Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 janvier 2021, 19-14.050, Publié au bulletin
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 13 janvier 2021, 19-14.050, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre sociale
- N° de pourvoi : 19-14.050
- ECLI:FR:CCASS:2021:SO00056
- Publié au bulletin
- Solution : Cassation partielle
Audience publique du mercredi 13 janvier 2021
Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 26 février 2019- Président
- M. Cathala
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 janvier 2021
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 56 FS-P+I
Pourvoi n° Q 19-14.050
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 JANVIER 2021
La société MD2I, société par actions simplifiée, dont le siège est 253 rue Galliéni, 92100 Boulogne-Billancourt, a formé le pourvoi n° Q 19-14.050 contre l'arrêt rendu le 26 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. K... W..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société MD2I, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. W..., et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mmes Le Lay, Mariette, M. Barincou, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 30 novembre 2017, pourvoi n° 16-21.249 ), M. W..., directeur commercial de la société MD2I depuis 1998, a saisi la juridiction prud'homale le 17 janvier 2011 de demandes en paiement puis a sollicité le 18 juillet 2011 la résiliation de son contrat de travail. Il a été licencié le 27 juillet 2011 pour perte de confiance. Le 14 mars 2016, il a présenté pour la première fois une demande en nullité de son licenciement, en réintégration et en paiement d'une somme équivalente aux salaires qu'il aurait dû percevoir depuis sa date d'éviction.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié au sein de la société à son poste de directeur commercial ou à tout poste substitué ou similaire, sous astreinte et de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors « que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que le salarié qui, pendant plusieurs années après son licenciement, a maintenu une demande, formée avant son licenciement, tendant à la résiliation judiciaire de son contrat et réclamé le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est irrecevable à demander ensuite sa réintégration dans l'entreprise, en conséquence de la nullité de son licenciement ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat, a maintenu cette demande et contesté, à titre subsidiaire, le caractère réel et sérieux des motifs de son licenciement, à l'appui d'une demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure, il a invoqué pour la première fois la nullité de son licenciement et demandé sa réintégration ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société MD2I à cette demande de réintégration, qu'il convient d'ordonner la réintégration dans la mesure où le salarié la demande et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à la rendre impossible matériellement, cependant que l'adoption de positions contradictoires par le salarié au cours de la même instance était de nature à induire en erreur l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de l'employeur que celui-ci ait soutenu devant la cour d'appel la fin de non-recevoir tirée de ce que l'adoption par le salarié de positions contradictoires au cours de la même instance était de nature à l'induire en erreur.
4. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors :
« 1°/ que si aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration, lorsque son licenciement est nul pour porter atteinte à une liberté fondamentale, le salarié qui présente, de façon abusive, sa demande de réintégration tardivement ne peut prétendre qu'au paiement de la rémunération qu'il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, a maintenu cette demande, contesté à titre subsidiaire le bien-fondé de son licenciement et sollicité le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pendant plus de quatre ans ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure contentieuse, il a, pour la première fois, contesté la validité de son licenciement et formé une demande de réintégration dans l'entreprise ; que la société MD2I soutenait, en conséquence, que le salarié avait commis un abus dans l'exercice de son droit qui conduisait à reporter le point de départ de l'indemnisation à la date de sa demande de réintégration, soit le 14 mars 2016 ; qu'en refusant de se prononcer sur l'abus invoqué par l'exposante, au motif inopérant qu'elle ne soulève pas une exception de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié n'avait pas tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration, pour avoir attendu plus de quatre ans après son licenciement pour contester, pour la première fois, la validité de son licenciement et présenter une demande de réintégration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :
6. En cas de licenciement nul, le salarié qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration. Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.
