Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 20 janvier 2021, 19-18.979, Inédit

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 janvier 2021




Cassation sans renvoi


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 46 F-D

Pourvoi n° X 19-18.979




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 JANVIER 2021

La société Hôtelière de Champagne, société en nom collectif, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° X 19-18.979 contre l'arrêt rendu le 7 mai 2019 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société N3B, dont le siège est [...] ,

2°/ à la société AJC, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , en la personne de M. S... D..., venant aux droits de M. S... D..., prise en qualité d'administrateur judiciaire de la société FHF,

3°/ à la société [...] , société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...] , en la personne de M. G... Q..., venant aux droits de la SCP [...] , prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société FHF,

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bélaval, conseiller, les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la société Hôtelière de Champagne, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société N3B, et l'avis de Mme Henry, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 novembre 2020 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bélaval, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Hôtelière de Champagne du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société AJC et la société [...] .

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 7 mai 2019), la société civile immobilière d'attribution N3B est propriétaire d'un immeuble qui a été donné à bail commercial à la société CB Invest, aux droits de laquelle s'est trouvée la société FHF.

3. Par un jugement du 18 mai 2017, frappé d'appel, un tribunal a fixé la valeur locative des locaux à la somme annuelle hors taxe et hors charges de 70 172 euros à compter du 1er avril 2014.

4. Par un jugement irrévocable du 31 août 2017, ont été arrêté un plan de cession des actifs de la société FHF et ordonnée la cession du droit au bail à M. B... représentant la société Hôtelière de Champagne dans les termes suivants : « Reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement du 18 mai 2017 rendu par le tribunal de grande instance de Reims en matière de loyers commerciaux ».

5. La société N3B a demandé la rectification d'une erreur matérielle contenue selon elle dans le jugement du 31 août 2017, et subsidiairement l'interprétation de ce jugement, pour voir préciser que les conditions du bail à l'égard du repreneur s'entendaient sous réserve de l'appel pendant devant la cour d'appel statuant comme juge des loyers commerciaux.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Hôtelière de Champagne fait grief à l'arrêt de dire qu'il y a lieu d'interpréter le jugement du 31 août 2017 comme suit : « reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement en date du 18 mai 2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux sous réserve de l'appel en cours, et plus généralement des voies de recours légalement admissibles », alors « que le juge saisi d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision ne peut, sous le prétexte d'en déterminer le sens, modifier les droits et obligations des parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que le jugement de cession du 31 août 2017, faisant l'objet de la requête en interprétation présentée par la société N3B, ordonnait, dans son dispositif, la "reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement du 18 mai 2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux" ; qu'en ajoutant à cette disposition précise une réserve tenant à "l'appel en cours" contre le jugement du 18 mai 2017 et plus généralement aux "voies de recours légalement admissibles", la cour d'appel a modifié, sous couvert d'interprétation, les droits et obligations des parties, en violation des articles 1351, devenu 1355, du code civil, 461 et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1351, devenu 1355, du code civil, 461 et 480 du code de procédure civile :

7. Il résulte de ces textes que les juges, saisis d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision, ne peuvent, sous le prétexte d'en déterminer le sens, apporter une modification quelconque aux dispositions précises de celle-ci, fussent-elles erronées.

8. L'arrêt retient que le terme « conditions » repris dans le dispositif du jugement du 31 août 2017 doit s'interpréter dans le sens où il concerne le montant du loyer puisque le jugement auquel il est fait référence a été rendu par le juge des loyers commerciaux, que cette disposition doit également s'interpréter au regard de l'offre de reprise de M. B... du 17 août 2017, faisant état du fait « qu'une procédure relative au montant des loyers est pendante devant la cour d'appel, ainsi il existe une incertitude sur l'un des éléments principaux du fonds de commerce, à savoir le montant même du loyer », cette offre faisant partie intégrante du jugement du 31 août 2017 et au regard du mail du conseil de M. B..., représentant la société Hôtelière de Champagne, qui avait fait connaître son accord pour que la phrase ci-dessus rappelée soit interprétée comme suit « sous réserve de l'appel interjeté contre le jugement du 18 mai 2017, toujours pendant devant la cour d'appel de Reims ». L'arrêt en déduit que la société Hôtelière de Champagne ne peut invoquer une modification de ses droits dans la mesure où l'interprétation de la décision avait déjà été contractuellement intégrée dans l'offre de reprise servant de support au jugement de cession et qu'elle avait été au surplus validée par l'intermédiaire de son conseil.

9. En statuant ainsi, alors que la disposition du jugement du 31 août 2017 avait irrévocablement fixé les conditions de la reprise du contrat de bail par référence exclusive au loyer fixé par le jugement du 18 mai 2017, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'il y a lieu d'interpréter le jugement du 31 août 2017 comme suit : « reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement en date du 18 mai 2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux sous réserve de l'appel en cours, et plus généralement des voies de recours légalement admissibles », déboute les parties de leur demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, dit que la décision à intervenir doit être mentionnée sur la minute et les expéditions du jugement interprété
et dit que les dépens de première instance et d'appel sont mis à la charge du Trésor public, l'arrêt rendu le 7 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la requête en interprétation de la société N3B ;

Condamne la société N3B aux dépens, en ce compris ceux exposés devant les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société N3B et la condamne à payer à la société Hôtelière de Champagne la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt janvier deux mille vingt et un. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Hôtelière de Champagne.

