raison de la requalification du bail, 6000 € au titre du préjudice moral et la somme de 367400 € au titre de son préjudice économique ; que concernant son préjudice économique, il convient de souligné que la société Marie Jeanne exploite actuellement le fonds de commerce acquis suivant une convention fixant un terme en 2018 [lire « en 2028 »], qu'elle ne perdrait son fonds qu'en cas de non renouvellement de concession à l'arrivée de l'échéance, que son risque de perdre son fonds n'est ni présent ni avéré, que le préjudice invoqué hypothétique et futur n'ouvre pas droit à indemnisation en l'état ; que la société locataire invoque une faute des bailleurs qui ont conclu à tort un bail commercial, que toutefois elle connaissait parfaitement la situation particulière avant la signature du bail puisqu'elle exploitait le fonds sous la forme d'une location gérance depuis2009, qu'elle ne justifie pas de la réalité d'un préjudice économique actuel et certain, pas plus qu'elle ne justifie d'un préjudice moral ;

1°) ALORS QU'en se bornant à énoncer, pour débouter la Société MARIE-JEANNE de sa demande en réparation de son préjudice commercial et économique, que cette dernière invoquait une faute de ses bailleurs, qui lui avaient consenti à tort un bail commercial, sans indiquer si la faute ainsi reprochée à Monsieur et Madame W... était ou non caractérisée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) ALORS QU'en déboutant la Société MARIE-JEANNE de sa demande en réparation de son préjudice commercial et économique, motif pris qu'elle exploitait son fonds de commerce et qu'elle ne le perdrait qu'en cas de nonrenouvellement de la concession consentie à la commune du Lavandou à l'arrivée de son échéance, après avoir pourtant requalifié en convention d'occupation précaire le bail commercial du 24 janvier 2011 attaché à ce fonds et qui la liait à Monsieur et Madame W..., ce dont il résultait que la Société MARIE-JEANNE avait été privée du bénéfice de la propriété commerciale et de son droit à indemnisation de la valeur de son fonds de commerce, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°) ALORS QU'en se bornant à énoncer, pour débouter la Société MARIE-JEANNE de sa demande en réparation de son préjudice commercial et économique, que cette dernière exploitait son fonds de commerce sous la forme d'une location-gérance depuis l'année 2009, de sorte qu'elle n'aurait pas justifié d'un préjudice économique actuel et certain, sans indiquer en quoi le fait pour la Société MARIE-JEANNE d'avoir exploité ledit fonds en location-gérance lui aurait permis d'avoir connaissance de ce qu'elle ne pourrait prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux, dès lors que les locaux qu'elle exploitait se situaient sur le domaine public maritime, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°) ALORS QUE, en tout état de cause, en déboutant la Société MARIE-JEANNE de sa demande en réparation de son préjudice commercial et économique, au motif qu'elle connaissait la situation particulière avant la signature du bail, puisqu'elle exploitait son fonds de commerce sous la forme d'une location-gérance depuis l'année 2009, la Cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à exclure le préjudice commercial et économique de la Société MARIE-JEANNE, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.ECLI:FR:CCASS:2021:C300109
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