7. Pour condamner l'employeur à payer une indemnité de 1 050 770 euros au titre de la nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt retient que s'il est exact que le salarié n'a formé une demande en nullité du licenciement et par voie de conséquence en réintégration que par conclusions communiquées en mars 2016 devant la cour d'appel de Versailles, faute pour la société de soulever une exception de prescription, la période à prendre en considération ne peut être restreinte.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 1 050 770 euros l'indemnité due par la société MD2I à M. W... pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. W... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société MD2I
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement déféré en ses seules dispositions relatives au licenciement et ses conséquences, d'AVOIR ordonné la réintégration de M. W... au sein de la société MD2I à son poste de directeur commercial ou à tout poste substitué ou similaire, d'AVOIR dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte et d'AVOIR condamné la société MD2I à payer à M. W... la somme de 1.050.770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28/10/2011 au 28/11/2018 et celle de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de réintégration. La société expose que cette demande serait irrecevable aux motifs que Monsieur W... depuis le 17 juillet 2011, antérieurement à la notification de son licenciement, a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que par cette demande réitérée pendant plusieurs années de procédure, il a nécessairement mais implicitement renoncé à une réintégration, au visa des griefs qu'il formulait à l'encontre de la société MD2I. L'appelant rappelle notamment qu'en cas de violation flagrante d'une disposition d'ordre public, la cour de cassation impose que le salarié retrouve son emploi. Dans la mesure où le salarié a demandé sa réintégration et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à rendre celle-ci impossible matériellement, il convient de l'ordonner, en prévoyant une astreinte » ;
ALORS QUE nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que le salarié qui, pendant plusieurs années après son licenciement, a maintenu une demande, formée avant son licenciement, tendant à la résiliation judiciaire de son contrat et réclamé le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est irrecevable à demander ensuite sa réintégration dans l'entreprise, en conséquence de la nullité de son licenciement ; qu'en l'espèce, il est constant que M. W..., qui avait saisi la juridiction prud'homale en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat, a maintenu cette demande et contesté, à titre subsidiaire, le caractère réel et sérieux des motifs de son licenciement, à l'appui d'une demande tendant au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure, il a invoqué pour la première fois la nullité de son licenciement et demandé sa réintégration ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société MD2I à cette demande de réintégration, qu'il convient d'ordonner la réintégration dans la mesure où le salarié la demande et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à la rendre impossible matériellement, cependant que l'adoption de positions contradictoires par le salarié au cours de la même instance était de nature à induire en erreur l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société MD2I à payer à M. W... la somme de 1.050.770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28/10/2011 au 28/11/2018 ;
AUX MOTIFS QUE « M K... W... sollicite une indemnité correspondant aux salaires dont il a été privé depuis le 28 octobre 2011, date de la fin de son préavis de licenciement, jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi. Il indique que sur la période de 2010 à 2011, il bénéficiait d'une rémunération moyenne brute de 12362 € et qu'il peut valablement prétendre, à une somme arrêtée à titre provisoire (jusqu'à sa réintégration effective) au 28 novembre 2018, calculée ainsi : 85 mois x 12.362 € soit la somme globale de 1.050.770 € outre 105.077 € de congés payés. Il soutient que la liberté d'expression, l'égalité des armes et le droit d'agir en justice constituent tous trois des droits fondamentaux de valeur constitutionnelle de sorte que selon la jurisprudence de la cour de cassation, cette somme n'est pas susceptible de déduction des revenus perçus pendant la période couverte par la nullité ; à titre subsidiaire, il fournit un décompte des revenus perçus dans la période concernée. La société invoque le fait que Monsieur W... a attendu 5 années après son licenciement pour en soulever la nullité, demander sa réintégration ainsi qu'une indemnisation courant à compter de son licenciement, sollicitant que le point de départ en soit fixé au 14 mars 2016. Elle soutient que c'est par pure opportunité et en commettant un abus dans l'exercice de son droit à indemnisation que Monsieur W..., fort de ses certitudes, se limite devant la cour de renvoi à soutenir que « la société MD2I sera tenue à lui verser une indemnité correspondant aux salaires dont il a été privé depuis le 28 octobre 2011 date de la fin de son préavis de licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi. » Elle demande à la cour d'ordonner à Monsieur W... de produire aux débats ses déclarations de revenus sur la période 2016 au jour où la cour statuera, pour qu'intervienne une déduction des revenus de remplacement et notamment ceux issus de l'activité professionnelle de Monsieur W... résultant de la constitution par lui et son épouse en décembre 2013 d'une société CLICKCLIK, Sarl dont il est le gérant, ce qui de plus fort confirme que la réintégration n'était manifestement pas son projet. S'il est