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit qu'il y avait lieu d'interpréter le jugement rendu le 31 août 2017 par le tribunal de commerce de Reims comme suit : « reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement en date du 18/05/2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux sous réserve de l'appel en cours, et plus généralement des voies de recours légalement admissibles » ;

Aux motifs que le terme « conditions » repris dans le dispositif du jugement s'agissant du bail doit s'interpréter dans le sens où il concerne le montant du loyer puisque le jugement auquel il est fait référence a été rendu par le juge des loyers commerciaux qui n'a compétence que pour la fixation du loyer d'un bail commercial ; que cette disposition doit également s'interpréter au regard : / - de l'offre de reprise de M. B... du 17 août 2017 (pièce n° 2 de l'appelante) qui comporte la mention suivante : « nous comprenons qu'une procédure relative au montant des loyers est actuellement pendante devant la cour d'appel de Reims, ainsi, à ce jour, il existe une incertitude sur l'un des éléments principaux du fonds de commerce, à savoir le montant même du loyer », étant précisé que le jugement de cession n'a été rendu au profit de M. B... que parce qu'il avait formulé une offre de reprise, l'offre faisant donc partie intégrante du jugement du 31 août 2017, / - du mail du conseil de M. B..., représentant la société Hôtelière de Champagne, qui a fait connaître son accord pour que la phrase ci-dessus rappelée soit interprétée comme suit « sous réserve de l'appel interjeté contre le jugement du 18 mai 2017, toujours pendant devant la cour d'appel de Reims » (pièce n° 3 de l'appelante) ; que la société Hôtelière de Champagne ne peut invoquer une modification de ses droits dans la mesure où l'interprétation de la décision avait déjà été contractuellement intégrée dans l'offre de reprise servant de support au jugement de cession et qu'elle avait été au surplus validée par l'intermédiaire de son conseil ; qu'il convient donc d'accueillir favorablement la requête formée par la société N3B et d'interpréter le jugement du 31 août 2017 comme suit : « reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement en date du 18/05/2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux », qu'il convient d'expliciter par la formule « sous réserve de l'appel en cours, et plus généralement des voies de recours légalement admissibles » (arrêt attaqué, p. 6, § 5) ;

1°) Alors que le juge saisi d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision ne peut, sous le prétexte d'en déterminer le sens, modifier les droits et obligations des parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que le jugement de cession du 31 août 2017, faisant l'objet de la requête en interprétation présentée par la société N3B, ordonnait, dans son dispositif, la « reprise du contrat de bail aux conditions fixées par le jugement du 18/05/2017 rendu par le tribunal de grande instance en matière de loyers commerciaux » ; qu'en ajoutant à cette disposition précise une réserve tenant à « l'appel en cours » contre le jugement du 18 mai 2017 et plus généralement aux « voies de recours légalement admissibles », la cour d'appel a modifié, sous couvert d'interprétation, les droits et obligations des parties, en violation des articles 1351, devenu 1355, du code civil, 461 et 480 du code de procédure civile ;

2°) Alors que l'interdiction faite au juge, saisi d'une contestation relative à l'interprétation d'une précédente décision, de modifier les droits et obligations des parties s'applique quand bien même les dispositions précises de la décision en cause seraient erronées ; qu'en relevant que l'offre de reprise servant de support au jugement de cession du 31 août 2017 intégrait déjà la réserve que la société N3B souhaitait voir introduire dans le dispositif de cette décision, quand cette circonstance se rapportait exclusivement à l'examen du bien-fondé des dispositions précises du jugement de cession, et non à leur interprétation qui n'avait pas lieu d'être, la cour d'appel s'est fondée sur une considération impropre à justifier la modification qu'elle a apportée auxdites dispositions ; qu'elle a ainsi violé, de plus fort, les articles 1351, devenu 1355, du code civil, 461 et 480 du code de procédure civile ;

3°) Alors que le sens d'une décision faisant l'objet d'une requête en interprétation ne saurait résulter de l'accord des parties ; qu'en relevant que M. B..., représentant de la société Hôtelière de Champagne, avait précédemment fait connaître son accord, par l'intermédiaire de son conseil, sur la réserve que la société N3B souhaitait voir introduire dans le dispositif du jugement de cession du 31 août 2017, la cour d'appel s'est à nouveau fondée sur une considération impropre à justifier la modification qu'elle a apportée aux dispositions précises dudit jugement, sous couvert d'interprétation ; qu'à ce titre encore, elle a violé les articles 1351, devenu 1355, du code civil, 461 et 480 du code de procédure civile.ECLI:FR:CCASS:2021:CO00046
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