exact que Monsieur W... n'a formé une demande en nullité du licenciement et par voie de conséquence de réintégration que par des conclusions communiquées en mars 2016 devant la cour d'appel de Versailles, faute pour la société de soulever une exception de prescription, elle ne peut restreindre la période à prendre en considération. Dans la mesure où la présente cour a constaté la violation de droits et libertés garantis par la constitution, le salarié a droit à une indemnisation de nature forfaitaire, dans la limite du montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période. En conséquence, il convient de faire droit à la demande de Monsieur W... mais sans appliquer les congés payés afférents, puisque l'indemnisation n'a pas un caractère de salaire. Pour cette même raison, la demande de remise des bulletins de salaires sous astreinte n'est pas nécessaire » ;
1. ALORS QUE si aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration, lorsque son licenciement est nul pour porter atteinte à une liberté fondamentale, le salarié qui présente, de façon abusive, sa demande de réintégration tardivement ne peut prétendre qu'au paiement de la rémunération qu'il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective ; qu'en l'espèce, il est constant que M. W..., qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, a maintenu cette demande, contesté à titre subsidiaire le bien-fondé de son licenciement et sollicité le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pendant plus de quatre ans ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure contentieuse, il a, pour la première fois, contesté la validité de son licenciement et formé une demande de réintégration dans l'entreprise ; que la société MD2I soutenait, en conséquence, que M. W... avait commis un abus dans l'exercice de son droit qui conduisait à reporter le point de départ de l'indemnisation à la date de sa demande de réintégration, soit le 14 mars 2016 ; qu'en refusant de se prononcer sur l'abus invoqué par l'exposante, au motif inopérant qu'elle ne soulève pas une exception de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié n'avait pas tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration, pour avoir attendu plus de quatre ans après son licenciement pour contester, pour la première fois, la validité de son licenciement et présenter une demande de réintégration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail.ECLI:FR:CCASS:2021:SO00056
SOC.
IK
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 13 janvier 2021
Cassation partielle
M. CATHALA, président
Arrêt n° 56 FS-P+I
Pourvoi n° Q 19-14.050
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 JANVIER 2021
La société MD2I, société par actions simplifiée, dont le siège est 253 rue Galliéni, 92100 Boulogne-Billancourt, a formé le pourvoi n° Q 19-14.050 contre l'arrêt rendu le 26 février 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. K... W..., domicilié [...] , défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société MD2I, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de M. W..., et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 novembre 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leprieur, conseiller doyen, M. Pietton, Mmes Le Lay, Mariette, M. Barincou, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prache, Marguerite, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 30 novembre 2017, pourvoi n° 16-21.249 ), M. W..., directeur commercial de la société MD2I depuis 1998, a saisi la juridiction prud'homale le 17 janvier 2011 de demandes en paiement puis a sollicité le 18 juillet 2011 la résiliation de son contrat de travail. Il a été licencié le 27 juillet 2011 pour perte de confiance. Le 14 mars 2016, il a présenté pour la première fois une demande en nullité de son licenciement, en réintégration et en paiement d'une somme équivalente aux salaires qu'il aurait dû percevoir depuis sa date d'éviction.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
2. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration du salarié au sein de la société à son poste de directeur commercial ou à tout poste substitué ou similaire, sous astreinte et de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors « que nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que le salarié qui, pendant plusieurs années après son licenciement, a maintenu une demande, formée avant son licenciement, tendant à la résiliation judiciaire de son contrat et réclamé le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est irrecevable à demander ensuite sa réintégration dans l'entreprise, en conséquence de la nullité de son licenciement ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat, a maintenu cette demande et contesté, à titre subsidiaire, le caractère réel et sérieux des motifs de son licenciement, à l'appui d'une demande tendant au paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure, il a invoqué pour la première fois la nullité de son licenciement et demandé sa réintégration ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société MD2I à cette demande de réintégration, qu'il convient d'ordonner la réintégration dans la mesure où le salarié la demande et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à la rendre impossible matériellement, cependant que l'adoption de positions contradictoires par le salarié au cours de la même instance était de nature à induire en erreur l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
3. Il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions de l'employeur que celui-ci ait soutenu devant la cour d'appel la fin de non-recevoir tirée de ce que l'adoption par le salarié de positions contradictoires au cours de la même instance était de nature à l'induire en erreur.
4. Le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, n'est donc pas recevable.
Mais sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 1 050 770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, alors :
« 1°/ que si aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration, lorsque son licenciement est nul pour porter atteinte à une liberté fondamentale, le salarié qui présente, de façon abusive, sa demande de réintégration tardivement ne peut prétendre qu'au paiement de la rémunération qu'il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective ; qu'il est constant que le salarié, qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, a maintenu cette demande, contesté à titre subsidiaire le bien-fondé de son licenciement et sollicité le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pendant plus de quatre ans ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure contentieuse, il a, pour la première fois, contesté la validité de son licenciement et formé une demande de réintégration dans l'entreprise ; que la société MD2I soutenait, en conséquence, que le salarié avait commis un abus dans l'exercice de son droit qui conduisait à reporter le point de départ de l'indemnisation à la date de sa demande de réintégration, soit le 14 mars 2016 ; qu'en refusant de se prononcer sur l'abus invoqué par l'exposante, au motif inopérant qu'elle ne soulève pas une exception de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
2°/ qu'en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié n'avait pas tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration, pour avoir attendu plus de quatre ans après son licenciement pour contester, pour la première fois, la validité de son licenciement et présenter une demande de réintégration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 1121-1 du code du travail :
6. En cas de licenciement nul, le salarié qui sollicite sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration. Toutefois, le salarié qui présente de façon abusive sa demande de réintégration tardivement, n'a droit, au titre de cette nullité, qu'à la rémunération qu'il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective.
7. Pour condamner l'employeur à payer une indemnité de 1 050 770 euros au titre de la nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt retient que s'il est exact que le salarié n'a formé une demande en nullité du licenciement et par voie de conséquence en réintégration que par conclusions communiquées en mars 2016 devant la cour d'appel de Versailles, faute pour la société de soulever une exception de prescription, la période à prendre en considération ne peut être restreinte.
8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il fixe à la somme de 1 050 770 euros l'indemnité due par la société MD2I à M. W... pour nullité du licenciement pour la période du 28 octobre 2011 au 28 novembre 2018, l'arrêt rendu le 26 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. W... aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize janvier deux mille vingt et un. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société MD2I
PREMIER MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement déféré en ses seules dispositions relatives au licenciement et ses conséquences, d'AVOIR ordonné la réintégration de M. W... au sein de la société MD2I à son poste de directeur commercial ou à tout poste substitué ou similaire, d'AVOIR dit que cette obligation sera assortie d'une astreinte et d'AVOIR condamné la société MD2I à payer à M. W... la somme de 1.050.770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28/10/2011 au 28/11/2018 et celle de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la demande de réintégration. La société expose que cette demande serait irrecevable aux motifs que Monsieur W... depuis le 17 juillet 2011, antérieurement à la notification de son licenciement, a sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que par cette demande réitérée pendant plusieurs années de procédure, il a nécessairement mais implicitement renoncé à une réintégration, au visa des griefs qu'il formulait à l'encontre de la société MD2I. L'appelant rappelle notamment qu'en cas de violation flagrante d'une disposition d'ordre public, la cour de cassation impose que le salarié retrouve son emploi. Dans la mesure où le salarié a demandé sa réintégration et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à rendre celle-ci impossible matériellement, il convient de l'ordonner, en prévoyant une astreinte » ;
ALORS QUE nul ne peut se contredire au détriment d'autrui ; que le salarié qui, pendant plusieurs années après son licenciement, a maintenu une demande, formée avant son licenciement, tendant à la résiliation judiciaire de son contrat et réclamé le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, est irrecevable à demander ensuite sa réintégration dans l'entreprise, en conséquence de la nullité de son licenciement ; qu'en l'espèce, il est constant que M. W..., qui avait saisi la juridiction prud'homale en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat, a maintenu cette demande et contesté, à titre subsidiaire, le caractère réel et sérieux des motifs de son licenciement, à l'appui d'une demande tendant au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure, il a invoqué pour la première fois la nullité de son licenciement et demandé sa réintégration ; qu'en retenant, pour écarter la fin de non-recevoir opposée par la société MD2I à cette demande de réintégration, qu'il convient d'ordonner la réintégration dans la mesure où le salarié la demande et que l'employeur n'expose aucun élément de nature à la rendre impossible matériellement, cependant que l'adoption de positions contradictoires par le salarié au cours de la même instance était de nature à induire en erreur l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 122 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION, SUBSIDIAIRE
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société MD2I à payer à M. W... la somme de 1.050.770 euros au titre de l'indemnité due pour nullité du licenciement pour la période du 28/10/2011 au 28/11/2018 ;
AUX MOTIFS QUE « M K... W... sollicite une indemnité correspondant aux salaires dont il a été privé depuis le 28 octobre 2011, date de la fin de son préavis de licenciement, jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi. Il indique que sur la période de 2010 à 2011, il bénéficiait d'une rémunération moyenne brute de 12362 € et qu'il peut valablement prétendre, à une somme arrêtée à titre provisoire (jusqu'à sa réintégration effective) au 28 novembre 2018, calculée ainsi : 85 mois x 12.362 € soit la somme globale de 1.050.770 € outre 105.077 € de congés payés. Il soutient que la liberté d'expression, l'égalité des armes et le droit d'agir en justice constituent tous trois des droits fondamentaux de valeur constitutionnelle de sorte que selon la jurisprudence de la cour de cassation, cette somme n'est pas susceptible de déduction des revenus perçus pendant la période couverte par la nullité ; à titre subsidiaire, il fournit un décompte des revenus perçus dans la période concernée. La société invoque le fait que Monsieur W... a attendu 5 années après son licenciement pour en soulever la nullité, demander sa réintégration ainsi qu'une indemnisation courant à compter de son licenciement, sollicitant que le point de départ en soit fixé au 14 mars 2016. Elle soutient que c'est par pure opportunité et en commettant un abus dans l'exercice de son droit à indemnisation que Monsieur W..., fort de ses certitudes, se limite devant la cour de renvoi à soutenir que « la société MD2I sera tenue à lui verser une indemnité correspondant aux salaires dont il a été privé depuis le 28 octobre 2011 date de la fin de son préavis de licenciement jusqu'à sa réintégration effective dans son emploi. » Elle demande à la cour d'ordonner à Monsieur W... de produire aux débats ses déclarations de revenus sur la période 2016 au jour où la cour statuera, pour qu'intervienne une déduction des revenus de remplacement et notamment ceux issus de l'activité professionnelle de Monsieur W... résultant de la constitution par lui et son épouse en décembre 2013 d'une société CLICKCLIK, Sarl dont il est le gérant, ce qui de plus fort confirme que la réintégration n'était manifestement pas son projet. S'il est exact que Monsieur W... n'a formé une demande en nullité du licenciement et par voie de conséquence de réintégration que par des conclusions communiquées en mars 2016 devant la cour d'appel de Versailles, faute pour la société de soulever une exception de prescription, elle ne peut restreindre la période à prendre en considération. Dans la mesure où la présente cour a constaté la violation de droits et libertés garantis par la constitution, le salarié a droit à une indemnisation de nature forfaitaire, dans la limite du montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, peu important qu'il ait ou non reçu des salaires ou un revenu de remplacement pendant cette période. En conséquence, il convient de faire droit à la demande de Monsieur W... mais sans appliquer les congés payés afférents, puisque l'indemnisation n'a pas un caractère de salaire. Pour cette même raison, la demande de remise des bulletins de salaires sous astreinte n'est pas nécessaire » ;
1. ALORS QUE si aucun délai n'est imparti au salarié pour demander sa réintégration, lorsque son licenciement est nul pour porter atteinte à une liberté fondamentale, le salarié qui présente, de façon abusive, sa demande de réintégration tardivement ne peut prétendre qu'au paiement de la rémunération qu'il aurait perçue de la date de sa demande de réintégration jusqu'à sa réintégration effective ; qu'en l'espèce, il est constant que M. W..., qui avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat en juillet 2011, quelques jours avant son licenciement, a maintenu cette demande, contesté à titre subsidiaire le bien-fondé de son licenciement et sollicité le paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pendant plus de quatre ans ; qu'en mars 2016, après plus de quatre années de procédure contentieuse, il a, pour la première fois, contesté la validité de son licenciement et formé une demande de réintégration dans l'entreprise ; que la société MD2I soutenait, en conséquence, que M. W... avait commis un abus dans l'exercice de son droit qui conduisait à reporter le point de départ de l'indemnisation à la date de sa demande de réintégration, soit le 14 mars 2016 ; qu'en refusant de se prononcer sur l'abus invoqué par l'exposante, au motif inopérant qu'elle ne soulève pas une exception de prescription, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail ;
2. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE en s'abstenant de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le salarié n'avait pas tardé, de manière abusive, à présenter sa demande de réintégration, pour avoir attendu plus de quatre ans après son licenciement pour contester, pour la première fois, la validité de son licenciement et présenter une demande de réintégration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1121-1 du code du travail.